La 16e session de la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (COP16) reprend à Rome: quels sont les enjeux?

Entretien avec M. Kaveh Zahedi, Directeur du Bureau du changement climatique, de la biodiversité et de l’environnement de la FAO

Délégués à la COP16 de l'ONU sur la biodiversité, Cali, Colombie, novembre 2024.

©UN Biodiversity

20/02/2025

Rome – Les négociations inachevées sur la biodiversité reviennent à l’ordre du jour. Après une session à Cali, en Colombie, où de nombreuses avancées ont été réalisées, les délégations se réunissent à nouveau à Rome pour achever un travail qui sera essentiel dans l’optique de l’action pour la biodiversité – la transformation des systèmes agroalimentaires apparaissant comme un élément central qui déterminera la réussite mondiale. 

La reprise de la 16e session de la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (COP16) aura lieu au siège de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), à Rome, du 25 au 27 février 2025.  

Pour la FAO, cette conférence est une occasion capitale de faire passer un message vital: la transformation de nos systèmes agroalimentaires n’est pas seulement bénéfique, elle est indispensable si l’on veut préserver la biodiversité mondiale. 

Afin d’en savoir plus à ce sujet et de comprendre les autres enjeux cruciaux de ces négociations prolongées, le service de presse de la FAO s’est entretenu avec M. Kaveh Zahedi, Directeur du Bureau du changement climatique, de la biodiversité et de l’environnement de la FAO. 

Kaveh Zahedi, Directeur du Bureau du climat, de la biodiversité et de l’environnement de la FAO. © FAO/Giuseppe Carotenuto

Pourquoi la biodiversité est-elle importante dans l’optique de la sécurité alimentaire et de la transformation des systèmes agroalimentaires?  

La biodiversité joue un rôle absolument fondamental dans la sécurité alimentaire et la transformation de nos systèmes agroalimentaires. On peut présenter la situation de la manière suivante: notre capacité à produire des aliments de façon durable et à faire en sorte que chacun ait suffisamment à manger aujourd’hui et à l’avenir dépend directement de la biodiversité. 

Les secteurs agroalimentaires, que l’on parle des cultures, de l’élevage, des forêts ou de la pêche, dépendent intrinsèquement de la biodiversité. Avant tout, rappelons que la biodiversité est la source des nombreuses espèces que nous utilisons directement pour nous procurer des aliments, du combustible et des fibres. En d’autres termes, que ce soient les différentes espèces que nous cultivons, le bétail que nous élevons, les arbres qui nous fournissent du bois ou les poissons que nous péchons, tout provient de la diversité de la vie sur Terre. 

Au-delà des espèces que nous exploitons directement, la biodiversité englobe aussi les innombrables autres espèces qui jouent un rôle essentiel, souvent invisible, dans le bon fonctionnement de nos systèmes alimentaires. De fait, ces espèces assurent des fonctions et des services écosystémiques vitaux. Prenons les pollinisateurs, par exemple: les abeilles, les papillons et d’autres insectes jouent un rôle crucial dans la reproduction de nombreuses espèces cultivées et font ainsi directement croître nos rendements. Il y a aussi les ennemis naturels des organismes nuisibles, qui contribuent à la régulation des populations et nous rendent moins dépendants à l’égard de dangereux pesticides. Sans oublier les sols en bonne santé, qui regorgent de divers micro-organismes essentiels au cycle des nutriments et à la croissance des végétaux. Même l’oxygène que nous respirons et l’eau propre que nous utilisons dans l’agriculture sont, en fin de compte, liés à la biodiversité. Et en ce qui concerne la pêche, la biodiversité offre des aliments et des habitats aux espèces de poisson que nous capturons. 

Ensuite, la diversité génétique au sein des espèces est également une composante essentielle de la biodiversité au service de la sécurité alimentaire. Cette variation génétique est ce qui permet aux espèces cultivées et au bétail de s’adapter à des environnements changeants, de résister aux maladies et d’évoluer pour satisfaire nos besoins. Il est crucial de maintenir cette diversité génétique pour bâtir des systèmes agroalimentaires résilients qui puissent surmonter les futures difficultés, notamment les effets du changement climatique et les maladies et organismes nuisibles émergents.  

Enfin, aucun de ces éléments ne fonctionne de manière indépendante. Des écosystèmes divers et en bonne santé – notamment les forêts, les mangroves, les terrains de parcours, les prairies sous-marines, les savanes et les océans – fournissent des habitats, régulent le climat et l’eau, purifient l’air et font vivre une myriade d’espèces dont notre alimentation et notre nutrition dépendent, qu’elles proviennent de l’agriculture, des forêts, de la pêche ou de l’aquaculture. 

Par nature, la biodiversité est au fondement de la productivité, de la résilience et de la durabilité de nos systèmes agroalimentaires et, de ce fait, elle est indissociable de la sécurité alimentaire à long terme. 

Quels sont les enjeux de la réunion de Rome et quel sera le rôle de la FAO?  

Au fond, il s’agit d’une occasion pour la communauté internationale de fixer le cap pour ce qui concerne la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité dans les années à venir, pas uniquement dans un contexte mondial, mais également aux niveaux national et local.  

L’objet de cette réunion est de constituer le socle financier nécessaire pour donner vie au Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal (le Cadre mondial). On parle de mobiliser 200 milliards d’USD chaque année d’ici à 2030 – la somme minimale qu’il faudrait investir pour véritablement faire changer la trajectoire de la biodiversité. Il est tout aussi essentiel d’inverser la tendance en ce qui concerne les mesures d’incitations préjudiciables, l’objectif étant de les réduire de 500 milliards d’USD chaque année. Pour le dire simplement, un tel montant représente l’ampleur des ressources nécessaires pour protéger les systèmes naturels sur lesquels toute la vie repose. 

Les pays doivent se mettre d’accord sur des composantes primordiales: la stratégie de mobilisation de ressources elle-même, les mécanismes financiers opérationnels qui permettront de diriger les fonds là où ils sont le plus nécessaire et le cadre de suivi du Cadre mondial – c’est-à-dire la boussole qui guidera nos progrès et permettra d’en rendre compte.  

Un des points essentiels des débats concerne le mécanisme financier et le rôle du Fonds pour l’environnement mondial (FEM). Alors que le Fonds du Cadre mondial de la biodiversité apparaît comme un instrument d’importance cruciale qui aidera les pays à parvenir à une utilisation durable de la biodiversité et à une agriculture durable, nous suivrons attentivement les débats afin de veiller à tirer pleinement parti de nos opérations financées par le FEM. C’est important pour la FAO, parce que l’issue des débats aura des incidences directes sur la manière dont nous pouvons aider les pays à accéder à des ressources dont ceux-ci ont grand besoin pour financer leurs efforts dans le domaine de la biodiversité. 

La biodiversité est à l'origine de nombreuses espèces que nous utilisons directement pour l'alimentation, le carburant et les fibres. ©FAO/Felipe Rodriguez

Quels aspects importants liés aux systèmes agroalimentaires n’ont pas été réglés et sont en instance dans le cadre de la reprise des négociations? 

Dans la perspective d’une mise en œuvre efficace du Cadre mondial, les pays s’emploieront à finir de mettre au point les outils qui permettront de mesurer les progrès accomplis au regard des 23 cibles, une étape cruciale pour toutes les parties à la Convention sur la diversité biologique (CDB). La FAO est profondément investie dans ces négociations et joue un rôle central en contribuant à ce cadre de suivi essentiel, car elle est responsable de plus de 25 indicateurs y figurant.  

La décision concernant le cadre de suivi, qui contient de nombreux éléments essentiels, fait encore l’objet de débats. Pour la FAO, un des éléments importants est le nouvel indicateur phare 22.1 sur les régimes fonciers et la couverture des sols qui est proposé. Il est prévu que la FAO soit l’organisation responsable de cet indicateur, qui a été conçu pour mesurer efficacement les progrès en prenant en compte le lien fondamental entre la sécurité des droits fonciers des peuples autochtones et des communautés locales et la santé des écosystèmes. 

En outre, la FAO participe à des débats sur la manière de mesurer les progrès accomplis dans la réduction des risques liés aux pesticides, une question qui relève de la cible 7 du Cadre mondial. Les pays essaient de se mettre d’accord sur le meilleur moyen de déterminer si l’on parvient bel et bien à réduire ces risques. Plusieurs idées sont sur la table, une d’entre elles consistant à mesurer la concentration des pesticides dans l’environnement, c’est-à-dire la quantité de pesticides qui terminent dans la nature. Une autre idée serait de se pencher sur la «toxicité totale appliquée agrégée», ce qui consisterait plutôt à mesurer la nocivité globale des pesticides que nous utilisons. Cette décision déterminera la manière dont la FAO pourra aider les pays à réduire les risques associés aux pesticides et à protéger la biodiversité dans le secteur agricole. 

Au-delà de ses contributions techniques, la FAO promeut des collaborations déterminantes avec d’autres conventions et organes internationaux. Pourquoi est-ce que c’est important? Parce qu’il est essentiel d’adopter une approche coordonnée de façon à intégrer les considérations de biodiversité au cœur de tous les secteurs concernés. 

Un autre débat important pour nous, à Rome, débouchera peut-être sur une invitation à élaborer un plan d’action pour l’Initiative internationale sur la biodiversité pour l’alimentation et la nutrition. Un des autres enjeux renvoie à une demande adressée aux organes directeurs des conventions portant sur les produits chimiques et les déchets, à la FAO et à d’autres acteurs, qui ont été invités à collaborer avec les secrétariats des trois Conventions de Rio et du futur instrument juridiquement contraignant consacré à la pollution par le plastique afin d’atteindre la cible 7 du Cadre mondial (Réduire la pollution en la portant à des niveaux sans danger pour la biodiversité). 

Certaines questions sont restées en suspens lors de la COP, mais il semble que de nombreuses personnes considèrent que la réunion de Cali a été une réussite. Est-ce le cas? 

La mise en avant du rôle des populations et des communautés autochtones ou l’accord sur l’information de séquençage numérique, notamment, montrent que la COP16 est déjà une réussite. En particulier parce que l’on a assisté à un engagement historique en faveur des droits et de la participation effective des populations autochtones, notamment grâce à la création d’un organe subsidiaire dédié à l’alinéa j de l’article 8 de la Convention, qui porte sur les communautés autochtones et locales, et à une décision qui reconnaît le rôle des populations d’ascendance africaine. La FAO s’est également engagée à contribuer à l’action en faveur de la conservation de la biodiversité menée par les populations autochtones, y compris au lancement de plans de restauration biocentrique au Costa Rica et au Pérou. 

Les participants à la COP16 ont en outre adopté une décision au sujet de l’information de séquençage numérique. Pour dire les choses simplement, l’information de séquençage numérique désigne l’information génétique des plantes, des animaux et des microbes stockée sous forme numérique. Si vous voulez, c’est un peu la formule de la vie, mais en code informatique. L’accord adopté à Cali portait sur la manière de mettre en service un système multilatéral de partage des avantages tirés de l’utilisation de cette information génétique numérique. Cette question est liée au Fonds de Cali, qui vise à mobiliser des ressources afin de contribuer à la conservation de la biodiversité et de rémunérer équitablement les gardiens de la biodiversité. 

On sait peut-être moins que la COP16 à Cali a été essentielle pour les gouvernements car ils ont pu y faire le point sur l’état d’avancement de l’établissement de leurs cibles nationales pour la biodiversité. Le fait que la protection de la biodiversité n’est pas dissociée des autres défis mondiaux est un des grands messages émanant de la réunion de Cali. Tout est lié: il s’agit de s’attaquer aux questions climatiques, de faire en sorte que nous ayons suffisamment d’aliments et que la nutrition soit de qualité et de bâtir des systèmes agroalimentaires solides et adaptables.  

Au cours des débats, il a été souligné que nous devions adopter des solutions communes dans différents accords internationaux et qu’il nous fallait renforcer le soutien financier et technique, en veillant à ce que tout cela soit intégré dans les plans nationaux des pays. Il est donc nécessaire d’intensifier véritablement la mise en place de solutions efficaces dans nos systèmes agroalimentaires, lesquelles passent par de bonnes politiques, de nouvelles idées et des technologies et, point important, de faire en sorte que les petits exploitants et producteurs en bénéficient dans un esprit de justice et d’inclusion et que tout le monde soit pris en compte. 

Événement de la Journée de l'alimentation à la COP16 à Cali en Colombie.

Pourriez-vous nous présenter quelques aspects importants de la participation de la FAO à la COP16 de Cali? 

Un des principaux points que nous avons souligné à Cali était l’aide technique que nous prêtons actuellement aux pays en vue de l’élaboration et de la mise en œuvre de leurs stratégies et plans d’action nationaux pour la biodiversité (ou SPANB). Ces SPANB sont vraiment importants parce qu’ils sont le moyen principal que les pays prévoient d’utiliser pour intégrer les considérations liées à la biodiversité dans leurs politiques et leurs mesures, y compris dans les secteurs de l’alimentation et de l’agriculture. Compte tenu de l’ambition et de l’envergure du Cadre mondial, il est nécessaire que les SPANB soient bien plus que de simples plans de conservation et fassent véritablement apparaître le potentiel de l’utilisation durable de la biodiversité. 

C’est le message principal que la FAO a fait passer lors de 75 manifestations qui ont eu lieu pendant la conférence. Parmi les principales manifestations, il y a par exemple eu la Journée de l’alimentation et une réunion ministérielle qui a attiré de nombreux participants et lors de laquelle, aux côté du secrétariat de la CDB et du Gouvernement de la Colombie, nous avons lancé l’initiative de soutien en faveur des stratégies et plans d’action nationaux agricoles pour la biodiversité. Cette initiative vise à aider les pays à accélérer l’intégration de la biodiversité dans leurs systèmes agroalimentaires afin d’atteindre les objectifs du Cadre mondial. Plus précisément, elle consiste à apporter une aide ciblée aux gouvernements dans le cadre des efforts qu’ils mènent pour définir et mettre en œuvre des mesures dans les systèmes agroalimentaires, le but étant qu’ils puissent remplir les engagements en matière de biodiversité inscrits dans leurs SPANB. 

Notre participation à en outre consisté à fournir des avis techniques aux délégations des pays lors des négociations proprement dites, à représenter la FAO au sein de plusieurs instances et à organiser des réunions bilatérales avec les représentants des pays et les organisations partenaires. 

Globalement, nous avons systématiquement souligné que les systèmes agroalimentaires faisaient partie intégrante du Cadre mondial et étaient directement ou indirectement liés à ses 23 cibles. La participation active des parties prenantes des systèmes agroalimentaires, y compris les producteurs, les petits exploitants, les consommateurs, les jeunes et bien d’autres, est donc cruciale si l’on veut faire du Cadre mondial une réussite. 

 

Les abeilles, les papillons et d'autres insectes jouent un rôle crucial dans la reproduction de nombreuses cultures, augmentant directement les rendements. ©FAO/Felipe Rodriguez

Que va-t-il se passer ensuite?  

En ce qui concerne le Cadre mondial, il s’agit avant tout de passer de l’accord à l’action. Alors que le cadre de suivi prend forme et que la plupart des pays ont fixé leurs cibles nationales, la véritable prochaine étape est la mise en œuvre, ce qui signifie que la FAO doit avant tout aider les pays à mettre pleinement en œuvre leurs SPANB, en totale adéquation avec les ambitions du Cadre mondial. Nous aidons déjà les pays à accéder aux ressources disponibles, notamment au Fonds de Kunming pour la biodiversité, dans le cadre duquel la FAO a récemment soutenu 23 propositions de projet. 

Comme mentionné plus haut, les systèmes agroalimentaires font partie intégrante du Cadre mondial et sont directement ou indirectement liés à ses 23 cibles. Une des priorités de la FAO consiste à s’assurer que les solutions fondées sur les systèmes agroalimentaires visant à remédier à l’appauvrissement de la biodiversité sont véritablement intégrées dans les stratégies, plans d’action et cibles nationales des pays. Il ne s’agit pas seulement de cocher des cases, il faut faire en sorte que cette intégration se traduise par une véritable évolution des politiques sur le terrain qui promeuve une agriculture respectueuse de la biodiversité. Comme indiqué précédemment, l’initiative de soutien en faveur des stratégies et plans d’action nationaux agricoles pour la biodiversité a été mise en place pour aider les pays à y parvenir.  

Si l’on élargit la perspective, le véritable défi, à présent, sera de faire en sorte que la mise en œuvre sur le terrain soit à la hauteur des ambitions. Nous avons ces formidables objectifs mondiaux, mais le plus difficile est de parvenir à les concrétiser sur le terrain et ainsi de conserver véritablement l’incroyable diversité de la vie sur Terre et les habitats dont nous dépendons tous.  

La COP15, tenue à Kunming et à Montréal, a été un moment décisif puisque les pays ont adopté d’un commun accord 23 cibles à atteindre d’ici 2030 et quatre objectifs plus larges à réaliser d’ici à 2050. Les dirigeants mondiaux sont convenus qu’il était crucial d’utiliser durablement la biodiversité, y compris dans le secteur agricole, ce qui est primordial. À Cali, il s’est agi de traduire cette ambition en plans d’action concrets, tandis qu’à Rome, nous devrons nous concentrer sur la prise de décisions qui nous feront aller de l’avant. 

Contacts

Laura Quinones [email protected]

FAO Newsroom (+39) 06 570 53625 [email protected]