Action contre la désertification

Moctar Sacande : « La dégradation des terres n’est pas encore irréversible »

La FAO prépare la restauration des terres à grande échelle le long de la Grande Muraille Verte d'Afrique


04/05/2016

Rome  La restauration des terres à grande échelle est en cours, le long de la Grande Muraille Verte d'Afrique dans le cadre du programme d'Action contre la désertification de la FAO. L'expert Moctar Sacande explique la nécessité de la restauration et les secrets de la réussite de l'approche de la FAO. Les résultats obtenus sur le terrain sont reconnus par la communauté scientifique.

Vous avez récemment visité des zones dégradées au Niger. Qu'avez-vous constaté?

Moctar Sacande : « Laissez-moi vous parler de Chatoumane, un village à trois heures de route au nord de Niamey, la capitale du Niger. Il a un vrai problème : la sécheresse. Dans le Sahel, il pleut entre juin et septembre, puis vous devez attendre pendant neuf mois. Vers la fin de la période de soudure, il n'y a presque plus rien pour se nourrir, pour les populations, comme pour les animaux.

Voilà pourquoi la restauration est nécessaire : pour aider les communautés à produire suffisamment pour couvrir leurs besoins pour l'année entière. Dans un village comme celui-ci, les gens vivent avec la nature. Ils utilisent la terre pour fabriquer des briques et construire leurs maisons. Les toits sont faits de paille. Les plantes sont utilisées par les guérisseurs traditionnels. Et, les gens et les animaux tirent la majeure partie de leur nourriture des arbres, des arbustes et des graminées.

Nous avons donc besoin de solutions basées sur les plantes. Il faut commencer par demander à la communauté ce dont elle a besoin. Il faut parler à différents groupes : les agriculteurs, les éleveurs de bétail, les guérisseurs traditionnels, les forgerons et les femmes, car ils ont tous des besoins différents en matière de plantes. C’est essentiel. De nombreux villages nous ont dit qu'ils n'avaient jamais été consultés auparavant. Les choses étaient décidées pour eux, ce qui conduisait à l’échec, car les communautés ne se sentaient pas impliquées. »

Des solutions existent-elles ?

Moctar Sacande : « Bien sûr, les difficultés n'ont pas été suffisamment prises au sérieux. Tous les parents espèrent que leurs enfants feront mieux. Mais, pourquoi un jeune de Chatoumane voudrait-il rester dans son village de nos jours ? Il n'y a pas de travail, pas d'électricité, pas d'Internet. Dans une situation désespérée, les gens prennent toutes les opportunités qu'ils peuvent saisir. Ici, traditionnellement, ils se dirigent vers le sud. Maintenant, dans le village planétaire, ils vont aussi plus loin. Mais plus vous apportez de solutions au village, plus vous contrez ces problèmes. »

« Je crois que la dégradation des terres n'est pas encore irréversible dans le Sahel. Mais, il ne faut pas perdre de temps, parce que les ressources naturelles sont sous pression et que le climat est en train de changer. Il y a aussi la croissance de la population. C'est une combinaison de facteurs. »

Vous avez travaillé comme chercheur pendant 15 ans avant de rejoindre la FAO pour travailler sur la restauration des terres dans le cadre de l'Action contre la désertification. Pourquoi ?

Moctar Sacande : « Je devenais de plus en plus mal à l'aise face au fossé entre les connaissances scientifiques et la réalité du village africain. En 2012, je me suis intéressé à l'Initiative de la Grande Muraille Verte et ai conçu un modèle de restauration. Nous avons commencé à le mettre en pratique dans dix villages au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Trois ans plus tard, nous avons déjà touché 120 villages. Environ 50 000 agriculteurs sont engagés, dont la moitié sont des femmes. Au total, 2 235 hectares de terres dégradées ont été restaurées.

Avec le programme Action contre la désertification, ces efforts sont accrus. Nous nous préparons cette année à restaurer 10 000 hectares de terres dégradées dans six pays : le Burkina Faso, le Niger, ainsi que l'Éthiopie, la Gambie, le Nigeria et le Sénégal.

La Grande Muraille Verte offre l’opportunité de transformer ces petites gouttes de solutions en une rivière qui traverse toute la région et de véritablement améliorer les conditions de vie de populations qui avaient été laissées en dehors de l'équation. Voilà ce qui me motive. J’ai toujours été fasciné par les plantes. Prenez l’eucalyptus : c’est un grand arbre, mais regardez d’où il vient. Une si petite graine qui devient un arbre majestueux. Nous avons le savoir-faire technologique. Nous devons maintenant l'apporter là où il est le plus nécessaire. »

Faits et chiffres clés

L'approche de la restauration des terres de la FAO a été mise en pratique avec succès dans les interventions transfrontalières au Burkina Faso, au Mali et au Niger entre 2013 et 2015, en partenariat avec le Royal Botanic Gardens, Kew.

  • 120 villages impliquant 50 000 agriculteurs, dont la moitié sont des femmes.
  • 55 espèces ligneuses et herbacées plantées, en utilisant plus de 1 million de semences et de plants.
  • 2 235 hectares de terres dégradées restaurées.

L'approche et les résultats du modèle de restauration ont été publiés dans Restoration Ecology – 2016 par les experts de la FAO, Nora Berrahmouni et Moctar Sacande.