Gestion Durable des Forêts (GDF) Boîte à outils

Utilisation des eaux usées traitées en foresterie et en agroforesterie dans les terres arides

Les modifications mondiales des disponibilités en eau par les précipitations augmentent l’impact des sécheresses dans les régions arides et semi-arides. Cela devrait s’intensifier avec le changement climatique. L’utilisation des eaux usées offre une option pour irriguer des cultures agricoles ou forestières, permettant de conserver l’eau douce. Ce module fournit aux responsables des terres et forêts des informations sur l’utilisation sans risque des eaux usées pour l’irrigation et l’amélioration des sols dans les systèmes d’(agro)foresterie de ces régions. Il les guide lors de la planification du (re)boisement des terres arides en utilisant les eaux usées traitées dans des marais artificiels et installations d’irrigation fertilisante.

La bonne gestion des eaux usées traitées se base sur deux principes:

  1. la salubrité de l’eau est primordiale pour la santé des populations; et
  2. l’eau est une ressource précieuse qui doit être utilisée de la meilleure manière possible.

L’utilisation sans risque des eaux usées traitées en foresterie, en agroforesterie et en agriculture périurbaine améliore l’économie de l’eau dans les terres arides, et contribue à protéger la santé publique en réduisant le risque que des agents pathogènes nocifs et que des produits chimiques pénètrent dans la chaîne alimentaire et les ressources hydriques. Les eaux usées traitées permettent de lutter contre la dégradation des terres et d’irriguer les plantations d’arbres ainsi que les cultures, y compris les pépinières; elles permettent également de préserver les forêts plantées en terres arides et peuvent créer des revenus en produisant du bois, des produits agricoles et des services écosystémiques. L’utilisation d’eaux usées traitées en foresterie exige que toutes les ressources hydriques soient correctement gérées, que les parties prenantes impliquées soient formées (par ex. ouvriers, agriculteurs, personnel des organisations de la société civile, forestiers et spécialistes de l’eau) et que le paysage soit efficacement aménagé.

Traitement primaire, secondaire et tertiaire des eaux usées

Traitement primaire, secondaire et tertiaire des eaux usées

Il existe trois normes fondamentales de traitement des eaux usées. Le traitement primaire requiert l’élimination des matières en suspension, des huiles, des graisses et des solides légers surnageant. Le traitement secondaire utilise des microorganismes pour transformer la majeure partie des matières organiques et le nitrogène, ce qui réduit sensiblement la concentration des agents pathogènes. Lors du traitement tertiaire, les eaux qui ont subi le traitement secondaire sont désinfectées chimiquement ou physiquement (par ex., à travers des lampes à rayonnement ultraviolet) pour les rendre appropriées à l’irrigation du paysage (par ex. parcs de loisir et terrains de golf) et pour répondre aux besoins en eau du commerce et de l’industrie. Les eaux qui ont subi le traitement tertiaire peuvent également servir à recharger les eaux souterraines ou à des fins agricoles; si elles sont soumises à une filtration naturelle par le sol (par ex. en les filtrant sur des sols sablonneux), les eaux usées traitées par procédé tertiaire peuvent servir à l’approvisionnement en eau potable. Néanmoins, le procédé tertiaire de traitement des eaux usées a tendance à consommer beaucoup d’énergie.

La majeure partie des eaux usées sont traitées jusqu’au traitement secondaire; ces eaux peuvent servir à certaines cultures agricoles et pour la production de fourrage et de cultures ligneuses (mais ne peuvent être utilisées pour l’irrigation horticole). Les arbres sont bien adaptés à l’irrigation utilisant de l’eau de basse qualité: ils peuvent servir de filtres supplémentaires qui purifieront l’eau polluée et  limiteront la pollution des sols et de l’eau.

L’irrigation des arbres au moyen d’eaux usées traitées peut être effectuée en proximité d’établissements humains dans des zones urbaines et périurbaines; en effet, il est préférable d’opter pour la proximité de ces installations, car cela réduira les coûts de pompage. Une installation d’épuration servant un village de 5 000 habitants peut produire environ 700 mètres cubes d’eaux usées traitées par jour. En terres arides avec des niveaux élevés d’évapotranspiration, ce volume suffit à irriguer environ six hectares de plantation d’arbres à haute densité et plus de 15 hectares de plantation d’arbres à faible densité.

Il est important de tenir compte en région aride de la nature saisonnière des exigences en termes d’irrigation des différentes espèces cultivées. La surface d’une culture de graminées, doit par exemple, se limiter aux espaces pouvant être pleinement irrigués lorsque les niveaux d’évapotranspiration sont les plus élevés en été. Par contre, les récoltes ligneuses qui résistent à des périodes de pénurie d’eau, peuvent êtreirriguées sur de plus grandes surfaces.

Qualité et quantité des eaux usées

Qualité et quantité des eaux usées

L’utilisation inappropriée d’eaux usées traitées entraîne des risques pour les êtres humains et les écosystèmes, et l’utilisation d’eaux usées traitées peut également être culturellement inacceptable. L’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et l’Institut international de gestion des ressources en eau promeuvent et fournissent des conseils sous forme de directives, de manuels et de projets sur le terrain (voir Outils), sur l’utilisation sans risque des eaux usées dans les systèmes agricoles.

Les eaux usées doivent être utilisées dans la plus grande sécurité afin d’optimiser les avantages en termes de nutrition et de sécurité alimentaire pour les communautés rurales dont les moyens d’existence dépendent de l’irrigation employant des eaux usées. Il est essentiel, donc de s’assurer que tous les dangers ont été identifiés et que des mesures préventives ont été adoptées pour réduire les risques de contamination.

D’après la base de données Aquastat de la FAO, les prélèvements d’eau douce dans le monde sont répartis de la façon suivante: agriculture (69 pour cent), industrie (19 pour cent) et établissements humains (12 pour cent). Une grande partie de l’eau utilisée en agriculture est irrécupérable, car elle retourne dans le cycle planétaire de l’eau à travers l’évaporation et l’infiltration (bien qu’environ 32 pour cent sont récupérables à travers le drainage agricole). Il est relativement plus facile de collecter et de réutiliser les eaux usées produites par les industries et les établissements humains lorsque des réseaux d’égouts existent. Cependant, la   majorité des eaux usées produites par les industries contiennent des polluants, y compris des métaux lourds, et exigent des traitements supplémentaires avant de pouvoir être déversées dans les installations ordinaires de traitement des eaux usées. Les établissements humains constituent la source la plus courante d’eaux usées traitées pour la foresterie et l’agroforesterie, bien qu’à peine environ 52 pour cent des eaux urbaines soient actuellement recyclées.

Les eaux usées à utiliser pour l’agriculture et la foresterie doivent être traitées au moins jusqu’au procédé secondaire afin d’éviter le risque que les forestiers et les agriculteurs, ainsi que les consommateurs de produits récoltés soient exposés aux agents pathogènes présents dans les effluents d’eaux usées, dont la plupart peuvent s’accumuler dans les sols et contaminer les cultures. Dans des situations où les eaux usées ne conviennent pas ou sont inacceptables pour la production de cultures vivrières, leur utilisation dans les systèmes de foresterie et d’agroforesterie pourrait constituer une option viable pour réduire les risques menaçant la santé de l’homme et pour recouvrer une partie des coûts du traitement des eaux usées.

Il faut noter que souvent les eaux usées traitées par le procédé secondaire qui n’ont pas été utilisées (ainsi que les eaux usées non traitées) sont déversées dans des plans d’eau douce naturelle tels que les rivières et les lacs qui alimentent l’irrigation agricole. Ceci constitue une utilisation très risquée d’une eau pouvant être contaminée.

 

Utilisation d'eaux usées traitées dans les systèmes d'agroforesterie des terres arides

Utilisation d'eaux usées traitées dans les systèmes d'agroforesterie des terres arides

Les eaux usées traitées fournissent une ressource non conventionnelle dont on peut disposer même en terres arides où les eaux de surface et les ressources hydriques souterraines sont rares. Elles peuvent être utilisées, par exemple, pour établir et assurer la  productivité intensive des forêts plantées (pour la production de bois) ou à des fins environnementales, agricoles et sociales, à travers l’irrigation d’aires de loisir, de vergers, de ceintures vertes urbaines, et d’arbres fourragers et d’ombrage.

La faisabilité technique des cultures d’arbres forestiers utilisant des eaux usées traitées a été démontrée par plusieurs études et programmes de boisement. L’Algérie, l’Égypte, l’Iran, la Jordanie, le Maroc, l’Oman, l’Arabie Saoudite, la Tunisie, les Émirats arabes unis et le Yémen, entre autres, ont tous mis au point des programmes de réutilisation des eaux usées pour irriguer les ceintures vertes et les parcelles boisées, ou pour fixer les dunes. Les espèces utilisées habituellement pour de tels programmes sont des arbres polyvalents et à croissance rapide tels que l’eucalyptus, le filao (Casuarina), l’acacia, le pin (Pinus), le khaya (Acajou africain) et le tamaris (Tamarix) (voir les études de cas pour des informations supplémentaires sur ces programmes).

Deux méthodes de traitement des eaux usées sont habituellement utilisées en foresterie et en agroforesterie: les marais artificiels, et le filtrage modulaire sélectif des eaux usées traitées par procédé secondaire.

Marais artificiels

Marais artificiels

Il est avéré que les bactéries, les champignons, les algues et les plantes stockent et digèrent des molécules composées et les polluants des métaux lourds. Le phytoassainissement utilise des plantes telles que les roseaux, les herbes, les buissons et les arbres pour traiter l’eau et les sols et pour récupérer les sites industriels contaminés par le déversement de polluants.

Les marais fonctionnent comme des filtres biologiques, en éliminant les sédiments de l’eau grâce aux effets filtrants des roseaux et des plantes marécageuses. La végétation des marais fournit un substrat (racines, tiges et feuilles) sur lequel les microorganismes peuvent se développer en décomposant les matières organiques. Il est prouvé que les plantes éliminent 70 à 90 pour cent des polluants des eaux usées; elles fournissent également une source de carbone pour les microbes lorsqu’elles pourrissent. Les marais peuvent éliminer les polluants, y compris les métaux lourds des eaux usées rejetées dans l’environnement.

Les marais artificiels sont des marécages créés pour purifier les eaux usées par le biais d’un filtrage naturel. Ils sont constitués d’étangs où poussent des roseaux, des buissons et des arbres sélectionnés pour leur capacité à filtrer les impuretés de l’eau. Les eaux usées se déposent dans une série de bassins de stockage reliés les uns aux autres pour le traitement des eaux qui sont ensuite déversées lorsqu’elles conviennent à l’irrigation.

Les marais artificiels supportent les fluctuations hydrologiques et celles des taux de chargement de contaminants. Ils sont relativement peu coûteux à construire, à faire fonctionner, sont faciles à entretenir, et leurs exigences énergétiques sont réduites ou nulles. Les marais artificiels sont rentables, abordables et durables pour les communautés locales dans les zones arides éloignées où les circonstances économiques ne permettent pas d’installer des usines standards de traitement des eaux usées. Ils produisent des eaux traitées selon le procédé secondaire, qui sont adaptées aux systèmes d’agroforesterie et aux plantations d’arbres qui produisent des cultures commerciales, qui réduisent (ou empêchent) l’érosion des sols, qui constituent des pare-vents, et qui fournissent de l’ombre et du fourrage. Les marais artificiels ont d’abord été utilisés en Europe septentrionale et sont maintenant de plus en plus utilisés dans les villages ruraux des pays en développement arides.

Malgré tout, les marais artificiels exigent des surfaces relativement étendues de terre, et leurs aspects hydrologiques et biologiques sont d’une grande complexité; leur installation exige de nombreuses compétences. Et surtout lorsqu’ils sont construits en terres arides, les marais artificiels peuvent s’avérer relativement moins productifs en raison des pertes dues à l’évapotranspiration et aux infiltrations, et ils risquent de fournir un habitat propice aux moustiques qui sont un danger pour la santé. Les connaissances et les expériences en matière d’utilisation de marais artificiels en terres arides sont encore insuffisantes, et il est nécessaire de collecter des données réelles pour la modélisation chimique de l’élimination des polluants. La vulnérabilité des systèmes marécageux artificiels aux facteurs environnementaux tels que les vents violents et les tempêtes de sable doit encore être évaluée.

Filtrage modulaire sélectif des eaux usées traitées par procédé secondaire

Filtrage modulaire sélectif des eaux usées traitées par procédé secondaire

Le but ultime du traitement des eaux usées est le procédé tertiaire qui produit de l’eau dont le contenu de microorganismes pathogènes est suffisamment bas pour être propre à la consommation humaine. Cependant, le procédé tertiaire de traitement n’est pas toujours la manière la plus efficace de gérer l’eau. L’élimination de tous les solides et impuretés exige des apports énergétiques importants, produit de grandes quantités de boue (dont on doit se débarrasser) et implique la perte d’éléments nutritifs (tels que le carbone organique, le nitrogène et le phosphore) que contiennent les matières organiques.

Les nouvelles méthodes de traitement permettent la production sans risque d’eaux usées traitées selon le procédé secondaire à travers l’élimination sélective de la majeure partie des agents pathogènes et d’une partie des solides et d’autres impuretés. L’élimination sélective est pratiquée au stade secondaire du traitement dans des usines conventionnelles de traitement des eaux usées en utilisant des filtres physiques et chimiques supplémentaires qui éliminent la plupart des agents pathogènes et qui réduisent le rejet d’éléments nutritifs et de matières organiques. L’eau peut être filtrée à différents stades du traitement secondaire afin d’augmenter ou de diminuer la quantité d’éléments nutritifs, en fonction des besoins de la culture et des sols devant être irrigués. L’élimination sélective consiste donc en un type simplifié de traitement secondaire qui réduit les coûts énergétiques et les quantités de boue et permet de recycler la plupart des éléments nutritifs du sol et de réutiliser l’eau à la fois pour l’irrigation et la fertilisation des sols à travers « l’irrigation fertilisante ».

L’élimination sélective est bénéfique pour les sols et améliore le stockage du carbone dans les sols ainsi que la rétention d’eau. Cette méthode est particulièrement bénéfique pour les cultures non vivrières (par ex. parcelles boisées pour l’énergie ou le bois de construction) en terres arides qui sont souvent caractérisées par des sols pauvres, car elle fournit de l’eau et des éléments nutritifs et augmente la rétention d’eau dans les sols. L’irrigation fertilisante requiert un suivi continu afin de minimiser les risques de propagation des maladies et de permettre des ajustements du niveau de la fertilisation en fonction des besoins des sols et des cultures.