Trouver des solutions aux conflits transfrontières dans la région de Karamoja en Afrique de l’Est


Par Cyril Ferrand, Responsable de l’équipe de résilience du Bureau sous-régional de la FAO pour l’Afrique orientale.

Un groupe de jeunes garçons écoute les orateurs dénoncer une récente flambée de violence survenue à la suite d’un raid meurtrier sur le bétail, qui avait ébranlé le Karamoja après des années de calme relatif. ©FAO/Ariel Sophia Bardi

23/03/2021

Nairobi, le 29 mars 2021 – Dans la zone du Grand Karamoja, où se concentrent les frontières qui séparent l’Éthiopie, le Kenya, le Soudan du Sud et l’Ouganda, le pastoralisme est le moyen de subsistance principal. Les groupes d’éleveurs pastoraux ont toujours entretenu des liens d’interdépendance et pratiqué les échanges symbiotiques de connaissances et de ressources à travers les frontières.

Mais les sécheresses fréquentes et persistantes entraînées par le changement climatique ont aggravé les tensions et les litiges intercommunaux ayant les ressources naturelles pour objet, d’où la difficulté pour les pasteurs de conduire leurs troupeaux au-delà du territoire de leur communauté. L’insécurité alimentaire qui en a résulté a été aggravée par la survenue de maladies animales transfrontières et l’éruption de conflits internes et de conflits transfrontières.

Depuis 2008, la FAO et ses partenaires s’emploient, avec les communautés et les institutions nationales et régionales, à mettre en place un partage durable des ressources naturelles transfrontières et une coordination des mouvements des troupeaux, celle-ci s’accompagnant des services auxiliaires que sont les campagnes de vaccination et les bilans de santé.

Notre travail a encouragé le retour en grâce des institutions pastorales traditionnelles et la reprise des usages de la coutume. Les résultats obtenus sont une augmentation de la résilience d’un bon rapport coût-efficacité dans les communautés pastorales, une transformation sociale durable, la prévention et l’atténuation des conflits, le renforcement des moyens de subsistance et, au bout du compte, l’établissement de conditions propices à la paix et la stabilité.

L’amélioration du partage des ressources aide à renforcer la paix et la sécurité alimentaire. ©FAO/Ariel Sophia Bardi.

Trouver une solution pérenne

La FAO a reconnu dans les usages traditionnels des populations locales l’exploitation de la mobilité comme instrument de gestion des ressources naturelles que sont la terre et l’eau, mais pour en constater l’effondrement. Partant de ce constat, l’équipe a conçu une approche centrée sur les populations et reposant sur la négociation.

La FAO et ses partenaires ont commencé par identifier les institutions traditionnelles et les acteurs du territoire, en analysant les fonctions et attributions des autorités locales et en caractérisant les déséquilibres dans les rapports de force.

L’utilisation des pâturages et de l’eau par le bétail a fait alors l’objet d’une négociation et d’une coordination entre les différents groupes, confiées à des médiateurs impartiaux; les informations ont été communiquées à tous les usagers et les décisions actées par des cartes et des accords écrits. 

Les atouts de ce projet, qui rendent compte de sa réussite, ont été la réduction communautaire des risques de catastrophe, la gestion participative des ressources naturelles, les auxiliaires vétérinaires des communautés et les écoles pratiques d’élevage pastoral ou «écoles sans murs». L’équipe préconise aussi que des programmes tenant compte des situations de conflit soient intégrés dans les futures transpositions du projet.

Le facteur de réussite principal est la prise en main conjointe du processus par les acteurs à tous les niveaux: local, national et régional.

Une réunion de paix communautaire dans le district de Karamoja (Ouganda). «Nous devons maintenir ces pourparlers de paix et ne pas refaire parler les armes», a déclaré un des participants. ©FAO/Ariel Sophia Bardi

Répercussions durables

La résorption des conflits frontaliers ainsi obtenue a permis aux commerçants de franchir la frontière entre le Kenya et l’Ouganda plus fréquemment et en toute sécurité. Cela s’est traduit par une intensification du commerce transfrontière de bétail, de céréales et d’autres produits de base.

Les accords de partage des ressources naturelles ont élargi les possibilités de pâture et atténué la vulnérabilité des moyens de subsistance face aux épisodes de sécheresse. La santé du bétail et celle des personnes se sont améliorées.

Les liens entre communautés et collectivités territoriales se sont renforcés, ce qui a permis d’intégrer plus facilement les plans communautaires dans la planification des collectivités territoriales, améliorant ainsi la résilience et la préparation aux catastrophes au plan local.

Une plateforme de dialogue a été adoptée et est entretenue: les communautés y soumettent leurs litiges à médiation, concluent des accords de paix et formulent des principes communs en matière de pâture destinés à éviter tous conflits futurs. Les travaux effectués par la FAO et l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) sur les mouvements transfrontières entre le Kenya et l’Ouganda ont permis aux éleveurs du Turkana au Kenya d’échapper à la sécheresse de 2017 en se rendant en Ouganda pour accéder aux pâturages sans provoquer de conflits avec les Karamojong locaux. Depuis lors, les gouvernements du Soudan du Sud et d’Éthiopie ont tous deux rallié l’accord, et les quatre pays ont signé en juillet 2019 un protocole d’accord portant sur des mesures sanitaires transfrontières relatives à la santé animale dans la zone du Grand Karamoja.

Transposition en d’autres lieux

La FAO recommande d’ancrer toute intervention dans les stratégies et politiques régionales et nationales en collaborant avec des institutions régionales fortes et efficaces, comme l’IGAD.

La condition requise la plus importante pour diffuser et étendre la pratique du partage transfrontière des ressources est d’ordre politique: la conclusion fructueuse d’accords de partage transfrontière des ressources réclame une volonté politique inscrite dans le long terme. Il est donc essentiel d’impliquer les institutions idoines (locales, nationales et, autant que faire se peut, régionales), qui possèdent le poids politique et la faculté de fédérer nécessaires.


Liens utiles

Lire la fiche du projet (en anglais): http://www.fao.org/3/ca7178en/ca7178en.pdf.

Voir des photos du projet:  https://tinyurl.com/ykcve6fu et https://tinyurl.com/3n8dkns7.

Ce projet figurait parmi les usages à propager à l’Expo 2020 Dubai Global Best Practice Programme

Podcast: Des guerriers sur le chemin de la paix  

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