par
C. Biney, D. Calamari, T.W. Maembe, H. Naeve,
B. Nyakageni et M.A.H. Saad
La prise de conscience des dommages causés par la pollution au milieu naturel a contraint les autorités politiques et législatives des pays industrialisés développés à introduire des réglementations pour protéger l'environnement ou à réviser les réglementations existantes. Toutefois, ces dernières années, il s'est produit dans le monde entier, mais surtout dans de nombreux pays d'Afrique, une croissance démographique spectaculaire qui s'est accompagnée d'une urbanisation intensive, du développement des activités industrielles et d'une exploitation accrue des terres cultivables. Il en est résulté un fort accroissement des décharges et une grande diversification des polluants susceptibles d'atteindre les cours d'eau et d'avoir des effets nuisibles sur les poissons et sur les possibilités de pêche.
Il existe quelques études sur la pollution des eaux intérieurs africaines; voir par exemple “The Ecology and Utilization of African Inland Waters” (Symoens et al., 1981) et “Future Hazard from Pesticide Uses with Special Reference to West Africa and Southeast Asia” (Balk et Koeman, 1984). Dans le cadre du Comité des pêches continentales pour l'Afrique (CPCA), deux rapports sur la pollution des eaux intérieurs de l'Afrique ont été préparés (Alabaster, 1983; Calamari, 1985). Onze pays ont été étudiés: le Burundi, le Malawi, le Soudan, le Kenya, la Tanzanie et la Zambie au cours d'une première enquête; le Mali, la Côte d'lvoire, le Ghana, la Nigéria et le Cameroun au cours de la seconde. Ces documents exposent les causes de la pollution des eaux et rendent compte des recherches entreprises à ce sujet et de la législation qui a été promulguée dans chaque pays. La conclusion est dans les deux cas qu'il existe des problèmes de pollution à différents niveaux dans les divers pays et qu'il faut améliorer la législation et les connaissances techniques, car les autorités locales sont généralement très conscientes de l'importance du problème et sont désireuses de renforcer leur action en matière de lutte contre la pollution des eaux.
Le présent rapport cherche à indiquer sommairement ce qu'il faut faire pour élaborer des réglementations basées sur des données scientifiques qui permettront de lutter efficacement contre la pollution des eaux et de la prévenir. Il expose en particulier une stratégie applicable aux substances toxiques telles que les pesticides et les métaux lourds. D'autres types de produits déversés dans les eaux tels que les substances organiques caractérisées par une forte demande biologique et/ou chimique (DBO ou DCO), les solides en suspension et les éléments nutritifs devraient être examinés séparément car ils exigent une stratégie particulière, de même que la pollution bactérienne. Il a donc été vivement recommandé que les dispositifs de lutte contre les trois formes de pollution considérées soient bien coordonnés. La manière dont les connaissances scientifiques ont été appliquées jusqu' à maintenant est analysée pour voir comment ces actions pourraient aider à améliorer les méthodes actuelles de lutte contre la pollution en Afrique. Les aspects socio-économiques ne sont pas considérés dans le présent rapport, mais il convient de souligner que l'environnement est une ressource dont la dégradation qualitative a un coût difficile à calculer, mais qui risque d'être très élevé, surtout pour les générations futures.
La volonté politique, les comportements culturels et la capacité administrative sont d'autres éléments importants qui interviennent dans le processus de prise des décisions. Il faut donc faire prendre conscience au public des effets nocifs de la pollution et l'entraîner à ne pas utiliser incorrectement des substances chimiques, en particulier des pesticides. On reconnaît à cet égard le rôle que pourraient jouer des organismes non scientifiques dans la phase préparatoire des activités de lutte contre la pollution des eaux. Le présent rapport traite toutefois surtout des liens qui existent entre la recherche scientifique et la lutte contre la pollution.
Les polluants des eaux peuvent être classés de manières différentes, par exemple suivant leurs caractéristiques chimiques, leur état physique, les compartiments de l'environnement dans lesquels ils sont déchargés ou trouvés, leurs sources, leurs effets, les organismes cibles qui peuvent être atteints, etc.
Le présent document traite principalement des micro-polluants qui sont les éléments ou substances qui peuvent se répandre à la suite d'activités humaines mais qui sont naturellement présents dans les masses d'eau en quantités telles que l'accroissement, par l'action de l'homme, de leur quantité ou de leur concentration dans les milieux non pollués aura probablement des effets nocifs sur les organismes ou les écosystèmes ou modifiera les cycles bio-géochimiques. Cela concorde avec le concept de “polluant spécifique” tel qu'il a été défini par le Groupe sur les politiques de gestion de l'eau de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), à savoir une substance introduite dans l'environnement, essentiellement à la suite d'activités humaines et qui, dans des conditions données, altère la qualité de l'eau en raison de ses effets toxiques sur les êtres humains et sur l'écologie du milieu aquatique. C'est ce qui différencie les “polluants spécifiques” des paramètres généraux classiques tels que demande biochimique en oxygène (DBO), demande chimique en oxygène (DCO) et matières en suspension. D'autres organisations définissant souvent les “polluants spécifiques” par les expressions “polluants traces”, “micro-polluants”, “polluants récalcitrants”. Environ 1 500 molécules, classées par exemple dans l'Index de solubilité, de toxicité et de biodégradabilité établi par le Centre de recherche sur les eaux du Royaume-Uni (Holdgate, 1979) sont couramment détectées aujourd'hui, alors qu'une trentaine d'éléments, molécules ou catégories de substances sont inclus dans la liste des limites proposées pour les effluents figurant dans la loi italienne No. 319 sur la prévention de la pollution des eaux (Marchetti et al., 1973). En outre, l'Environmental Protection Agency (EPA) des Etats-Unis a fixé des critères de qualité des eaux se référant à une quarantaine d'éléments ou de substances (Train, 1979). Mais de nombreux pays tendent aujourd'hui à accroître le nombre de substances à réglementer ou à contrôler.
La définition de la pollution marine la plus couramment acceptée est celle donnée par le GESAMP (Groupe mixte d'experts OMI/FAO/Unesco-COI/OMM/OMS/AIEA/ONU/PNUE chargé d'étudier les aspects scientifiques de la protection de l'environnement marin): “l'introduction directe ou indirecte, par l'homme, de substances ou d'énergie dans le milieu marin (y compris les estuaires) lorsqu'elle a des effets nuisibles tels que dommage aux ressources biologiques, risques pour la santé de l'homme, entrave aux activités maritimes, y compris la pêche, altération de la qualité de l'eau de mer du point de vue de son utilisation et dégradation de valeurs d'agrément”. Cette définition pourrait également être appliquée, mutatis mutandis; aux eaux douces.
Comme la pollution limite un certain nombre d'utilisations possibles des eaux et des ressources aquatiques, des critères de qualité ont été établis en fonction de leurs divers emplois. Les quatre principales utilisations envisagées sont les suivantes: eau potable, usages agricoles, bain et agrément, vie aquatique. Etant donné qu'en ce qui concerne l'eau potable les aspects hygiéniques et sanitaires demandent une approche scientifique et réglementaire particulière et que les utilisations agricoles et esthétiques sont généralement moins exigeantes sur le plan qualitatif, on considère que les critères de qualité les plus importants dans la planification de l'environnement sont ceux qui concernent la vie aquatique. En Afrique, où la majorité des plans d'eau fait l'objet d'utilisations multiples, l'application des critères les plus rigoureux se justifierait encore davantage.
Selon une opinion qui s'est répandue ces dernières années, un écosystème aquatique dont les structures et les fonctions ne sont pas perturbées possède une qualité qui se prête immédiatement ou après simple traitement à toute une série d'utilisations. Les critères de qualité pour la vie aquatique définis par différentes organisations internationales et nationales (voir CEE, 1978; Alabaster et Lloyd, 1982; Train, 1979; Marchetti et al., 1973) sont fondés sur ce concept et sur celui suivant lequel tout récepteur a une certaine capacité de réception des contaminants. On suppose qu'il existe pour chaque polluant une marge de sécurité entre le taux de concentration nul ou naturel et la concentration à laquelle sont décelables des effets indésirables. Cette marge peut être déterminée et utilisée quantitativement pour définir des critères de qualité des eaux.
En général, on définit les critères de qualité des eaux en procédant à un examen critique des informations scientifiques disponibles et en établissant sur des données expérimentales des limites de concentration à ne pas dépasser. D'après la Commission européenne consultative pour les pêches dans les eaux intérieures (CECPI) par exemple, les critères de qualité pour les poissons d'eau douce: “doivent permettre le déroulement complet de tous les cycles de vie. En plus, ils ne doivent pas provoquer dans l'eau des cours d'eau des conditions telles que la chair des poissons prenne une odeur et un goût étrangers ou que ces poissons soient amenés à déserter une partie du cours d'eau qu'ils fréquenteraient autrement, ou donner lieu à l'accumulation de substances nocives chez les poissons à un degré tel qu'il y aurait danger à les consommer. Les facteurs indirects tels que ceux qui affectent les organismes servant de nourriture aux poissons doivent aussi être considérés si ces organismes jouent un rôle important”.
Les rapports scientifiques de la CECPI sont habituellement préparés par des groupes de travail qui examinent la chimie du polluant présent dans l'eau, la létalité pour le poisson, les effets sublétaux, le type de toxicité, les facteurs qui influent sur les concentrations létales, les observations sur le terrain dans les eaux polluées et les données concernant la toxicité pour les algues et les invertébrés. Les rapports présentent en conclusion un critère provisoire de qualité pour la vie aquatique. D'autres organismes ou organisations travaillent de manière analogue. La communauté scientifique a la responsabilité de produire des données de base en procédant à des recherches expérimentales spécifiques et de fournir des experts capables d'établir une corrélation entre les données et d'établir, par déduction, un critère de qualité suffisamment fiable.
Les mots “norme”, “objectif” et “critère” sont fréquemment utilisés sans discrimination, mais la plupart des chercheurs et autres personnes chargées de la protection qualitative des eaux se conforment aux définitions données par Warren (1971):
le mot “norme” désigne une règle, une mesure ou un principe précis établis par l'autorité. Le fait d'avoir été établie par l'autorité donne à une norme un caractère quelque peu rigide, officiel et presque juridique, mais cela ne signifie pas nécessairement que la norme soit juste, équitable ou basée sur des connaissances scientifiques appropriées car elle peut avoir été établie assez arbitrairement sur la base de données techniques insuffisantes, tempérées par une marge prudente de sécurité. Ces normes arbitraires peuvent se justifier quand les données scientifiques sont rares;
le mot “objectif” désigne un but vers lequel il faut tendre et il peut s'appliquer à une situation idéale. Toutefois, il n'implique certainement pas une stricte observation ni une stricte application de la part d'une institution ou d'un service sanitaire. Cette notion gagne des adeptes parmi les ingénieurs faisant partie des instances et des commissions qui essayent de combattre la pollution de l'eau par la persuasion et par la coopération;
le mot “critère” désigne un état défini à la suite d'une analyse critique des informations scientifiques disponibles et propre à conserver les structures et les fonctions des écosystèmes. Contrairement à la norme, il n'implique pas une imposition par l'autorité; il procède de la simple notion d'équité et il ne se réfère pas implicitement à un état idéal.
Pour définir le critère ou l'objectif de qualité souhaité, deux approches différentes ont été suivies dans les divers pays.
La première ne prend en compte ni le type ni l'utilisation des eaux réceptrices de la contamination, mais seulement la concentration des polluants dans les effluents. Des normes uniformes de qualité sont fixées pour tout type de déversement (normes rigides). Ces normes doivent obligatoirement être très restrictives pour être efficaces car elles doivent protéger par une seule et unique réglementation les systèmes même les plus exposés. En conséquence, l'application de ce critère peut souvent amener à exiger un niveau de contrôle supérieur au nécessaire dans la situation donnée, avec des dépenses excessives et inutiles. Une plus grande tolérance peut réduire le degré de protection. En fait, par définition, cette procédure ne prend en compte ni la quantité du polluant déversé pendant une certaine période ni le nombre de décharges dans le même récepteur, ni la capacité de réception du récepteur. Son principal avantage réside dans le fait qu'elle facilite la gestion administrative.
La deuxième approche limite la quantité du polluant en fonction des caractéristiques du récepteur (cours d'eau, lac, eaux côtières) et tient compte des caractéristiques des polluants (toxicité, persistance, bioaccumulation). Elle est favorisée à bien des égards, parce qu'elle comporte un niveau de traitement qui est défini dans chaque cas en fonction de la capacité de réception et de l'utilisation à laquelle l'eau est destinée (normes flexibles). Cette procédure est donc considérée comme la plus économique et comme la plus sûre pour la protection de l'environnement.
On pourrait conclure que la seconde des deux approches est certainement préférable pour établir une réglementation concernant l'acceptabilité des effluents, mais cette approche exige que des informations de base soient disponibles sur un certain nombre d'éléments:
la capacité de réception des eaux. Cela implique une étude approfondie de la typologie du récepteur et de son bilan hydrologique, notamment de l'écoulement critique, de la capacité de dilution, la capacité d'oxydation, de ses caractéristiques chimiques, de sa structure biologique, de ses variations thermiques, de ses rapports avec la nappe phréatique, de l'existence d'autres sources de pollution et d'autres facteurs pouvant influer sur le maintien d'une concentration sans danger du polluant déversé;
le développement des sources de pollution avec le temps. Cela exige des renseignements sur les caractéristiques de la population, les tendances de l'urbanisation et de l'industrialisation, etc., qui doivent être considérés en fonction des diverses situations locales et évidemment dans le cadre de la planification économique générale.
Dans de nombreux pays, on a donc adopté une approche intermédiaire qui permet d'adapter les normes sur les effluents à la typologie des récepteurs et aux groupes de polluants. Elle permet également de fixer des limites de concentration dans d'autres parties de l'écosystème (par exemple organismes ou sédiments).
Dans les situations ou les pays où il est difficile de procéder aux analyses chimiques nécessaires pour mettre en application des normes sur les effluents, on a pris l'habitude d'utiliser des normes sur la toxicité des effluents. Sur la base d'une épreuve de toxicité relativement simple (effectuée en général sur des poissons), les déversements ou effluents sont autorisés ou interdits selon leur degré de toxicité, sous réserve que certaines conditions soient observées. On a plus particulièrement recours à cette pratique lorsqu'il est difficile de caractériser chimiquement les effluents ou lorsqu'il faut tester des mélanges de produits chimiques. Une intéressante analyse des résultats obtenus dans ce domaine aux Etats-Unis et au Canada a été faite par Tebo (1986).
Récemment on a tendu à traiter chaque cas comme un cas d'espèce, pour différencier les approches suivant les types de polluants et établir des critères différents pour les récepteurs ayant des caractéristiques différentes.
D'autres approches ont été suivies, par exemple dans les cas du mercure et du phosphore. Pour le mercure, des limites de concentration ont été fixées pour les poissons ou pour les sédiments, car les observations scientifiques ne permettent pas de définir un critère de qualité pour l'eau. En ce qui concerne le phosphore, pour lequel on peut assez facilement calculer (quantifier) les décharges théoriques, le critère de qualité de l'eau dans les lacs (10 μg/litre) a été obtenu par le calcul du bilan de masses. Il est très différent du critère de la qualité des eaux dans les cours d'eau où les risques d'eutrophication sont très limités. On a aussi l'habitude d'inscrire certaines substances sur une “liste noire” et sur une “liste grise”; la “liste noire” comprend les substances qu'il est absolument interdit de déverser et la “liste grise” celles qui peuvent être déchargées en certaines quantités dans certaines conditions contrôlées.
Il serait possible d'adapter ces méthodes de lutte contre la pollution des eaux aux conditions (géographiques et administratives) particulières à l'Afrique.
En Afrique, les pesticides ont d'importantes utilisations en santé publique et en santé animale, en association avec des campagnes visant à combattre, voire éradiquer, des maladies endémiques telles que la malaria, l'onchocercose, la schistosomiase et la trypanosomiase, en luttant contre les insectes ou les mollusques qui les transmettent. Il vaut la peine d'être informé de cette application particulière des pesticides et de l'analyser des points de vue suivants: (i) effets possibles sur les ressources halieutiques, (ii) mesures prises pour lutter contre les effets indésirables et (iii) protection de l'environnement.
L'exemple sur lequel on possède le plus de renseignements est celui du Programme de lutte contre l'onchocercose (OCP). On trouvera ci-dessous une brève récapitulation d'informations extraites principalement de “Dix années de lutte contre l'onchocercose en Afrique de l'Ouest” (OMS, 1985a) et de l'étude de Lévêque (1989) sur la surveillance biologique des eaux. D'autres sources de renseignements sont les rapports du Groupe écologique de l'OCP.
4.1 Le problème et l'environnement
La femelle de la simulie Simulium damnosum est le vecteur de la filariose dermique (causée par le ver parasite Onchocerca volvulus) qui peut aboutir à la cécité. La maladie est particulièrement répandue le long des cours d'eau, ce qui explique son nom anglais de “river blindness” (cécité des rivières), car les larves de ces mouches sont aquatiques et ne vivent que dans les eaux à courant rapide. En 1974, le PNUD, la FAO, le Banque Mondiale et l'OMS ont lancé une campagne de lutte contre les stades larvaires du vecteur. Environ 18 000 km de cours d'eau ont été traités chaque semaine dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest. Les cours d'eau sont du type caractéristique des savanes, avec une période de crue (juillet-décembre) et une période d'étiage (janvier-mars/avril) durant laquelle certains d'entre eux sont complètement à sec.
Avant le lancement de ce programme, on ne savait pas grand chose de l'écologie de ces cours d'eau. En conséquence, un catalogue des insectes aquatiques et des poissons qu'ils contiennent a été établi, plusieurs études ont été effectuées sur leurs caractéristiques biologiques et un vaste programme de surveillance continue a été entrepris avant la conduite des traitements avec des pesticides.
4.2 Critères applicables à la sélection des larvicides
Plusieurs centaines d'insecticides ont été expérimentés par l'OCP en vue de déterminer leur efficacité contre Simulium; en ce qui concerne l'utilisation dans le cadre du Programme, il a été décidé que tout larvicide nouveau devrait satisfaire aux critères ci-après indiqués:
les effets aigus d'un pesticide candidat, dans une formulation et à la dose appropriées pour lutter contre Simulium, ne devraient pas comprendre de réduction du nombre d'espèces invertébrées telle que la survie de ces espèces dans un site donné risque d'être menacée;
l'emploi du pesticide considéré ne devrait provoquer la disparition d'aucune espèce d'invertébré dans la région; la disparition locale temporaire (saisonnière) de certaines espèces invertébrées sur les lieux de reproduction de Simulium devra quelquefois être acceptée;
le pesticide ne devrait pas causer de déséquilibre de longue durée (se prolongeant par exemple au-delà de la saison suivante) dans les conditions normales d'application: autrement dit, il ne devrait pas y avoir de modifications marquées de l'abondance relative des espèces;
le pesticide utilisé ne devrait pas avoir d'effets directs sur les poissons et il ne devrait avoir aucun effet sur leur cycle biologique;
les composés susceptibles de s'accumuler dans la chaîne alimentaire devraient être évités;
lors du choix des pesticides à utiliser pour combattre Simulium dans une zone donnée, il conviendrait de tenir compte des activités humaines susceptibles de par elles-mêmes ou en association avec les opérations de lutte contre le vecteur d'avoir des effets nocifs sur l'environnement.
4.3 Charge de polluants
Le teméphos (Abate), insecticide organophosphoré dégradable ayant une très faible toxicité pour les mammifères et les poissons, a été la seule molécule utilisée pendant la première phase du programme (jusqu'en 1979). Malheureusement, l'apparition d'une résistance parmi les populations d'insectes a conduit à employer le chlorphoxime, autre insecticide organophosphoré qui est plus toxique pour la faune non visée. Dans l'intervalle, un concentré dispersable de l'insecticide biologique Bacillus thuringiensis, sérotype H-14 (Teknar), a commencé à être utilisé avec succès et il est maintenant de plus en plus largement employé (voir tableau). Toutefois, B. thuringiensis H-14 n'est pas efficace en période de hautes eaux et l'emploi d'insecticides chimiques reste nécessaire. En 1985, un pyréthroïde synthétique, la perméthrine, a été utilisé à un degré limité dans une zone restreinte avec l'approbation du Groupe écologique.
Tableau I
Consommation d'insecticides
(exprimée en litres de préparation commercialisée)
Larvicides | 1975 | 1976 | 1977 | 1978 | 1979 | 1980 | 1981 | 1982 | 1983 |
Abate C200 | 75631 | 129947 | 155615 | 215879 | 263377 | 184517 | 130000 | 162750 | 74807 |
Chlorphoxime | 5713 | 70000 | 6699 | 35796 | |||||
Teknar | 416 | 1500 | 232986 | 310000 |
4.4 Programme de surveillance des eaux
Un vaste programme de surveillance biologique a été lancé dans un certain nombre de stations en vue de se rendre compte des effets possibles à court et à long terme sur les communautés des cours d'eau traités.
Le programme de surveillance des populations benthiques et des poissons a réussi à surmonter un grand nombre de problèmes scientifiques et pratiques; il est opérationnel depuis 1975 et emploie des équipes nationales d'experts scientifiques, ainsi que du personnel et des moyens matériels disponibles sur place. Des recherches de brève durée ont également été effectuées pour résoudre des problèmes particuliers et à différents niveaux écologiques (phytoplancton, zooplancton). Les populations d'invertébrés ont été étudiées par les moyens suivants: (i) échantillonnage à l'aide de filets dérivants; (ii) échantillonnage des substrats rocailleux délités pendant les périodes de basses eaux et (iii) substrats artificiels fixes et flottants. L'état des populations de poissons a principalement été étudié en surveillant la capture par unité d'effort, les variations de la composition par espèces, le facteur de condition et la fécondité. Les résultats de la surveillance biologique sont indiqués dans de nombreuses publications et ils sont tous passés en revue dans l'étude déjà mentionnée de Lévêque (1989).
En dix ans de surveillance continue, les populations d'insectes aquatiques se sont sensiblement modifiées; on note la disparition de certaines Simulidae, la raréfaction d'autres groupes et la prolifération des Chironomidae; il est toutefois difficile d'attribuer toutes les modifications observées aux applications de pesticides, car il se peut que les fluctuations hydrologiques aient également joué un rôle important. La surveillance continue des poissons a montré que les traitements avec des pesticides n'avaient que peu ou pas du tout d'effets et qu'il n'y avait pas de modification importante des captures, ni des facteurs de condition et de la fécondité. On peut donc admettre que le téméphos n'a pas d'effet discernable à long terme sur les populations de poissons, et que les quelques modifications observées après l'utilisation d'autres insecticides sont d'une ampleur limitée; en outre, là aussi, des fluctuations hydrologiques pourraient être responsables des changements. A longue échéance, l'aptitude des populations d'insectes provenant de zones non traitées à recoloniser les zones traitées a pu être démontrée.
Lévêque (1989) conclut que les résultats obtenus au bout de nombreuses années de traitement indiquent que les larvicides employés ont peu d'effets sur la faune non cible. Quoique les premières applications de téméphos et de chlorphoxime aient eu à court terme des effets assez marqués sur les communautés d'invertébrés, il semblerait que les situations de ce genre aient assez rapidement cessé de se produire au bout d'un an ou moins d'applications successives. Dans les conditions pratiques, les cours d'eau traités semblent avoir une assez grande résistance et, quoi qu'il en soit, une grande capacité de récupération. La situation continue à s'améliorer avec la réduction du nombre de cours d'eau traités, elle-même imputable au succès de la lutte contre les vecteurs, et avec l'utilisation croissante de B. thuringiensis H-14, pesticide exceptionnellement peu dangereux pour la faune non cible.
Néanmoins, des activités futures sont envisagées notamment en ce qui concerne la vulgarisation et l'amélioration de la surveillance biologique. La surveillance chimique de type courant étant difficile en Afrique, un petit nombre seulement d'analyses d'échantillons de poissons ont été effectuées. Elles ont montré la présence de téméphos dans les muscles, mais les concentrations diminuaient rapidement quelques jours après le traitement. Toutefois, pour ce qui concerne l'utilisation de pesticides nouveaux dans le cadre de l'OCP, un nouveau projet-pilote sur la surveillance chimique des poissons est actuellement envisagé.
Il semblerait qu'étant donné la campagne intensive qui a été conduite et la possibilité d'apparition d'une résistance chez Simulium, il faudrait poursuivre les efforts pour détecter les effets indésirables car les marges de sécurité entre les doses tolérables de produits chimiques et celles qui provoquent des modifications spectaculaires de l'environnement n'ont pas encore été déterminées et sont probablement étroites.
4.5 Rapports entre le Programme OCP et les activités du CPCA
La brève description ci-dessus des activités de l'OCP en ce qui concerne l'environnement fait apparaître la possibilité aussi bien que l'utilité de différents types de surveillance biologique des eaux africaines. Une riche expérience existe déjà dans certains pays et beaucoup d'autres pourront en profiter par la suite. Plusieurs méthodes ont été expérimentées sur une grande échelle dans les conditions particulières à l'Afrique et elles ont donne de bons résultats. Une formation convenable a été dispensée au niveau individuel au personnel local et plusieurs instituts ont maintenant acquis une expérience complète. Toutefois, il ne s'agit pas d'une situation générale dans tous les pays participant à l'OCP, car les moyens disponibles en matière de surveillance biologique sont différents dans chaque cas.
Dans le cadre du Programme PNUE pour les mers régionales, quatre Plans d'action intéressant des pays africains ont été signés: ils intéressent, respectivement, la Méditerranée, la mer Rouge et le golfe d'Aden, l'Afrique de l'Ouest et du Centre, et l'Afrique de l'Est (UNEP, 1982). Trois de ces plans (figure 1) prévoient des projets de surveillance de la pollution marine et des projets de recherche comprenant les éléments suivants: analyses des métaux et des produits organochlorés dans les biotes, surveillance de la pollution des plages et des eaux côtières par les hydrocarbures, et contrôle de la qualité bactériologique des eaux où il est possible de se baigner (PNUE, 1983, 1985; UNEP, 1988). MED POL (Méditerranée) est opérationnel depuis 1975 et WACAF 2 (Afrique de l'Ouest et du Centre) depuis 1983, tandis que EAF 6 (Afrique de l'Est) en est au stade de la planification. Quoique ces projets visent la pollution marine et côtière, les structures créées, y compris les moyens techniques et les compétences disponibles dans un certain nombre de centres de recherche pour les analyses, sont certainement du plus haut intérêt pour tous projets de recherche sur la pollution qui viendraient à être mis en place dans le cadre du CPCA.
Figure 1. Extension des Plans d'action du PNUE relevants
Des programmes et projets intéressant le secteur des eaux douces sont aussi exécutés actuellement par les organisations du système des Nations Unies. Le Programme ONCHO déjà décrit à la section 4, et le projet GEMS-eau de l'OMS/PNUE peuvent être donnés en exemple. GEMS-eau est un programme mondial ayant pour but de surveiller les différents systèmes d'eau douce, d'améliorer la validité et la comparabilité des données concernant la qualité d'eau ainsi que d'évaluer la tendance de la pollution.
Une partie des scientifiques suivent une tendance “traditionnelle” pour mieux définir les critères de qualité. Afin d'améliorer la précision des critères, ils tiennent compte par exemple des transformations chimiques et biologiques qui peuvent se produire et étudiant la distribution statistique dans le temps. Des travaux sont également en cours pour établir des critères pour des substances qui n'ont pas encore été prises en compte. Ce type d'approche conventionnel a de bonnes raisons d'exister comme le montrent les examens critiques de Sprague (1976) et de Thurston et al. (1979). Ces chercheurs font observer qu'aucun critère n'est proposé pour un grand nombre de polluants et que seulement environ la moitié des critères proposés peuvent être considérés comme acceptables tels quels ou après légère modification; ils critiquent les autres et font des propositions pour les corriger. Ils demandent aussi que plus de renseignements soient fournis pour des polluants identifiés en ce qui concerne le comportement chimique de la molécule, le sort dans l'environnement, la toxicité des principales formes chimiques et la transformation et la bioaccumulation éventuelles.
Le mélange de substances toxiques est une autre question qui doit faire l'objet de recherches expérimentales. Il suffit de considérer les positions divergentes adoptées par deux organisations compétentes différentes. Dans les critères de qualité des eaux, 1972 (NAS/NAE, 1973), l'EPA (Etats-Unis) maintient qu'en présence d'un mélange de polluants à une concentration sans effet observable (NOEC), il faut adopter des critères plus sévères en matière de qualité des eaux, c'est-à-dire réduire à une fraction les niveaux acceptables de chacun des polluants présents. Au contraire, le Groupe de travail CECPI sur les critères de qualité des eaux pour les poissons d'eau douce européens, après examen de nombreux ouvrages qui traitent des mélanges, est d'avis que les observations expérimentales donnent à penser que les critères de qualité proposés pour chaque substance toxique pourraient aussi être appliqués lorsque plusieurs polluants sont présents (CECPI, 1981; Alabaster et Lloyd, 1982). Toutefois, lorsqu'il a réexaminé la question en 1986, le Groupe de travail CECPI a conclu, sur la base des résultats de recherches récentes sur les produits chimiques organiques, que des concentrations sans effet observable de ces substances peuvent encore avoir un effet nocif lorsqu'elles sont présentes dans des mélanges (CECPI, 1987; Howells, 1994). En attendant que des recherches complémentaires aient été entreprises, il serait donc prudent d'admettre que les effets de mélanges de produits chimiques sont additifs à de très faibles concentrations. En conséquence, il pourrait être nécessaire d'abaisser légèrement les critères individuels de qualité des eaux si d'autres polluants sont présents en quantités importantes. Il apparaît donc que les approches même de type “traditionnel” servent à combler des lacunes dans les connaissances ou au moins à éclaircir des points controversés.
La recherche “non traditionnelle” suit actuellement deux grands courants: l'un consiste à prévoir autant que possible les effets et le sort des polluants dans les écosystèmes et l'autre à définir en termes quantitatifs les cycles biogéochimiques des molécules. Ces deux lignes de recherche tendent donc à produire des informations utilisables pour les mesures de contrôle avant l'introduction des polluants.
Plusieurs substances ont été interdites récemment car elles peuvent avoir des effets très nocifs sur l'environnement et sur la santé humaine. On a maintenant tendance à évaluer les risques liés aux nouvelles substances chimiques à l'avance de leur production à l'échelle commerciale. Une approche analogue a été proposée pour les molécules déjà utilisées produites en très grandes quantités sur lesquelles on manque d'informations. Différentes méthodes d'évaluation ont été mises au point. A la suite de larges débats (voir par exemple Programme d'essais chimiques de l'OCDE), on a réussi à se mettre d'accord sur les propriétés chimiques à mesurer et sur les tests toxicologiques à effectuer pour classer les diverses substances en fonction des risques qu'elles présentent (IRS, système intégré de classement pour l'évaluation; Schmidt-Bleek et al., 1982).
Une autre approche consiste à appliquer le rapport quantitatif structure/activité (QSAR) proposé par Hansch (1969, 1973). Des études expérimentales récentes indiquent la possibilité de faire des prévisions extrêmement fiables, avec un degré d'accord important entre les toxicités prévues et observées dans des catégories relativement homogènes de substances chimiques organiques. Dans certains cas, les caractéristique hydrophobes, exprimées par le logarithme du coefficient de partage n-octanol/eau (log P), ont été suffisantes pour permettre l'observation d'un degré élevé de corrélation avec l'activité toxique des molécules. De bons résultats ont été obtenus avec plusieurs produits organiques industriels (Veith et al., 1983; Könemann, 1981; Hermens et al., 1984; Calamari et al., 1983). Les caractéristique électroniques (pKa) se sont révélées être déterminantes pour la toxicité de plusieurs amines (Calamari et al., 1980). Une équation biparamétrique rend convenablement compte de l'activité toxique des phénols, des chlorophénols, des chloro- et des alcyl-anilines (Hermens et al., 1984; Saarikoski et al., 1986). Dans d'autres cas, malgré l'existence d'une corrélation significative avec l'effet toxique, le seul log P, n'a pas été suffisant pour faire des prévisions fiables. Par exemple, une étude effectuée par Vighi et Calamari (1985) sur les composés organiques de l'étain n'a indiqué une bonne prévisibilité que dans les différentes sous-classes (produits mono-, di-, tri-et tétrasubstitués). De meilleurs résultats, avec un haut degré de prévisibilité, ont été obtenus avec une équation biparamétrique, en introduisant des paramètres électroniques ou stériques tels que pKa ou des indices de connectivité moléculaire (1X and 1Xv). L'utilité des indices de connectivité moléculaire pour l'étude des corrélations structure/activité a également été démontrée pour plusieurs autres composés (Schultz et al., 1982; Sabljic, 1983).
Basak et al. (1984) ont trouvé des corrélations quantitatives entre la toxicité et la structure de plusieurs esters organiques, avec une corrélation multiparamétrique faisant intervenir un paramètre lipophile (log P), un paramètre électronique (1Xv) et un paramètre stérique (CIC).
Sur la base des quelques exemples cités et de l'abondante documentation disponible, Könemann et Calamari (1983) ont déclaré que:
des rapports quantitatifs structure/activité (QSAR) ont été établis pour plusieurs classes de produits chimiques et ils permettent, à l'intérieur de ces classes, de bonnes estimations de la toxicité de ces produits;
la plupart des QSAR ont été calculés pour un nombre limité de produits chimiques. Le jugement d'experts est indispensables pour indiquer le degré de validité des QSAR;
s'ils sont utilisés de manière convenable, les QSAR peuvent être très utiles pour la sélection des produits chimiques prioritaires si l'on ne dispose pas de données expérimentales.
Jusqu'à récemment, l'application des QSAR exclusivement à des groupes homogènes de substances chimiques constitue une limitation. Une plus large application de ces méthodes permettra d'établir des listes plus précises et scientifiquement plus valables de substances dangereuses.
L'autre tendance de la recherche “non traditionnelle” consiste à définir en termes quantitatifs le cycle biogéochimique des diverses molécules ou des divers éléments.
Les modèles simulés ou les tests en écosystèmes partiellement contrôlés défendissent quantitativement les cycles biogéochimiques de manière plus précise que dans des premiers travaux sur les pesticides (Metcalf et al., 1971); ils sont certainement plus pratiques que les modèles détaillés gigantesques construits pour quelques polluants comme le DDT (Randers, 1973). Ce genre de recherche tend à déterminer la concentration prévisible dans l'environnement (PEC) sur la base de quelques paramètres physico-chimiques. Le degré d'affinité des produits chimiques avec les principales composantes de l'environnement (eau, air, sol, biote) est évalué sur la base de quatre propriétés physico-chimiques: S - solubilité dans l'eau; H - constante de Henry, Koc - coefficient d'absorption dans le sol; Kow - coefficient de partage n-octanol/eau. Les valeurs de ces paramètres peuvent être mesurées expérimentalement ou calculées au moyen d'une équation de corrélation propriété-propriété (Kenaga et Goring, 1980). A partir de ces approches élémentaires, des calculs peuvent être réalisés à l'aide de modèle de fugacité de Mackay et Paterson (1981), qui permet de calculer la distribution prévisible dans l'environnement (PED). Parmi les modèles plus complexes, basés sur les même principes, on peut citer le modèle d'interaction quantitative eau/air/sédiments (QWASI) (Mackay et al., 1983; 1983a) et le modèle d'analyse de l'exposition (EXAMS) mis au point par l'EPA (Burns et al., 1981).
Cependant, le PED n'a qu'une utilité limitée pour prévoir la concentration finale d'une molécule dans un environnement déterminé, car une molécule en contact avec l'environnement pourrait connaître des sorts différents suivant ses caractéristique et le type et les propriétés du milieu. Fondamentalement, les processus affectant la molécule sont les suivants: photolyse, photo-oxydation, redox et autres types de réactions chimiques avec les molécules présentes dans l'environnement, ainsi que biodégradation et dégradation métabolique.
On n'a pas souvent essayé de spécifier quelles sont les données nécessaires sur les produits chimiques organiques pour prévoir leur sort dans l'environnement, mais quelques renseignements sont disponibles (voir par exemple Haque, 1980 et Hutzinger, 1980, 1982). Les données concernant la biodégradabilité sont beaucoup plus abondantes et il est possible de prévoir la persistance d'un certain nombre de substances, même si les controverses persistent au sujet des méthodes d'étude de la biodégradation (Gerike et Fisher, 1979; 1981). Le métabolisme, bien qu'important pour les organismes, joue en général un rôle mineur dans la transformation quantitative des contaminants de l'environnement. Lorsqu'on dispose de données, on peut établir une matrice de transformation et prévoir la concentration dans l'environnement (PEC) sur la base de la durée de la persistance. Il faut tenir compte à cet égard de la dispersion physique et des caractéristiques des eaux réceptrices.
Compte tenu de ces méthodes modernes, il est possible d'arriver à un type de gestion de l'environnement utilisant la capacité d'assimilation (absorption, transformation et stockage) de chaque composante du milieu.
Au niveau législatif, les nouvelles tendances sont illustrées par les lois sur les nouvelles substances chimiques telles que la loi sur le contrôle des substances toxiques aux Etats-Unis (U.S. EPA, 1978) et le sixième amendement de la Directive 831/79 sur les substances dangereuses dans la Communauté économique européenne (CEE, 1979). L'opinion actuelle est qu'il est préférable de prendre des mesures de prévention de pollution plutôt que des mesures de contrôle a posteriori. Cela suppose néanmoins que les caractéristique toxicologiques des molécules sont connues avant que le produit ne soit commercialisé. La prévision des dommages constitue donc aujourd'hui un aspect essentiel des activités scientifiques et réglementaires et la plupart des études écotoxicologiques sont orientées dans cette direction.
Dans un éditorial de “Environmental Toxicology and Chemistry”, Kimerle (1986) a posé une question du plus haut intérêt: “Le concept de qualité des eaux est-il dépassé?”. Depuis les années cinquante, ce concept constitue la base scientifique de tout contrôle de la qualité des eaux; toutefois, pendant les années soixante-dix, époque où le contrôle a cédé la place à la prévention, on s'est rendu compte qu'un contrôle limité aux polluants de type classique était une stratégie incomplète. En outre, avec l'amélioration des techniques de traitement des déchets, on pouvait envisager une nouvelle réduction des apports de substances toxiques. Trois facteurs additionnels conduisirent à adopter une stratégie différente en matière de contrôle de la pollution: (i) la nécessité de protéger l'environnement tout entier et non pas seulement l'une ou l'autre de ses composantes (eau, air, etc.) ou des espèces cibles identifiées; (ii) l'énorme quantité d'informations nécessaires pour définir des critères de qualité des eaux et (iii) le grand nombre de substances chimiques effectivement utilisées par l'homme, ainsi que la variété de groupes chimiques auxquels ces substances appartiennent.
Pour ne donner qu'un exemple, le Groupe de travail CECPI sur les critères de qualité des eaux n'a produit que quinze rapports en plus de vingt ans et le “Red Book” de l'EPA des Etats-Unis en 1976 ne contenait que cinquante-trois critères. Par ailleurs, dans la Communauté économique européenne, approximativement 10 000 produits chimiques sont largement utilisés. Pour résoudre ce problème, l'EPA a proposé en 1983 une méthode simplifiée pour l'établissement d'un critère de qualité des eaux (Stephan et al., 1983). Cette méthode prévoyait 16 épreuves de toxicité aiguë sur différentes espèces d'animaux, 3 épreuves de toxicité chronique, 2 épreuves sur des plantes et une étude sur la bioaccumulation. Mais, même ainsi, elle était trop complexe pour accélérer la préparation de tous les documents nécessaires pour définir les critères voulus en vue d'un contrôle approprié de la pollution des eaux.
On peut admettre qu'en l'absence d'exposition à une substance, on n'a pas besoin de données sur sa toxicité. Cette notion simple fait ressortir l'importance de l'exposition et on s'est rendu compte que la définition d'un critère toxicologique n'est qu'un élément de la stratégie de contrôle de la pollution. De toute évidence, il n'est pas nécessaire d'entreprendre des études toxicologiques très complexes lorsqu'il apparaît en première estimation que la concentration d'une substance dans l'environnement sera très faible ou inférieure de plusieurs ordres de grandeur au seuil de toxicité aiguë.
L'approche consistant à évaluer les risques est de plus en plus largement adoptée par les experts scientifiques et les administrateurs s'occupant de réglementation et de contrôle. La figure 2 (Calamari, 1984) en donne un schéma général. Des recherches toxicologiques approfondies ne sont nécessaires que lorsque la concentration prévisible dans l'environnement est proche de la concentration sans effet observable (CSO) déduite d'épreuves toxicologiques relativement simples ou même de données sur la toxicité aiguë. Cette approche est utile en ceci qu'elle permet de contrôler un plus grand nombre de produits chimiques sur la base de données toxicologiques limitées.
Les grandes lignes du processus d'évaluation des risques sont indiquées par Bro-Rasmussen et Christiansen (1984). Pour prévoir la concentration d'une substance dans l'environnement, il convient de recueillir tout d'abord quelques données fondamentales sur les caractéristique physico-chimiques et la production et/ou l'émission du produit chimique en cause dans le milieu en vue de déterminer sa distribution et sa mobilité. La persistance est ensuite évaluée sur la base des données sur la dégradation chimique ou biologique dans les diverses parties du milieu. Ensuite, les études toxicologiques rendront des données sur la toxicité aiguë et chronique; des études de micro-écosystèmes ne devraient être entreprises que lorsque les données sur l'exposition potentielle indiquent qu'il y a lieu de s'inquiéter.
Comme les informations sur la production et l'utilisation et les données sur les caractéristique physico-chimiques sont généralement plus faciles à recueillir que les données toxicologiques, des calculs ou scénarios simples peuvent être très utiles pour contrôler la pollution par certaines substances chimiques. Toutefois, le problème n'est pas aussi simple et au moins 30 méthodes d“'évaluation des risques” ont été proposées (Hushon, 1982).
Dans les conditions caractéristique de l'Afrique, où les données écotoxicologiques de base sont fréquemment rares pour ne pas dire inexistantes, l'approche “évaluation des risques” pourrait être utilisée à titre d'étape préliminaire. Par exemple, dans le cas d'un pesticide, des données sur les quantités introduites dans un pays, ainsi que sur la superficie de la zone traitée, sont relativement faciles à recueillir; les données sur les caractéristique physico-chimiques peuvent être trouvées dans des manuels ou obtenues des fabricants. Le bilan de masses et la concentration théorique peuvent ensuite être calculés pour chaque masse d'eau, à base des données disponibles. Les données sur la toxicité aiguë tirées de la documentation publiée peuvent fournir la base d'une évaluation toxicologique approximative. En comparant le PEC dans l'eau, les sédiments ou les poissons avec les données sur la toxicité aiguë, on peut décider s'il est nécessaire d'effectuer des recherches concernant le produit chimique en cause et s'il faut réduire les quantités appliquées ou suggérer d'autres options (autres produits chimiques à utiliser) en vue de protéger l'environnement.
Figure 2. Représentation schématique des corrélations entre l'exposition, les effets et l'évaluation des risques
Pour contrôler la pollution des eaux sur le continent africain, plusieurs stratégies sont disponibles aussi bïen pour limiter les effets indésirables que pour prévenir cette pollution. Compte tenu du caractère limité des ressources, un certain nombre de méthodes sont proposées: elles peuvent être utilisées successivement, de la plus simple à la plus complexe, ainsi qu'en combinaison.
La notion selon laquelle toute politique de contrôle de la pollution aquatique doit reposer sur des critères de qualité des eaux est certainement valable. Toutefois, il faut faire preuve de prudence si l'on veut transposer les données recueillies dans des pays industrialisés à écosystèmes tempérés dans les conditions caractéristique de l'Afrique, car la toxicité, la persistance et les doses d'accumulation y seront plus élevées ou moindres, selon la substance. Des études comparatives de toxicité sont donc absolument nécessaire, par exemple des épreuves simples de brève durée effectuées dans des conditions statiques pour évaluer la toxicité de quelques substances chimiques et effluents sur une ou deux espèces de poissons indigènes (Tilapia sp. et une autre) et, éventuellement, sur un crustacé ou un mollusque.
Nous proposons le plan général ci-après pour le contrôle de la pollution:
collecte de données de base sur toutes les sources existantes de pollution par le moyen d'enquêtes nationales et calcul des charges théoriques;
évaluation de l'état des plans d'eau à l'aide d'analyses chimiques de type simple et d'activité de surveillance biologique. (Cette question en particulier pourrait être un important sujet de recherches dans plusieurs pays);
évaluation des dommages possibles aux pêcheries par les moyens suivants: examen des données publiées, épreuves de toxicité pour des espèces locales et, chaque fois que possible, analyses chimiques des composantes de l'environnement;
formulation de “normes” de sécurité pour les effluents et établissement d'une liste “noire” et d'une liste “grise” de substances dangereuses;
détermination d'“objectifs” pour les eaux réceptrices sur la base de critères de qualité des eaux, modifiés de manière appropriée, déjà proposés ailleurs qu'en Afrique.
Les stratégies ci-après peuvent être appliquées pour la gestion des effluents polluants:
limiter les effluents par des normes rigides, fixant à la fois des limites de concentration pour les produits et/ou une limite toxicologique déterminée sur la base d'épreuves simples de toxicité aiguë des effluents. Ceci ne prend pas en considération les caractéristique particulières des masses d'eau réceptrices;
limiter les effluents par des normes flexibles. Dans ce cas, les limites sont calculées en vue de maintenir la qualité des eaux dans un plan d'eau donné. Dans ce cas également, la limite peut être définie comme chimique et/ou toxicologique. La valeur et les limitations de ces approches ont été examinées aux sections précédentes;
pour quelques substances chimiques, il est scientifiquement injustifiable et insuffisant, si l'on veut protéger l'environnement, de fixer des “objectifs” ou des “critères” pour les eaux (l'exemple classique est le mercure). En tels cas, il est nécessaire d'indiquer des objectifs ou des critères pour une autre composante ou matrice de l'environnement (par exemple les sédiments ou les poissons);
quelquefois, dans certains environnements et avec certaines substances chimiques, on peut constater qu'une espèce donnée est particulièrement vulnérable (par exemple les crustacés aux pesticides). Il faut alors préférer un aménagement axé sur des “espèces indicatrices” à l'approche visant à définir des critères de qualité des eaux;
la classification des substances chimiques utilisées dans un pays dans des listes “noires”, “grises” et “blanches” peut être utile - spécialement si l'on adopte une approche “évaluation des risques” - pour contrôler la qualité des eaux (à savoir pour comparer l'exposition prévisible de l'environnement avec les données disponibles sur la toxicité). Cela ne signifie pas forcément que les produits chimiques inscrits sur la liste noire doivent être totalement interdits, mais qu'ils doivent seulement être utilisés dans certaines conditions et sous un contrôle rigoureux (comme par exemple le PCB pour certaines activités industrielles en Europe).
Enfin, il convient de noter que le contrôle et la gestion de la qualité des eaux dans l'intérêt général de la société implique le choix de priorités et d'objectifs, la sélection de critères permettant de vérifier la qualité par rapport aux objectifs fixés et, enfin, la définition de normes pour les critères choisis afin d'atteindre les objectifs visés. L'établissement d'objectifs est avant tout une décision politique, qui doit être prise sur la base de considérations sociales, économiques et technologiques, compte tenu des intérêts divergents de différents utilisateurs de l'eau. La gestion effective des ressources en eau dépend donc tout d'abord du choix d'objectifs appropriés. Il devient alors possible de mettre au point et choisir des méthodes optimales, parfois même simples, de gestion de la qualité des eaux.