La vie sous terre: creuser plus profond pour en savoir plus sur les sols

Entretien avec M. Moujahed Achouri, Directeur de la Division des terres et des eaux de la FAO (2ème partie)

Dans la seconde partie de son entretien, M. Achouri donne des exemples spécifiques de sites SIPAM qui ont un impact positif sur les sols, la sécurité alimentaire, la nutrition et les moyens d’existence. Il évoque les liens entre la diversité biologique, la diversité culturelle et le savoir traditionnel ainsi que leur pertinence pour les sols, et examine les perspectives au-delà de l’AIS 2015.

1. La préservation de la biodiversité et du savoir local est un autre objectif clé du programme SIPAM. En quoi ces éléments sont-ils pertinents pour les sols? Pouvez-vous fournir des exemples?

La préservation de la biodiversité et du savoir local est une composante clé du programme SIPAM. En réalité, un certain nombre d’études mettent en évidence une forte corrélation entre les zones à forte diversité biologique et celles à forte diversité culturelle.Étant donné qu’il faut préserver et favoriser la diversité des cultures vivrières et des espèces, la biodiversité et le savoir local sont tous deux très importants et utiles pour les sols.

Depuis le temps qu’ils gèrent l’environnement, les agriculteurs et les populations autochtones ont accumulé les connaissances écologiques et le savoir-faire voulus pour préserver la diversité biologique et les sols. Cela ressort clairement de pratiques telles que l’adaptation agricole, la sélection végétale, l’utilisation d’espèces sauvages apparentées aux plantes cultivées, l’agriculture et la gestion des ressources résilientes, y compris les prévisions climatiques. Les connaissances des agriculteurs en matière de sélection végétale sont attestées par les milliers de variétés traditionnelles présentes dans les SIPAM. Bon nombre de ces variétés ont été créées ou améliorées par les agriculteurs eux-mêmes, en ayant soin d’adopter des pratiques de gestion appropriée compte tenu des caractéristiques spécifiques des sols. Par exemple, sur des Sites SIPAM au Chili, ce sont des agriculteurs compétents (le plus souvent des femmes) qui assurent lapréservation et la conservation des cultures, en se fondant sur leur connaissance des plantes et des écosystèmes agro-écologiques environnants (notamment sur des techniques de sélection locale pour améliorer les semences ou obtenir des semences résistantes à la sécheresse).

Citons aussi l’exemple de l’agriculture traditionnelle de Koraput dans l’État de l’Orissa en Inde. Là-bas, des groupes tribaux et des femmes mettent à profit leurs systèmes de connaissances traditionnelles en matière de sélection végétale, qui sont essentielles au bon fonctionnement du sol et des écosystèmes agricoles. Les pratiques agricoles traditionnelles, les techniques locales de sélection des plantes, la diversification et la polyculture garantissent aux ménages et aux communautés locales la disponibilité de produits alimentaires nutritifs. En outre, ces pratiques renforcent les cultures en les rendant génétiquement plus robustes et mieux adaptées à l’environnement local.

2. Pouvez-vous décrire deux sites SIPAM qui ont un impact positif sur les sols et, par voie de conséquence, sur la production d’aliments nutritifs?

Tous les sites SIPAM ont un impact positif sur les sols et sur la production d’aliments sains et nutritifs. Mais deux sites SIPAM d’Asie du Sud-Est l’illustrent particulièrement bien:

1)  les rizières en terrasses d’Ifugao, aux Philippines

Le système de rizières en terrasses d’Ifugao est un système de production agricole remarquable, vieux de 2 000 ans, grâce auquel la culture de riz biologique est restée viable. Ces terrasses rizicoles ont pu être créées grâce au savoir des populations autochtones concernant le muyong, une forêt privée qui s’étend à l’amont de chaque ensemble de terrasses. Ces muyong bien gérés remplissent des fonctions importantes: non seulement  ils produisent des variétés de riz traditionnelles essentielles pour la sécurité alimentaire et d’un point de vue social et culturel, mais ils assurent aussi l’approvisionnement en eau, préviennent l’érosion des sols et fournissent de l’eau potable aux ménages. Ce savoir et cette gestion traditionnels ont permis aux agriculteurs de cultiver de façon durable du riz à plus de 1000 m au-dessus du niveau de la mer.

(2)  rizipisciculture en Chine

A la longue, une symbiose écologique a émergé dans les systèmes traditionnels de culture riz-poisson. Alors que le riz fournit de l’ombre et de la nourriture pour les poissons, le poisson fournit l'engrais au riz, assure une régulation des conditions microclimatiques, ramollit le sol, agite l'eau et mange les larves et les mauvaises herbes dans les parcelles inondées. Cette symbiose a permis d’entretenir le sol sans qu’il soit nécessaire d’utiliser des engrais chimiques, des pesticides et des herbicides pour éliminer les insectes et la végétation adventice, tout en produisant des aliments de base nutritifs et en protégeant la flore et la faune.

7. Aujourd’hui 33% des sols de la planète sont modérément ou fortement dégradés. Si la dégradation se poursuit au rythme actuel, la capacité de répondre aux besoins des générations futures sera compromise. À votre avis, que peut faire d’autre la FAO pour promouvoir la santé des sols et faire en sorte que le public continue à s’intéresser aux sols au-delà de l’Année internationale?

Les Membres de la FAO ont mis en place le Partenariat mondial sur les sols dans le but de promouvoir la gestion durable des sols à tous les niveaux. L’AIS est une plateforme essentielle pour défendre cette cause et servir de point de départ pour sensibiliser aux sols et inciter à investir dans leur amélioration. Après 2015, la FAO continuera, à travers les cinq piliers d’action du Partenariat mondial sur les sols, à remplir sa tâche qui est de sensibiliser à l’importance des sols, en mettant en œuvre les principes de la Charte mondiale des sols, ainsi que des programmes durables de gestion, de conservation et de remise en état des sols. Toutes ces activités ont pour but de favoriser la sécurité alimentaire et la nutrition, l'adaptation au changement climatique et l’atténuation de ses effets, le développement durable et le programme de développement pour l’après 2015.

Des programmes conjoints et le partage d’expériences sont au centre de ce processus, dans lequel la FAO intervient pour réduire les écarts entre les pays, tout en tirant des enseignements de leurs systèmes durables et ingénieux. Il est clair que lorsqu’il s’agit de sols, nous avons tous quelque chose à apprendre des uns et des autres, qu’il s’agisse de pédologues, des populations locales,  des décideurs ou des planificateurs des politiques agricoles. Même le grand public peut contribuer à faire avancer les choses en diffusant le message sur les raisons de l’importance des sols: la vie continue sous nos pieds et un sol en bonne santé, c’est une vie en bonne santé!

 

04/05/2015

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