HLTP/2



TABLE RONDE DE HAUT NIVEAU SUR
LA RÉFORME DU COMMERCE DES PRODUITS AGRICOLES
ET LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

Rome, 13 avril 2005

DOCUMENT D’INFORMATION POUR LA TABLE RONDE

1. Pendant les années 80 et 90, pratiquement partout dans le monde, la tendance générale a été à la libéralisation et à la réforme économique. Les questions qui en découlent sont aujourd’hui largement débattues dans le cadre des négociations agricoles de l’OMC au titre du Programme de Doha pour le développement et en raison des défis posés par les objectifs du Millénaire pour le développement. C’est dans ce contexte que la FAO organise une Table ronde de haut niveau qui se déroulera pendant la soixante-cinquième session du Comité des produits et la dix-neuvième session du Comité de l’agriculture. La Table ronde sera l’occasion de débattre de ces questions et de confronter des données d’expérience relatives à la libéralisation du commerce des produits agricoles et à son impact sur la sécurité alimentaire et sur la pauvreté.

2. Afin de mieux focaliser le débat, il est proposé aux participants de centrer leurs échanges sur les trois grandes questions suivantes, qui semblent particulièrement pertinentes, dans la mesure où elles touchent aux aspects les plus controversés du débat général en cours.

    1. Dans quelles circonstances la protection du secteur agricole peut-elle être justifiée pour renforcer et, à terme, garantir la sécurité alimentaire?
    2. La libéralisation du commerce des produits agricoles menace-t-elle la sécurité alimentaire et l’objectif de lutte contre la pauvreté en milieu rural?
    3. Quelles politiques nationales sont requises pour garantir la sécurité alimentaire pendant la transition vers un commerce plus libre des produits agricoles?

3. Le présent document d’information recense les principaux aspects de ces trois questions afin de faciliter les débats de la Table ronde.

A.

DANS QUELLES CIRCONSTANCES LA PROTECTION DU SECTEUR AGRICOLE PEUT-ELLE êTRE JUSTIFIéE POUR RENFORCER ET, à TERME, GARANTIR LA SéCURITé ALIMENTAIRE?

4. La protection du secteur agricole, bien que largement pratiquée, a toujours posé problème dans l’histoire du développement agricole. La protection de l’agriculture est blâmée non seulement en raison de son coût élevé et de son impact négatif sur les marchés internes, mais aussi parce qu’elle entraîne des coûts économiques pour les partenaires commerciaux en abaissant les niveaux d’exportation et en aggravant l’instabilité du marché.

5. La protection à la frontière est l’une des composantes d’une série d’interventions politiques utilisées par les gouvernements pour atteindre divers objectifs liés à leur secteur agricole. Les formes d’intervention diffèrent sensiblement selon les pays, non seulement parce que les objectifs eux-mêmes sont différents, mais aussi en raison de situations spécifiques.

6. S’il existe, en principe, des situations où la protection à la frontière peut accroître le bien-être général d’un pays, la théorie commerciale ne considère pas, en règle générale, la protection à la frontière comme la meilleure politique pour atteindre des objectifs nationaux. Pourtant, la protection à la frontière est une caractéristique commune à de nombreux pays, notamment développés.

7. Si un certain nombre de pays ont mis en oeuvre des réformes importantes dans ce domaine et réduit les obstacles commerciaux effectifs, la protection de l’agriculture à la frontière reste forte dans de nombreux pays. Le niveau des tarifs consolidés – autrement dit du tarif maximal applicable par un pays en vertu de ses engagements OMC – est estimé à 50 pour cent environ (moyenne simple) pour les pays développés et à 60 pour cent pour les pays en développement. Toutefois, les niveaux effectifs de protection, déterminés par les droits appliqués à un moment donné, sont généralement inférieurs (16 à 17 pour cent environ, tant pour les pays développés que pour les pays en développement). Les tarifs appliqués dans les pays développés sont particulièrement élevés (multiples de la moyenne simple, bien souvent) pour plusieurs articles de base comme le riz, la viande, le sucre et les produits laitiers.

8. Le débat sur cette question pourrait être axé sur les circonstances dans lesquelles il est possible de faire appel à la protection à la frontière du secteur agricole pour renforcer et, à terme, garantir la sécurité alimentaire et d’autres objectifs intérieurs.

• Circonstances dans lesquelles la protection du secteur agricole à la frontière peut contribuer à renforcer la sécurité alimentaire par rapport à d’autres mesures possibles.
• Degré et durée souhaitables de protection de l’agriculture, lorsqu’une telle protection est justifiée.
• Circonstances dans lesquelles la protection à la frontière ne contribue pas à renforcer la sécurité alimentaire.

B. LA LIBéRALISATION DU COMMERCE DES PRODUITS AGRICOLES MENACE-T-ELLE LA SéCURITé ALIMENTAIRE ET L’OBJECTIF DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETé EN MILIEU RURAL?

9. La libéralisation des échanges dans le cadre de réformes économiques de portée générale, ou de réformes du secteur agricole, est un phénomène commun à pratiquement tous les pays en développement depuis les années 80. Il en va de même des pays développés, qui ont pratiquement tous mis en oeuvre une réforme de leur politique agricole. Ce processus a été renforcé par l’Accord du cycle d’Uruguay sur l’agriculture de 1995 et se poursuivra avec la mise en oeuvre du nouvel accord qui devrait découler des négociations commerciales du cycle de Doha.

10. Les pays ont des avis divergents sur la mesure dans laquelle la libéralisation du commerce devrait se poursuivre. À cet égard, les données d’expérience fournies par les pays varient sensiblement.

11. Dans certains cas, la libéralisation du commerce a été associée à une réduction de la pauvreté et à un renforcement de la sécurité alimentaire, tandis que d’autres exemples donnent à penser que la libéralisation des échanges a contribué à accroître la pauvreté et a eu un impact négatif sur la sécurité alimentaire. Ainsi, la réponse à la question de savoir si la libéralisation du commerce des produits agricoles menace la sécurité alimentaire et l’objectif de lutte contre la pauvreté en zone rurale dépend de manière cruciale de l’environnement socioéconomique dans lequel la libéralisation du commerce se produit, ainsi que de la rapidité, de l’enchaînement et du calendrier des réformes. Si les conditions préalables indispensables (institutions fonctionnelles, marchés, infrastructures, filets de sécurité, etc.) sont en place et si les réformes sont programmés de façon que les consommateurs et les producteurs puissent s’adapter au nouveau régime, la libéralisation du commerce a des chances d’améliorer la sécurité alimentaire. De toute évidence, en l’absence de ces conditions préalables, le résultat sera négatif.

12. Compte tenu de ce qui précède, la Table ronde pourra souhaiter axer ses débats sur les questions suivantes.

• Quel est le bilan de l’expérience acquise à l’heure actuelle en ce qui concerne la libéralisation du commerce des produits agricoles et la sécurité alimentaire?

• Si les résultats sont positifs, à quels facteurs particuliers cela est-il dû?

• Si l’expérience a été négative, quels sont les facteurs qui ont entravé ou empêché l’obtention de résultats positifs?

C. QUELLES POLITIQUES NATIONALES SONT REQUISES POUR GARANTIR LA SéCURITé ALIMENTAIRE PENDANT LA TRANSITION VERS UN COMMERCE PLUS LIBRE DES PRODUITS AGRICOLES?

13. Tant en ce qui concerne le développement agricole que le rôle du secteur agricole dans l’économie nationale, l’emploi et la sécurité alimentaire, les pays accusent des différences sensibles. L’expérience montre que l’évolution du secteur agricole au cours du processus de développement des pays est un phénomène complexe, irréductible à un modèle unique. Les sociétés agraires ont en commun de consacrer la plupart de leurs ressources à l’alimentation. Or, à mesure que le produit national augmente, la demande de nourriture croit beaucoup moins rapidement que celle d’autres biens et services. L’introduction de nouvelles technologies agricoles entraîne une augmentation de la production vivrière par hectare et par travailleur et les économies qui se modernisent utilisent davantage d’intrants intermédiaires achetés à d’autres secteurs. Ce déclin de la part de l’agriculture dans le PNB résulte en partie de la multiplication des activités postérieures à la récolte, telles que la distribution sur les marchés, qui se commercialisent et sont prises en main par des spécialistes du secteur des services et du fait, également, que les producteurs substituent des intrants et des machines à la main-d’oeuvre. De nombreux pays qui ont enregistré une croissance agricole soutenue sont passés par ces phases de modernisation de l’agriculture et de croissance, pendant lesquelles des interventions assez différentes se sont révélées efficaces.

14. La transformation de l’agriculture d’une activité de production à faible intensité et faible volume en une activité produisant l’excédent nécessaire pour assurer la croissance de l’économie en général suppose que certaines conditions soient remplies, notamment en matière d’investissements dans l’infrastructure, la recherche, la vulgarisation, etc. Une fois la transformation amorcée, toutefois, et pour que le secteur, grâce aux excédents engendrés, puisse jouer son rôle d’appui à la croissance économique en général, l’expérience donne à penser que l’agriculture a besoin d’un coup de fouet, sous la forme généralement d’un engagement des pouvoirs publics à stimuler la croissance agricole. Ces stimuli peuvent inclure des mesures visant à réduire les risques auxquels doivent faire face les producteurs cherchant à investir dans des technologies modernes ou à donner accès à un crédit saisonnier et aux marchés des intrants et des extrants à des conditions plus favorables etc. Plusieurs pays ont institué une protection à la frontière pour leurs produits agricoles dans le cadre de ces interventions. Celles-ci sont souvent, par définition, associées à d’autres et peuvent ne pas être compatibles avec les règles de l’OMC. Toutefois, sans ces interventions, les producteurs ou le secteur privé risquent de ne pas vouloir investir dans les activités agricoles, compte tenu de la forte incidence des échecs commerciaux et des coûts et des risques associés élevés.

15. La libéralisation du commerce des produits agricoles doit être considérée pour chaque pays dans le contexte décrit ci-dessus et il convient de se demander, notamment, si les politiques mises en place pour atteindre les objectifs en matière de croissance agricole et de sécurité alimentaire correspondant au niveau de développement du pays peuvent ou doivent survivre dans le contexte d’un commerce agricole libéralisé. C’est ainsi qu’on s’interroge depuis quelque temps sur l’opportunité d’un retrait des organismes paraétatiques de commercialisation en faveur du secteur privé dans le contexte d’un régime commercial pour les produits agricoles plus libéral. L’argument en faveur d’un tel retrait est que l’absence de soutien étatique direct crée un environnement plus favorable à un développement fondé sur l’activité du secteur privé. Les résultats, toutefois, sont mitigés. Dans certains cas, le secteur privé assume la fourniture des produits et services assurée précédemment par le secteur public. Toutefois, ce phénomène concerne davantage les cultures de rapport et, dans une bien moindre mesure, les cultures céréalières et vivrières qui jouent un rôle central dans la contribution de l’agriculture au développement économique des pays où le secteur rural est important. Ainsi, les limites du secteur privé peuvent conduire à des situations, dans certains pays à faible revenu et à déficit vivrier, où la disponibilité et le coût des denrées alimentaires, lorsque la production intérieure ne suffit plus, ne correspondent plus du tout aux objectifs de sécurité alimentaire nationaux.

16. Les arguments exposés ci-dessus donnent à penser qu’avant de libéraliser le commerce international des produits agricoles, il est impératif de mettre en place un environnement porteur pour les premiers stades de la transformation du secteur. Plusieurs études peuvent être citées à l’appui de ce raisonnement, qui démontrent que les pays qui réussissent à stimuler la croissance agricole sont ceux qui libéralisent en position de force, c’est-à-dire après avoir rendu leur secteur agricole moins vulnérable. Ces pays ont tendance à lever les obstacles à une croissance continue de manière séquentielle, tout en intervenant pour assurer un environnement favorable à la transformation de leur secteur agricole, plutôt qu’en adoptant de but en blanc une politique commerciale libérale.

17. Une fois obtenus un certain niveau de développement et un certain volume de production et d’échanges de produits agricoles, le rôle des interventions visant à stimuler encore davantage la productivité se restreint, dans la mesure où les risques et les coûts d’opération ont été réduits et où les marchés tendent à fonctionner de manière plus efficace. À ce stade, l’expérience montre que d’autres objectifs, moins liés à l’accroissement de la production, prennent de l’importance. Ces objectifs peuvent alors être atteints en utilisant des formes de soutien moins couplées et en réduisant la protection à la frontière. Il s’agit d’un changement d’orientation qui a aujourd’hui la faveur de plusieurs pays développés.

18. L’une des leçons à retenir est que les interventions publiques en matière d’agriculture ne doivent pas toujours être considérées négativement. Ainsi, des interventions peuvent être justifiées si elles visent à corriger des faiblesses du marché qui empêchent d’investir dans des activités agricoles présentant pour le pays un avantage comparatif, comme c’est le cas de l’agriculture de nombreux pays pauvres aujourd’hui.

19. La grande diversité des stades de développement économique et agricole influence également la gamme des instruments politiques utilisables. Ainsi, les pays à revenu supérieur ont-ils en général une base fiscale plus développée, ce qui leur évite de recourir à des mesures à la frontière (droits d’importation et d’exportation) pour se procurer des recettes. Ces pays disposent de davantage de ressources pour mettre en oeuvre des mesures de soutien financées par le contribuable. Ces politiques sont en général plus coûteuses que les mesures à la frontière. Il en va de même de la capacité à mettre en place des mesures du type filet de sécurité pour certains sous-secteurs et groupes de population pendant la période de transition vers un commerce plus libéral. Les pays les moins avancés n’ont pas toujours les ressources fiscales nécessaires pour mettre en oeuvre de telles politiques et devront donc s’appuyer davantage sur des mesures à la frontière.

20. Il s’ensuit que les instruments et les options de politique agricole utilisables et appropriés ne sont pas les mêmes pour tous les pays, compte tenu de leurs stades différents de développement. Le défi consiste à décider, compte tenu des circonstances, des mesures, notamment du degré de protection à la frontière, nécessaires pour atteindre différents groupes d’objectifs à différents stades de développement. Leur identification se fait en fonction de l’expérience concrète et des leçons apprises ailleurs. À cet égard, les recommandations sur lesquelles débouchent les études sur la libéralisation du commerce par rapport au développement agricole, à la pauvreté et à la sécurité alimentaire soulignent souvent les trois aspects ci-après, que chaque pays a sans doute intérêt à prendre en compte lorsqu’il opte pour une politique en matière de commerce des produits agricoles en général et de libéralisation de ses échanges en particulier:

• degré souhaitable de soutien à l’agriculture, notamment protection à la frontière à différents stades de développement afin de parvenir aux objectifs que s’est fixé le pays;
• calendrier et degré appropriés de libéralisation du commerce lorsque cela est justifié; et
• programmation appropriée des réformes commerciales et d’autres réformes visant le secteur agricole intérieur tout au long du processus de développement.

21. Ces questions pourront servir de toile de fond à un échange de vues et à la confrontation d’expériences à l’occasion de cette table ronde. À cet égard, on prendra note également des principes de base suivants:

• faisabilité financière;
• attention aux défavorisés;
• renforcement de la compétitivité du secteur afin qu’il puisse tirer profit d’un régime commercial plus libéral.