Maroc

Les SIPAM, au cœur de systèmes accomplis

Economie de l'eau : Réduction des pertes en eau dans les canaux d'irrigation en terre au niveau de la palmeraie de Figuig / ©My Lhassane Sossey Alaoui
02/02/2021

Surtout connus des experts et des avertis du domaine, les SIPAM se multiplient à travers le monde. Depuis leur fondation en 2002 par la FAO, l’organisation a reconnu 62 SIPAM à travers le monde et 15 nouvelles candidatures sont en cours d’évaluation. Que sont-ils? Quels critères les qualifient ? Quelle est leur portée sur l’avenir agro-écologique de notre monde ? Et quel est l’engagement du Maroc vis-à-vis des SIPAMs ?

Que ce soit le système agropastoral des communautés Maasai en Tanzanie, celui de Chinampas dans la ville de Mexico en passant par les Rizières en terrasse d'Ifugao aux Philippines, les SIPAM se distinguent par leurs paysages remarquables, par leurs sociétés humaines admirables dont les pratiques de gestion des ressources naturelles témoignent de siècles d’expérience, de savoir-faire et de connaissances, et dont la biodiversité actuelle atteste de la relation en symbiose entre ces communautés et l’écosystème dans lequel elles évoluent.

En effet, ces systèmes agricoles en obtenant l’accréditation de SIPAM à savoir, de « Systèmes Ingénieux du Patrimoine Agricole Mondial », bénéficient alors d’avantages tels que la reconnaissance nationale et internationale en tant que systèmes à préserver. Elle leur permet également de se faire connaître du grand public et de pousser à la sensibilisation quant aux enjeux qu’ils représentent.

Les enjeux que rencontrent ces sites particuliers sont liés aux défis majeurs de ce siècle et des siècles à venir, à savoir les obstacles inhérents aux changements climatiques. La mondialisation, l’urbanisation, les changements politiques, économiques et sociaux viennent également s’ajouter à l’équation.

À l’instar de tout autre projet porté par la FAO à travers le monde, le projet de préservation des SIPAM est le reflet des valeurs et objectifs animant l’organisation. À cet égard, les objectifs à long terme consistent entre autres à garantir la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance de ces communautés locales grâce à la promotion d’engagements et d’actions durables, innovantes et inclusives tout en assurant la protection de la biodiversité et des ressources naturelles.

Afin d’aspirer au titre de SIPAM, différents critères d’éligibilité sont à prendre en considération. Les systèmes potentiels doivent tout d’abord abriter une biodiversité caractéristique et hautement adaptée aux conditions locales. Ils doivent disposer d’un système agraire qui confirme la capacité des communautés locales à s’adapter aux contraintes de leur environnement. Les savoir-faire agricoles acquis sur des générations démontrent alors une maitrise de la gestion de l’eau, des terres et du paysage. Ils sont également la demeure de communautés locales dont les valeurs culturelles sont ancrées dans la vie quotidienne et qui témoignent d’une organisation sociale bien aguerrie. En bref, ils sont la marque de systèmes agricoles résilients et représentent des puits d’inspiration pour répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain. Ces critères de qualification non exhaustifs sont évalués par un comité scientifique d’experts.

Au Maroc, les oasis ont été définies comme territoire prioritaire à protéger. La FAO a ainsi permis l’obtention d’une accréditation SIPAM de deux sites (Imilchil et Ait Mansour) par le biais d’un soutien constant et d’un projet d’accompagnement visant à soutenir dans ces oasis ciblées, un environnement propice au développement durable.  Le dossier de plaidoyer d’une autre oasis Figuig a été présenté et l’instruction du dossier d’Akka-Tata a été lancée. 

Pour comprendre comment le Maroc s’engage dans ces politiques de développement durable qui visent à protéger non seulement les écosystèmes fragiles, plus particulièrement les montagnes et les oasis, mais également à assurer un développement au profit des populations qui vivent en harmonie avec ces écosystèmes, et dans quelle mesure ces SIPAMs sont  bénéfiques au modèle Marocain, nous avons interviewé M. Mohammed Bachri, Directeur de la Stratégie et de Partenariats au sein de l’ANDZOA (Agence Nationale Pour le Développement des Zones Oasiennes et de l'Arganier) qui nous apporte des éléments de réponse à ces questions.

 

M. Bachri, en tant que spécialiste, en quoi selon vous le Maroc possède t-il un potentiel SIPAM important ? Et quelle est la relation entre SIPAM et développement durable ?

 

Au Maroc, l’agriculture a toujours occupé une place majeure dans l’économie du pays. Cette agriculture présente un caractère patrimonial, c’est-à-dire que les pratiques et techniques développées au fil du temps ont un ancrage historique qui pourrait se hisser au rang de label patrimonial. La question qui se pose de nos jours est de savoir comment accompagner ce patrimoine vers un développement durable.

À mon sens, le SIPAM apporte un élément de réponse pertinent pour appréhender le développement dans ces zones là.

Nous avons observé un retour, ces dernières années, vers une agriculture plus diversifiée, traditionnelle et surtout, moins intensive. Ceci fait écho à des années d’acharnement visant à obtenir des cultures sur de grandes étendues par le biais de technologies de pointe. Ces cultures intensives ont révélé leurs limites au vu des dégâts écologiques occasionnés dont l’épuisement des ressources naturelles, et plus particulièrement des sols, qui nécessitent des siècles pour se reconstituer.

Le retour vers une agriculture alimentée de bonnes pratiques et techniques traditionnelles permet de préserver ces espaces en leur procurant une force de résilience dans un contexte de changement climatique. C’est en ce sens que les projets liés aux SIPAM sont nécessaires.

 

Quel est le positionnement des SIPAM dans les stratégies de développement agricoles, notamment le Plan Maroc Vert et Generation Green ?

 

Comparés au SIPAM, le plan Maroc Vert et Generation Green prennent en considération certains aspects mentionnés précédemment. 

Le Plan Maroc Vert se focalise surtout sur la mise en place d’une agriculture à la fois solidaire et performante adaptée aux règles du marché qui vise à réduire la pauvreté dans les zones rurales en protégeant les exploitants les plus fragiles.

Quant à Generation Green, son objectifest de lutter pour une agriculture plus résiliente, qui puisse se différencier de par sa capacité à s’adapter aux aléas climatiques.

Dans sa politique de renforcement de l’agriculture solidaire, Generation Green envisage une offre renforcée de projets dans les montagnes et les oasis où certains paysages agri-culturels constituent des sites SIPAM. Dans ces zones là, il est prévu une valorisation en fonction du potentiel agricole ainsi que le développement de projets intégrés connexes tels que l’agrotourisme. C’est là l’opportunité de la promotion et du développement de l’approche SIPAM.

 

Pour quelle raison le Maroc est-il un patrimoine important à protéger ?

 

Le Maroc est un pays exposé de manière remarquable au changement climatique. Nous l’observons notamment au niveau pluviométrique. La rareté récurrente des pluies constatée ces dernières années en parallèle avec des températures extrêmement hautes nous amène, en tant qu’acteurs de développement, à chercher les meilleures pratiques pour assurer une rentabilité économique dans ces zones rurales fragilisées.  Cela permettrait de protéger de la pression économique et de la modernisation tant les sites en eux-mêmes que les populations qui y vivent. 

Pour toutes ces raisons, un certain nombre de spécialistes et moi-même, sommes en train de plaider pour que le SIPAM devienne une approche nationale dans le cadre du développement de ces secteurs, et ce, en les inscrivant dans un cadre qui leur assure une résilience face au climat et une préservation de leur biodiversité.

 

Quel effet a eu l’accréditation SIPAM des deux sites depuis leur reconnaissance ? Ya t-il eu un changement ou développement notoire ? 

 

À ce jour, deux sites ont reçu l’accréditation SIPAM au Maroc. Les sites d’Ait Mansour et d’Imilchil ont en effet depuis bénéficié d’un intérêt particulier et de tout un programme de développement pour les années à venir. Deux autres sites sont à l’étude pour une potentielle accréditation : les sites d’Ait Souab et de Figuig.

Concernant Ait Souab, il y a une volonté d’y développer des activités para-agricoles, et touristiques entre autres qui seraient vitales pour soulager les pressions sur les ressources naturelles (sols, eau…). Ce sont des activités encadrées par l’approche SIPAM afin de protéger et valoriser ces zones. Le site se situe dans la zone de l’arganier. Ce dernier a connu une dynamique très importante ces dernières années de par sa renommée internationale. Cependant, la pratique agricole seule, ne saurait permettre de subvenir aux besoins de la population qui s’est mise d’ores et déjà dans une optique d’exode rural.

Nous sommes en train d’œuvrer afin d’augmenter l’attractivité de cette région afin d’y créer plus de richesses et de protéger les populations qui y vivent. 

De même, le site de Figuig est une petite oasis qui a de nombreuses spécificités. Historiquement très riche, c’était un point de passage entre le Maghreb et l’Afrique et entre l’est et l’ouest de l’Afrique du nord. C’était également un point de passage obligé des caravanes. Une variété très caractéristique de dattes y est produite.

 

Quelle stratégie doit viser le Maroc afin d’accélérer le processus de mise en place d’un système d’accréditation national ? Et quels obstacles notoires pourrait-on rencontrer dans cette entreprise ?

 

Nous sommes désormais nombreux à être convaincus par l’approche SIPAM et il serait d’autant plus utile et efficace de pouvoir instaurer un système national d’accréditation, autrement dit un « SIPAM Marocain ». Nous sommes en train de travailler sur la possibilité de mettre en place ce dernier qui permettrait d’intégrer toutes les approches de développement dans ces périmètres traditionnels selon un plan d’action orienté vers la démarche SIPAM mais se basant sur des caractéristiques marocaines.

Pour ma part, je ne considère pas qu’il y ait d’obstacles dans la mise en place d’un tel système au niveau national.

Il y a plusieurs options qui pourraient être envisagées. De prime abord, une campagne de sensibilisation serait indispensable.

Par la suite, peut-être devrions nous envisager d’œuvrer à travers une ONG, ou de mettre en place une association. Un tel système pourrait également être érigé au sein d’instances de développement durable.  Afin de prendre exemple sur des pays ayant avec succès mis en place un système d’accréditation national, nous avons également convenu qu’une mission en Chine par exemple, pourrait être enrichissante. Et enfin, il serait essentiel de commencer par une étude de terrain afin de décider quel modèle préconiser pour notre pays.

Nous pourrons un jour, peut-être très prochainement, dire qu’au Maroc, nous avons en place un système qui permet d’instaurer un certain nombre de garde-fous permettant d’assurer le développement et la pérennité de ces sites grâce à une politique de développement intégré.

 

Les communautés locales de tous ces sites à travers le monde ont œuvré durant des siècles et ont appris à vivre avec le monde qui les entoure, en symbiose avec leur écosystème. Ces cultures riches reflètent l’évolution de l’humanité et ses capacités d’adaptation inépuisables. Elles ont dès lors acquis des connaissances remarquables qui se sont diversifiées et approfondies au fil des générations.  

Ainsi, préserver ces systèmes agricoles est crucial, tant pour les paysages et les agroécosystèmes exceptionnels qu’ils constituent, que pour les communautés locales et le patrimoine immatériel dont elles assurent la survie. Les SIPAMs ne sont pas que des témoignages du passé mais représentent des systèmes vivants dynamiques et des trésors de solutions pour demain. Il est donc capital de les sauver.

En savoir plus sur le programme SIPAM.