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CHAPITRE 11
Pressions de l'agriculture sur l'environnement

11.1 Introduction

Dans le chapitre 4 ont été esquissés les perspectives de croissance et les principaux paramètres des secteurs de la production végétale et animale des pays en développement. Ces perspectives supposent une nouvelle intensification de l'utilisation des ressources en terres et en eau. A l'avenir on emploiera davantage d'engrais minéraux et l'utilisation des pesticides continuera à progresser, bien que plus lentement. Au cours des 20 prochaines années, l'introduction progressive de techniques respectueuses de l'environnement ne pourra freiner que modérément la tendance à un usage accru de pesticides; elle ne saurait y mettre fin ou l'inverser (voir plus loin). Le chemin de croissance projeté peut donc être critiqué pour diverses raisons ayant trait à ses incidences sur l'environnement et sa durabilité. A cet égard, deux questions étroitement liées se posent avec insistance.

D'abord, quelles sont les options techniques qui permettraient d'engager l'agriculture sur une voie plus écologiquement rationnelle menant à la production projetée tout en posant les bases d'un développement agricole durable à long terme? Ensuite, compte tenu du fait qu'à moyen terme il sera inévitable de faire des arbitrages entre préservation de l'environnement et développement, quelles sont les mesures qui pourraient en atténuer les inconvénients et assurer que l'on progresse vers une agriculture et un développement rural durables? Ces questions se situaient au cœur du débat qui a eu lieu en 1992 à la CNUED et lors des réunions techniques qui l'ont précédée, notamment la Conférence FAO/Pays-Bas de 1991 sur l'agriculture et l'environnement.

La première question, qui concerne les technologies, est traitée au chapitre 12, tandis qu'au chapitre 13 on examine la question plus large des actions complémentaires, surtout d'ordre politique et institutionnel, qui s'imposeraient au niveau national et international pour éviter ou minimiser les arbitrages entre environnement et développement. A titre d'exemple on peut citer les mesures concernant la planification de l'utilisation des ressources, le développement de l'infrastructure et les services d'appui aux agriculteurs ainsi que les actions plus larges touchant le développement dans son ensemble et les relations économiques internationales. Plusieurs de ces questions ont été abordées dans les chapitres précédents. On s'attachera dans le présent chapitre, qui traite principalement des pays en développement, à décrire, et si possible à quantifier, les pressions agricoles sur l'environnement qui sont implicites ou explicites dans la définition des chemins de croissance probables des secteurs de la productions végétale et animale.

11.2 Pressions sur les ressources en terres et en eau

Compétition pour la terre et l'eau

La compétition pour la terre devrait s'intensifier entre secteurs et systèmes de production. Elle s'exprime surtout dans l'expansion de l'utilisation des terres pour les cultures de plein champ et arbustives, la culture itinérante et le pâturage du bétail ainsi que sa conservation sous couvert forestier. Il y a ensuite la compétition entre la production végétale et animale et, à une échelle beaucoup plus réduite, celle entre la production végétale ou la préservation des mangroves et l'aquaculture; en outre, comme on l'a signalé au chapitre 5, de nouvelles pressions s'exerceront sur la forêt pour l'extraction du bois d'œuvre et du bois de chauffage. Enfin, la croissance démographique et le développement économique contribueront à accaparer de nouvelles terres pour les établissements humains et l'infrastructure.

L'empiètement de l'agriculture sur les terres forestières est surtout un problème des zones tropicales et ne se pose pas tant dans les zones tempérées (voir chapitre 5). Dans les premières en effet, le rythme du déboisement atteint actuellement 15,4 millions d'hectares par an, dont on estime qu'une grande partie résulte de l'extension des pâturages et des cultures, notamment de la culture itinérante à laquelle succède souvent la broussaille et la jachère arbustive. Dans les zones tempérées, la culture itinérante n'a presque plus de place dans les systèmes de production agricole et dans de nombreux pays on enregistre un reboisement net, soit naturel, soit sous l'effet de plantations. La Chine a mis en œuvre un programme considérable de reboisement (République populaire de Chine, 1992).

Il est possible que le taux de déboisement se ralentisse pour diverses raisons parmi lesquelles on peut citer: premièrement, l'effet à retardement de certaines mesures de politique récentes, comme celles visant à supprimer les avantages fiscaux favorisant le déboisement ou à renforcer le contrôle sur les opérations d'exploitation forestière; deuxièmement, la pénurie croissante de terres forestières convenant à la culture; troisièmement, le ralentissement prévu de la croissance de la population tributaire de l'agriculture dans les pays en développement; quatrièmement, les progrès techniques qui permettent de satisfaire la demande agricole par une intensification des cultures plutôt que par une extension des terres cultivées; cinquièmement, l'adoption et la mise en œuvre de politiques et programmes visant à la réalisation d'une agriculture et d'un développement rural durables. Et sixièmement, enfin, le changement de politique de certaines institutions de financement qui sont en train d'appliquer à leur projets d'investissement des critères plus rigoureux en matière d'évaluation d'impact sur l'environnement.

Toutes ces raisons ne suffiront cependant pas à faire disparaître complètement les pressions. Même si le taux de déboisement actuel est considérablement réduit, d'importantes superficies de forêts tropicales risquent d'être transformées, sous une forme ou une autre, en terres agricoles au cours des 20 prochaines années. Comme on l'a signalé au chapitre 4, quelque 90 millions d'hectares supplémentaires risquent d'être convertis à la production agricole d'ici 2010 dans les pays en développement, Chine non comprise. Ce n'est là qu'une faible proportion des 1,8 milliard d'hectares de terres à potentiel agricole actuellement inexploitées, mais on estime qu'au moins 45 pour cent de ces terres sont actuellement occupées par la forêt, chiffre qui est sans doute très inférieur à la réalité.

Cette pression continue met en lumière deux actions prioritaires qui sont examinées aux chapitres 12 et 13: le renforcement de la recherche agricole consacrée aux solutions de rechange à l'agriculture itinérante; et une stratégie plus holistique de conservation des forêts tropicales comme le préconise le Programme d'action de la FAO pour les forêts tropicales, car les politiques forestières en vigueur ont eu tendance à traiter le problème du déboisement comme un problème uniquement forestier sans chercher à comprendre les raisons de l'intensification agricole et, en conséquence, ont en général échoué. En outre, en privilégiant davantage le développement rural et la réforme agraire on pourrait contribuer à ralentir les migrations de population vers les zones marginales et écologiquement fragiles.

Selon les projections, les superficies cultivées des régions arides (catégorie terres semi-arides sèches du tableau 4.4) devraient augmenter de 6 millions d'hectares, ce qui est un chiffre relativement faible. Toutefois, une grande partie de cette surface est actuellement occupée par des terrains de parcours et sa transformation en terre cultivée risque, soit d'entraîner un surpâturage des parcours restants, soit de reléguer le cheptel vers des terres encore plus marginales qu'il faudra alors gérer attentivement si l'on veut éviter qu'elles ne se dégradent.

Au plan quantitatif, la concurrence qu'exerce l'aquaculture en matière d'occupation des sols n'est peut-être pas très importante en raison des surfaces limitées en jeu, mais il en va autrement sur le plan qualitatif car, dans certains pays, les terres mises en valeur sont des mangroves relativement uniques ayant de précieuses ressources potentielles biogénétiques et jouant un rôle important en tant que zone de reproduction des espèces halieutiques côtières. Aucune projection n'a été faite de la superficie totale à risque, mais des études ponctuelles faites dans certaines localités clés donnent à penser que des pertes importantes pourraient se poursuivre au cours des deux prochaines décennies si les mesures de protection ne sont pas renforcées.

Enfin, pour en venir à la compétition entre l'agriculture et les établissements humains, notamment le développement urbain/industriel et celui des infrastructures, il existe un certain nombre d'inconnues qui rendent difficile toute affirmation quant à l'ampleur de la pression, mais toutes les indications militent en faveur de l'adoption du principe de précaution préconisé par la Déclaration de Rio.

Au cours des 20 prochaines années il est prévu que la population des pays en développement augmentera d'environ 1,8 milliard d'habitants, mais la superficie que ceux-ci occuperont demeure très incertaine. La croissance économique, l'industrialisation et la poursuite de l'urbanisation exerceront cependant des pressions toujours plus fortes pour une extension des établissements humains. Selon les projections préliminaires et très conjecturales présentées au chapitre 4, la superficie supplémentaire qu'occuperaient les établissements humains en 2010 dans les pays en développement (Chine non comprise) serait de quelque 34 millions d'hectares, dont 20 millions d'hectares de terres à vocation agricole (voir tableau 4.3). Ce chiffre ne représente qu'une faible partie des 1,8 milliard de terres ayant un potentiel agricole.

Ainsi, pour l'ensemble des pays en développement, la totalité des terres cédées aux établissements humains ne paraît pas présenter un danger important - une augmentation modeste de la productivité des terres existantes ou une petite extension des terres en friche pourrait compenser la perte. Mais le tableau général est trompeur (Norse et al., 1992). D'abord, parce que certains pays n'ont pratiquement pas de terres inoccupées. Ensuite parce que l'urbanisation se fait en général dans les zones où la qualité du sol est élevée, tandis que les terres qui ne sont pas exploitées ont souvent un sol de qualité inférieure. Enfin, la population des pays en développement continuera de croître bien au-delà de la première moitié du siècle prochain de sorte que de nouvelles superficies, une fois construites, pourraient être perdues à jamais. La situation est particulièrement critique dans les zones littorales de nombreux petits pays insulaires en raison de la pression du tourisme. Et, bien sûr, le problème ne finit pas là, car l'extension des établissements humains n'est pas la seule cause des pertes de terre. La dégradation des sols, par exemple; entraîne une perte de terres et une réduction de la productivité sur des superficies beaucoup plus vastes (voir plus loin). Le réchauffement de la planète et le changement climatique à long terme pourraient menacer jusqu'à la moitié de ressources en terres de grande qualité de certains pays par suite de l'élévation du niveau de la mer ou de la détérioration de conditions agro-écologiques (ce serait le cas, par exemple, au Bangladesh ou en Gambie). Ces faits militent en faveur de l'application, préconisée plus haut, du principe de précaution afin de réduire au minimum les pertes de terre résultant de l'occupation du sol par les établissements humains, et ce, malgré la possibilité que certains pays en développement pourront suivre l'exemple de nombreux pays développés, à savoir réduire la surface arable grâce à une intensification des cultures. Le zonage et autres mesures nécessaires d'aménagement du territoire sont examinées au chapitre 13.

L'effet combiné de la croissance démographique et économique exercera des pressions encore plus grandes sur les ressources en eau douce que sur les ressources en terres (Falkenmark et Widstrand, 1992). Il a été indiqué au chapitre 4 que le progrès technologique permettrait d'une manière générale d'accroître la production agricole grâce à une expansion relativement modeste des terres exploitées. Il n'en va pas de même cependant pour la consommation d'eau, et il est peu probable que l'on enregistre des améliorations sensibles de l'efficacité de l'utilisation de l'eau à moyen terme. En effet, les progrès ont permis d'améliorer cette efficacité dans certains secteurs, mais ils n'ont pas suffi à compenser les effets de la croissance des revenus et le gaspillage, qui peuvent entraîner une multiplication de la demande d'eau par habitant pour usage non agricole (tableau 11.1). Certes, il peut y avoir un changement à l'avenir, mais les progrès technologiques et la modification des habitudes de consommation prennent en général au moins une quinzaine d'années - et parfois beaucoup plus - pour avoir un effet appréciable.

Tout cela a des implications sérieuses pour les deux prochaines décennies et au-delà. Si le bilan hydrique est satisfaisant dans la plupart des pays de l'Amérique du Sud, l'Afrique et l'Asie accusent déjà une pénurie grandissante de disponibilités en eau douce par habitant (tableau 11.2). De nombreux pays sont déjà plus proches de leurs limites en ce qui concerne les ressources en eau que les disponibilités en terres et la nécessité d'accroître la production agricole ne fera qu'accentuer la pression sur ces ressources. Trois aspects revêtent une importance particulière.

Premièrement dans les pays en développement, l'approvisionnement alimentaire est déjà fortement tributaire de la production céréalière irriguée, qui représente environ la moitié de la production céréalière totale. Selon les projections, cette dépendance devrait augmenter quelque peu malgré le coût élevé de l'irrigation dans certains pays et les pressions visant à supprimer les subventions (directes ou indirectes) en faveur de l'irrigation existante, subventions qu'il deviendra de plus en difficile à justifier au plan économique.

Tableau 11.1 - Consommation d'eau par secteur selon les pays classés par groupes de revenus
Groupe de revenusConsommation annuelle par habitantConsommation par secteur
AgricultureIndustrieMénages
m3pourcentage
Revenus faibles3869154
Revenus moyens453691813
Revenus élevés1 167394714

Source: Banque mondiale (1992a), p. 100, tiré de données provenant du World Ressources Institute

Tableau 11.2 - Disponibilité en eau par habitant et par région, 1950–2000
Région19501960197019802000
milliers de m3
Afrique20,616,512,79,45,1
Asie9,67,96,15,13,3
Amérique latine105,080,261,748,828,3
Europe5,95,44,94,44,1
Amérique du Nord37,230,225,221,317,5

Source: FAO (1993d), tiré de données de Ayibotele (1992).

Deuxièmement, la demande croissante d'eau pour l'irrigation et la progression de la demande industrielle et ménagère intensifieront la compétition pour l'eau et pourraient en faire monter le prix au-delà d'un niveau rentable pour la production de denrées alimentaires de base dans certaines régions. L'agriculture est la principale utilisatrice d'eau avec près de 70 pour cent de la consommation totale des ressources d'eau exploitées, contre environ 21 pour cent pour l'industrie et 6 pour cent pour les ménages. Ces derniers ne peuvent souvent augmenter leur consommation qu'en retirant de l'eau à l'agriculture et ils sont généralement en mesure de la payer un prix plus élevé. Troisièmement, la surexploitation de la nappe phréatique constitue un problème croissant dans de nombreuses régions, en particulier au Moyen-Orient où elle entraîne des intrusions de sel qui finissent par rendre l'eau impropre à la production végétale. Mais, le problème existe également dans une grande partie de l'Asie du Sud, où la sécurité alimentaire est fortement tributaire des cultures irriguées. Le pompage excessif dans cette région entraîne une baisse de la nappe phréatique que ne peuvent plus atteindre les forages peu profonds, de sorte que l'irrigation risque de devenir trop coûteuse, voire matériellement impossible. Enfin, le problème d'approvisionnement sera aggravé par la dégradation des réseaux d'irrigation existants qui risquent de devenir inutilisables et par la baisse de la qualité de l'eau (voir plus loin).

Encadré 11.1

SUREXPLOITATION DES EAUX SOUTERRAINES

Le succès qu'a connu le développement de l'irrigation ces dernières décennies peut être attribué en grande partie à l'exploitation des eaux souterraines au moyen de puits forés. Ceux-ci présentent l'avantage d'une construction rapide et peu coûteuse à petite échelle sans la perte de terres fertiles et la destruction d'établissements humains qu'accompagne en général la mise en place de grands systèmes d'irrigation par gravité alimentés par des réservoirs. Cette expansion a été très rapide. Rien qu'en Inde, le nombre de puits forés est passé de près de 90 000 en 1950 à plus de 12 millions en 1990. Ce succès masque cependant le fait que l'agriculture basée sur l'utilisation des eaux souterraines n'est pas viable à terme lorsqu'elle a recours à l'eau « fossile » ou que le taux de pompage dépasse le taux de recharge de la nappe phréatique.

L'extension rapide de l'irrigation par puits forés a mis à rude épreuve ce qui est d'ordinaire une ressource statique parce que les taux de recharge naturelle sont faibles. En outre, le problème a été aggravé par des contraintes qui se situent en général à quelque distance du lieu d'extraction, en raison surtout du déboisement des bassins versants dans les montagnes, du surpâturage ou d'autres formes de dégradation des terres qui accélèrent le ruissellement et réduisent l'infiltration de l'eau de pluie. En conséquence, le niveau de la nappe phréatique baisse, entraînant tout un ensemble de problèmes écologiques, économiques et sociaux. Les intrusions salines commencent à poser un problème dans de nombreuses régions côtières. Le pompage excessif a conduit à une augmentation des coûts d'investissement ou d'exploitation car il a fallu, en raison de la baisse de la nappe phréatique, forer des puits plus profonds et consommer davantage d'énergie pour le pompage. Dans certains cas, les agriculteurs pauvres n'ayant pas les moyens nécessaires pour approfondir leur puit ont dû revenir à la culture pluviale. Dans d'autres, les ajustements nécessaires ont été réalisés trop tardivement et la désertification s'est emparée de la terre, comme cela s'est produit à certains endroits en Inde.

Dégradation des ressources en terres et en eau

Les effets de la dégradation existante, notamment l'érosion, l'extraction d'éléments fertilisants, la salinisation des sols et la pollution de l'eau ont été implicitement inclus dans les analyses de production de la présente Etude parce que les rendements de l'année de référence et les ratios de réaction aux engrais traduisent les effets sur la productivité de cette dégradation. Les problèmes moins tangibles, comme la désertification et la dégradation des forêts, n'ont pas été pris en compte.

L'ampleur et l'intensité actuelles de la dégradation ont été estimées d'après une méthodologie normalisée - Global Assessment of Soil Degradation (GLASOD) (Evaluation globale de la dégradation des sols) - et les résultats sont plus plausibles que ceux des calculs précédents qui regroupaient diverses évaluations nationales et régionales établies sans définitions ni méthodologies communes (ISRIC/PNUE, 1991). L'érosion du sol est de loin la cause la plus répandue de dégradation, l'érosion par l'eau en étant le principal agent (tableau 11.3). Les estimations de l'intensité de la dégradation sont encore plus préoccupantes. En effet, on estime que, dans les pays en développement, près d'un milliard d'hectares de terres arables sont tellement dégradées que leur productivité est modérément ou sévèrement compromise. Dans l'ensemble du monde, quelque 9 millions d'hectares, dont 5 millions en Afrique, ont vu leurs fonctions biotiques originelles complètement détruites et en sont arrivées au point que leur remise en état n'est probablement pas rentable.

Des données plus récentes indiquent que les estimations de GLASOD sur l'importance de la dégradation des terres et ses effets sur la productivité sont souvent exagérées. Toutefois, les effets de la dégradation des terres sont souvent masqués par les effets compensatoires d'une technologie agricole améliorée ou d'applications accrues d'éléments fertilisants conduisant à un accroissement des rendements même sur une terre dégradée. Dans certaines régions d'Afrique et d'Asie, des agriculteurs et des communautés rurales ont démontré que des terres qui avaient été classifiées irrécupérables par le GLASOD peuvent en fait être remises en état. Ainsi, des agriculteurs au Kenya (voir chapitre 12) et en Chine ont restauré pour un coût modeste, avec des incitations et des techniques appropriées, des terres qui avaient été abandonnées ou qui étaient fortement dégradées, alors que cette opération n'aurait probablement pas été rentable si l'on avait utilisé les méthodes classiques supposées par le GLASOD.

Tableau 11.3 - Dégradation du sol par type et cause
(sols classés comme modérément à gravement touchés)
(millions d'ha)
 Erosion par l'eauErosion éolienneDégradation chimiqueDégradation physiqueTotal
Régions     
Afrique170983617321
Asie31590416452
Amérique du Sud7716441138
Amérique du Nord et centrale903775139
Europe9339188158
Australasie3-126
TOTAL748280147391 214
 pourcentage
Causes principales     
Déboisement438262384
Surpâturage2960616398
Mauvaise gestion des terres arables24165880339
Divers41610293
TOTAL1001001001001 214

Source : Adapté de ISRIC/PNUE (1991).

Les projections de la production reposent sur l'hypothèse que les politiques et pratiques agricoles nationales subiront quelques modifications pour corriger en partie la dégradation sol/eau, mais que ces modifications ne donneront pas tous leurs fruits à court terme ; bref, on a supposé qu'une certaine dégradation se poursuivrait. Toutefois, comme on le verra plus loin, il est très difficile de faire des projections de la dégradation future et de ses conséquences, en particulier de son impact sur la productivité.

Erosion du sol

Dans de nombreux cas, il semblerait que l'érosion entraîne des pertes de sol dépassant 50 tonnes par hectare et par an, pertes qui peuvent être plus de cinq fois supérieures au rythme naturel de formation du sol. Toutefois, l'incidence de ces pertes sur le rendement ou la production n'a pas été bien établie en termes physiques malgré les nombreuses tentatives pour le faire. La relation entre érosion et perte de productivite est plus complexe qu'on ne le pensait, tout comme l'est celle entre érosion provoquée par l'homme et érosion naturelle. De même, les techniques expérimentales utilisées autrefois pour quantifier ces pertes sont moins efficaces qu'on ne le croyait. La relation entre érosion et baisse de rendement n'est pas linéaire, c'est-à-dire qu'elle n'est pas directement proportionnelle à l'épaisseur de la couche perdue ni au type de particules disparues. En outre, l'incidence sur la structure du sol, notamment sur son aération, peut être plus importante que celle sur sa composition chimique.

Mitchell et Ingco (1993) et Crosson (1992) font observer que, d'après un certain nombre d'études sur les relations entre la dégradation des terres et la baisse des rendements agricoles, cette baisse est probablement peu importante (de l'ordre de 2 à 4 pour cent sur une très longue période - allant jusqu'à cent ans). Toutes ces études portent cependant sur les terres généralement profondes et fertiles d'Amérique du nord. Ces conclusions ne peuvent donc pas s'appliquer à d'autres régions, du fait surtout que les sols tropicaux et les processus biologiques qui les concernent peuvent être très différents. Lorsque la fertilité du sol réside essentiellement dans les couches superficielles, l'érosion peut entraîner des partes de rendement beaucoup plus graves que dans les zones tempérées. Il peut également arriver que la perte de rendement à un endroit soit compensée par un gain en aval, dans la vallée ou la plaine, où le sol finit par être déposé. Mais là aussi la situation est complexe. D'abord, parce que les dépôts peuvent aussi avoir des conséquences négatives, par exemple lorsqu'ils provoquent un envasement des réservoirs et des canaux d'irrigation et en réduisent la vie effective (tableau 11.4). Ensuite, parce qu'on avait l'habitude d'attribuer aux activités humaines une bonne partie de la charge de limon des cours d'eau, alors que maintenant on pense qu'elle est largement due aux soulèvements récents de l'écorce terrestre. En Chine, par exemple, où on croyait autrefois que la sévère érosion du plateau de lœss était largement imputable aux activités de l'homme - et certains observateurs s'en tiennent encore à cette thèse - on pense maintenant que plus de 60 pour cent de l'érosion est due aux mouvements de l'écorce terrestre.

Tableau 11.4 - Envasement de certains réservoirs indiens
RéservoirTaux supposéTaux observéDurée de vie escomptée en pourcentage de la durée théorique prévue
 acre-pieds par an 
Bhakara23 00033 47568
Maithon6845 98011
Mayurakshi5382 08027
Nizam Sagar5308 7256
Panchet1 9829 53321
Ramganga1 0894 36625
Tungabhadra9 79641 05824

Source : Données fournies par la Commission centrale des ressources hydriques, Ministère des ressources hydriques, Gouvernement de l'Inde.

Epuisement des sols

C'est là une question qui a été mise en relief par le débat ouvert sur la comptabilité environnementale. Le raccourcissement des jachères et la fréquence de plus en plus rapprochée des périodes de culture sans mesures techniques adéquates pour remplacer les nutriments prélevés par les plantes par des apports d'engrais organiques ou minéraux, des légumineuses, des algues fixatrices d'azote, etc. (voir chapitre 12) entraînent une baisse de la fertilité des sols et des rendements réels ou potentiels. Ces pratiques menacent donc la viabilité à terme de la production agricole. Une partie du problème est souvent masquée par les gains dus à une utilisation non équilibrée d'engrais qui, malgré la hausse des rendements qu'elle entraîne, introduit un coût économique supplémentaire en raison du fait que le déséquilibre nuit à l'efficacité technique du mélange d'éléments nutritifs (Twyford, 1988).

La situation est particulièrement critique en Afrique subsaharienne, mais elle est sérieuse dans bien d'autres régions, en ce qui concerne tant les nutriments principaux comme l'azote et le phosphate que les micro-éléments comme le bore et le manganèse. Au milieu des années 80, on estimait que tous les pays de la région souffraient de l'extraction des nutriments à un degré plus ou moins élevé (Smaling, 1993), le problème le plus grave se posant dans les régions semi-arides où le fumier animal est peu abondant et l'utilisation d'engrais minéraux rarement rentable. D'après les projections, la situation devrait s'améliorer, mais l'horizon 2010 est trop proche pour permettre de combler les principales lacunes en matière de technologie et d'infrastructure. Ces contraintes sont examinées respectivement aux chapitres 12 et 13. Le besoin apparaît notamment de systèmes intégrés, meilleurs et moins coûteux, d'apport de nutriments végétaux et de moyens de transport et de commercialisation améliorés permettant d'abaisser le prix relatif des engrais minéraux et d'encourager les pratiques agricoles plus viables.

Salinisation des sols

Ce problème concerne principalement les zones irriguées, mais il se pose aussi dans les zones arides et chaudes où la forte évaporation fait remonter les sels à la surface. Dans les zones iriguées, il est en général dû à une mauvaise conception au départ qui entraîne un médiocre drainage et/ou à un entretien insuffisant et une gestion inefficace conduisant à des taux d'application excessifs et des infiltrations provenant des cours d'eau. Il en résulte l'engorgement, la salinisation, la baisse des rendements et, en fin de compte, si aucune mesure corrective n'est prise, la perte de terres agricoles. Il en résulte que des pressions physiques s'exercent sur la base de ressources limitée en cas de perte définitive des terres - pertes qui, selon certaines estimations, pourraient atteindre entre 0,2 et 1,5 million d'hectares par an dans le monde entier et s'accompagneraient d'une dégradation par engorgement et salinisation de 10 à 15 pour cent des terres irriguées.

Dans la présente étude, les projections de la production prévoient une augmentation nette de 23 millions d'hectares des superficies irriguées dans les pays en développement, Chine non comprise (tableau 4.5). Elles supposent également que seront prises les mesures appropriées, décrites dans les deux chapitres suivants, pour éviter pertes ultérieures de terres par salinisation. Cette hypothèse paraît plausible dans la mesure où on est beaucoup plus conscient maintenant de la nécessité d'améliorer la gestion de l'eau et le drainage, mais les investissements et les changements institutionnels que cela suppose demanderont encore un certain nombre d'années. Ainsi qu'il ressort du chapitre 4, il faudrait que l'investissement brut en faveur de l'irrigation soit de beaucoup supérieur à celle nécessaire pour l'adjonction nette de 23 millions d'hectares, afin de tenir compte de la remise en état ou du remplacement des terres irriguées appauvries.

Désertification

D'une manière générale, ce phénomène peut être défini comme étant la dégradation des terres dans les régions arides1. L'attention s'est portée principalement sur la région soudano-sahélienne de l'Afrique où l'on signalait une avancée inexorable des déserts, mais ces informations sont maintenant contestées (voir plus loin). Toutefois, il ne s'agit pas seulement d'un problème africain. Tous les grands continents y sont confrontés et on estime à 30 pour cent des terres émergées la superficie des zones cultivées et des terrains de parcours menacés par la désertification.

Un tournant important dans l'opinion des milieux scientifiques sur ce sujet s'est produit depuis ces dernières années et on s'accorde de plus en plus à penser que la superficie touchée par la désertification a été fortement surestimée (voir, par exemple, Nelson, 1988 ; Warren et Agnew, 1988 ; Bie, 1990). La FAO a souligné tout particulièrement la faiblesse de la méthodologie utilisée pour produire certaines des estimations les plus extrêmes. On reconnaît maintenant que les terres arides sont beaucoup plus résistantes à la sécheresse et aux abus de l'homme qu'on ne le croyait auparavant.

Bien que le rôle joué par l'homme dans la désertification ne soit pas encore bien compris, il ne fait guère de doute que l'extraction des éléments nutritifs du sol et l'exploitation excessive des sols fragiles conduit à la dégradation des terres arides et à la désertification. Les projections du chapitre 4 indiquent que les pressions de ce type sont en train d'augmenter. L'atténuation de ces pressions dépendra de l'amélioration des pratiques agricoles, telles que la conservation de l'humidité du sol, et le développement par la recherche de paillis vivants de légumineuses et d'autres techniques (voir chapitre 12).

1. La définition proposée par la FAO est la suivante : « Ensemble des facteurs géologiques, climatiques, biologiques et humains qui conduisent à la dégradation des qualités physiques, chimiques et biologiques des terres des zones arides et semi-arides et mettent en cause la biodiversité et la survie des communautés humaines. » (FAO, 1993g).

Contamination de l'eau

L'approvisionnement futur en eau est menacé à la fois par les contraintes quantitatives examinées plus haut et par des problèmes qualitatifs surgissant dans l'agriculture qui constituent une menace pour le rendement des cultures et pour la santé des êtres humains, du bétail et de la faune sauvage. Les principales menaces d'origine agricole sont les suivantes : les concentrations croissantes de sel dans les zones irriguées ; la contamination des eaux de surface et des eaux souterraines par les engrais et les pesticides ; enfin, les déversements d'effluents organiques provenant d'unités d'élevage intensives et d'établissements piscicoles. Il est prévu qu'elles vont toutes augmenter en raison du long délai nécessaire pour mettre en œuvre les mesures correctives appropriées.

Avec l'intensification de l'irrigation, l'eau pourrait être de plus en plus réutilisée, d'où des concentrations de sel plus fortes et le risque de voir compromettre les rendements et la viabilité de l'irrigation si des mesures correctives ne sont pas prises. Heureusement, les principales céréales irriguées - le riz et le blé - sont relativement tolérantes à des taux de salinité faibles ou modérés, mais lorsque la salinité atteint un niveau élevé les rendements baissent d'environ 10 pour cent.

Des applications plus intenses d'engrais organiques et minéraux sont essentiels pour éviter d'épuiser les éléments nutritifs du sol et augmenter les rendements des cultures, mais dans de nombreux pays en développement on restera au-dessous d'un niveau susceptible de créer des problèmes de pollution majeurs. Toutefois, dans certaines régions où les taux d'application sont très élevés (par exemple, le Punjab) ou les sols sablonneux peu profonds surmontent des aquifères (comme dans certaines parties du Sri Lanka), il pourrait y avoir des risques significatifs si des mesures correctives ne sont pas prises. Dans certains pays d'Afrique du Nord/Proche-Orient et d'Asie du Sud les taux d'application d'engrais minéraux devraient, selon les projections, dépasser 100 kg d'azote par hectare d'ici l'an 2010, ce qui signifie un taux élevé pendant au moins 20 à 30 ans. Cette durée correspond à la période pendant laquelle les pays développés ont commencé à connaître des problèmes graves de nitrates dans les eaux souterraines, ce qui souligne l'importance d'ajuster le taux d'application au taux d'absorption par les plantes. Des restrictions à l'usage de produits chimiques en agriculture et à l'élimination des déchets provenant des agro-industries pour protéger la qualité de l'eau destinée à la consommation humaine imposeront forcément des coûts supplémentaires.

Selon les projections, les unités d'élevage intensif de vaches laitières, de porcs et de volaille devraient assurer une proportion croissante de la production animale totale, de sorte que leurs effluents augmenteront également. Nombre de pays développés ont introduit des mesures de réglementation du stockage et de l'évacuation de ces effluents. Aux Pays-Bas, par exemple, les concentrations de bétail sont strictement contrôlées dans les zones de sols sablonneux perméables. La situation dans les pays en développement risque d'empirer avant que n'y soient prises des mesures similaires.

Utilisation des pesticides

Dans la présente étude, les projections de la production supposent trois changements qui, à la lumière de l'expérience en matière de lutte contre les ravageurs, pourraient entraîner des menaces graves pour l'environnement. D'abord, la réduction de la durée des jachères risque non seulement de compromettre la fertilité du sol, comme on l'a déjà noté mais, en l'absence de mesures correctives appropriées, elle pourrait conduire à des attaques plus graves et plus fréquentes de plantes adventices, d'insectes et de maladies, car les agents causaux peuvent survivre en plus grand nombre d'une campagne agricole à l'autre. Ensuite, l'augmentation de la superficie portant deux, ou même trois, récoltes par an pourrait avoir un effet analogue à la réduction des jachères. Enfin, l'augmentation de la demande de légumes et, dans une moindre mesure, de fruits pourrait conduire à davantage de pollution et de risques sanitaires en raison d'un usage excessif d'insecticides. Il arrive souvent en effet que ces cultures reçoivent des application exagérées d'insecticides à un moment trop proche de la récolte, soit qu'on veuille se garantir contre le risque de perdre une récolte de haute valeur marchande, soit qu'on veuille améliorer leur apparence extérieure, et donc leur prix. Ces taux d'application excessifs peuvent engendrer de nombreux risques - pour les personnes qui font les applications, pour les consommateurs, pour les prédateurs naturels des ennemis des plantes et pour l'approvisionnement en eau potable.

Des problèmes bien connus relatifs aux données font qu'il est difficile de projeter en détail les taux futurs d'utilisation des pesticides. On suppose toutefois que l'intérêt accru porté à la lutte intégrée contre les ravageurs (IPM), ainsi qu'aux méthodes de lutte biologiques en général, joint aux préoccupations touchant la santé publique et la protection des écosystèmes joueront en faveur d'une poursuite de la tendance actuelle qui est au ralentissement du taux de croissance général d'utilisation des pesticides et d'une réduction tant des taux d'application que de la toxicité des insecticides et des pesticides. Ces tendances positives sont manifestes, par exemple, en Egypte où l'usage d'un certain nombre de pesticides toxiques est interdit et en Indonésie où l'introduction réussie d'un programme de lutte intégrée contre les ravageurs dans les rizières a donné d'excellents résultats (voir chapitre 12).

En conséquence, il paraît raisonnable de supposer que le taux de croissance de l'utilisation des pesticides sera plus faible qu'au cours des deux dernières décennies et que les risques pour l'environnement par unité d'utilisation de pesticide seront réduits. Ainsi, si les préoccupations manifestées par certains groupes sont légitimes et s'il n'y a pas lieu de faire preuve d'un optimisme béat, rien ne justifie cependant les arguments basés sur une extrapolation linéaire des erreurs passées.

11.3 Questions liées à un changement à l'échelle du monde

Perte de diversité biologique

Les projections indiquent deux pressions particulières qui méritent de retenir l'attention, à savoir le déboisement et la perte de terrains marécageux. Les forêts, la biodiversité et le changement climatique qui sont examinés ci-après sont des question étroitement liées, car les forêts jouent un double rôle en tant qu'habitats et en tant qu'importants pièges à carbone. Les nombreux étages du couvert forestier, surtout dans les tropiques, avec leurs différents niveaux d'intensité lumineuse et d'humïdité, permettent à une multitude d'habitats de coexister dans une petite zone, riche en diversité biologique. Ainsi, les forêts tropicales denses ne couvrent que 7 pour cent de la surface de la terre mais renferment au moins 50 pour cent, et peut-être même 90 pour cent, des espèces vivant dans le monde. Un grand nombre de ces espèces n'ont pas encore été décrites ni évaluées pour leur utilité en tant que denrées alimentaires, médicaments ou à d'autres fins. Il est impossible de dire lesquelles d'entre elles peuvent n'être d'aucune utilité pour le développement durable à long terme, mais il est aussi difficile de soutenir que la vie telle que nous la connaissons ne pourrait pas se poursuivre en l'absence de certaines de ces ressources inconnues.

Bien que l'étendue de forêt tropicale qui pourrait être occupée par l'agriculture d'ici 2010 ne constituerait qu'un pourcentage relativement faible du stock mondial restant, il paraît justifié de tenter de réduire les pertes au minimum. On prévoit aussi qu'une petite partie des terrains marécageux des pays en développement sera drainée et exploitée pour les cultures, car ces terrains représentent l'une des rares ressources restantes de ces pays pour l'agriculture permanente. Les terrains marécageux constituent à la fois une source de biodiversité et un écosystème rendant divers services environnementaux tels purification de l'eau et atténuation des inondations, et servent de lieu de reproduction pour les poissons, de refuge pour la faune sauvage et de zone de loisirs. Etant donné le rôle qu'ils jouent, ils méritent d'être protégées, mais les superficies qui seront converties à l'agriculture ne représenteront qu'une très faible part du total et apporteront une contribution vitale à la sécurité alimentaire.

Le changement climatique : incidences potentielles à l'échelle mondiale et régionale

Les activités agricoles constituent l'une des principales sources de gaz à effet de serre qui, à leur tour, contribuent au forçage radiatif et, par voie de conséquence, au changement climatique. Ce changement exercera évidemment son influence sur l'agriculture2. Outre le rejet de gaz carbonique causé par le brûlage de la biomasse, surtout par suite du déboisement et des feux de savane qui représentent ensemble quelque 30 pour cent de la quantité totale de CO2 émise, la principale contribution de l'agriculture au forçage radiatif se fait sous forme d'émissions de méthane (CH4, 70 pour cent environ des émissions totales) et d'oxyde nitreux (N2O, 90 pour cent environ du total).

2. Le rôle des forêts et de la foresterie dans le cycle du carbone est examiné au chapitre 5.

La riziculture paraît être la source la plus importante d'émission de méthane dans le monde, sous l'effet d'un ensemble complexe de facteurs qui affectent essentiellement les bactéries qui produisent et absorbent le méthane. Ces interactions sont très sensibles aux conditions physiques, chimiques et biologiques des rizières et peuvent donc être manipulées par les pratiques d'exploitation. Ainsi, les émissions de méthane dans l'atmosphère sont plus élevées dans la culture du riz en eau profonde qu'en eau peu profonde.

On prévoit que la superficie cultivée en riz augmentera de quelque 11 millions d'hectares d'ici l'an 2010, soit d'environ 10 pour cent. L'augmentation projetée d'émissions de méthane provenant de cette source est donc relativement modeste, d'autant plus qu'une partie de l'extension de la superficie consacrée à la riziculture viendra de la conversion de terres humides qui, à l'état naturel, produisent déjà du méthane. Le surcroît de production provenant de cette source sera encore réduit par l'abandon progressif que l'on prévoit de la riziculture en eau profonde sous l'effet principalement de la concurrence accrue de l'aquaculture.

Il est possible que plus que la riziculture ce soit l'élevage des ruminants qui entraînera la plus forte augmentation des émissions de méthane dans l'atmosphère, car le nombre de ces animaux dans les pays en développement devrait progresser de près de 35 pour cent d'ici 2010. Le méthane est rejeté à la suite d'une décomposition incomplète des matières végétales par fermentation aérobie, processus qui est favorisé par les aliments fibreux et de qualité variable souvent dispensés aux ruminants dans les pays en développement. Ainsi, la production de méthane est plus forte chez les animaux mal nourris que chez les animaux bien nourris. L'effet global des projections relatives au forçage radiatif est difficile à évaluer, car il dépend à la fois du nombre de ruminants et de la composition nutritionnelle de leur alimentation, mais on estime que celle-ci va s'améliorer modérément sous l'effet de la demande croissante de produits animaux.

L'augmentation annuelle d'oxyde nitreux dans l'atmosphère est relativement faible et on possède peu de mesures précises des sources. On estime que les émissions sont surtout d'origine biotique et qu'elles sont liées aux processus de nitrification et de dénitrification. Ceux-ci se produisent dans les écosystèmes naturels tels que forêts de pluie tropicales et savanes tropicales/subtropicales ainsi que dans les agro-écosystèmes à forte utilisation d'engrais. Les applications d'engrais azotés seraient responsables de 20 pour cent environ de l'augmentation annuelle actuelle de N2O atmosphérique. On s'attend à ce que ces applications augmentent légèrement dans les pays développés, mais qu'elles progressent beaucoup plus vite dans les pays en développement, notamment sur les terres arables de bonne qualité. Toutefois, d'un manière générale ces terres ne réunissent pas les conditions saisonnières hydromorphiques du sol qui favorisent particulièrement les émissions de N2O.

Il reste encore beaucoup d'incertitudes concernant la nature, le profil temporel et la distribution régionale des incidences potentielles du changement climatique. Malgré les recherches stimulées par le Groupe intergouvernemental de l'évolution du climat (IPCC) et par les préoccupations des autorités nationales, il faudra encore plusieurs années avant que ces incertitudes soient levées. Néanmoins, on s'accorde à reconnaître dans les milieux scientifiques que le réchauffement de la planète est un phénomène réel qui risque d'avoir tout un ensemble de conséquences tant négatives que positives pour l'agriculture (FAO, 1990d). Certaines des conséquences les plus graves pourraient se faire sentir dans les régions qui sont déjà vulnérables aux variations climatiques actuelles - en particulier l'Afrique subsaharienne - et qui ont le moins de possibilités de s'en sortir par la recherche ou par l'argent. D'une manière générale, les pays en développement risquent d'être plus affectés par les changements éventuels que les pays développés, même si l'élévation des températures résultant d'un réchauffement planétaire se fait davantage sentir aux latitudes élevées où sont situés la plupart des pays développés. L'incidence potentiellement plus forte sur les pays en développement sera, d'une part, d'ordre physique parce que la plupart d'entre eux sont dans des zones à faible pluviosité ou possèdent de larges étendues de terres arides qui connaissent déjà de grands problèmes de production agricole en raison de la variabilité des pluies et des contraintes connexes et, d'autre part, d'ordre économique du fait de leur forte dépendance à l'égard de l'agriculture (voir chapitre 3).

Toutes ces incidences potentielles du changement climatique sortent probablement du cadre temporel de la présente étude puisque l'on n'envisage pas actuellement qu'elles jouent un rôle notable avant l'an 2030 environ. Mais il existe cependant un facteur positif qui est peut-être déjà en train d'avoir une influence sur la production agricole : il s'agit de l'accélération de la croissance végétale résultant des concentrations plus fortes de gaz carbonique dans l'atmosphère, qui elles-mêmes constituent l'un des facteurs de forçage du réchauffement planétaire et du changement climatique. Les niveaux plus élevés de CO2 entraînent une croissance plus rapide de la biomasse végétale et une meilleure utilisation de l'eau dans de nombreuses plantes, ce qui contribue à une implantation plus forte des racines et à une couverture plus dense au sol. Certains scientifiques pensent que ce phénomène pourrait expliquer entre 10 et 25 pour cent des hausses de rendement constatées au cours des dernières décennies. En outre, même si les pays développés réussissent à stabiliser les émissions de CO2 au début du siècle prochain, il ne serait pas réaliste de penser que les pays en développement puissent le faire avant la fin du siècle. Par conséquent, la fertilisation par le CO2 jouera un rôle important pendant les 20 années que couvrent les projections actuelles et au-delà.

Enfin, bien que les principales incidences négatives du changement climatique ne se feront probablement pas sentir avant 2010, il y a certaines mesures agricoles qui seraient justifiées dans le contexte des besoins socio-économiques actuels et qui contribueraient à atténuer l'impact potentiel du changement climatique. Ces mesures sont examinées aux chapitres 12 et 13.

11.4 Conclusions

Deux aspects de l'étude à laquelle nous venons de procéder méritent d'être soulignés. Premièrement, comme on l'a signalé d'abord au chapitre 4, le rythme auquel s'étendront les terres agricoles diminuera au cours des deux prochaines décennies par rapport au passé. Toutefois, les pressions sur l'eau augmenteront considérablement et il en sera de même des pressions sur l'environnement résultant de l'intensification de l'utilisation des terres. Deuxièmement, l'analyse a porté pour l'essentiel sur le caractère global des pressions sur les ressources naturelles et n'a pas fait ressortir clairement la répartition de ces pressions entre les pays sous l'effet des échanges commerciaux. Le commerce contribue à transférer les pressions sur les ressources dans les pays importateurs aux pays exportateurs, comme cela a été le cas en Thaïlande avec la production de manioc destiné à l'exportation vers l'Europe. De tels effets peuvent être importants et sont examinés au chapitre 8 dans le cadre de l'étude générale des questions relatives aux échanges commerciaux.


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