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Evaluation des stocks par l'approche globale et évolutions d'abondance. Synthèse du groupe de travail «Analyses monospécifiques» de Mindelo (octobre 2001)

Didier Gascuel et Martial Laurans
ENSAR, Laboratoire halieutique, 65 route de St Brieuc, 35042 Rennes Cedex, France

Le groupe de travail «Analyses monospécifiques» réuni à Mindelo en octobre 2001, dans le cadre du projet SIAP, s'est concentré sur deux catégories d'analyses: d'une part, l'évaluation des stocks par l'approche globale, et d'autre part, l'estimation de séries inter-annuelles d'abondance, par les méthodes dites GLM. Ces travaux concernent 11 stocks de la Guinée, du Sénégal et du Cap-Vert. Ils font l'objet d'une présentation détaillée, dans les trois premières communications du présent document. On présente ici une synthèse des résultats ainsi obtenus. En particulier, un tableau récapitulatif des indicateurs de l'état des stocks est établi. Les indices d'abondances obtenus sont présentés, ainsi qu'une estimation des biomasses absolues de chacun des stocks considérés.

1. Diagnostics issus des modèles globaux

Le groupe de travail a validé les diagnostics par espèce, issus des modèle globaux. Les indicateurs établis pour chaque stock (tableau 1) permettent d'avoir une vision rapide et synthétique des niveaux actuels d'exploitation et de l'impact de la pêche sur les biomasses. Ainsi:

. les valeurs de mf MSY inférieures à 1 indiquent une situation de surexploitation,

. le MSY correspond au potentiel de production du stock (production maximale équilibrée),

. le ratio B act.eq / B v quantifie l'impact actuel de l'exploitation sur la biomasse du stock,

. le ratio Y act.eq / MSY quantifie le niveau éventuel de surexploitation (capture actuelle sur potentiel),

. le ratio B act / B act.eq. précise la situation actuelle comparativement à l'équilibre.

Une marge d'incertitude est présentée; elle prend en compte les résultats obtenus à partir de différentes séries de PUE effectives provenant de plusieurs métiers; elle tient également compte des incertitudes qui pèsent parfois sur les données. Ces résultats seront à comparer avec ceux obtenus par l'approche structurale (Deuxième partie du présent document).

Tableau 1: Principaux indicateurs obtenus par espèce. Le multiplicateur d'effort permettant la maximisation des captures (mf MSY) est calculé par rapport à l'effort actuel. Le MSY est exprimé en tonnes. Bv correspond à la biomasse à l'état vierge. Bact.eq et Yact.eq sont la biomasse actuelle à l'équilibre et la capture actuelle à l'équilibre prédit par le modèle en fonction de l'effort de pêche actuelle.



MfMSY

MSY

Bact.eq/Bv

Yact.eq/MSY

Bact/Bact.eq

Guinée

Galeoides decadactylus

0.9/1.4

1100/1400

0.31/0.46

0.95/1.00

1.5/1.8

Pseudotolithus elongatus

1.2/1.6

4100/4600

0.37/0.46

0.91/0.98

1.3/1.4

Pseudotolithus typus

1.1/1.3

2400/2600

0.30/0.36

0.97/0.99

0.9/1.0

Pseudot. senegalensis

0.9/1.2

1100/1150

0.29/0.38

0.99/1.00

1.4/1.5

Arius spp.

0.5/0.6

3700/4100

0.15/0.21

0.68/0.83

0.9/1.1

Sénégal

Galeoides decadactylus

0.4

4300/4500

0.17

0.61

0.37

Pagellus bellottii

0.2/0.4

10500/12000

0.1/0.2

0.70/1

1/1.2

Pseudupeneus prayensis

1.0/1.7

1700/1920

0.38/0.55

0.89/1.00

0.62/0.72

Sparus caeroleostictus

0.5/0.9

4800/5650

0.2/0.25

0.68/0.94

0.8/0.88

Epinephalus aneus

0.47/0.6

3300/3900

0.08/0.16

0.56/0.70

0.44/1.28

Cap-Vert

Palinurus charlestoni

0.6/1.4

40/45

0.17/0.35

0.83/0.99

0.8/1.2

On notera que si les potentiels de production sont estimés avec une marge d'incertitude relativement modérée, les diagnostics sur l'état des stocks restent souvent incertains, compte tenu des données disponibles. Globalement, les 4 stocks de la communauté à sciaenidés de Guinée semblent dans une situation proche de la pleine exploitation, avec des ratios «biomasses actuelle sur biomasse à l'état vierge» qui varient de 29 à 46 pour cent. Le machoiron (Arius spp.) semble quant à lui nettement sur-exploité, avec une biomasse actuelle comprise entre 15 et 21 pour cent de la biomasse à l'état vierge. Au Sénégal, la surexploitation semble également avérée pour plusieurs stocks; elle est notamment marquée pour le thiof (E. aneus), le pageot (Pagellus bellottii) et le petit capitaine (G. decatactylus). L'impact de l'exploitation sur les biomasses est ici très sensible, avec des ratios «biomasses actuelle sur biomasse à l'état vierge» qui varient de 10 à 50 pour cent.

2. Synthèse des estimations d'indices d'abondance

2.1 Méthode

En fonction des données dont on dispose, différents types d'indices d'abondance peuvent être calculés. L'existence de campagne de chalutage sur plusieurs années permet de calculer des séries d'indice à partir de modèle linéaire. D'un autre côté, les statistiques de pêche permettent d'établir des séries de prise par unité d'effort (PUE). Ces PUE sont corrigés d'une dérive des puissances de pêche. Cette correction dépend de la connaissance expert que l'on a de la pêcherie. Ces indices sont à la base des évaluations par modèle global.

Lorsque des séries sont incomplètes, il est possible de créer un indice synthétique qui soit la combinaison des données dont on dispose. Ainsi en Guinée, un indice combiné est obtenu à partir de PUE commerciale et d'indice provenant de données de campagne de scientifique. L'intérêt d'un tel indice est de couvrir une période plus longue.

Les résultats obtenus à partir des modèles globaux permettent d'estimer des indices bruts comme la biomasse à l'état vierge (Bv) et de reconstituer des séries de biomasse. Ce calcul de Bv dépend du modèle global qui est utilisé:

- pour un modèle de Schaefer, Bv = MSY / (0.5*M), selon la formule proposée par Gulland (1971), M étant la mortalité naturelle;

- pour un modèle de Fox, la formule de Gulland devient Bv = MSY / (0.37*M).

Ces deux formules s'appuient sur une hypothèse forte (et difficilement vérifiables): la mortalité par pêche est égale à la mortalité naturelle au MSY. Par suite, les séries de biomasses estimées doivent être considérées comme des approximations assez rudimentaires, dont l'objectif est essentiellement de fixer des ordres de grandeur comparables entre les différentes espèces.

Ce calcul de Bv permet en effet de reconstituer la série des biomasses. La biomasse est calculée chaque année selon la formule suivante:

B = IA/q = (IA/IAact). Bv. (B act/B act.eq). (B act.eq/B v)

Avec IA:

indice d'abondance,
q: la capturabilité,
Bact: la biomasse de la dernière année
B act.eq: la biomasse de la dernière année à l'équilibre

2.2 Rappel - Données campagnes - GLM

Pour le Sénégal, les campagnes utilisées sont celles du Louis Sauger, entre 1985 et 1995. Ces campagnes parcourent tout le plateau de la ZEE sénégalaise (de 5 à 200 m). Les différents effets qui sont testés sont l'année, le mois, la bathymétrie (de 0 à 30 m, de 30 à 60 m, de 60 à 90 m et plus de 90 m), la saison (chaude de juin à octobre et froide de novembre à mai) et la zone géographique par la latitude (zone 3 sous 13° de latitude, zone 2 entre 13° et 15° et zone 1 au-dessus de 15° de latitude).

Pour la Guinée, les campagnes qui sont utilisées sont celles du André Nizery entre 1985 et 1998. Ces campagnes couvrent une grande partie du plateau guinée avec une majorité de trait de chalut effectué à proximité de la côte. Les effets testés sont les mêmes qu'au Sénégal, les limites bathymétriques et les zones sont par contre différentes. Pour la bathymétrie le découpage est le suivant: 5-10 m, 10-15 m, 16-20 m, 21-40 m, 41-80 m, 81-110 m. Les zones géographiques sont le nord de la ZEE au-dessus de 10.5 de latitude nord, le centre est à l'est de 15° de longitude ouest et le centre ouest à l'ouest de 15° de longitude ouest et le sud sous 9.5° de latitude nord.

2.3 Résultats

Trois tableaux présentent les indices d'abondance obtenus à partir des campagnes scientifique (tableau 2), les PUE effectives obtenues à partir de données commerciales (tableau 3) et les séries de biomasse qui ont été reconstituées (tableau 4). Les séries de PUE présentées sont celles pour lesquelles l'ajustement du modèle global est jugé le plus satisfaisant. La série de biomasse est également calculée à partir de cette PUE. Enfin, on présente également les estimations d'effort effectif retenus dans l'ajustement des modèles globaux (tableau 5).

Tableau 2: Indices d'abondance obtenus à partir des campagnes scientifiques (Unités arbitraires). Les valeurs présentées sont celles de l'effet an dans le modèle linéaire retenu. Pour certaines espèces (absence de données), l'effet année n'est pas significatif, traduisant une évolution peu marquée de l'abondance sur la période.


Guinée

Sénégal

Cap-Vert

G.deca

P.elong

P.typus

P.sene.

Arius sp

G.deca

P.bellot

P.praye

S.caer.

E.aneu.

P.charle.

1985

6.4

3.07

2.4

4.4








1986

7

4.16

2.8

4.3


0.80






1987

5.6

3.06

2.6

3.4


2.50




1.12


1988

12.7

4.20

2.7

5.8


1.18




1.07


1989

13.7

4.85

4.8

8.9


0.63




0.32


1990

10.2

13.59

5.1

4.9


0.50




0.64


1991

7.7

2.66

2.1

4.1


0.33




0.28


1992

4.5

2.37

1.8

2.9


2.10




0.23


1993

2.3

1.74

1.4

2.3


2.22




0.34


1994

2.5

1.37

0.7

0.9


1.15




0.24


1995

3.3

0.50

0.8

1.6


1.00




0.16


1996












1997

5

2.66

1.7

2.6








1998

9.1

5.83

2.5

4.1








Tableau 3: PUE effective (unités arbitraires).


Guinée

Sénégal

Cap-Vert

G.deca

P.elong

P.typus

P.sene.

Arius sp

G.deca

P.bellot

P.praye

S.caer.

E.aneu.

P.charle.

1983






13 180

37 348

1 571

19 024

5 679


1984






13 002

55 709

4 188

8 450

7 181


1985

577

840

466

480

229

13 757

68 900

2 897

3 943

7 292


1986

325

1010

591

475

211

11 263

48 625

2 452

7 419

4 850


1987

329

544

422

225

205

7 949

17 560

1 684

11 327

4 639

6.9

1988

468

649

368

278

136

7 833

15 278

2 649

9 107

3 535

8.2

1989

503

577

572

387

185

6 461

32 364

1 073

9 372

2 348

5.1

1990

313

832

600

210

159

5 966

25 236

1 724

9 952

2 172

5.3

1991

287

280

257

224

124

3 738

14 989

2 448

11 487

1 891

3.4

1992

215

423

254

193

123

5 983

15 317

1 658

9 879

2 960

1.2

1993

250

421

279

194

60

2 451

11 533

2 404

4 776

3 802

2.2

1994

222

370

244

167

55

3 863

11 695

2 636

6 673

2 038

2.0

1995

139

225

94

152

47

1 674

9 769

789

4 717

1 250

1.9

1996

169

197

132

119

59

3 876

5 410

1 379

6 747

1 915

1.2

1997

195

351

276

89

38

6 033

10 065

1 758

4 603

2 703

1.6

1998

155

312

112

122

53

5 709

9 007

1 259

4 019

1 698

1.8

1999

259

428

166

212

36

1 792

10 644



1 359


Tableau 4: Série des biomasses (tonnes).


Guinée

Sénégal

Cap-Vert

G.deca

P.elong

P.typus

P.sene.

Arius sp

G.deca

P.bellot

P.praye

S.caer.

E.aneu.

P.charle.

1983






22 518

43 450

5 140

31 948

10 920


1984






22 213

64 812

13 704

14 191

13 808


1985

23 304

45 569

18 332

12 917

39 048

23 503

81 750

9 575

6 487

14 532


1986

13 134

54 822

23 246

12 790

36 013

19 242

57 694

8 105

12 203

13 998


1987

13 286

29 498

16 612

6 057

34 928

13 580

20 835

5 565

18 631

10 481

187

1988

18 893

35 203

14 470

7 474

23 187

13 382

18 128

8 754

14 979

7 386

221

1989

20 333

31 307

22 515

10 406

31 475

11 038

38 400

3 546

15 416

5 105

139

1990

12 654

45 152

23 612

5 638

27 133

10 193

29 943

5 698

16 371

7 382

143

1991

11 578

15 222

10 113

6 031

21 154

6 386

17 785

8 090

18 895

5 628

92

1992

8 689

22 959

9 977

5 187

21 016

10 222

18 174

5 481

16 249

5 639

34

1993

10 115

22 840

10 962

5 226

10 260

4 188

13 684

7 944

7 856

5 373

59

1994

8 973

20 060

9 581

4 502

9 324

6 599

13 876

8 714

10 976

4 914

53

1995

5 603

12 205

3 716

4 080

7 977

2 859

11 591

2 608

7 759

4 008

50

1996

6 815

10 672

5 180

3 198

10 015

6 623

6 420

4 558

11 098

3 111

33

1997

7 895

19 073

10 851

2 389

6 513

10 306

11 943

5 811

7 573

2 524

42

1998

6 246

16 931

4 393

3 279

8 993

9 754

10 687

4 160

6 612

2 074

50

1999

10 461

23 249

6 536

5 714

6 064

3 061

12 629



2 733


Tableau 5: Efforts de pêche effectifs estimés lors de l'ajustement du modèle global. (Cet effort correspond au ratio capture sur indice d'abondance. En Guinée, il s'exprime en milliers d'équivalents «jours de pêche poissonnier de 1999»; au Sénégal, les valeurs sont standardisées à 0.2 en 1983).


Guinée

Sénégal

Cap-Vert

G.deca

P.elong

P.typus

P.sene.

Arius sp

G.deca

P.bellot

P.praye

S.caer.

E.aneu.

P.charle.

1983






0.20

0.20

0.20

0.20

0.20


1984






0.20

0.17

0.11

0.60

0.26


1985

0.35

0.48

0.6

0.62

0.34

0.22

0.16

0.11

1.30

0.26


1986

0.86

0.79

0.9

0.91

0.91

0.25

0.19

0.13

1.09

0.27


1987

1.09

2.19

1.8

2.52

1.50

0.39

0.39

0.32

0.67

0.32


1988

0.94

2.44

2.7

2.53

3.11

0.35

0.32

0.22

0.58

0.32


1989

1.03

3.43

2.1

2.16

2.91

0.35

0.15

0.38

0.63

0.32


1990

1.90

2.85

2.4

4.63

4.10

0.41

0.27

0.33

0.90

0.25


1991

2.36

9.88

6.5

4.93

6.19

0.42

0.38

0.22

0.92

0.27


1992

3.51

7.48

7.4

6.43

7.16

0.36

0.39

0.19

0.90

0.31


1993

3.33

8.46

7.6

7.07

16.58

0.84

0.51

0.22

1.47

0.38


1994

4.11

10.70

9.6

9.01

20.35

0.40

0.46

0.19

1.00

0.40


1995

7.15

19.34

27.2

10.82

27.29

0.55

0.56

0.46

1.10

0.38


1996

7.02

19.53

16.3

6.07

19.77

0.31

0.75

0.26

0.59

0.43


1997

10.01

18.89

16.9

6.41

25.42

0.35

0.60

0.20

1.11

0.46


1998

7.65

15.70

19.4

9.46

18.37

0.33

0.37

0.24

1.41

0.40


1999

7.04

11.09

11.0

6.98

23.31

0.56

0.67



0.36


Ces résultats mettent en évidence une diminution très rapide des biomasses. Au Sénégal, la biomasse des cinq espèces considérées est diminuée de 75 pour cent en 15 ans (figure 1), tandis que l'effort est multiplié par plus de 2,5. En Guinée, la diminution est de 70 pour cent entre 1985 et 1995; l'effort effectif est très faible en 1985 (situation proche de l'état vierge) mais s'accroît de manière très rapide, en doublant quasiment tout les trois ans. En revanche, depuis 1995 on semble assister à une stabilisation des biomasses en même temps qu'à une diminution des captures.

Figure 1: Evolution des biomasses estimées au Sénégal, pour les espèces considérées. - Sénégal

Figure 1: Evolution des biomasses estimées en Guinée, pour les espèces considérées. - Guinée

Bilan

Globalement, les résultats obtenus par l'approche globale et par le suivi des évolutions d'abondance mettent en évidence une situation dégradée pour les différents stocks étudiés. Au Sénégal, les diminution d'abondance sont très fortes depuis 15 ans, alors même que l'exploitation était déjà intense en 1985. Une surexploitation très marquée est ainsi diagnostiquée pour plusieurs des espèces considérées. En Guinée, les espèces étudiées appartiennent à la communauté côtière qui était dans une situation proche de l'état vierge en 1985. En une quinzaine d'années, on est ici passée de l'état vierge à la pleine exploitation, voire à la surexploitation. Enfin, le potentiel de production de la langouste profonde du Cap-Vert est estimé à une quarantaine de tonnes, ce qui est l'ordre de grandeur des captures actuelles.

Ces résultats demandent à être confirmés, en particulier par les méthodes d'analyse structurale qui sont l'objet de la seconde partie du présent document.


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