Kaveh Zahedi, Directeur du Bureau du changement climatique, de la biodiversité et de l’environnement de la FAO, nous parle des solutions pour le climat fondées sur les systèmes agroalimentaires et de la participation de la FAO à la COP 28
Champ de blé tendre couché par le vent et la pluie
©FAO/Giuseppe Carotenuto
Rome – Alors que le monde se prépare pour la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques 2023, ou COP 28, l’attention, en cette année de températures étouffantes et de phénomènes météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents, se tourne vers les solutions innovantes face à la crise climatique.
Les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) l’ont déclaré plut tôt cette année: les solutions efficaces pour atténuer le changement climatique et s’adapter à ses effets résident dans un développement climato-résilient et des mesures globales, notamment dans les secteurs de l’alimentation et de l’agriculture.
Les systèmes agroalimentaires contribuent à un tiers des émissions de gaz à effet de serre, mais recèlent également un énorme potentiel d’action en faveur du climat. Le grand défi est de trouver les moyens de nourrir une population en expansion tout en réduisant l’empreinte carbone et l’impact environnemental.
La COP 28 rassemblera des dirigeants représentant des États, des entreprises, des ONG et des entités de la société civile, qui s’attacheront à élaborer ensemble des solutions concrètes, et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) jouera dans ce cadre un rôle de premier plan.
En amont de cette rencontre internationale, nous nous sommes entretenus avec Kaveh Zahedi, Directeur du Bureau du changement climatique, de la biodiversité et de l’environnement de la FAO (OCB), qui nous a exposé dans leurs grandes lignes certains des messages les plus importants qui seront portés par l’Organisation durant cette COP, la première à avoir une journée consacrée à l’alimentation, à l’agriculture et à l’eau.
Kaveh Zahedi, Directeur du Bureau du changement climatique, de la biodiversité et de l’environnement de la FAO (OCB).
Les solutions axées sur les systèmes agroalimentaires apportent des avantages multiples, notamment au regard de l’action climatique
Face à l’aggravation des effets du changement climatique et à la lenteur des progrès dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, des pratiques durables dans les systèmes agroalimentaires peuvent aider les pays et les communautés à s’adapter, devenir plus résilients et diminuer les émissions, et à assurer la sécurité alimentaire et la nutrition – dans un monde où quelque 735 millions de personnes souffrent de la faim – tout en inversant le processus de dégradation de l’environnement et ses conséquences.
«Nous disposons déjà de solutions pour faire face au changement climatique, et de nombreuses d’entre elles, qu’il s’agisse de l’agroforesterie, de la restauration des sols, de l’élevage durable ou de la gestion des pêches, présentent de multiples avantages, car elles peuvent aussi concourir à une utilisation durable de la biodiversité, ainsi qu’à la sécurité alimentaire – des avantages multiples à partir des mêmes solutions, que l’agriculture et les systèmes alimentaires sont les seuls à offrir», explique M. Zahedi.
Lors de la COP, la FAO mettra en avant des initiatives uniques fondées sur les systèmes agroalimentaires, en donnant des exemples de projets porteurs de changements concrets sur le terrain. «Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour diriger le financement de l’action climatique vers ces solutions», ajoute-t-il.
Sans une augmentation marquée des financements, il ne sera pas possible de réduire la vulnérabilité des personnes qui travaillent dans l’agriculture et les systèmes alimentaires ni de diminuer les émissions du secteur (16 milliards de tonnes d’émissions pour la seule année 2021), avertit M. Zahedi.
Systèmes agroalimentaires et négociations
La FAO soutiendra également les pays qui travaillent d’arrache-pied sur ces questions dans le cadre des négociations officielles et des Activités communes relatives à la mise en œuvre d’une action climatique pour l’agriculture et la sécurité alimentaire.
«Ces activités communes sont très importantes, car elles placent le débat sur l’agriculture et sur les systèmes alimentaires, dans une certaine mesure, au cœur du processus de négociation et nous permettent de nous pencher sur les solutions offertes par ce secteur en matière d’action climatique», explique M. Zahedi.
Lors de la COP 28, les pays vont négocier un plan de travail pour ces activités communes, et notamment une structure de coordination au sein de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Les négociateurs s’intéresseront aussi aux possibilités de financement.
«Nous apportons en outre notre soutien à la présidence entrante de la COP 28, qui a fait cette année une large place à l’alimentation et aux systèmes agroalimentaires dans les discussions sur le climat. La présidence espère présenter une déclaration des dirigeants, et nous lui apporterons notre soutien dans ce cadre. Nous serons là le premier jour, lorsque les dirigeants débattront de l’alimentation et de l’agriculture dans le contexte du changement climatique, et nous serons également présents pour la Journée de l’alimentation, de l’agriculture et de l’eau prévue le 10 décembre, pendant laquelle nous nous pencherons, aux côtés d’un grand nombre de nos partenaires, sur les diverses solutions apportées par l’agriculture et les systèmes alimentaires en matière de lutte contre le changement climatique.»
Résultat attendu non négocié de la COP 28, la Déclaration des Émirats sur les systèmes alimentaires résilients, l’agriculture durable et l’action climatique constitue un élan bienvenu en faveur de l’accroissement des investissements dans les solutions apportées par les systèmes agroalimentaires face au changement climatique, et de l’élargissement de ces initiatives qui peuvent renforcer la résilience et réduire les émissions tout en assurant la sécurité alimentaire.
Une analyse des pertes et des préjudices
Un autre point essentiel à l’ordre du jour cette année concerne la mise en place du Fonds pour les pertes et les préjudices, une étape importante convenue l’année dernière lors de la COP 27, après des décennies d’appels lancés par les pays en développement. L’objet du fonds est d’apporter une aide financière aux pays qui sont les plus touchés par le changement climatique, alors que ce sont ceux qui y ont le moins contribué. Lors de la COP 28, les États étudieront les modalités de mise en œuvre de cette initiative.
Pour illustrer le fait que les systèmes agroalimentaires sont en première ligne des pertes et des préjudices, la FAO publiera le rapport Loss and Damage and Agrifood Systems − Taking Climate Action Forward (Pertes et préjudices et systèmes agroalimentaires – Faire avancer l’action en faveur du climat) au cours des premiers jours de la COP.
«Nous arriverons à la COP forts d’une analyse qui montre ce que les pertes et les préjudices impliquent pour l’agriculture, pour les systèmes alimentaires, et pour les communautés qui en dépendent, afin de maintenir l’élan vers l’établissement de ce fonds, qui fait actuellement l’objet de discussions, et de rediriger les investissements là où ils sont vraiment nécessaires, c’est-à-dire vers les plus vulnérables, qui pour beaucoup se trouvent dans les communautés travaillant dans les secteurs de l’alimentation et l’agriculture», indique notre expert.
Pour lui, le Fonds pour les pertes et les préjudices sera essentiel pour aider ces communautés à surmonter des défis qui ont déjà des incidences sur leur vie et leurs moyens d’existence.
«Nous ne devons pas perdre l’atténuation de vue, les émissions doivent diminuer. Parallèlement, nous devons nous préoccuper de l’adaptation, car le climat est en train de changer. Mais il arrive un moment où l’adaptation n’est plus possible, où les pertes et les dommages interviennent. Ce fonds sera vital pour aider les populations, les communautés, notamment les communautés de paysans et d’exploitants agricoles, qui en sont à ce dernier stade des incidences du changement climatique», explique-t-il, en ajoutant que la mise en place du fonds serait «l’une des victoires» à célébrer à la fin de la COP 28.
Les systèmes agroalimentaires et le bilan mondial
Cette année, les États devront également prendre une décision à la suite du premier bilan mondial, élément de l’Accord de Paris qui représente un moyen essentiel d’évaluer la réponse mondiale à la crise climatique et de tracer une meilleure voie pour l’avenir.
La CCNUCC a récemment publié un rapport de synthèse destiné à aider les États à parvenir à une décision à partir du bilan mondial lors de la COP 28, une décision qui soit impulsée par les Parties et qu’elles puissent mettre à profit pour afficher des ambitions plus rapides dans leur prochain cycle de plans d’action pour le climat, prévu en 2025.
«Le bilan mondial, en un sens, nous indique ce que nous savons déjà: nous sommes très loin du compte, les pays n’ont pas encore réalisé leurs ambitions en ce qui concerne le renforcement de la résilience, l’adaptation à un climat qui est en train de changer, mais aussi la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l’atténuation. Nous sommes loin d’avoir atteint, en somme, les aspirations de l’Accord de Paris», explique M. Zahedi.
Et d’ajouter: «Cependant, le bilan mondial nous montre également qu’il est important de déterminer les changements à apporter aux systèmes.
Parmi ces changements, la transformation des systèmes agroalimentaires est primordiale. Le bilan est l’occasion de rappeler à chacun que, si toutes ces solutions ont été recensées et, dans une certaine mesure, mises à l’essai, elles n’ont pas encore fait l’objet d’investissements à la hauteur de leur potentiel».
Étudier les solutions
Il est possible d’obtenir simultanément des améliorations sur le plan de la production, de la nutrition, de l’environnement et des conditions de vie, indique notre expert.
«Nous travaillons sur des solutions en vue de répondre à la fois aux défis de la sécurité alimentaire, du changement climatique et de l’appauvrissement de la biodiversité».
Au moyen de la gestion durable des terres, de l’agriculture et de la foresterie, par exemple, on peut augmenter les capacités de production alimentaire sans porter atteinte à la biodiversité et en contribuant à renforcer la résilience, à accroître le stockage du carbone et à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
L’agroforesterie pourrait accroître la sécurité alimentaire de plus d’un milliard de personnes en augmentant la quantité d’azote disponible pour les cultures et la rétention de carbone dans les sols, en réduisant de moitié le taux d’érosion de ces derniers et en renforçant les services écosystémiques.
Parallèlement, une meilleure gestion des terres cultivées et des systèmes d’élevage à l’herbe permettrait de réduire les émissions de plusieurs gigatonnes d’équivalent CO2 par an tout en améliorant la sécurité alimentaire.
«Actuellement, plus d’un tiers des terres agricoles sont dégradées. Vous pouvez imaginer ce qu’apporterait la restauration de ces terres agricoles sur le plan de la sécurité alimentaire, mais aussi du renforcement de la résilience, de l’adaptation et, bien sûr, de l’atténuation des émissions», ajoute-t-il.
Une agriculture à faible consommation énergétique peut également contribuer à réduire les émissions liées à l’utilisation d’énergie dans le secteur agroalimentaire, à améliorer l’efficacité énergétique et la durabilité dans l’agriculture et à tirer parti des possibilités de production de bioénergie à partir de sous-produits agricoles.
«Et ce ne sont là que quelques exemples des solutions qui s’offrent à nous», souligne M. Zahedi.
Contribution de la FAO à l’élaboration de solutions
Prenant comme guide la stratégie de lutte contre le changement climatique élaborée par les États membres de la FAO, l’organisation dans son ensemble a renforcé son soutien aux pays face au changement climatique, dans tous les secteurs.
Par exemple, depuis 2006, le partenariat de la FAO avec le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) a aidé plus de 130 pays à augmenter la durabilité de leur production agroalimentaire et à obtenir des résultats sur le plan de l’environnement. Les investissements FAO-FEM sur les quatre dernières années ont permis de mettre 116 millions d’hectares d’espaces terrestres et marins sous gestion durable, réduisant ainsi de 570 millions de tonnes les émissions de gaz à effet de serre – ce qui reviendrait à retirer 128 millions de voitures de la circulation.
«Ces investissements ont contribué à améliorer les conditions de vie de 13 millions de personnes, grâce à des emplois plus verts, une alimentation plus saine et une capacité plus importante à préserver l’environnement», précise notre expert.
Le Fonds pour le partage des avantages du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture de la FAO a bénéficié jusqu’ici à plus d’un million de personnes. Les projets ont permis de créer plus de 200 écoles pratiques d’agriculture, qui offrent des plateformes d’apprentissage interactif et ascendant pour favoriser le déploiement, l’utilisation et le développement de cultures résilientes face au changement climatique.
Parallèlement, le projet «Sécurité Alimentaire: une agriculture adaptée» (SAGA) de la FAO aide à transformer les plans et les ambitions en actions locales. Dans le nord-est du Sénégal, par exemple, l’équipe du projet, en collaboration avec les producteurs, a eu recours à des pratiques agroécologiques traditionnelles connues sous le nom de Gulle Kisnal pour aider à conserver les ressources hydriques de plus en plus rares dans des bassins miniatures en demi-lune qui permettent de réduire l’évaporation et le ruissellement tout en préservant les rendements.
Et M. Zahedi de souligner: «Nous serons présents à la COP 28, où nous tiendrons un pavillon avec un grand nombre de partenaires (Système CGIAR, FIDA, Fondation Rockefeller). Ensemble, nous allons présenter de nombreuses initiatives qui s’appuient sur les systèmes agroalimentaires pour faire face à la crise climatique et améliorent ainsi les conditions de vie. Et j’espère que l’élan sera ainsi maintenu.»
Perspectives
Kaveh Zahedi a occupé pendant toute sa carrière différents postes de direction au service de l’environnement, des technologies vertes et du développement. Nous demandons au Directeur du Bureau du changement climatique, de la biodiversité et de l’environnement de la FAO s’il pense, au vu de son expérience, qu’il faut garder foi en l’avenir ou que la situation est désespérée; il nous répond qu’il y a de nombreux points positifs à mettre en avant.
«Nous savons maintenant que l’évolution du climat remet en question les progrès durement acquis en matière de développement. Et je pense que nous n’en étions pas conscients il y a 10 ans, et encore moins il y a 20 ans. En ce sens, je constate un réel progrès.»
Il ajoute que les programmes d’intégration ont considérablement évolué, et que le changement climatique est désormais au cœur des débats sur la nutrition et la biodiversité, par exemple.
«Nous espérons arriver à la COP avec une vision encore plus claire des solutions fondées sur les systèmes agroalimentaires qui pourront nous aider à limiter le réchauffement à 1,5 degré et à atteindre l’objectif de développement durable no 2 (Élimination de la faim).»
Il ajoute toutefois que ce qui le rend moins optimiste, c’est le manque persistant de financements et d’investissements, malgré le potentiel si important offert par les solutions fondées sur les systèmes agroalimentaires.
«Une très petite part du financement de l’action climatique va à ces solutions. Si l’on considère l’ensemble du financement de l’action climatique, public et privé, au niveau des projets, elle n’est que de 4 pour cent environ. Si l’on s’intéresse uniquement au financement du développement consacré à l’action climatique, on constate que moins de 20 pour cent des fonds vont aux solutions fondées sur les systèmes agroalimentaires, et que cette part diminue. Il y a de moins en moins d’investissements dans des solutions qui offrent manifestement des avantages considérables au regard de la lutte contre le changement climatique.»