Côte d'Ivoire
Normes coutumières, croyances religieuses et pratiques sociales ayant une influence sur les droits fonciers différenciés selon le genre
On dénombre plus de 60 groupes ethniques et il existe différents modes de gestion locale de la terre ayant néanmoins des points communs: par exemple, la propriété individuelle n'est pas reconnue par la société traditionnelle, à cause du caractère inaliénable des terres (14).
Généralement, les groupes Baoulé et Agni, dans le Sud-Est et le Centre ont une structure sociale matrilinéaire; la terre est distribuée par le roi aux chefs de lignages qui attribueront les terres à leur tour. Dans le Nord-Est, les Sénoufo, Lobi, Koulango fonctionnent selon un mode hiérarchique villageois: l’homme le plus âgé du premier lignage distribue la terre aux familles. Ces droits sont partiellement transmis de façon matrilinéaire (1).
Les modes d’accès et droits d’usage varient selon les régions. Par exemple, l’acquisition de la propriété foncière dans les sociétés sénoufo et dioula ne relève pas d’un droit individuel, mais plutôt d’un droit appartenant à un groupe, à un lignage ou à une communauté. Ce droit est étroitement lié à la fonction de chef de terre qui incarne l’autorité foncière.
En règle générale, l’acquisition de ce droit de propriété relève de deux principes de droit. Il s’agit du principe de l’occupation première de la terre et de celui de la cession de la terre par une convention de don. On note également l’acquisition de la propriété foncière à la suite de conquêtes guerrières entre des chefferies villageoises pendant la période précoloniale (8).
Dans le Nord ivoirien, on distingue plusieurs types de conventions foncières locales, accords institués entre individus ou groupes d’individus à propos de l’usage du foncier et de son contrôle:
> le prêt de terre avec droit de contrôle ou limité seulement au droit d’usage;
> le don, permettant d’acquérir le droit de propriété foncière au profit d’un groupe, d’une communauté ou d’un individu. En ce qui concerne le don individuel, par exemple, l’épouse d’un chef de terre peut bénéficier d’un don de terre pour cause de stérilité;
> la «vente» de terre sous seing privé consignées sur des «petits papiers». Ces conventions foncières relativement nouvelles sont pratiquées surtout dans les zones à forte densité de population, notamment dans les centres urbains, Korhogo et Ferkessédougou, et leurs alentours (8).
La distinction entre «don», et «prêt» est très floue: dans le Nord, la notion de don recouvre une cession gratuite et durable; dans le Sud, elle implique des prestations de travail ou des transactions monétaires considérables. Même l’objet de la vente n’est pas sans ambiguïté, indiquant en même temps les cultures et donc aussi les droits d’usage, ou le sol lui-même (9).
Avant les années 90, l’accès à la terre était libre, allochtones et allogènes avaient les mêmes droits d’usage sur la terre que les autochtones. Ils devaient cependant se conformer aux us et coutumes des régions où ils s’installaient (14). Par exemple, suivant les systèmes fonciers traditionnels, les migrants étaient accueillis par un «tuteur», propriétaire foncier autochtone qui leur fournissait des terres dans le cadre d’une relation interpersonnelle d’aide mutuelle et de la «reconnaissance» par le migrant de cette relation subordonnée (8b).
A l’intérieur même du groupe détenteur de droits coutumiers «conformes aux traditions», les femmes et les jeunes en pays bété, sont marginalisés en ce qui concerne la gestion, le contrôle et l’appropriation des espaces.
Les femmes sont plus propriétaires de cultures que de la terre, elles ont le droit d’utilisation de la terre selon cette «tradition» - droit qu’on obtient par le mariage ou par un parent avant le mariage ou en cas de divorce (2).
"Djafotcho" est une forme d’alliance matrimoniale où le père a le devoir de trouver une épouse pour son fils. Lorsqu’il est chef de terre et qu’il n’arrive pas à honorer ce devoir, le père peut offrir à son fils une portion de terre en compensation de l’épouse (8).
En général, dans les systèmes fonciers coutumiers, les femmes ne peuvent exercer des droits de propriété sur des terres (2). Selon la tradition, aucun enregistrement au nom de la femme n’est possible par la loi (3).
Autorités traditionnelles et institutions coutumières
Les chefs de lignage, mais aussi les chefs de terres et les chefs de villages (5). Il s’agit d’institutions locales spécialisées, légitimes et habilitées.
Le chef de terres est le descendant en ligne matrilinéaire, dans les sociétés sénoufo, ou patrilinéaire, dans les sociétés dioula, de l’ancêtre qui a été le premier à occuper la terre après y avoir marqué sa présence par une activité d’agriculture de chasse, d’extraction de minerais, etc. Cet ancêtre est censé avoir tissé, par un pacte inaliénable, un lien spirituel entre son lignage et les génies de la terre, un pacte qu’il s’engage, au nom de son lignage, à revivifier périodiquement par des offrandes sur l’autel de la terre, lieu de résidence de ces génies (10).
Les femmes et les jeunes sont généralement exclus des discussions sur les questions de gestion foncière. Beaucoup d’arrangements locaux sont conclus dans l’intimité des relations particulières unissant les chefs de lignages entre eux, ou dans le secret des conventions conclues entre un chef de lignage et «son étranger» (5).
Les dispositifs ou instances d’autorité, de régulation, d’arbitrage, susceptibles de dire le droit ou de sanctionner sa transgression, sont divers.
Au sein des familles, le niveau investi d’une autorité peut varier selon le type de droit concerné. Ainsi, en basse Côte d’Ivoire, la vente d’une parcelle ou la désignation de l’héritier pourra relever du conseil de famille, la décision de planter des cultures arborées sera du ressort de l’héritier, alors que la gestion à court terme des disponibilités foncières - usage direct ou cession en faire-valoir indirect - pourra relever du gestionnaire présent sur place.
A un niveau extrafamilial, il peut s’agir d’autorités villageoises, du tribunal, de la gendarmerie, de la sous-préfecture, etc. (8).
Dans le Nord ivoirien, dans certains cas de conflits, les chefs des juridictions étatiques, maire, sous-préfet, préfet, ont plutôt tendance à renvoyer les protagonistes vers la juridiction coutumière, á savoir chef de village ou chef de canton.
En revanche, on observe également des situations où le chef de village recommande aux protagonistes de se rendre à la sous-préfecture après un échec de résolution (8b).
Pratiques de facto d’héritage/de succession
Certains régimes fonciers coutumiers permettent aux femmes d’hériter la terre de leur famille d’origine, mais le plus souvent on trouve des systèmes d’héritage matrilinéaires dans lesquels la terre se transmet aux héritiers de sexe masculin par le biais de leur mère (1).
À la mort de leur mari, elles protègent la part de l’héritage de leurs fils. En termes d’accès à la terre, la position des femmes est plus favorable dans les sociétés à accentuation matrilinéaire de l’Est que dans les sociétés patrilinéaires de l’Ouest, du moins pour les femmes issues des matrilignages de haut statut. Il n’est pas rare que ces femmes créent leurs propres plantations ou héritent de plantations. Dans l’ensemble de la zone forestière, des femmes proches des cercles du pouvoir ou ayant eu accès à des fonctions administratives ou politiques possèdent souvent leurs propres plantations de cacao ou de palmiers sélectionnés (19).
Différentes situations existent. Par exemple, dans la société sénoufo caractérisée par le système matrilinéaire, le mariage tiéporg est celui par lequel la femme et ses enfants font désormais partie du lignage de son époux. De ce fait, ce type de mariage implique, de la part du lignage de l’époux, beaucoup de dépenses en richesses qui sont censées compenser la perte de la femme et de ses enfants par leur lignage d’origine. Les enfants issus de ce mariage ne peuvent ni hériter de leur oncle maternel, ni de leur père, qui a pour héritiers ses neveux utérins. C’est pourquoi, de son vivant, lorsqu’il était chef de terre, le père offrait une portion de terre à ses enfants dont il confiait la gestion au fils aîné. La transmission héréditaire de cette terre suivait, contrairement à la norme, la succession patrilinéaire (8).
Dans la région Zanzan, à l’exception de la société lobi, les femmes ont accès à la terre par leur mari et peuvent avoir leur propre parcelle et leurs propres cultures sur l’exploitation familiale. Si le mari meurt, ses biens reviennent par héritage à ses neveux utérins.
La femme peut alors soit épouser l’héritier, soit retourner dans sa propre famille, mais sans ses enfants. Toutefois, si la veuve a des enfants en âge de l’aider dans l’exploitation, elle peut continuer à travailler la terre familiale (20).
A Zahia, lorsqu’un homme qui n’a que des filles décède, son héritage foncier revient à son frère.
A Gboguhé, deux femmes autochtones, planteurs de café et cacao, ne peuvent céder leurs plantations en héritage qu’à des personnes de sexe masculin de leur famille et non à leurs propres enfants, qu’ils soient de sexe masculin ou féminin. Dans ces cas là le don est prévu sous conditions.
A Loboguiguia, au sein d’une famille polygame, les enfants de sexe masculin accèdent à la terre par la mère. En effet c’est la parcelle sur laquelle travaille ou a travaillé la mère qui fera l’objet de partage entre les fils de cette mère.
Les enfants de sexe féminin, de manière générale sont exclues du partage d’héritage mais peuvent bénéficier de prêt de parcelles pour éventuellement cultiver du vivrier.
Si la femme n’a pas eu d’enfant avec son mari, en cas de décès de ce dernier, elle perd totalement tous les droits sur la parcelle qu’elle exploite si elle retourne dans sa famille ou si elle se remarie hors de la famille de son mari défunt. La parcelle qu’elle exploitait revient alors à l’aîné de la famille du défunt. Dans le cas d’une famille polygame, la femme qui n’a pas enfanté ou qui n’a eu que des filles, peut se remarier à un des fils aînés de sa ou ses rivales après la mort du mari. Dans ce cas, elle continuera à bénéficier des droits d’exploitation sur ses parcelles. Celles-ci reviennent au nouveau mari s’il n’a pas encore accédé à la terre du vivant de son père, ou à l’aîné du mari. De plus, dans une famille polygame, la femme qui n’enfante pas adopte généralement un garçon d’une autre femme du mari; c’est ce garçon qui va hériter des parcelles lorsqu’elle décède ou lorsque son époux décède. Quel que soit le cas de figure, la femme selon la tradition bété n’est pas propriétaire de la terre (2).
Contradictions/écarts entre les lois statutaires et coutumières
Selon la loi, les femmes, comme les jeunes, obtiennent des «droits coutumiers conformes aux traditions». Elles peuvent ainsi bénéficier de certificat foncier puis de titre foncier. Mais en réalité, elles sont marginalisées par la coutume en ce qui concerne la gestion, le contrôle et l’appropriation des espaces. Selon la tradition, aucun enregistrement au nom de la femme n’est possible par la loi (2).
La loi coutumière exige la nationalité ivoirienne comme principale mode d’accès au foncier, obtenue selon les dispositions des nouveaux articles 6 et 7 de la Loi 72-852 du 21 décembre 1972. Néanmoins, dans la réalité c’est le droit du sang qui prévaut. Quelque 47,3% parmi les immigrants d’origine burkinabé sont nés dans ce pays et estiment bénéficier du droit du sol et des avantages et privilèges qui y sont rattachés (3).
Même si l’État reconnaît les droits coutumiers, comme prévu dans le décret de 1955 et le décret de 1971, il s’arroge en même temps le droit de s’approprier et de gérer toutes les terres, comme établi dans la loi de 1963 et la loi de 1964 (3).
Sources: Les nombres affichés entre parenthèse (*) font référence aux sources énumérées dans la Bibliographie.