Les conflits, les phénomènes météorologiques extrêmes, les chocs économiques, les effets de la covid-19 qui s’éternisent et les répercussions de la guerre en Ukraine précipitent des millions de personnes de nombreux pays à travers le monde dans la pauvreté et la faim, tandis que la flambée des prix des aliments et du carburant déstabilise les États, alerte un nouveau rapport sur les foyers de famine
Coucher du soleil à la communauté nomade Kuchi, région de Dagi, Kandahar, Afghanistan
©FAO/Richard Trenchard
Communiqué de presse conjoint FAO-PAM
Rome – L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l'agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM) ont publié aujourd’hui une mise en garde inquiétante sur les nombreuses crises alimentaires à venir, attisées par les conflits, les changements climatiques brusques, les conséquences de la pandémie de covid‑19 et le poids accablant des dettes publiques, et aggravées par les répercussions de la guerre en Ukraine, qui a précipité la hausse des prix des denrées alimentaires et du carburant dans le monde entier. Ces perturbations sont intervenues dans des pays déjà caractérisés par la marginalisation rurale et des systèmes agroalimentaires fragiles.
Les auteurs du rapport publié aujourd'hui sous le titre Hunger Hotspots – FAO-WFP early warnings on acute food insecurity appellent à mettre en place une action humanitaire d’urgence dans 20 «foyers de famine» (dans lesquels le nombre de personnes souffrant de faim aiguë devrait augmenter entre juin et septembre 2022) afin de sauver des vies, de protéger les moyens de subsistance et de prévenir la famine.
D’après le rapport, la guerre en Ukraine a accéléré l’envolée des prix des aliments et de l’énergie, qui pèse d’ores et déjà sur la stabilité économique de toutes les régions du monde. Les effets risquent d’être particulièrement prononcés là où l’instabilité économique et la flambée des prix coïncident avec des baisses de la production alimentaire, dues à des changements climatiques brusques, notamment des sécheresses ou des crues chroniques.
«Nous sommes très inquiets des incidences conjuguées de ces crises qui se chevauchent et menacent la capacité des populations à produire de la nourriture et à s’en procurer, plongeant des millions de personnes supplémentaires dans une situation extrême d’insécurité alimentaire aiguë», a déclaré M. Qu Dongyu, Directeur général de la FAO. «Dans les pays les plus touchés, nous sommes engagés dans une course contre la montre pour aider les agriculteurs, notamment en augmentant rapidement le potentiel de production d'aliments et en renforçant la résilience face aux défis à relever».
«Nous sommes confrontés à un déchaînement d’éléments, qui ne nuiront pas uniquement aux pauvres: ils s’abattront sur des millions de familles qui, jusqu’ici, arrivaient tout juste à garder la tête hors de l’eau», a alerté le Directeur exécutif du PAM, M. David Beasley.
«Les conditions qui dominent à l’heure actuelle sont bien pires que celles que nous avons connues au cours du printemps arabe de 2011 et de la crise des prix des denrées alimentaires en 2007-2008, lorsque 48 pays avaient été déstabilisés par des troubles politiques, des émeutes et des manifestations. Nous voyons déjà ce qui est en train de se produire en Indonésie, au Pakistan, au Pérou et au Sri Lanka, et ce n’est que le sommet de l’iceberg. Nous avons des solutions. Mais nous devons agir, et vite», a-t-il averti.
Principales constatations
Le rapport indique que, outre les conflits, les chocs climatiques fréquents et récurrents ne cessent d’aggraver la faim aiguë; nous nous trouvons désormais dans une nouvelle normalité dans laquelle les sécheresses, les crues, les ouragans et les cyclones ne cessent de décimer les exploitations agricoles et les élevages, entraînent des déplacements de population et poussent à bout des millions de personnes dans les pays du monde entier.
Le rapport alerte aussi sur les phénomènes climatiques inquiétants liés à La Niña, constatés depuis fin 2020, qui devraient se poursuivre tout au long de 2022, attisant les besoins humanitaires et la faim aiguë. En raison d’une sécheresse d’ampleur inédite en Afrique de l’Est, qui touche la Somalie, l’Éthiopie et le Kenya, la saison des pluies est marquée par des précipitations inférieures à la moyenne pour la quatrième année consécutive, tandis que le Soudan du Sud devra faire face à d’importantes inondations pour la quatrième année de suite, ce qui accentuera probablement la fuite des habitants et provoquera la destruction des cultures et des élevages. D’après le rapport, il faut s’attendre à des précipitations supérieures à la moyenne et à un risque de crue localisée dans le Sahel, à une saison des ouragans plus intense que d'ordinaire dans les Caraïbes et à des précipitations inférieures à la moyenne en Afghanistan, pays déjà ébranlé par plusieurs saisons de sécheresse, par la violence et par des bouleversements politiques.
Les auteurs du rapport soulignent également l’urgence de la situation macroéconomique désastreuse dans plusieurs pays, conséquence de la pandémie de covid-19, qui a été intensifiée par les troubles que traversent actuellement les marchés mondiaux des produits alimentaires et de l’énergie. Cette situation engendre des pertes de revenus catastrophiques au sein des communautés les plus pauvres et met à rude épreuve la capacité des gouvernements à financer des dispositifs de protection sociale, des mesures de soutien aux revenus et l’importation de marchandises essentielles.
Toujours selon le rapport, l’Éthiopie, le Nigéria, le Soudan du Sud et le Yémen, foyers de famine dont la situation est catastrophique, restent au «plus haut niveau d’alerte» et deux nouveaux pays, l’Afghanistan et la Somalie, sont venus s’ajouter à cette catégorie préoccupante depuis la publication du dernier rapport, en janvier 2022. Dans ces six pays, une partie de la population se trouve dans la phase 5 du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), «catastrophe», ou risque de se retrouver dans une situation catastrophique; jusqu’à 750 000 personnes pourraient souffrir d’inanition et mourir. Parmi elles, 400 000 sont dans la région du Tigré, en Éthiopie – c’est la première fois, depuis la famine de 2011 en Somalie, qu’on fait état d'un tel chiffre dans un seul pays.
La situation à Haïti, en République démocratique du Congo, au Sahel, au Soudan et en Syrie reste «très préoccupante», marquée par une dégradation des éléments critiques, comme le signalait la précédente édition de ce rapport, et le Kenya fait son entrée dans cette catégorie. Le Sri Lanka, les pays du littoral ouest-africain (Bénin, Cabo Verde et Guinée), l’Ukraine et le Zimbabwe ont été ajoutés à la liste des pays considérés comme des foyers de famine, rejoignant l’Angola, le Liban, Madagascar et le Mozambique, d’après le rapport.
Éviter les catastrophes en amplifiant l’action anticipée
Dans le rapport figurent des recommandations concrètes et propres à chaque pays sur les priorités à prendre en compte dans le cadre d’interventions humanitaires immédiates afin de sauver des vies, d’éviter la famine et de protéger les moyens de subsistance, ainsi que des mesures préventives. L’engagement pris récemment par le G7 a révélé à quel point il importe de renforcer l’action anticipée dans l’aide humanitaire et l’assistance au développement, car elle permet d’éviter que les dangers prévisibles deviennent des catastrophes humanitaires de grande ampleur.
La FAO et le PAM se sont associés pour intensifier l’étendue et la portée des mesures d’anticipation, dans le but d’assurer la survie et la sécurité alimentaire des populations et de protéger leurs moyens de subsistance avant qu’elles aient besoin d'une aide vitale, soit dans le moment charnière entre une alerte et un choc. Grâce à des financements humanitaires flexibles, la FAO et le PAM peuvent anticiper les besoins humanitaires et sauver des vies. Des données montrent que chaque USD investi dans une mesure préventive pour protéger les personnes et les moyens de subsistance peut permettre d’économiser jusqu’à 7 USD, puisqu’il réduit les pertes subies par les communautés touchées par une catastrophe.
À propos du rapport
Recensés à l’aide d'une analyse prospective, les «foyers de famine» sont des lieux qui ont de fortes chances de voir l’insécurité alimentaire aiguë augmenter durant la période visée dans le rapport. Ces foyers sont sélectionnés à l’issue d’un processus fondé sur le consensus auquel participent les équipes de terrain et les équipes techniques du PAM et de la FAO, ainsi que des analystes spécialisés dans les conflits, les risques économiques et les risques naturels.
Dans le rapport figurent des recommandations concrètes et propres à chaque pays sur les priorités à prendre en compte dans le cadre de l’action anticipée (interventions protectrices à court terme à mettre en œuvre avant la matérialisation des nouveaux besoins humanitaires) et des interventions d’urgence (mesures visant à répondre aux besoins humanitaires existants). Le rapport s’inscrit dans une série de produits d’analyse établis sous l’égide du Réseau mondial contre les crises alimentaires afin de renforcer et de coordonner la production et la diffusion d’informations et d’analyses factuelles visant à prévenir les crises alimentaires et à lutter contre ce phénomène.
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