Previous PageTable Of ContentsNext Page


Estimation des crues des petits bassins africains : réflexion sur l'utilisation de la télédétection


J.M. Grésillon, Laboratoire d'étude des transferts en hydrologie et environnement, Grenoble;

Centre de développement des géosciences appliquées, Université Bordeaux, Talence, France

Resumé

Une analyse statistique effectuée sur un jeu de données de crues d'une série de bassins versants africains étudiés par l'ORSTOM permet de mettre en évidence certaines variables explicatives des fonctions de production et de transfert. Fondée sur une sélection sévère des données les plus pertinents, cette analyse montre l'effet positif de la végétation sur l'infiltration en région sahélienne. Dans les régions plus humides (Afrique tropicale), où la végétation est dense, c'est la densité de drainage qui explique le mieux les différences d'écoulement entre les bassins versants : les crues sont plus volumineuses lorsque la densité de drainage est élevée. Une analyse comparable effectuée au sujet des vitesses de transfert révèle les effets de la densité de drainage et de la pente sur la forme des hydrogrammes.

Parmi un grand nombre de variables candidates, les plus explicatives sont donc la végétation, la densité de drainage et les pentes. Elles sont toutes déterminées très approximativement dans les démarches classiques. Les outils d'observation de l'espace doivent apporter des informations beaucoup plus fines pour caractériser chacune d'elles. C'est le défi que la télédétection satellitaire et les autres moyens d'observation de la terre doivent relever pour améliorer nos connaissances hydrologiques.

Abstract

A statistical analysis was carried out with flood data collected by ORSTOM functions on a series of catchments in Africa. It made it possible to identify the variables explaining loss and transfer. The study shows that infiltration is correlated with vegetation in sahelian countries. In humid regions (tropical Africa), where vegetation density is high, the drainage density becomes the most important variable: floods are stronger when drainage density is high. A similar analysis is done for flood routine velocity. It shows that the shape of the hydrographs is a function of drainage density and slope.

Classical methods give very rough estimates of each of these variables, vegetation, drainage density and slope. Earth observation tools can provide a much more accurate way of assessing these variables. It is the main challenge remote sensing faces in order to contribute to a better understanding of hydrological processes.


Introduction

Pour qui a connu la difficulté d'évaluer les débits des crues des petits bassins versants en Afrique, la necessité d'en améliorer la connaissance ne fait aucun doute. Certains ouvrages de génie civil (barrages, routes) sont en effet emportés par des crues d'une violence qui paraît improbable. D'autres sont équipés d'évacuateurs de crues qui s'avèrent fortement surdimensionnés. En dépit de progrès réalisés dans les méthodes disponibles pour l'évaluation des crues (Rodier et Auvray, 1965; Puech et Chabi, 1984), l'incertitude des estimations reste grande et le surdimensionnement systématique des ouvrages semble encore la seule protection, encore qu'économiquement désastreuse, contre les caprices des cieux (Grésillon et al., 1979).

Face à cet échec relatif (et provisoire?) des ingénieurs et des chercheurs, des apports en connaissances nouvelles sont nécessaires. En effet l'arsenal des outils hydrologiques actuellement disponibles semble avoir atteint ses limites et il faut désormais nous tourner vers des moyens de compréhension nouveaux. Font partie de ces moyens l'analyse fine des processus et, de façon plus opérationnelle, les outils d'observation et d'analyse de ces processus par télédétection. Même si la prise en compte des aspects spatiaux sur les bassins versants n'est pas encore très bien maîtrisée, certaines approches encourageantes autorisent un optimisme relatif.

On développe ici une étude statistique sur les crues décennales des petits bassins versants d'Afrique, fondée sur une analyse de données sévère. L'objectif de cette étude statistique est de définir quelles sont, parmi les grandeurs géomorphologiques caractérisant un bassin versant, celles qui sont réellement importantes du point de vue de leurs conséquences sur les crues. Nous verrons d'une part qu'il ne s'agit pas forcément de celles escomptées et d'autre part que des moyens d'information géographique tels que la télédétection peuvent apporter une contribution significative et irremplaçable à leur évaluation.

La base de données

Afin d'analyser le rôle hydrologique sur les crues des différentes grandeurs géomorphologiques définissant un bassin versant, nous utilisons un jeu de données recueillies par l'ORSTOM sur un ensemble de cent bassins « représentatifs et expérimentaux ». Ceux-ci contiennent environ 250 sous-bassins couvrant une zone géographique étendue allant du Sud du Sahara (Mali, Mauritanie, Niger, Tchad) jusqu'à l'équateur et au-delà dans l'hémisphère Sud (Congo, Gabon). (Dubreuil, 1972).

Pour chaque bassin, cette base de données fournit des informations de nature géologique, géomorphologique, pluviométrique, mais aussi des observations hydrologiques d'où sont extraites des estimations de paramètres hydrologiques relatifs aux événements rares.

Caractéristiques pluviométriques et géomorphologiques

Parmi les caractéristiques pluviométriques et géomorphologiques relevées par l'ORSTOM, nous avons sélectionné les suivantes:

· la superficie S,

· la pente Ig définie comme l'indice global de pente (Roche),

· la densité de drainage Dd (rapport de la longueur du réseau hydrographique à la superficie du bassin),

· la pluie moyenne interannuelle P donnant une indication sur le régime des pluies et donc sur le climat, elle peut également être considérée comme un descripteur approché d'un taux de couverture végétale,

· la pluie décennale journalière du lieu P10 .

D'autre grandeurs, comme l'indice de compacité ou les dimensions du rectangle équivalent, ont été écartées de cette étude parce qu'elles se sont révélées peu pertinentes en tant que variables explicatives du comportement hydrologique.

Observations hydrologiques

Les observations hydrologiques enregistrées par l'ORSTOM consistent en particulier en une série d'événements averses-crues remarquables sur chaque bassin. Par ailleurs, l'ouvrage de Dubreuil (1972) fournit pour chaque bassin un hyétogramme et un hydrogramme associé; il s'agit en général de l'événement le plus important observé, ou bien, si la pluie qui l'a provoqué est de trop longue durée, d'un épisode « unitaire » (durée de la pluie faible par rapport à celle de la montée de la crue ou, au minimum, à celle de la crue). Sur cet épisode, nous avons mesuré le temps de montée de la crue tm et son coefficient de récession, c'est-à-dire le coefficient DS définissant la vitesse de décroissance exponentielle du débit après la pointe de crue (Q = Q0 . exp(-DS*t)). Pour l'épisode en question, nous avons noté et calculé pour chaque bassin:

· la durée en heures DP de cet épisode pluvieux,

· le rapport RA entre le total pluviométrique de l'épisode et celui qu'il aurait fallu saisir pour qu'il s'agisse d'une pluie capable de créer une crue de fréquence décennale. On a déterminé cette dernière à partir de la pluie décennale de 24 heures du lieu, P10, du temps de montée tm, considéré comme la durée de pluie la plus forte pour un bassin versant, d'une loi de Montana (n=0.12 dans cette région), et d'un abattement spatial A fonction de la superficie du bassin (formule de Vuillaume, 1974). De cette manière :

RA = Pobs / A.P10.(tm/24)0.12.

Ce rapport RA joue le rôle de critère d'extrapolation des données hydrologiques et on peut s'en servir pour la sélection des bassins selon l'importance de cette extrapolation (si RA # 1 l'extrapolation est faible, si RA # 0 l'extrapolation est forte).

Paramètres hydrologiques de fréquences décennales

Pour chaque bassin ayant fait l'objet d'observations, les grandeurs hydrologiques suivantes sont déduites par les hydrologues de l'ORSTOM :

· le débit maximum instantané décennal de crue Q10,

· le coefficient d'écoulement de cette crue Ke10,

· le temps de montée tm10, le temps de base tb10 de cette même crue.

Ainsi, au débit instantané de fréquence décennale sont associées des grandeurs hydrologiques de fréquences décennales, telles que coefficient d'écoulement, forme d'hydrogramme, etc. Bien que toutes les variables hydrologiques soient indépendantes, on admet ici qu'une situation médiane prévaut sur chaque bassin à l'occasion de la crue exceptionnelle, et on accepte donc la notion de paramètres hydrologiques de fréquence décennale associés aux débits instantanés de même fréquence (générés par des « crues décennales »).

Relations entre caractéristiques hydrologiques et géomorphologiques

Corrélations simples entre les variables

L'analyse des corrélations entre les variables hydrologiques repose sur 96 bassins de superficie inférieure à 400 km2, prélevés dans le recueil des données ORSTOM (Dubreuil 1972) (1), pour lesquels l'ensemble des variables est disponible. La couverture géographique de ces bassins (tableau 1) s'étend depuis le Nord du Sahel jusqu'aux régions équatoriales (valeurs extrêmes pour la pluie interannuelle: 95 mm et 2 500 mm).

TABLEAU 1

Répartition géographique des bassins retenus pour l'étude corrélative

Pays Bénin Camer Congo Côte d'Iv. Gabon Burkina Mali Maur Niger Centrafr. Tchad Togo
Nbre bassins 6 9 7 20 2 11 5 5 10 2 12 7

Le tableau 2 donne la matrice des corrélations simples entre les logarithmes des variables pluviométriques, géomorphologiques et hydrologiques de ces 96 bassins. Les variables ont le sens défini auparavant, tm, DS, RA et DP étant relatifs à l'épisode de plus forte importance observé sur chaque bassin.

TABLEAU 2

Matrice des corrélations simples entre les logarithmes des variables pluviométriques, géomorphologiques et hydrologiques.

  S Dd Ig Pan P10 Ke10 tm DS RA DP Q10
S 1                    
Dd -0.19 1                  
Ig -0.64 0.35 1                
Pan 0.10 -0.24 0.19 1              
P10 0.12 -0.22 0.15 0.93 1            
Ke10 0.01 0.38 -0.06 -0.29 -0.34 1          
tm 0.77 -0.38 -0.55 0.37 0.37 -0.09 1        
DS -0.73 0.44 0.55 -0.33 -0.35 0.15 -0.89 1      
RA 0.08 -0.03 -0.12 -0.15 -0.14 0.06 -0.11 -0.03 1    
DP -0.52 0.23 0.46 -0.08 -0.06 0.00 -0.72 0.58 0.33 1  
Q10 0.60 0.34 -0.29 -0.20 -0.20 0.66 0.17 -0.09 0.14 0.13 1

La très forte corrélation (r=0.93) entre la pluie interannuelle P et la pluie décennale de 24 heures P10, signifie que ces deux grandeurs sont redondantes. La pluie décennale P10 ayant été utilisée comme entrée pour l'estimation de Q10, il est préférable de conserver P, qui ne risque pas d'améliorer artificiellement les corrélations.

Une autre corrélation très forte (-0.89) est celle qui relie le temps de montée tm et le coefficient de récession DS. On constate d'ailleurs que ces deux grandeurs sont liées de manière tout à fait parallèle à toutes les autres variables. Elles apportent donc la même information. La montée des eaux, qui intervient en général pendant les pluies, est probablement plus sensible à la durée de la pluie qui la provoque que le coefficient de récession qui paraît donc préférable. Le tableau 2 confirme d'ailleurs que tm est fortement dépendant de la durée de la pluie DP (coefficient de corrélation -0.72), tandis que DS l'est moins (r=0.58).

Les autres liaisons importantes unissent à la superficie du bassin S le temps de montée comme le coefficient de récession ainsi que la pente Ig. Ces liaisons sont fortes et incontestables; elles ne peuvent provenir que d'un lien physique réel: le temps de montée est une fonction croissante de la taille du bassin (respectivement le coefficient de récession est une fonction décroissante de cette même taille). Enfin, les pentes des bassins diminuent lorsque leurs tailles augmentent.

Selon ces corrélations, deux variables seulement apparaissent comme réellement explicatives pour le débit décennal de pointe estimé Q10 , ce sont la superficie du bassin S et le coefficient d'écoulement Ke10. Ces corrélations traduisent peut-être la démarche suivie pour évaluer Q10 dont la valeur a probablement été obtenue en faisant intervenir le produit S.Ke10.. Néanmoins, ce sont des grandeurs indispensables pour une bonne estimation des débits de crues. La première est relativement simple d'accès tandis que la seconde est très délicate à apprécier. Les démarches courantes consistent à juger de `l'infiltrabilité' des sols selon une appréciation qui fait intervenir principalement la nature des sols. Nous analyserons plus loin quelles grandeurs jouent un rôle sur ce coefficient d'écoulement.

Une amélioration de l'analyse passe par la distinction entre deux régimes climatiques.

Comparaisons des zones climatiques sahéliennes et tropicales

Le tableau 3 fournit les valeurs moyennes et écarts-types des variables hydrologiques et géomorphologiques Q10, Ke10,, tm et DS. Il compare aussi ces mêmes statistiques dans deux zones climatiques séparées par la pluviométrie moyenne interannuelle de 1 000 mm (zone tropicale humide pour P > 1 000 mm et tropicale sèche ou sahélienne pour P < 1 000 mm).

TABLEAU 3

Statistiques des principales caractéristiques hydrologiques sur les 96 bassins.

    Q10 (m3/s) Ke10 (%) tm (heures) DS (heures-1)
  Nbre. de bassins Val. moy. Ecart-type Val.

moy.

Ecart-type Val. moy. Ecart-type Val. moy. Ecart-type
Tous les bassins 96 68.2 70.0 31.7 17.7 4.28 4.5 0.78 0.87
Bassins pour lesquels P<1000 mm 39 94.0 80.0 37.6 16.9 2.4 2.6 1.2 1.1
Bassins pour lesquels P>1000 mm 57 50.5 55.8 27.6 17.3 5.6 5.0 0.5 0.5

Pour toutes ces grandeurs, les différences entre les valeurs moyennes mesurées sur les deux catégories de régions sont hautement significatives (au seuil de 1%). Ce sont les temps de montée tm et les coefficients de récession DS qui sont les plus significativement différents. Ceci confirme la pertinence de la distinction entre régions climatiques pour les comportements hydrologiques.

Une autre distinction doit être faite pour améliorer l'analyse: celle qui concerne la qualité des estimations des variables hydrologiques.

Tri dans les données et nouvelle comparaison entre les zones climatiques

On écarte désormais les bassins pour lesquels l'épisode maximal observé est faible (RA < 0.8) et où l'extrapolation des grandeurs hydrologiques a été importante. On écarte également les quelques rares bassins où cet épisode maximal a été très violent (RA >1.8), qui sont susceptibles de biaiser aussi les estimations. Dans ces conditions, il ne reste que 42 bassins, dont 25 en régions tropicales humides (P>1 000 mm) et 17 en zones plus sèches (P<1 000 mm). L'ensemble de la région semble correctement représenté par cet échantillon (tableau 4)

TABLEAU 4

Répartition géographique des bassins pour lesquels 0.8<RA<1.8

Pays Bénin Camer Congo Côte d'Iv. Gabon Burkina Mali Maurit. Niger Centr-af. Tchad Togo
Nbre bassins 2 6 4 6 2 4 1 1 7 - 5 4

Ce tri dans les données a été effectué afin de ne conserver que celles dont la fiabilité est grande, l'extrapolation effectuée pour les obtenir étant faible ou nulle.

Désormais les statistiques des variables hydrologiques dans les deux zones climatiques se différencient encore plus nettement que précédemment, notamment le coefficient d'écoulement Ke10 (tableau 5). On en conclut que les extrapolations ont été faites avec un excès de prudence sur les bassins qui n'ont pas subi d'événements violents. Ce nouveau jeu de données paraît donc plus fiable; c'est celui qui nous a servi pour analyser quelles sont les variables explicatives du débit Q10.

TABLEAU 5

Statistiques des variables hydrologiques sur les bassins ayant subi une forte pluie

    Q10 (m3/s) Ke10 (%) tm (heures) DS (heures-1)
  Nbre. de bassins Val. moy. Ecart-type Val.

moy.

Ecart-type Val. moy. Ecart-type Val. moy. Ecart-type
Bassins pour lesquels P<1000 mm 17 101.9 78.1 44.4 18.8 1.4 1.8 1.9 1.1
Bassins pour lesquels P>1000 mm 25 52.5 58.7 24.3 14.1 3.9 4.0 0.6 0.5

Meilleures corrélations pour expliquer le débit Q10

Pour chaque bassin versant et sur la base des estimations Q10 dont on vient d'examiner le principe, Rodier et Auvray (1965) complétés par Rodier et Ribstein (1989), puis repris par Puech et Chabi (1984), ont cherché à établir des corrélations entre Q10 et certaines des caractéristiques du bassin décrites ci-dessus. Analytiques ou synthétiques, les démarches consistent toutes à rechercher les groupements de bassins et de variables explicatives autorisant les meilleures corrélations. La qualité de ces corrélations est variable mais elle est artificielle car elle traduit la forme des relations fonctionnelles qui ont été supposées pour faire l'estimation de Q10 à partir d'extrapolations, dans le cas où les bassins n'avaient pas subi d'épisodes très violents (RA < 0.8).

En réduisant l'échantillon aux bassins qui ont subi de fortes pluies, nous cherchons à éliminer le biais introduit par l'extrapolation des débits Q10.

Sur cet ensemble de bassins on a recherché les meilleures corrélations multiples permettant d'expliquer Q10 à partir des variables explicatives définies au début.

Les corrélations totales entre les logarithmes des variables (X, Y, etc.) étant presque toutes meilleures qu'entre les variables elles-mêmes, nous recherchons des corrélations du type:

Q10 = A * Xa * Yb * Zc *, etc.

Toutes les variables énumérées dans la première partie sont prises en considération. La recherche a été réalisée par régression montante, les variables étant introduites lorsque la valeur du coefficient de corrélation partielle de Q10 avec cette variable, compte tenu des autres, est significative au seuil de 5%.

Les tableaux 6a et 6b donnent les meilleures régressions obtenues de cette manière dans les deux régions climatiques que nous considérons. Pour chaque nombre de variables explicatives considérées, sont indiqués dans ce tableau :

· l'expression de la relation puissance déduite de la régression multiple entre les logarithmes des variables. Dans ces relations, Q10 est exprimé en m3/s, S en km2, Ke10 en % et DS en heure-1,

· le carré du coefficient de corrélation multiple (coefficient de détermination) non biaisé de cette régression, tenant compte de la taille de l'échantillon et du nombre de variables explicatives introduites,

· le carré du coefficient de corrélation partielle entre Q10 et chacune des variables explicatives, compte tenu des autres.

TABLEAU 6

Meilleures régressions multiples pour expliquer Q10

6a: Régions sahéliennes et tropicales sèches (P<1000 mm; 17 bassins).

  Coef. de déterm.

non biaisé

Coef. de corrél. partiel au carré entre

Q10 et chaque variable explicative, compte tenu des autres

Régression R2NB entre

Q10 et S

entre

Q10 et DS

entreQ10

et Ke10

Q10 = 20.2 * S0.53 0.79 0.79    
Q10 = 8.8 * S0.81 * DS0.65 0.95 0.94 0.75  
Q10 = 1.34 * S0.77 * DS0.53 *Ke100.54 0.98 0.98 0.86 0.72

6b: Régions tropicales humides (P>1000mm; 25 bassins).

Régression R2NB entre

Q10 et S

entre Q10 et DS entre Q10 et Ke10
Q10 = 0.59 * Ke101.3 0.74 0.74    
Q10 = 0.24 * S0.4 * Ke101.23 0.84 0.41   0.81
Q10 = 0.31 * S0.74 * Ke101.03 *DS0.60 0.95 0.83 0.71 0.90

Ainsi l'analyse multivariable après un tri dans les données et en distinguant deux zones climatiques permet de faire apparaître DS comme une variable explicative du débit de crue.

Cette variable n'apparaissait pas dans l'analyse en corrélation simple.

Dans les régions sahéliennes et tropicales sèches, l'ordre d'importance des variables explicatives est le suivant: la superficie S, le coefficient de récession DS, le coefficient d'écoulement Ke10. En zone tropicale humide, l'ordre est différent: le coefficient d'écoulement Ke10, la superficie S, le coefficient de récession DS.

La connaissance des deux variables hydrologiques Ke10 et DS s'avère donc très importante pour l'estimation des crues. Elles nécessitent des mesures hydrologiques délicates et rarement disponibles aussi avons-nous cherché à savoir quelles sont les grandeurs géomorphologiques qui peuvent les expliquer, autant que possible en dehors de tout biais.

Analyse statistique du coefficient de récession ds et du coefficient d'ecoulement ke10

L'analyse multivariable des grandeurs Ke10, tm et DS permet de mettre en évidence quelles sont les grandeurs physiques et morphologiques qui les expliquent, mais aussi quelle dépendance elles ont vis-à-vis de la violence des épisodes sur lesquels elles ont été mesurées.

Analyse du coefficient de récession DS

Le tableau 7 donne les coefficients de corrélation partielle (r) entre DS et chacune des variables explicatives, compte tenu des autres, pour la meilleure corrélation multiple trouvée. L'étude est faite en distinguant les deux zones climatiques et en comparant les résultats selon que les bassins ont été triés d'après le critère de l'importance de l'extrapolation des débits (0.8<RA<1.8) ou non. Les variables explicatives retenues sont celles pour lesquelles la valeur du coefficient de corrélation partiel est significative au seuil de 5%. Le carré du coefficient de corrélation multiple non biaisé R2NB (tenant compte de la taille de l'échantillon) est également indiqué pour chaque corrélation multiple.

TABLEAU 7

Meilleures corrélations expliquant le coefficient de récession DS. Le tableau donne les coefficients de corrélation partielle, avec leur signe, entre DS et chaque variable, compte tenu des autres, ainsi que le coefficient de détermination non biaisé R2NB.

  Nbre. de bassins Variable expliquée S Dd Ig P RA DP R2NB
P<1000mm 39 DS -0.59 0.61 0.38       0.78
P<1000mm

0.8<RA<1.8

17 DS -0.62 0.57         0.70
P>1000mm 57 DS -0.43   0.41     -0.39 0.54
P>1000mm

0.8<RA<1.8

25 DS -0.42   0.64     -0.57 0.61

On peut constater que, dans les régions sahéliennes ou sèches, l'importance de la densité de drainage Dd apparaît nettement, au point d'égaler celle de la superficie S comme facteur explicatif. Dans les régions tropicales humides (P > 1000 mm), les grandeurs explicatives du coefficient de récession DS sont la superficie S et la pente du bassin Ig.

La même analyse effectuée avec le temps de montée tm comme grandeur à expliquer montre une remarquable similitude avec DS. Ce sont les mêmes variables qui interviennent et les coefficients de corrélation partielle sont voisins. Ceci confirme le jugement énoncé plus haut: ces deux grandeurs contiennent la même information.

tm et DS étant étroitement corrélés, les formes d'hydrogramme sont donc surtout déterminées par la taille des bassins et par la densité de drainage dans les régions sahéliennes, et par la taille des bassins et par les pentes en régions tropicales humides.

Il s'agit dans les deux cas de grandeurs géomorphologiques qui necessitent une analyse spatiale. La densité de drainage en particulier est une grandeur délicate à définir car elle peut dépendre beaucoup de la résolution avec laquelle l'information géographique est acquise.

Analyse du coefficient d'écoulement Ke10

Le tableau 8 permet le même type d'analyse avec la variable Ke10.

On constate que la qualité des explications, évaluée par le coefficient de détermination non biaisé, R2NB, est fortement améliorée en zone tropicale humide si l'on réduit les échantillons de données aux seuls bassins pour lesquels l'épisode le plus violent enregistré est proche de son intensité décennale. Cela n'est pas aussi net pour la zone sahélienne, à cause de la réduction du nombre des variables explicatives, qui passe de trois à un lorsque l'échantillon ne contient que les bassins ayant reçu des épisodes violents.

Si on admet que la qualité de l'estimation de Ke10 est meilleure dans le cas où les épisodes enregistrés ont atteint des valeurs proches de l'épisode décennal, alors l'amélioration de la qualité de la corrélation peut signifier qu'il existe un lien physique entre Ke10 et ses variables explicatives qui n'est pas suffisamment pris en compte dans l'extrapolation effectuée pour estimer sa valeur. On peut donc penser que les coefficients de corrélation qui apparaissent ici ne sont pas surestimés.

TABLEAU 8

Meilleures corrélations expliquant le coefficient d'écoulement Ke10 . Le tableau donne les coefficients de corrélation partielle, avec leur signe, entre Ke10 et chaque variable, compte tenu des autres, ainsi que le coefficient de détermination non biaisé R2NB.

  Nbre. de bassins Variable expliquée S Dd Ig P RA DP R2NB
P<1000mm 39 Ke10 -0.31     -0.50   0.43 0.27
P<1000mm

0.8<RA<1.8

17 Ke10       -0.51     0.26
P>1000mm 57 Ke10   0.47 -0.23       0.20
P>1000mm

0.8<RA<1.8

25 Ke10   0.75     0.67 -0.50 0.64

Toutefois, le faible pouvoir explicatif des variables disponibles par rapport au coefficient Ke10, de même que le rôle important des variables RA et DP sur sa valeur dans le cas de la zone tropicale humide, illustrent la difficulté de l'estimation de ce coefficient d'écoulement.

Néanmoins, on remarque que:

· en zone tropicale humide, la densité de drainage explique pour une grande part le coefficient d'écoulement Ke10: les écoulements sont favorisés par la présence des drains visibles. Pour comprendre cet effet du réseau, on peut supposer que les apports, en partie souterrains, sont drainés par le réseau hydrographique tandis que les écoulements rapides sont d'autant plus importants que les distances aux drains sont faibles. Pour ces bassins très arrosés, les apports de crues pourraient être dus à la présence de saturation des sols à proximité des rivières. Pour Ke10 en zone humide, le pourcentage de sa variance expliquée par le seul coefficient de drainage pourrait être assez élevé, de l'ordre de 50% selon l'échantillon dont nous disposons. Il n'est pas impossible que cet effet de drain soit aussi déterminant que la nature des sols;

· en zone sahélienne et tropicale sèche, c'est la pluie interannuelle qui est la plus explicative. Dans cette région, les coefficients d'écoulement de crue diminuent lorsque P augmente. La végétation - dont l'importance croît avec P dans ces régions - s'oppose aux écoulements, probablement parce qu'elle favorise des infiltrations qui ne rejoindront pas la rivière. A l'échelle de temps de l'épisode, les volumes d'apports aux rivières semblent donc dépendre de l'infiltration (comportement dit « hortonien »). Malheureusement, en zone sahélienne ou tropicale sèche, le pourcentage de la variance de Ke10 pouvant être expliqué par la pluie moyenne interannuelle P, ne semble pas dépasser 25%. Si notre interprétation est juste, P joue un rôle d'indicateur du taux de couverture végétale, qui est responsable de l'importance de l'infiltration (avec, bien sûr, d'autres variables notamment pédologiques). Dans ces conditions, il est probable qu'un meilleur marqueur de cette couverture végétale pourrait donner des informations plus pertinentes pour la détermination du coefficient d'écoulement Ke10 . Une vision aérienne et en particulier des images satellite, capables de donner cette information sur la végétation, s'avèrent ici indispensables.

Densité de drainage, pluie moyenne annuelle pour le coefficient d'écoulement, densité de drainage encore et pente pour le coefficient de récession des crues, telles sont donc les variables les plus explicatives des crues sur les petits bassins versants d'Afrique.

Synthèse et retour à l'utilité de la télédétection

Cette analyse statistique a permis de mettre en évidence des différences dans les variables explicatives des crues des régions sahéliennes et tropicales. Ces différences traduisent une opposition dans les processus d'écoulement dominants qui apparaissent dans les deux régions climatiques.

· Les régions sahéliennes, à l'occasion des crues, donnent lieu à des écoulements essentiellement superficiels. L'infiltration limite les écoulements car, dans ces zones climatiques, une eau infiltrée ne rejoint pas la rivière. On sait qu'à toutes les échelles spatiales, la végétation favorise l'infiltration (Grésillon 1994 [7]). La caractérisation d'un taux de couverture végétale s'avère donc nécessaire à l'étude des crues sahéliennes.

· Les régions tropicales sont au contraire densément couvertes de végétation de sorte que, lorsque le sol est sec, toute l'eau de pluie s'infiltre. Le sol est un réservoir que les pluies doivent remplir (en début de saison des pluies) avant que les rivières ne voient leurs débits augmenter. Lorsque le réservoir sol est plein, des écoulements souterrains apparaissent au voisinage des rivières et leur fournissent des volumes importants. Les débits véritablement forts n'interviennent que lorsque les sols, totalement saturés, obligent les eaux de pluie à rejoindre la rivière sur des aires saturées qui s'étendent latéralement. L'importance de la densité de drainage dans les crues tropicales s'explique par le rôle de ces surfaces saturées dont l'aire est fonction de la longueur des drains visibles.

Taux de couverture végétale et importance des drains visibles sont des grandeurs accessibles par des procédés cartographiques. Les images satellite ou toute autre forme de télédétection sont donc nécessaires pour les quantifier.

En ce qui concerne la densité de drainage, on sait que la difficulté de son évaluation tient surtout au fait que la mesure d'une longueur sur une carte dépend beaucoup de sa résolution: un drain peut être `visible' à l'échelle de 1/1 000 mais pas de 1/25 000 (Puech, 1993 [8]). Les outils cartographiques numérisés doivent permettre de définir une norme à ce sujet, et contribuer à donner à la densité de drainage en particulier toute son importance.

On connaît d'autre part les capacités des images à caractériser la végétation, notamment dans les canaux correspondant au rouge et à l'infrarouge. Cette aptitude n'a pas encore été très exploitée en terme d'hydrologie, notamment parce que les modèles hydrologiques n'ont pas vraiment encore pris en considération cet aspect. Il y a donc un défi à relever pour la télédétection qui semble tenir le moyen de quantifier une grandeur (taux de couverture végétale) qui apparaît comme déterminante en hydrologie des régions sèches ou arides (sahel, certaines zones méditerranéennes, etc.).

Bibliographie

Dubreuil. 1972. Recueil des données de base des bassins représentatifs et expérimentaux. Publ. ORSTOM 1972, 916.p.

Grésillon. J.M. 1994. Contribution à l'étude de la formation des écoulements de crue sur les petits bassins versants. Approches numériques et expérimentales à différentes échelles. Diplôme d'habilitation à diriger des recherches, Université Joseph Fourier Grenoble 1994, 154 p.

Grésillon, J.M., Herter, P. et Lahaye, J.P. 1979. Note sur le dimensionnement des ouvrages évacuateurs de crues en Afrique de l'ouest sahélienne ou tropicale. Publ. ministère de la Coopération française, Paris 1979, 75.p.

Puech, C. 1993. Détermination des états de surface par télédétection pour caractériser les écoulements des petits bassins versants. Application à des bassins en zone méditerranéenne et en zone tropicale sèche, Thèse de doctorat, Université Joseph Fourier, 214 p.

Puech, C. et Chabi, Gonni. 1984. Méthode de calcul des débits de crue décennale pour les petits et moyens bassins versants en Afrique de l'Ouest et centrale. Publ. CIEH, Ouagadougou 1984, 91p.

Rodier et Auvray. 1965. Estimation des débits des crues décennales pour les bassins versants de superficie inférieure à 200 km2 en Afrique occidentale. Publ. ORSTOM, CIEH 1965 30p.

Rodier, J. et Ribstein, P. 1989. Estimation des caractéristiques de la crue décennale pour les petits bassins versants du Sahel couvrant 1 à 10 km2. ORSTOM, Paris.

Vuillaume. 1974. L'abattement des précipitations journalières en Afrique intertropicale. Variabilité et précision du calcul. Cahiers ORSTOM Hydrologie, vol XI n°3.

Previous PageTop Of PageNext Page