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La mouche soldat noire à l’assaut des ordures


Une mouche mangeuse de détritus comme solution innovante au problème des déchets organiques en Côte d’Ivoire

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Le programme ELEVATE, incubateur de la FAO, a accompagné un projet qui s’appuie sur le goût de la mouche soldat noire pour les déchets organiques afin d’apporter une réponse aux difficultés croissantes d’Abidjan en la matière et proposer un modèle transposable dans d’autres villes. © FAO/Zinyange Auntony

10/06/2024

Début 2023, la bouillonnante Abidjan, était dans une situation délicate. Cette ville de Côte d’Ivoire de six millions d’âmes, qui gagne chaque année 187 000 habitants, produisait quotidiennement rien de moins que 2 500 tonnes de déchets organiques. Les autorités locales peinaient à gérer ce problème exponentiel.

Ce défi était loin d’être souterrain. Aux abords des marchés de la ville, des monceaux de restes d’ananas, d’écorces de pastèques, de tomates pourries, de peaux de banane et de feuilles de salade flétries se décomposaient sous le soleil, dégageant une odeur fétide et faisant le bonheur des rongeurs.

«Les autorités du district ont fait appel à nous», raconte Isabel Albinelli, Spécialiste en bioéconomie à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). «Nous avons vu qu’il y avait une belle occasion de valoriser des déchets organiques».

Alors que la ville bataillait avec son problème de déchets organiques, les agriculteurs en zone urbaine et périurbaine dépendaient d’engrais d’importation dont le prix augmentait mois après mois. Cette dépendance avait entraîné la hausse des prix alimentaires. La mission était donc de trouver un moyen de réduire les déchets alimentaires tout en renforçant la résilience agricole locale.

Le projet de la FAO intitulé Bioéconomie circulaire à Abidjan: des déchets alimentaires à la fourchette (BioDAF) a apporté la solution. Ce projet a été pensé non seulement pour résoudre le problème qui se pose dans le district d’Abidjan, mais aussi pour proposer un modèle à d’autres villes en proie à des difficultés similaires concernant la gestion des déchets, la sécurité alimentaire et l’émancipation économique.

Tout repose sur un insecte pas si petit appelé Hermetia illucens ou mouche soldat noire. Très répandu dans les Amériques, il ressemble plus à une guêpe qu’à une mouche. Son vol bruyant peut avoir un côté menaçant, convient Isabel Albinelli. Pourtant, il s’agit d’un insecte inoffensif, qui pond des milliers d’œufs et dont les larves consomment de formidables quantités de déchets organiques.

L’idée était de faire s’accoupler les mouches, de nourrir leur progéniture avec des tonnes d’ordures, puis de sécher les larves pour les utiliser pour l’alimentation animale ou en faire une poudre à destination des exploitations aquacoles. Le projet a bénéficié d’un financement d’ELEVATE, incubateur et programme d’intraprenariat de la FAO. ELEVATE finance des projets novateurs qui apportent de vraies solutions à des défis agricoles très importants.

Tout a commencé par une série d’ateliers conçus pour affiner les idées de l’équipe BioDAF. L’équipe ELEVATE «nous a aidés à penser différemment et à faire de notre projet une réussite», assure Isabel Albinelli. «Ils étaient là pour trouver des solutions à des problèmes auxquels nous n’avions pas pensé».

Un «nid d’amour» a été construit dans le cadre du projet BioDAF, pour faire s’accoupler les mouches. Les larves produites se nourrissent des déchets organiques. Elles sont à terme séchées et utilisées pour l’alimentation du bétail ou même des poissons d’élevage. © FAO/Isabel Albinelli

Faire s’accoupler la mouche soldat noire demande toute une logistique. Pour commencer, un «nid d’amour» a été construit. Il s’agit d’un enclos d’environ la taille d’un garage une place, rempli de plantes et de textiles imbibés d’eau pour permettre aux mouches de boire. Des morceaux de bois ont également été disposés pour accueillir les centaines de milliers d’œufs.

«C’est étrange de travailler avec ces petits insectes et de penser qu’ils peuvent avoir un tel impact, simplement en faisant ce que la Nature leur dicte», déclare Isabel Albinelli.

Une fois que les œufs ont éclos, les larves sont placées dans des bassins de béton remplis de fruits et légumes en décomposition qui ont été broyés. Pour obtenir le meilleur résultat possible, l’armée de larves doit être mélangée à la main dans les déchets organiques. Ce n’est sans doute pas très appétissant, mais cela vaut le coup compte tenu des bénéfices en matière de réduction des déchets et de création d’engrais.

Au bout de 14 jours, les larves ont grandi jusqu’à 10 000 fois leur taille d’origine. À ce stade, elles sont séparées de leurs excréments, qui seront utilisés comme engrais, puis séchées. Une fois séchées, elles sont utilisées pour l’alimentation animale. 

De plus en plus de personnes s’installant en ville, la gestion des déchets est une question de plus en plus pressante dans la plupart des grandes villes. Des solutions innovantes comme ce projet aident à relever ce nouveau défi. © FAO/Max Roland

L’équipe de la FAO en Côte d’Ivoire a travaillé avec les autorités, l’Institut de l’économie circulaire d’Abidjan et la start-up locale BioANI pour apprendre aux agriculteurs locaux, notamment les femmes, à travailler avec les mouches et à produire de l’engrais et des aliments pour animaux. Sa principale préoccupation était de savoir si les agriculteurs locaux allaient adhérer à l’idée de donner des asticots morts de mouches noires à manger à leurs bêtes et d’utiliser leurs déchets comme engrais. «Nous nous attendions à un blocage des agriculteurs car cet engrais organique est à base d’excréments de larves se nourrissant de déchets», explique Isabel Albinelli. «Mais l’engrais produit est tellement efficace et peu cher, sans compter sa disponibilité locale, que de plus en plus d’agriculteurs l’achètent».

Le projet a eu tellement de succès que la demande locale a dépassé l’offre. Cette réussite n’a rien d’étonnant. Les larves et l’engrais organique sont vendus environ moitié moins cher que les engrais d’importation pour la même efficacité. C’est pourquoi, cette année l’objectif est de toucher d’autres marchés dans la région d’Abidjan.

De plus, l’équipe espère fournir non seulement de l’alimentation animale et des engrais, mais aussi investir la filière du tilapia. La Côte d’Ivoire étant une grande consommatrice de ce poisson, elle a fait part de son intérêt concernant l’utilisation des larves de mouche soldat noire dans les farines destinées à l’alimentation des poissons, qui sont particulièrement onéreuses.

«Ce projet est une alliance unique de solutions qui sont l’exemple même de ce que devrait être l’innovation agricole», déclare Vincent Martin, Directeur du Bureau de l’innovation de la FAO. «Il répond à des besoins réels: la gestion soutenable des déchets, le développement des ressources agricoles locales et l’émancipation économique au service du renforcement de la sécurité alimentaire. Voilà comment l’innovation se traduit sur le terrain».

Le programme ELEVATE dépend du Bureau de l’innovation de la FAO. Il accompagne actuellement 8 autres projets d’innovation agricole.

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