«La faillite de l’agriculture en Afghanistan risquerait de conduire à une catastrophe»

Richard Trenchard, Représentant de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture à Kaboul, préconise que des mesures soient prises de toute urgence pour éviter une crise humanitaire

©FAO/Farshad Usyan

Distribution d'aliments pour animaux par la FAO à Kandahar, Afghanistan.

©FAO/Farshad Usyan

11/11/2021
Kaboul – M. Richard Trenchard, Représentant de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture en Afghanistan, alerte au sujet des conséquences dévastatrices de l’aggravation de la sécheresse et des récents bouleversements économiques pour le pays, où 19 millions de personnes souffrent aujourd’hui d’insécurité alimentaire aiguë. Il demande à la communauté internationale de prendre d’urgence des mesures pour éviter une catastrophe.

Quelle est la gravité de la situation humanitaire en Afghanistan?

Comme tous les hommes, femmes et enfants afghans le savent, le pays traverse une crise humanitaire d’une ampleur et d’un rythme sans précédents. Aujourd’hui, d’après les prévisions, 18,8 millions de personnes dans le pays souffrent d’insécurité alimentaire aiguë et connaissent donc la faim au quotidien. Cela représente une augmentation spectaculaire par rapport à la situation d’il y a à peine six mois.  

Le plus inquiétant est que le pire reste à venir. Ce chiffre devrait augmenter d’ici à la fin de l’année, pour atteindre 22,8 millions de personnes. Nous ne devons pas oublier que, derrière chaque numéro, il y a une personne – un homme, une femme ou un enfant –, qui souffre d’insécurité alimentaire aiguë, et donc de la faim au quotidien. 

Pourquoi la crise a-t-elle empiré ces derniers mois?

Ce qui n’était encore au début de l’année, ou même à la fin de l’année dernière, qu’une crise liée à la sécheresse s’est transformé ces derniers mois en un phénomène bien plus vaste et plus complexe, une crise nationale alimentée par l’implosion économique et la suspension de l’aide internationale au développement, essentielle depuis de nombreuses années à la fourniture de services de base tels que les soins de santé primaires. Le manque de dispositifs de protection sociale se fait de plus en plus sentir à mesure que la crise empire. 

Les agriculteurs, propriétaires de bétail et éleveurs afghans ont toujours joué un rôle absolument essentiel en parvenant à sauver le pays de la catastrophe, et le pays pourra compter sur eux une fois encore. Rappelons-nous que 70 pour cent de la population afghane vit en milieu rural. L’agriculture contribue considérablement au PIB du pays et représente 25 pour cent de celui-ci, et environ 80 pour cent de tous les moyens de subsistance dépendent directement ou indirectement du secteur. C’est pourquoi les conséquences de la sécheresse sont si destructrices, et l’agriculture si essentielle.

Que pouvons-nous faire pour protéger le secteur critique qu’est l’agriculture et pourquoi est ce si important? 

Les moyens de subsistance de la population afghane et l’économie du pays reposent essentiellement sur l’agriculture. Le secteur agricole, et notamment l’élevage, sera essentiel pour sauver l’Afghanistan de la catastrophe. Si les agriculteurs ne peuvent plus cultiver de plantes et que les propriétaires de bétail voient leurs troupeaux mourir ou sont contraints de les vendre, ils se retrouveront privés de moyens de subsistance. Ils quitteront les zones rurales et n’auront d’autre choix que de migrer vers les centres urbains ou ailleurs, ce qui aura pour effet d’aggraver la crise et de réduire encore davantage la production nationale de nourriture alors que les besoins augmentent. Il sera beaucoup plus difficile pour eux et pour l’Afghanistan d’éviter la catastrophe.  

C’est pourquoi l’aide humanitaire d’urgence est si importante aujourd’hui pour aider les agriculteurs, les propriétaires de bétail et les éleveurs afghans. En plus du travail extrêmement important qu’accomplit d’ores et déjà la FAO pour sauver des vies, en collaboration avec le Programme alimentaire mondial et d’autres partenaires humanitaires des Nations Unies, nous devons veiller à ce qu’une aide humanitaire continue à être apportée pour protéger les moyens de subsistance agricoles essentiels dans les zones rurales. Les agriculteurs et propriétaires de bétail afghans en sont conscients. Nous en sommes conscients.

Si l’agriculture s’effondre, nous courons à la catastrophe. 

Fait alarmant, la sécheresse que connaît l’Afghanistan depuis la fin de l’année 2020 devrait se poursuivre l’année prochaine et a déjà eu des conséquences dramatiques dans 25 provinces sur les 34 que compte d’Afghanistan.
Il est absolument essentiel que les ménages ruraux, les agriculteurs et les propriétaires de bétail afghans, qui représentent une part très importante de la population, soient en mesure de continuer à pratiquer l’agriculture, à produire de la nourriture et à maintenir leurs troupeaux en vie.  

La FAO distribue actuellement des semences de blé dans 30 provinces, mais fournir ces semences à 1,3 million de personnes cet hiver relève de la course contre la montre et les besoins d’aide humanitaire continueront à augmenter. L’importante intervention humanitaire qu’il faudra mettre en œuvre dans les prochains mois a pour objectif de sauver des vies et de protéger des moyens de subsistance essentiels. Si les moyens de subsistance ruraux périclitent, le pays risque de péricliter de même.

Si l’agriculture est paralysée, les disponibilités alimentaires nationales et les revenus s’amenuiseront de plus en plus, et nous ferons inévitablement face à une augmentation rapide des migrations. Rappelons-nous également que l’hiver est essentiel, pour la neige et l’eau qu’il apporte, et pour les conditions auxquelles les populations devront faire face. 

Quelle est la gravité des conditions météorologiques actuelles pour les agriculteurs, les éleveurs et leurs familles?

L’hiver précoce et la sécheresse continue représentent un enjeu de taille pour les agriculteurs, les éleveurs et beaucoup d’autres personnes en Afghanistan, y compris les personnes déplacées, mais ils posent également des difficultés aux organisations humanitaires comme la nôtre. De nombreuses régions du pays vont devenir inaccessibles dans les semaines ou les mois à venir au fur et à mesure que l’hiver progresse, et la situation sera de plus en plus difficile pour les personnes déjà touchées par la crise.

La campagne d’emblavage du blé d’hiver touche maintenant à sa fin. Or le blé constitue la base des moyens de subsistance ruraux dans des pans entiers de l’Afghanistan. Nous distribuons des kits pour la culture du blé contenant des semences locales de qualité, des engrais et des formations. Cette campagne bénéficiera à 1,3 million de personnes, qui pourront maintenir leurs moyens de subsistance dans 30 des 34 provinces du pays dans les semaines à venir. Elle contribuera à réduire les besoins d’aide alimentaire, y compris dans les zones difficiles d’accès. 

Que doit-on faire pour renverser la situation?

Il faut augmenter considérablement l’aide humanitaire dans l’ensemble du pays, à grande échelle et dès maintenant. Nous risquons réellement la catastrophe, faute d’une intensification substantielle de l’aide humanitaire dans les semaines et les mois à venir et l’année prochaine. Pour des millions d’hommes, de femmes et d’enfants afghans, il n’existe pas de «plan B».

Grâce à la générosité d’un certain nombre de donateurs, la FAO a aujourd’hui besoin de 11,4 millions de dollars des États-Unis (USD) avant la fin de l’année, mais il est évident que les besoins humanitaires pour l’année prochaine seront nettement supérieurs à ceux de ces dernières années. Pour faire face à l’aggravation de la sécheresse, la FAO aura besoin de 200 millions d’USD supplémentaires pour 2022. 

Il faut également remédier à l’implosion économique. Le pays traverse une crise des liquidités de grande ampleur qui pousse le système bancaire au bord de la paralysie et a des répercussions majeures sur le marché et le commerce national. Non seulement cette situation alimente la crise, mais elle nuit également à l’intervention humanitaire. 

En définitive, nous devons trouver des moyens de mobiliser dans de grandes proportions l’aide internationale au développement, qui a été si importante ces dernières années pour fournir des services de base dans les secteurs de l’agriculture, de la santé et de l’éducation, et dans tous les autres secteurs. Ces moyens doivent être mobilisés dans les mois à venir et l’année prochaine.

Les talibans empêchent-ils l’aide de parvenir aux personnes qui en ont besoin?

Personne en Afghanistan n’ignore que le pays aura besoin d’une aide humanitaire importante dans les semaines et les mois à venir, particulièrement à l’approche de l’hiver. 

Beaucoup d’organisations humanitaires, dont la FAO, opèrent dans des zones contrôlées par les talibans depuis des années. Le besoin d’indépendance sur le plan opérationnel et d’une aide axée sur les besoins, ainsi que les principes humanitaires de neutralité, d’impartialité, d’indépendance et d’humanité, sont bien connus, compris et respectés, en Afghanistan comme dans tous les autres pays où des interventions humanitaires sont en cours.

Depuis plusieurs années, y compris au début de l’année, l’accès matériel à beaucoup de régions était un problème majeur en raison de l’insécurité. Les conflits et d’autres problèmes d’accès nous empêchaient de fournir une aide humanitaire à un grand nombre de personnes qui en avaient besoin. Cependant, l’accès s’est nettement amélioré ces derniers mois. Nous pouvons atteindre toutes les provinces afghanes ainsi que la plupart des districts de ces provinces, ce qui n’était pas le cas il y a quelques mois. Cependant, les difficultés d’accès ont été remplacées par des problèmes liés à l’implosion économique.

C’est en effet à cause de l’implosion économique, conjuguée à la longue sécheresse, que la crise s’est considérablement aggravée ces derniers mois et qu’elle touche de plus en plus les villes. La situation économique a également rendu notre intervention humanitaire plus difficile, mais pas impossible.  

Comme tous les partenaires humanitaires, nous avons continué à travailler d’arrache-pied afin de trouver des solutions à ces nouveaux problèmes, et nous avons continué à fournir une aide humanitaire vitale au fur et à mesure de l’évolution de la crise. La FAO a aidé 350 000 personnes entre août et octobre et, rien qu’en novembre, nous devrions fournir une aide humanitaire pour protéger les moyens de subsistance essentiels de plus d’un million d’agriculteurs. Nous distribuons actuellement des quantités considérables de semences de blé, d’aliments concentrés pour le bétail et d’autres intrants essentiels, mais il reste encore beaucoup à faire.
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