Les pêcheurs et les agriculteurs de L'Horta à Valence, en Espagne, font en sorte que la nourriture soit livrée dans la Communauté de Valence mais aussi dans les autres communautés et villes alentours. ©Bruno Almela
La routine d'Amparo Aleixandre n'est plus la même. Aujourd'hui, elle reçoit les commandes par SMS, dont la plupart proviennent de ses voisins de la ville d'El Palmar, une île d'environ 700 habitants, entourée par la lagune de l'Albufera, de cultures de riz et de vergers. El Palmar se trouve à plusieurs kilomètres de Valence, en Espagne.
Tôt le matin, vers 4 heures du matin, les pêcheurs d'El Palmar prennent place à bord de leurs petites embarcations pour pouvoir répondre à l’augmentation de la demande de poissons pendant la crise du COVID-19. Trois pêcheurs supplémentaires ont été recrutés pour rejoindre les 30 habituels qui travaillent dans cette communauté d'El Palmar. La principale variété de poisson pêché est le "Liza", très populaire parmi les habitants de l'île. Cette période était autrefois propice à la pêche à l'anguille, mais comme ce produit est essentiellement destiné aux hôtels, aux restaurants et à l'exportation, elles sont épargnées en ces temps de pandémie.
Amparo, membre de la communauté de pêcheurs d'El Palmar, accueille les pêcheurs à leur retour à 8 heures du matin. Il fait encore froid lorsqu'ils arrivent au marché aux poissons pour commencer à emballer, étiqueter et expédier les poissons vers leurs destinations dans toute la ville. Une fois par semaine, ils prennent leur vélo électrique équipé d'un petit réfrigérateur pour apporter du poisson frais aux familles d'El Palmar ou aux personnes âgées qui vivent seules et ne peuvent pas quitter leur domicile en plein confinement.
"En ce moment, nous, agriculteurs et pêcheurs, nous nous battons pour garantir de la nourriture à chacun, notamment aux malades, aux médecins, aux prisonniers, aux familles à la maison, à tout le monde", dit fièrement Amparo.
Les pêcheurs et les agriculteurs s'adaptent aux changements provoqués par la pandémie de COVID-19 et aux restrictions mises en place. ©Bruno Almeida
El Palmar est une petite ville touristique, située dans la partie sud du territoire de L'Horta. L'Horta, comme on l'appelle en valencien, est un système d'irrigation déclaré Système ingénieux du patrimoine agricole mondial (SIPAM) par la FAO en 2019. Il est situé dans la ville de Valence et fournit une alimentation saine à un million et demi de Valenciens.
La FAO a lancé le programme SIPAM il y a 18 ans. Visant à trouver un équilibre entre conservation, adaptation durable et développement socio-économique, le programme GIAHS aide à identifier les moyens d'atténuer les menaces qui pèsent sur les agriculteurs ainsi qu'à améliorer les avantages tirés de ces systèmes. Grâce au soutien de plusieurs parties prenantes, cette approche vise à fournir une assistance technique, à faire mieux comprendre l'intérêt de préserver l’existence de connaissances agricoles durables et à promouvoir les produits agricoles, l'agrotourisme et d'autres mécanismes d'incitation ainsi que les débouchés commerciaux.
Résilience
L'Horta abrite un système d'irrigation qui fonctionne depuis près de mille ans. Depuis 1200, les Arabes ont introduit dans la région leur régime alimentaire et leurs pratiques de gestion de l'eau qui se sont adaptés au fil des siècles, répondant ainsi aux crises et autres pandémies.
Grâce au système d'irrigation de L'Horta, 6 000 exploitations agricoles familiales, dont 10 pêcheries, garantissent que les denrées alimentaires soient disponibles sur la Communauté de Valence mais aussi pour les autres communautés et les villes alentours. Ce système d'irrigation et d'utilisation de l'eau est un exemple d'adaptation de l'agriculture aux conditions climatiques.
Les jeunes de retour sur le terrain
Enric Navarro fait partie d'un groupe de jeunes qui ont décidé de retourner à L'Horta, après avoir, comme les générations précédentes, fui vers les villes.
Pour les Valenciens, "L'Horta est comme une assurance-vie", explique Enric, qui possède une entreprise d'une vingtaine d'employés et de 4 hectares au sein du SIPAM. On lui commande des choux, du fenouil et des poireaux, vendus sur deux marchés valenciens. En outre, 65 % de sa production est destinée aux pays d'Europe du Nord, où la consommation de produits agro-écologiques est très répandue.
"Nous sortions d'une très mauvaise saison, mais nous avons vu les ventes tripler sur le marché local et cela signifie que les Valenciens mangent mieux", explique Enric.
Innovation
Certes, La Tira de Comptar, un marché traditionnel de Valence qui fonctionne depuis le XIIIe siècle, est pleinement opérationnel, mais de nouvelles méthodes de distribution se mettent en place pour combler le fossé entre les producteurs et les consommateurs.
Pour contrer l'interdiction des marchés en plein air et des ventes directes pendant cette crise sanitaire, les agriculteurs, ou llauradors en valencien, ont eu recours aux réseaux sociaux pour toucher leurs consommateurs. Ils se sont rapidement tournés vers les plateformes technologiques pour vendre leurs produits, promouvoir les livraisons à domicile, partager des recettes de produits de saison et concurrencer les produits importés des grandes chaînes de supermarchés.
Amparo Martí, la conseillère municipale pour l'agriculture de la municipalité de Meliana à Valence, a souligné le soutien apporté aux agriculteurs et aux associations par le biais du conseil pour accéder aux plateformes numériques afin de promouvoir leurs cultures.
L'Horta de Valence a été désignée Système ingénieux du patrimoine agricole mondial (SIPAM) en 2019. Son système d'irrigation, qui fonctionne depuis près de mille ans, s'est adapté au fil du temps aux crises et aux conditions climatiques changeantes. Avec ses 6 000 exploitations agricoles familiales et ses 10 pêcheries, ce site est vital pour la Communauté de Valence et au-delà. ©Mar Ortega
Solidarité
Un tornallom est une expression valencienne pour désigner le fait de se soutenir mutuellement, sans transaction monétaire. C'est le terme idéal pour définir les images diffusées par les télévisions locales et montrant des tracteurs désinfectant volontairement les rues de Valence.
Le professeur José María Álvarez Coque, directeur de la Tierra Ciudadana et titulaire de la chaire à l'université polytechnique de Valence, ajoute qu'un réseau de solidarité a été mis en place à L'Horta, qui a contribué à garantir l'alimentation des Valenciens et de ses producteurs. C’est un terrain favorable pour la préservation de sites, tels que les sites SIPAM.
Un système qui fait partie d'un tout
"Pour moi, L'Horta, c’est tout. Les pêcheurs et les agriculteurs sont ma famille. Je ne sais pas ce que serait ma vie sans ce paysage", dit Amparo.
Le programme SIPAM de la FAO a jusqu'à présent désigné plus de 50 sites comme des espaces dynamiques où la culture, la biodiversité et les techniques agricoles coexistent, s'avérant ainsi vitaux pour atteindre la sécurité alimentaire et générer des moyens d’existence. Dans ce cas, ils s'avèrent également essentiels pour faire face à une crise comme celle provoquée par le COVID-19.
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