Cohérence des réponses en matière de sécurité alimentaire: intégration du droit à l’alimentation dans les initiatives internationales et régionales relatives à la sécurité alimentaire

Événement parallèle multipartite « Réaliser le droit à l'alimentation : utilisation durable des ressources phytogénétiques pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle »

15 mars 2011 – Bali, Indonésie

Conservation et utilisation durable des ressources phytogénétiques: Une question relevant de la gouvernance mondiale de la sécurité alimentaire

Quel rapport avec la réalisation du droit à l’alimentation?

Aujourd’hui, sur les 150 espèces cultivées dans le monde, seules 12 satisfont 80 % de nos besoins alimentaires. Nous avons réussi à augmenter la production alimentaire et à la vendre sur les marchés internationaux, mais parallèlement la diversité des cultures vivrières a considérablement diminué. Les améliorations technologiques et issues de la recherche visant à augmenter la production alimentaire sont dénuées de sens en l’absence de politiques, de lois et de cadres institutionnels permettant d’accéder à ces ressources et de les utiliser de manière durable. En fait, la question des ressources génétiques relève de la gouvernance internationale de la sécurité alimentaire. Le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (TIRPAA) adopté en 2001 promeut la conservation des ressources phytogénétiques ainsi que la protection du droit d’accès des agriculteurs à ces ressources et reconnaît leur droit à bénéficier d’un partage juste et équitable des avantages liés à leur utilisation. Il crée même un système multilatéral d'accès et de partage des avantages qui met une réserve mondiale de ressources génétiques à la libre disposition des utilisateurs potentiels des pays signataires. Deux aspects du traité sont essentiels à la réalisation du droit à l'alimentation : la reconnaissance de l’importance des connaissances traditionnelles pour la protection de la biodiversité et la nécessité d’une participation accrue des agriculteurs aux processus de prise de décision liés à l'utilisation des ressources. L’article 9 stipule:

En fonction de ses besoins et priorités, chaque Partie contractante devrait, selon qu’il convient et sous réserve de la législation nationale, prendre des mesures pour protéger et promouvoir les Droits des agriculteurs, y compris : a) la protection des connaissances traditionnelles présentant un intérêt pour les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture ; b) le droit de participer équitablement au partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture ; c) le droit de participer à la prise de décisions, au niveau national, sur les questions relatives à la conservation et à l’utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture.

L’utilisation durable des ressources phytogénétiques joue un rôle essentiel dans la réalisation progressive du droit à l'alimentation. Ce droit humain est réalisé quand chaque homme, femme et enfant, individuellement ou collectivement, détient un accès physique et économique permanent à une alimentation adéquate ou les moyens de se la procurer. Au sens large, il s'agit du droit à disposer d'un accès régulier, permanent et sans restriction, directement ou par le biais d’achats monétaires, à une alimentation adéquate et suffisante en termes de quantité et de qualité, conforme aux traditions culturelles des populations concernées et leur assurant une vie physique et mentale, individuelle et collective, gratifiante, digne et sans peur.[1]

Les Directives sur le droit à l’alimentation[2] adoptées par la FAO en 2004 soulignent l’importance de l’accès des populations aux ressources phytogénétiques. La directive 8.12 recommande aux États membres de protéger la biodiversité et les droits des populations locales grâce à la mise en place d’institutions et de dispositifs tels que la participation de la société civile et du secteur privé aux processus de prise de décision. Le document État de l’alimentation et de l’agriculture (SOFA 2010-2011) de la FAO révèle un énorme écart dans l’accès des femmes aux ressources de production alimentaire. Combler cet écart contribuerait à réduire le nombre de personnes affamées dans le monde. La participation des femmes et des groupes vulnérables (communautés indigènes et paysans sans terres) est essentielle pour formuler des politiques efficaces et inclusives allant dans ce sens.

Les institutions chargées de coordonner tous les aspects de la sécurité alimentaire et de la nutrition devraient s’occuper également de la conservation des ressources phytogénétiques. Ces dernières ne sont pas les seules requises pour assurer les moyens d’existence des agriculteurs. L’accès aux terres, le crédit, la technologie et l’éducation sont d’autres éléments que des politiques, des lois et des cadres institutionnels cohérents devraient faciliter. Des programmes de distribution de semences, par exemple, devraient faire partie d’une stratégie globale de sécurité alimentaire et de nutrition. Les programmes visant à augmenter la production alimentaire devraient aller de pair avec ceux visant à améliorer l’accès à l’alimentation. Des politiques contradictoires peuvent conduire à des situations étranges où, dans un pays produisant des quantités importantes de cultures vivrières nutritives, un pourcentage élevé de malnutrition règne dans la région où les niveaux de production sont les plus élevés. Les agriculteurs locaux pourront y produire en grande quantité des cultures vivrières nutritives dérivées de ressources phytogénétiques locales, exportées vers les marchés internationaux où les prix et les avantages économiques sont supérieurs. Dans ce cas, les populations locales risquent de ne pas profiter de leurs propres ressources parce qu’elles n’ont pas les moyens d’acheter ces produits sur les marchés locaux. Ce type de situations bafoue gravement le droit à l’alimentation des populations locales.

L’absence de conservation n’impacte pas uniquement la disponibilité et l’accessibilité de la nourriture. Elle sape également la dimension culturelle du droit à l’alimentation qui vise à protéger les traditions de consommation alimentaire des populations. Au-delà de raisons culturelles, les connaissances traditionnelles constituent un véhicule majeur de protection de la biodiversité. Les faits indiquent que des plantes vivrières continuent à disparaître. La FAO estime que 75 % de la diversité des cultures ont disparu entre 1900 et 2000, soit une perte de plus des trois-quarts des cultures vivrières connues au cours du siècle passé. Le rapport sur l’État des ressources phytogénétiques mondiales pour l’alimentation et l’agriculture de 2010 prédit que jusqu’à 22 % des espèces sauvages de cultures vivrières importantes telles que l’arachide, la pomme de terre et les haricots disparaîtront d’ici 2055 en raison du changement climatique. La protection de la biodiversité et son accessibilité constituent un rempart essentiel contre la dépendance sur un nombre réduit de cultures. Que ce soit du point de vue économique ou sanitaire, les populations vulnérables risquent de voir augmenter leur dépendance à une plus grande échelle. Dans certaines régions du monde, les droits de propriété intellectuelle sur les ressources dont se réclament des sociétés privées sont en train d’éroder de manière dramatique les droits des communautés locales. Au-delà des dégâts économiques, cette situation instaure une forte dépendance sur des capacités et des connaissances techniques nécessitant des dépenses supplémentaires pour les pays en développement.

L’augmentation du nombre des banques de gènes dans le monde envoie un signal positif en termes de conservation mais n’assure pas un accès équitable à tous les pays et toutes les populations de la planète. Sachant que 12 pays préservent 45 % des ressources totales conservées dans des banques de gènes, la concentration accrue de la diversité génétique collectée et préservée dans un petit nombre de pays et de centres de recherche met en évidence l’importance de mécanismes facilitant l’accès.

Au niveau national, des politiques et des cadres juridiques devraient mettre en place des dispositifs de suivi de leurs effets dans le souci de protéger l’accès durable aux ressources phytogénétiques. L’instauration d’indicateurs et de normes de référence clairs pour évaluer leurs impacts sur la sécurité alimentaire et la nutrition permettrait à ces politiques d’adopter des approches des initiatives de lutte contre la faim et la malnutrition fondées sur les droits de l’homme. Par ailleurs, l’existence de dispositifs de recours et d’accès à la justice est essentielle pour garantir la redevabilité des acteurs privés et des institutions publiques participant à la conservation et à l’utilisation des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture.


[1] Pour une interprétation complète du droit à l’alimentation, voir l’Observation Générale 12 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels ainsi que la définition couramment utilisée par le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation sur le site www.srfood.org.

[2] Directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, adoptés par la FAO.

  • La mise en œuvre du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (TIRPAA), adopté par la Conférence de la FAO de 2001 et entré en vigueur en 2004, devrait aller de pair avec celle du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) qui reconnaît l’obligation des États à protéger, respecter et réaliser le droit à l’alimentation. La protection de la biodiversité et des droits des agriculteurs constitue un point commun à ces deux textes ratifiés par plusieurs États membres.
  • La mise en œuvre pratique de ces textes peut s’inspirer des Directives sur le droit à l’alimentation, un texte non contraignant fournissant un cadre d’action et des recommandations générales sur les réponses en matière de sécurité alimentaire faisant appel à des approches fondées sur les droits de l’homme. La directive 8.12 s’intéresse plus particulièrement aux ressources génétiques pour l’alimentation et l’agriculture.
  • La conservation et l’utilisation durable des ressources phytogénétiques jouent un rôle essentiel dans la réalisation progressive du droit à l'alimentation.

Événement organisé et financé par