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L'évolution des disponibilités alimentaires nécessaires pour satisfaire les besoins en énergie alimentaire de l'humanité

Nous avons vu dans quelle mesure les besoins des populations des pays en développement ont été de mieux en mieux couverts durant la période 1950–1995, en dépit d'une multiplication par 2,6 de leur population. Qu'en sera-t-il dans l'avenir compte tenu de l'accroissement de la population ?

Il est nécessaire d'anticiper l'évolution des régimes alimentaires

Pour évaluer les besoins en énergie alimentaire des pays de la planète à l'horizon 2050, nous avons raisonné jusqu' à présent en faisant comme si les régimes alimentaires devaient rester immuables. À notre décharge, et aussi curieux que cela puisse paraître, malgré les sondages et enquêtes de toutes sortes qui donnent souvent l'impression aux citoyens des pays développés qu'ils sont auscultés dans tous les actes de leur vie, l'évolution de leurs régimes alimentaires, comme celui des pays en développement, ne peut être tracée de façon fiable, surtout sur une période aussi longue. Il faut pourtant lever cette difficulté car, comme par le passé, les changements de régimes alimentaires n'attendent pas les statisticiens pour se manifester. Il est donc nécessaire d'anticiper sur des modifications prévisibles, compte tenu des effets de croissance économique attendus ou de poursuite de l'urbanisation dont nous avons déjà montré les impacts sur les régimes alimentaires et l'organisation de la distribution des vivres.

Car, sauf catastrophes écologiques majeures ou incapacité de l'humanité à mettre en œuvre les conditions de développement, deux tendances principales devraient prévaloir. La première irait dans le sens d'une évolution des disponibilités alimentaires qui permettrait de satisfaire les besoins en énergie alimentaire de l'humanité. La deuxième irait dans le sens d'une diversification de la composition de leurs régimes alimentaires. Celle-ci résulterait de modifications de pratiques en partie induites par l'urbanisation. Elles devraient contribuer à apporter aux populations des compléments nutritifs importants (acides aminés indispensables, vitamines, oligo-éléments…).

L'augmentation des disponibilités alimentaires ne peut être considérée comme la seule solution du problème alimentaire.

Il convient d'entrée de souligner un élément capital : les projections que nous avons réalisées n'impliquent en aucun cas que la crise alimentaire puisse être résolue par des mesures visant uniquement à augmenter les disponibilités alimentaires par habitant. En clair, quel que soit le niveau de disponibilités prévu, ces mesures doivent être envisagées comme faisant partie intégrante de politiques qui s'attaquent directement à la racine du mal. Au risque de lasser, insistons une nouvelle fois: ce sont la pauvreté et le manque d'accès des pauvres à la nourriture, tant en milieu rural qu'en milieu urbain, qui sont les causes principales de la sous-alimentation. Observons que ces deux politiques doivent aller de pair dans les pays où la majeure partie des pauvres travaillent actuellement dans l'agriculture.

Dans certains pays, les populations augmentent encore significativement les quantités de vivres qu'elles consomment, dépassant très sensiblement les 3 500 calories. On sait que l'obésité est devenue aux États-Unis une véritable question de santé publique et que de nombreux pays développés sont confrontés à des évolutions comparables. D'autres populations, en revanche, réduisent l'énergie qu'elles ingèrent, se limitant à 3 200, voire 2 950 calories.

Après avoir augmenté encore durant une ou deux décennies, la ration calorique moyenne des populations des pays développés se rapprochera peut-être, à terme, de celle observée dans certains pays d'Europe du Nord (3 000 à 3 200 calories). Observons d'ailleurs que la FAO prévoit encore pour 2010 une ration énergétique moyenne forte de 3 470 calories [2].

Faute d'information plus précise, il est supposé dans cette étude que la ration calorique des pays dont les disponibilités observées en 1990 dépassaient de plus de 30 % les besoins en énergie alimentaire qui leur étaient programmés pour 2050, n'évoluera pas entre 1990 et 2050 (soit 3 400 calories).

Un complément de disponibilités en énergie alimentaire des pays en développement

En 2050, les disponibilités alimentaires des pays en développement dépasseront probablement largement, en volume, le niveau de leurs besoins énergétiques. La demande alimentaire augmentera si la pauvreté régresse et si, de ce fait, la distribution intérieure est moins inégale qu'aujourd'hui. Elle tiendra compte en outre des pertes dans les ménages (pertes au niveau de la conservation domestique des denrées de base, de la préparation des plats, etc.).

Mais comment évaluer l'effort à fournir ? En combinant, pour chaque pays, la moyenne des disponibilités alimentaires, un indicateur de distribution de vivres et une évaluation des besoins minimum, la FAO fournit par exemple une estimation du nombre de sous-alimentés du monde (800 millions en 1995) [36]. Par contre, cette estimation ne nous renseigne pas sur l'importance du déficit alimentaire des pays où sévit encore la faim. En particulier, elle ne nous dit pas quel serait l'impact d'une augmentation de 10 %, de 20 %, ou de 30 % du niveau de leurs disponibilités alimentaires sur la réduction de la proportion de sous-alimentés.

Il est néanmoins nécessaire, pour les besoins de cette étude, de proposer un ordre de grandeur.

La tâche est ardue. En effet, les deux principaux phénomènes qui expliquent l'écart entre le niveau des besoins des populations et celui des disponibilités alimentaires qui leur sont nécessaires (à savoir, les pertes entre la vente au détail et la consommation, et l'inégalité caractérisant la distribution de vivres à l'intérieur des pays) ont probablement des intensités très différentes selon les pays, notamment en fonction de la pauvreté.

On a déjà relevé que les pertes entre la vente au détail et la consommation varient considérablement d'un pays à l'autre et d'une année à l'autre, et qu'elles peuvent aller jusqu' à 10 % dans le cas où des réserves sont constituées pour faire face aux aléas de tous types. Cependant, on peut pronostiquer sans trop de risque que les pertes de denrées au niveau domestique seront largement maîtrisées en 2050. Avec l'amélioration de l'équipement des ménages, une production moins aléatoire du fait de la maîtrise de nouveaux savoirs techniques, avec une meilleure régulation des marchés, il deviendra moins indispensable de constituer des réserves pour de longues périodes, réserves domestiques les plus exposées aux dommages de toutes sortes.

En outre, la FAO a calculé qu'en cas d'inégalité de distribution de vivres, la proportion de population sous-alimentée atteint 10 % lorsque les disponibilités alimentaires par habitant s'élèvent à 2 700 calories, et monte de 15 à 35 % lorsque le niveau des disponibilités alimentaires moyennes par pays se situe entre 2 200 et 2 500 calories [36]. Il ressort de ces données que, pour assurer une véritable sécurité alimentaire, les disponibilités alimentaires nationales doivent dépasser 2 800 calories, atteindre peut-être 2 900 ou 2 950 calories si l'on considère que, dans ces conditions nettement améliorées, les pertes pourraient être considérablement limitées (peut-être en dessous de 5 %). Mais les informations techniques fiables manquent pour éliminer tout risque d'erreur dans ce type d'estimations.

En revanche, il est à craindre que les problèmes posés par les mauvaises répartitions n'auront pas disparu en 2050. Celles-ci semblent en effet n'avoir jamais été éliminées durablement dans aucune société humaine. L'histoire des civilisations est ici cruelle. On peut cependant espérer que les hommes sauront prendre à bras-le-corps cette question. La santé d'une fraction importante de la population du monde et son aptitude à prendre en charge son destin en dépendent.

On suppose que les populations de tous les pays en développement augmenteront leurs disponibilités à un niveau supérieur de 30 % à celui de leurs besoins, ce qui rendrait possible l'éradication de la sous-alimentation. Les besoins moyens des pays en développement étant de 2 160 calories par personne et par jour en 1990, on peut penser que les disponibilités devraient atteindre au minimum 2 800 calories.

2 800 calories par personne, un projet peu ambitieux

Il ne s'agit pas là d'un objectif très ambitieux. Par comparaison, signalons que ce chiffre dépasserait sensiblement la valeur actuelle des disponibilités alimentaires du monde par habitant (2 700 calories, valeur FAO 1988/90). Il dépasserait également la ration énergétique moyenne prévue par la FAO pour l'ensemble des pays en développement pour 2010 (2 730 calories). Mais il resterait inférieur à la ration énergétique moyenne prévue par la FAO pour l'ensemble du monde pour 2010 (2 860 calories) [2].

Pour arriver, à l'horizon 2050, à ce niveau de disponibilités alimentaires en calories supérieur de 30 % - au minimum - à celui des besoins nationaux, qui dans l'idéal permettrait d'éliminer la sous-alimentation, nous avons retenu le principe d'un complément à ces disponibilités. Ce complètement - qui évalue l'effort à fournir en fonction des conditions rencontrées - ne peut en aucune façon être assimilé à une mesure d'ordre politique ou économique. En revanche, il pourrait résulter d'un ensemble de mesures attaquant le problème alimentaire à la racine, qui viserait donc à réduire la pauvreté, à favoriser au plus grand nombre l'accès aux vivres, et à augmenter ainsi la demande solvable.

Ce complément, ou ajustement, est appliqué ici, en dépit du fait que les pays concernés diffèrent sensiblement tant par le niveau de leurs pertes de denrées que par leur niveau d'inégalités d'accès aux vivres. Deux motifs, qui tiennent à la logique même de cette étude, expliquent ce choix. Tout d'abord, ce complément doit être évalué en fonction des besoins moyens des populations de chaque pays. En outre, la procédure de calcul adoptée doit être identique pour tous les pays et ne pas être influencée par les carences d'informations ici ou là, carences en général liées au phénomène pris en compte (les pertes de denrées et l'inégalité de distribution des ressources). De même, elle n'implique pas que l'augmentation des disponibilités alimentaires soit la seule solution au problème de la sous-alimentation. Car la sous-alimentation, on l'a maintes fois répété, réside principalement dans l'inaccessibilité des pauvres aux vivres. Mais comme les pauvres du monde habitent en majorité dans le monde rural, et vivent le plus souvent d'une activité agricole, le complément dont il s'agit ici est un complément nécessaire.

À fixer un minimum de disponibilités en énergie alimentaire pour les pays les plus démunis, on relève sensiblement le niveau moyen des disponibilités par habitant du monde. L'augmentation serait de 14 % entre 1995 et 2050. De la même façon, on relève de 18 % le niveau calorique moyen des disponibilités des pays en développement. Ces derniers s'aligneraient en moyenne sur la situation énergétique alimentaire prévue par la FAO pour l'Asie de l'Est en 2010 [2], soit 3 040 calories.

Le complément de disponibilités varie très sensiblement selon les régions

Il est bien évident que le rattrapage nécessaire en matière de disponibilités alimentaires dépend de la situation actuelle et qu'il diffère donc très nettement en fonction des régions (tableau no 14). Il suppose, dans l'hypothèse moyenne de fécondité retenue ici, une augmentation d'un tiers des disponibilités pour l'Afrique dans son ensemble, de moitié pour l'Afrique de l'Est. Il est moins élevé pour l'Asie (+ 14 %) et pour l'Amérique latine et les Caraïbes (+ 8 %).

Tableau no 14

Effets du complètement des rations en énergie alimentaire sur l'énergie d'origine végétale nécessaire aux populations en 2050
 Hypothèses d'évolution de la fécondité (Projections des Nations Unies [60])
BasseMoyenneHaute
Niveau de développement1 : Pays développés2 : En développement3 : Ensemble du monde
 123123123
Coefficient multiplicateur (1)1,001,191,161,001,181,141,001,161,13
Continents et sous-continents1 : Afrique3 : Europe5 : Amérique du Nord
2 : Asie4 : Amérique latine et Caraïbes6 : Océanie
 123456123456123456
Coefficient multiplicateur (1)1,351,151,001,091,001,001,331,141,001,081,001,001,311,131,001,071,001,00
Classes de régime alimentaire des pays1 : Riz3 : Blé5 : Mil, millet, sorgho, etc.
2 : Maïs4 : Produits d'origine animale et blé6 : Manioc, igname, taro, etc.
 123456123456123456
Coefficient multiplicateur (1)1,171,111,161,001,401,421,151,101,151,001,381,401,141,091,141,001,361,38

(1) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050, si l'on ne tient compte que du complètement desrations en énergie alimentaire nécessaire pour éradiquer la sous-alimentation.

Les pays qui consomment principalement du mil, du millet ou du sorgho, ceux qui consomment surtout du manioc, de l'igname, du taro ou du plantain ont à opérer un rattrapage de près de 40 %.

Observons que cette procédure alourdit considérablement la tâche déjà très lourde des pays qui, en l'absence d'importations, vont devoir en outre accroître leurs productions vivrières afin de faire face à une forte croissance démographique.

Le complément d'énergie d'origine végétale nécessaire pour diversifier le régime alimentaire des populations d'ici à 2050

Nous avons déjà indiqué, en en marquant les limites, que deux phénomènes opposés caractérisent l'évolution actuelle des régimes alimentaires. Tout d'abord, les nutritionnistes font état de baisses significatives des quantités d'énergie alimentaire consommées par les populations de certains pays développés. D'autre part, une fraction importante de la population du monde diversifie actuellement, et pourrait diversifier à l'avenir, son régime alimentaire. C'est le cas de grands pays comme la Chine, l'Inde, ou de certaines sous-régions, qui connaissent une croissance économique significative et soutenue, et dans lesquels la demande alimentaire solvable s'accroît.

Ces modifications sont le fait de populations qui constituent une fraction importante de l'humanité et qui continuent à augmenter. La poursuite de cette tendance ne manquera pas d'avoir des effets sur le niveau des disponibilités alimentaires nécessaires.

Des évolutions spécifiques de pratiques alimentaires selon les pays

La croissance économique s'accompagne de changements de régime alimentaire. Avec l'introduction de viandes, ou de produits de la mer, de légumes et de fruits, les rations alimentaires deviennent moins riches en céréales.

Mais l'augmentation de la consommation de viande n'est pas toujours présente lorsqu'il y a une augmentation de la consommation alimentaire calculée en énergie1.

1 On peut le constater en triant l'ensemble des pays selon la progression des disponibilités alimentaires en énergie et en ne retenant que les deux déciles pour lesquels les disponibilités ont le plus progressé entre 1962 et 1990, soit une progression entre 535 et 789 calories par habitant pour le 9e décile (moyenne 630), et une progression entre 814 et 1 629 calories par habitant pour le 10e décile (moyenne 995).

On constate ainsi que la part de la viande dans cette progression de la consommation diffère largement selon les pays, puisqu'elle varie de 0,79 % à 56,56 %. Il apparaît en outre que les pays pour lesquels elle a été la plus faible (entre 0,79 % et 4,89 %) sont des pays qui avaient en 1962 des disponibilités alimentaires plus faibles que celles des pays pour lesquels elle a été plus forte (contributions entre 5 % et 56,56 %). La différence atteint environ 350 calories. Enfin, les pays pour lesquels la part de la viande a été faible (moins de 5 %) sont ceux pour lesquels celle des céréales a été la plus forte, et celle des oléagineux la plus faible.

S'agissant des pays où l'augmentation de l'apport énergétique a été importante, on constate que la structure de la consommation des pays développés n'a pas évolué comme celle des pays en développement. Ainsi, l'Égypte est passée de 2 290 calories en 1962 à 3 310 calories en 1989, alors que la consommation de viande n'a que peu progressé dans le même temps, passant de 10 à 18 kilos par habitant et par an, quand elle est de 80 kilos dans les pays développés. C'est principalement l'augmentation de la consommation de céréales qui explique l'accroissement de l'énergie consommée par les populations des pays en développement durant les dernières décennies.

Une prévision impossible de l'évolution des régimes alimentaires à très long terme

Les régimes alimentaires restent fortement influencés par l'histoire des peuples et par leur culture. La modification des régimes dépend de l'évolution économique et du niveau de « pénétration » des sociétés aux idées, aux modes de consommation et aux produits venant de l'extérieur. Toute prévision sur le très long terme ne peut être que hasardeuse. Cette étude n'a donc pas la prétention de proposer un quelconque scénario de consommation pour l'an 2050.

Il convient néanmoins d'observer que l'urbanisation influe nettement sur les modes alimentaires. L'évolution de la consommation sera sans doute fortement influencée par le mode d'approvisionnement des villes. Il est parfois plus facile de s'approvisionner sur les marchés d'importation que sur les marchés locaux et il peut être moins coûteux d'emprunter pour les courtes périodes exigées par les transactions nécessaires aux importations et à leur écoulement, que d'emprunter pour des périodes plus longues dans le cadre de contrats avec des producteurs locaux.

D'autre part l'évolution de la consommation de viandes des populations des pays en développement sera probablement liée au développement des élevages intensifs de volailles et de porcs en batteries.

Des modifications de structure des régimes qui n'affectent pas le niveau des besoins moyens en énergie alimentaire

La valeur énergétique des besoins des populations n'est pas influencée par la constitution des régimes qu'elles ont adoptés. Le nombre de calories nécessaires pour satisfaire les besoins nutritionnels des populations peut provenir d'un régime riche en produits animaux, il ne s'en trouvera pas pour autant augmenté. En revanche, à quantité égale d'énergie, un régime riche en produits animaux sera beaucoup plus exigeant en calories d'origine végétale (nécessaires à la production de ces aliments d'origine animale).

La diversification des régimes alimentaires des populations n'est donc pas à l'origine d'une augmentation du niveau énergétique des rations alimentaires lui-même. Si nous en restons à la logique de l'examen de l'évolution des « calories dans l'assiette » des consommateurs, notre démarche devrait donc s'arrêter là, ou peu s'en faut.

Mais la consommation de produits d'origine animale conduit les populations à exercer sur les ressources naturelles une pression qui s'accroît nettement plus rapidement que leur consommation d'énergie elle-même. C'est la raison pour laquelle il est impératif de poursuivre notre investigation en évaluant, cette fois-ci, non plus l'accroissement des disponibilités alimentaires en « calories dans l'assiette » des consommateurs résultant de la diversification des régimes, mais l'augmentation du nombre des calories d'origine végétale nécessaires pour produire les rations.

À l'évidence, le manque de données rend très imprécise la démarche, mais il est nécessaire de disposer d'un ordre de grandeur de l'accroissement de la pression sur les ressources naturelles due à la diversification des régimes.

Observons en outre qu'avec l'augmentation de la valeur énergétique des rations quotidiennes des populations, la qualité des produits proposés augmente et, avec la qualité, la sollicitation des ressources naturelles semble augmenter plus que proportionnellement avec la consommation. Mais, encore une fois, ce phénomène est délicat à analyser. Il n'est pas dans nos possibilités d'en tenir compte et, en tout état de cause, les données manqueraient pour ce faire.

Une consommation de quatre à douze calories d'origine végétale pour obtenir une calorie animale

La diversification des régimes alimentaires se traduit en particulier par l'introduction de produits de l'élevage dans les rations quotidiennes. Or, la production animale nécessite une grande quantité de calories d'origine végétale. En l'absence de données concernant la composition du cheptel de chaque pays du monde (espèces et races animales, âge, sexe et poids des animaux), nous avons considéré arbitrairement, à partir de documents de travail utilisés à la FAO, qu'il faut:

Le principe de calcul que nous avons adopté ici peut être contesté. En effet, nous savons que de telles normes diffèrent fortement selon la constitution et le mode de conduite des élevages. Ainsi, un troupeau de bovins élevé de façon très peu productive peut faire apparaître des coefficients de 50 calories ou plus. Il est en outre probable que les normes moyennes ont évolué à la baisse, surtout pour les élevages conduits de façon intensive, ce qui est de plus en plus fréquent. En fait, il n'existe pas d'évaluation nationale en ce domaine, et les experts de la FAO ne disposent d'aucune des estimations nationales nécessaires aux travaux en nutrition animale.

Cependant, compte tenu des implications que les modifications de régimes alimentaires ont sur les productions agricoles, mieux valait une mauvaise estimation que pas d'estimation du tout. C'est donc pour avoir des « ordres de grandeur » et non des données statistiques incontestables, que nous avons estimé le nombre de calories nécessaires pour produire une ration alimentaire donnée, c'est-à-dire tenté d'évaluer le processus de transformation des calories d'origine végétales en énergie consommée.

Les résultats que nous avons obtenus ici doivent être interprétés en gardant en mémoire les phénomènes suivants:

Toute la difficulté est de connaître l'importance relative de ces effets et les conditions pour que ces effets se produisent.

Une conversion qui pèse lourdement sur les quantités d'énergie d'origine végétale nécessaires

Les normes dictées précédemment indiquent, d'ores et déjà, que toute introduction supplémentaire de produits animaux dans les rations alimentaires implique une sollicitation additionnelle des ressources naturelles équivalente au moins au quadruple de la quantité d'énergie ainsi ajoutée. C'est sur ce type de constat que repose la suite de cette étude.

Dernier point, le calcul de l'énergie d'origine végétale nécessaire effectué ici néglige les aliments provenant de la chasse, de la pêche ou de la pisciculture. On aurait pu prendre en compte les produits de la pisciculture, en particulier leurs formes les plus intensives qui utilisent une alimentation artificielle des poissons. Ces productions sont surtout pratiquées en Chine ; par contre, les autres pays en développement n'utilisent pas l'expérience acquise dans ce pays. Mais ces estimations ne pouvaient pas être réalisées dans les conditions qui nous étaient imparties.

Le surplus d'énergie d'origine végétale imposé par les changements de pratiques alimentaires

Aucune prospective n'est possible pour un horizon aussi lointain que 2050. On ne peut donc ici qu'émettre une hypothèse, ou proposer un scénario tenant compte des effets probables de l'urbanisation, qui contribue à développer à la fois la diversification des régimes et l'approvisionnement hors des frontières. Adoptons, pour indicateur de diversification des régimes, le rapport entre le nombre des calories végétales nécessaires à la production des calories ingérées de la ration moyenne et le nombre total de calories végétales et animales ingérées de cette ration, soit 1,783 en 1990, rapport entre les 5 477 calories d'origine végétale nécessaires pour produire les 3 040 calories consommées (données 1990).

Pour simplifier le débat, on peut proposer que la diversification des régimes alimentaires atteigne, en 2050, ce niveau dans tous les pays où il ne l'atteignait pas en 19901.

1 Selon cette procédure, les pays du monde en développement accéderaient à un régime alimentaire qui suppose disponibles les 5 477 calories d'origine végétale nécessaires pour produire les différentes composantes de ce régime plus riche en produits animaux qu'il ne l'était en 1990. Ce nombre excéderait assez nettement celui des calories d'origine végétale nécessaire pour produire les disponibilités alimentaires moyennes du monde (4 900 calories en 1995).

Observons qu'en 2050, les populations des pays en développement bénéficieraient d'un régime alimentaire proche de celui du Mexique en 1988/90. Cet objectif n'est pas beaucoup plus ambitieux que le précédent.

Nos hypothèses de travail sont les suivantes :
- En deçà du taux de conversion moyen des calories ingérées en calories d'origine végétale (1,783 en 1990), la composition du régime alimentaire de chaque pays est supposée identique, en 2050, à celle constatée pour l'ensemble de la population du monde en 1990.
- Au-delà du taux de conversion moyen des calories ingérées en calories d'origine végétale, la composition du régime alimentaire de chaque pays est supposée constante entre 1990 et 2050, à moins que son niveau énergétique ait déjà fait l'objet d'un complément.

Comme nous l'avons suggéré pour la ration énergétique, et faute d'information plus convaincante, on peut adopter l'hypothèse que les populations des pays dont le rapport entre le nombre des calories d'origine végétale nécessaires pour produire leur ration alimentaire et le nombre des calories qu'ils ingèrent est supérieur à 1,783 en 1995 ne modifieront pas la composition de leur régime alimentaire d'ici à 2050. Il en va évidemment différemment pour ceux de ces pays dont les disponibilités en énergie alimentaire, en 1990, n'excédaient pas de plus de 30 % le niveau de leurs besoins programmés pour 2050.

La règle adoptée à l'horizon 2050 est donc que tous les pays du monde auront accès à une diversification de leur régime alimentaire supposant un ratio minimum (fixé à 1,783), rapport entre l'énergie d'origine végétale nécessaire pour produire la ration alimentaire moyenne de chaque habitant et le nombre de calories consommées que contient cette ration.

Cette évolution aurait les conséquences suivantes:
Le nombre de calories d'origine végétale utilisées par les pays développés reste inchangé. Un tel scénario n'a qu'une importance limitée, car, à l'avenir, une diminution succédera probablement à une augmentation. En outre, les ordres de grandeur en jeu sont sans commune mesure avec ceux qui seront évoqués dans la suite de l'étude.

En revanche, cette hypothèse suppose une augmentation de 19 % de l'énergie d'origine végétale nécessaire pour les pays en développement, pour la période 1995–2050, ce qui a pour effet une augmentation de 12 % à l'échelle mondiale (tableau no 15).

L'évolution varie énormément selon la région considérée. Elle est de 21 % en Asie et de 23 % en Afrique. De même, elle est loin d'être homogène au sein de chaque continent. Elle atteint par exemple 29 % pour les pays dont les populations consomment principalement du riz, 46 % pour les populations qui trouvent la plupart de leur énergie alimentaire dans le manioc, l'igname ou le taro.

Les effets des deux tendances qui viennent ainsi d'être évaluées, avec le complément de disponibilités moyen par personne en calories et la diversification des régimes alimentaires, amplifient considérablement les effets des phénomènes de population.

Les populations des pays en développement pourraient être à l'origine d'une augmentation moyenne de 28 % des calories d'origine végétale nécessaires à l'ensemble du monde et de 40 % de celles qui leur sont nécessaires en propre.

Les effets d'une réalisation éventuelle de ces deux tendances diffèrent considérablement selon les régions. Ils sont nuls pour l'Amérique du Nord et pour l'Europe. Ils sont faibles pour l'Amérique latine (+ 7 %). Ils sont très lourds de conséquences pour les continents asiatique (+ 38 %) et africain (+ 64 %). Les populations qui consomment du manioc, de l'igname ou du taro devraient doubler les calories d'origine végétale qui leurs sont nécessaires pour réaliser les deux objectifs de complètement et de diversification des régimes.

Le cumul des effets démographiques et des modifications de régimes

L'influence de la dynamique des populations sur l'énergie d'origine végétale qui leur est nécessaire domine largement aux plus hauts niveaux de fécondité, par exemple en Afrique, puisque les coefficients multiplicateurs sont de 2,94 pour les effets démographiques de tous types et de 1,64 pour les effets des modifications de régimes (tableau no 17, graphique no 13).

Aux plus hauts niveaux de déficits alimentaires, c'est-à-dire pour les populations qui se nourrissent de racines ou de tubercules, ces coefficients multiplicateurs atteignent respectivement 3,51 et 2,04 ; pour ces populations, là encore, les effets démographiques l'emportent sur les effets des modifications de régime alimentaire (tableau no 18, graphique no 14).

Tableau no 15

Effets de la diversification des régimes alimentaires sur l'énergie d'origine végétale nécessaire aux populations en 2050
 Hypothèses d'évolution de la fécondité (Projections des Nations Unies [60])
BasseMoyenneHaute
Niveau de développement1 : Pays développés2 : En développement3 : Ensemble du monde
 123123123
Coefficient multiplicateur (1)1,001,181,111,001,191,121,001,191,08
Continents et sous-continents1 : Afrique3 : Europe5 : Amérique du Nord
2 : Asie4 : Amérique latine et Caraïbes6 : Océanie
 123456123456123456
Coefficient multiplicateur (1)1,231,211,000,981,001,001,231,211,000,991,001,001,231,211,000,991,001,00
Classes de régime alimentaire des pays1 : Riz3 : Blé5 : Mil, millet, sorgho, etc.
2 : Maïs4 : Produits d'origine animale et blé6 : Manioc, igname, taro, etc.
 123456123456123456
Coefficient multiplicateur (1)1,291,001,021,001,011,471,291,001,021,001,021,461,291,001,021,001,021,47

(1) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050, si l'on ne tient compte que de la diversificationdes régimes alimentaires pour combler les carences qualitatives (acides aminés, vitamines, etc.).

Comparés aux conséquences de la croissance démographique sur l'évolution des besoins énergétiques d'ici à 2050, les effets des évolutions de la pyramide des âges pourraient paraîtr négligeables. S'agissant des pays en développement, des augmentations respectives de 90% et de 3% sont en effet sans commune mesure (tableau no16). Mais ils ne sont pas à négliger. Les résultats des seules évolutions des structures démographiques généreront en effet, d'ici à 2050, une augmentation de besoins aussi importante que l'apparition d'un nouveau pays de la taille du Bangladesh, du Nigéria ou du Japon. Qui plus est, ces effets n'affecteront pas uniformément tous les pays du monde en développement. Certains connaîtront, de ce fait, des augmentations de besoins énergétiques dépassant 8 %.

Tableau no16

Effets de l'ensemble des facteurs démographiques et nutritionnels sur les besoins moyens en énergie d'origine végétale des populations des pays en développement en 2050, selon le niveau de développement (1)
 Niveau de développement
1 Pays développés2 Pays en développement3 Ensemble du monde
CompositionEffet des facteurs influant sur les besoins moyens
Âges0,991,031,02
Tailles physiques1,001,021,01
Proportion femmes enceintes1,000,990,99
Urbaine rurale0,990,970,97
Toutes structures0,981,031,02
 Effet de l'accroissement de la population
Accroissement de la population1,041,901,72
Tous effets démographiques1,021,951,76
 Effet des modifications de régimes alimentaires
Complètement de l'énergie1,001,181,14
Diversification de régime1,001,191,12
Toutes modifications de régime1,001,401,28
 Effet résultant de tous les facteurs
 1,022,742,25

(1) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050, si l'on prend en compte chaque facteur séparément (les modifications de la répartition par âges, de la taille physique des populations, de la proportion des femmes enceintes, du degré d'urbanisation, le complètement de l'énergie alimentaire nécessaire pour éradiquer la sous-alimentation, la diversification des régimes nécessaire pour éliminer la malnutrition), ou ensemble.

Quel que soit le cas de figure, quelle que soit la région considérée, les conséquences de l'accroissement de la population sur le niveau des besoins énergétiques l'emportent largement sur les conséquences des modifications de régime alimentaire. Par énergie d'origine végétale nécessaire, nous entendons ici les calories d'origine végétale nécessaires à la production des disponibilités alimentaires des populations, au sens défini par la FAO.

Globalement, le monde en développement suit cette règle (tableau no 16, graphique no 12). D'ici à 2050, il faudra augmenter de 190 %, c'est-à-dire doubler ou presque, les disponibilités de 1995 pour tenir compte de l'accroissement de sa population, augmenter les disponibilités de 3 % pour tenir compte des modifications de répartition des populations (par âges, tailles physiques, degrés d'urbanisation, etc.), de 18 % pour éradiquer la sous-alimentation, de 19 % pour éliminer la malnutrition qualitative.

Graphique no 12
Effets de l'ensemble des facteurs démographiques et nutritionnels sur les besoins moyens en énergie alimentaire des populations des pays en développement en 2050, selon le niveau de développement (nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050)

Graphique 12

a = Toutes structures démographiques

b = Effectifs de populations

c = Complément de disponibilités

d = Diversification de régime

E (Tous effets) = a × b × c × d

L'effet de l'accroissement de la population domine donc effectivement dans ce cas. Mais si l'on prend en compte les facteurs qui, pris séparément, paraissent avoir un effet marginal en comparaison de l'accroissement de la population, l'ensemble justifie une augmentation de 45 % de l'énergie d'origine végétale nécessaire. Autrement dit, entre 1995 et 2050, il faudrait non pas doubler les disponibilités en énergie d'origine végétale des pays en développement, comme l'accroissement de leur population l'imposerait à lui seul, mais presque les tripler pour tenir compte des trois autres séries de facteurs.

L'Europe mise à part, la règle est la même quel que soit le continent (tableau no17, graphique no13). Les exemples de l'Afrique et de l'Asie montrent que, plus l'accroissement de la population est rapide, plus fort est l'effet global des trois autres facteurs. Pour l'Afrique, qui connaîtra un accroissement de sa population sans comparaison dans le monde, les effets du vieillissement de la population, du surplus nécessaire pour éradiquer la sous-alimentation, et de la diversification requise pour éliminer la malnutrition seront à leur plus haut niveau, respectivement + 7 %, + 33 % et + 23 %. De ce fait l'énergie d'origine végétale nécessaire devra être multipliée par 5, et non par 3 comme le justifierait à lui seul l'accroissement de la population.

Graphique no 13
Effets de l'ensemble des facteurs démographiques et nutritionnels sur les besoins moyens en énergie alimentaire des populations en 2050, selon le continent (nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050)

Graphique 13

a = Toutes structures démographiques

b = Effectifs des populations

c = Complément de disponibilités

d = Diversification de régime

E (Tous effets) = a × b × c × d

Tableau no17

Effets de l'ensemble des facteurs démographiques et nutritionnels sur les besoins moyens en énergie d'origine végétale des populations des pays en développement en 2050, selon le continent (1)
 Continents et sous-continents
1 Afrique2 Asie3 Europe4 Amérique latine et Caraïbes5 Amérique du Nord6 Océanie
CompositionEffet des facteurs influant sur les besoins moyens
Âges1,071,020,991,021,001,00
Tailles physiques1,021,021,001,021,001,01
Proportion femmes enceintes1,000,991,001,001,001,00
Urbaine rurale0,970,960,990,980,990,99
Toutes structures1,071,020,981,030,991,00
 Effet de l'accroissement de la population
Accroissement de la population2,941,660,931,741,331,61
Tous effets démographiques3,141,690,911,801,311,61
 Effet des modifications de régimes alimentaires
Complètement d'énergie1,331,141,001,081,001,00
Diversification de régime1,231,211,000,991,001,00
Toutes modifications de régime1,641,381,001,071,001,00
 Effet résultant de tous les facteurs
 5,142,340,911,921,311,61

(1) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995, pour obtenir les besoins de l'année 2050, si l'on prend en compte chaque facteur pris séparément (les modifications de la répartition par âges, de la taille physique des populations, de la proportion des femmes enceintes, du degré d'urbanisation, le complètement de l'énergie alimentaire nécessaire pour éradiquer la sous-alimentation, la diversification de régime nécessaire pour éliminer la malnutrition), ou ensemble.

Le constat est encore plus net pour certains pays d'Afrique (tableau no 18, graphique no 14), par exemple, pour les populations qui se nourrissent de manioc, d'igname ou de taro. L'énergie d'origine végétale qui leur sera indispensable devrait être augmentée de 226 %, c'est-à-dire multipliée par plus de 3 durant la période 1995–2050 pour faire face à l'accroissement de la population, par 7 pour tenir compte des trois autres facteurs.

Tableau no18

Effets de l'ensemble des facteurs démographiques et nutritionnels sur les besoins moyens en énergie d'origine végétale des populations des pays en développement en 2050, selon leur régime alimentaire (1)
 Classes de régime alimentaire des pays
 1 Riz2 Maïs3 Blé4 Lait, viandes et blé5 Mil, millet, sorgho, etc.6 Manioc, igname, taro, etc.
Composition parEffet des facteurs influant sur les besoins moyens
Âges1,021,021,050,991,081,08
Tailles physiques1,011,021,011,001,011,02
Proportion femmes enceintes0,991,000,991,001,001,00
Urbaine rurale0,960,980,970,990,970,97
Toutes structures1,021,041,050,991,061,08
 Effet de l'accroissement de la population
Accroissement de la population1,571,712,311,153,233,26
Tous effets démographiques1,601,782,421,133,433,51
 Effet des modifications de régimes alimentaires
Complètement d'énergie1,151,101,151,001,381,40
Diversification de régime1,291,001,021,001,021,46
Toutes modifications de régime1,481,101,171,001,412,04
 Effet résultant de tous les facteurs
 2,371,962,841,134,827,17

(1) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995, pour obtenir les besoins de l'année 2050, si l'on prend en compte chaque facteur pris séparément (les modifications de la répartition par âges, de la taille physique des populations, de la proportion des femmes enceintes, du degré d'urbanisation, le complètement d'énergie alimentaire nécessaire pour éradiquer la sous-alimentation, la diversification de régime nécessaire pour éliminer la malnutrition), ou ensemble.

Un raisonnement par l'absurde

Les effets combinés de l'évolution démographique et des modifications de régimes alimentaires sur le niveau des besoins en énergie d'origine végétale débouchent sur des résultats sur lesquels il convient de s'interroger.

Un doublement de l'énergie d'origine végétale est à prévoir en Asie ou en Amérique latine et Caraïbes, respectivement une multiplication par 2,34 et par 1,92 (tableau no19). Cela revient à dire que ces régions du monde devront assurer une croissance annuelle (de la production de calories d'origine végétale nécessaires pour produire les vivres d'origine végétale ou animale) atteignant 1,6 pour l'Asie et 1,2 % pour l'Amérique latine et les Caraïbes durant une période de 55 ans.

Graphique no 14
Effets de l'ensemble des facteurs démographiques et nutritionnels sur les besoins moyens en énergie alimentaire des populations en 2050, selon le régime alimentaire (nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050)

Graphique 14

a = Toutes structures démographiques

b = Effectifs des populations

c = Complément de disponibilités

d = Diversification de régime

E (Tous effets) = a × b × c × d

Soulignons, bien qu'il s'agisse ici de taux de croissance en calories d'origine végétale, que ceux-ci sont inférieurs aux taux de croissance de la production agricole que la révolution verte a permis à l'Asie rizicole, mais aussi à l'agriculture d'Amérique latine - qui a bénéficié de l'introduction des maïs hybrides. La dynamisation de la recherche de nouvelles variétés céréalières, de riz ou de maïs, sera certainement un facteur fondamental du maintien de la croissance à ces niveaux durant 55 ans, dans un contexte économique et politique plus favorable que celui qui prévaut en Afrique. Reste à savoir si ces croissances seront durables.

Par contre, dans l'hypothèse moyenne, la multiplication par 5 (5,14 pour être précis) de la quantité d'énergie d'origine végétale utilisée sur le continent africain et par 7,17 pour les pays qui consomment du manioc, de l'igname, du taro, ou du plantain ont une toute autre signification (tableau no19). Cela suppose des croissances moyennes annuelles atteignant respectivement 3 et 3,6 % durant une période de 55 ans; de tels taux imposent un véritable changement d'échelle de développement. Ils s'apparenteraient à ceux que l'on a pu observer en Asie de l'Est entre 1975 et 1990. Durant cette période, on a constaté en effet la croissance la plus élevée jamais enregistrée dans cette région en matière de production agricole : 4,3 % l'an. Mais la croissance économique d'ensemble constituait à l'époque, pour l'Asie, un environnement très favorable au développement rural. L'environnement économique de l'Afrique subsaharienne est loin d'être aussi favorable, et la croissance la plus rapide que l'on ait enregistrée dans cette région sur une période de 15 ans entre 1971 et 1990 [2] n'a été que de 2,4 % l'an!

Tableau no 19

Effets de l'ensemble des facteurs démographiques et nutritionnels sur les besoins moyens en énergie alimentaire des populations en 2050 1
 Hypothèses d'évolution de la fécondité (Projections des Nations Unies [60])
BaseMoyenneHaute
Niveau de développement1 : Pays développés2 : En développement3 : Ensemble du monde
 123123123
Coefficient multiplicateur(1)0,832,231,841,022,742,251,223,222,56
Continents et sous-continents1 : Afrique3 : Europe5 : Amérique du Nord
2 : Asie4 : Amérique latine et Caraïbes6 : Océanie
 123456123456123456
Coefficient multiplicateur (1)4,401,890,761,541,021,285,142,340,911,921,311,615,922,771,072,371,601,91
Classes de régime alimentaire des pays1 : Riz3 : Blé5 : Mil, millet, sorgho, etc.
2 : Maïs4 : Produits d'origine animale et blé6 : Manioc, igname, taro, etc.
 123456123456123456
Coefficient multiplicateur (1)1,921,622,380,924,236,172,371,962,841,134,827,172,842,353,331,355,408,32

(1) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050.

Ce changement d'échelle suppose qu'une concertation internationale déterminée soutienne une mobilisation particulièrement intense des potentialités nationales pour adopter des politiques d'infrastructure de base, des politiques agricoles et des politiques d'approvisionnement international adaptées à ce type de situation extrême. Cette menace conduit à dénoncer les carences des politiques de lutte contre la pauvreté tant au plan national qu'international. L'inefficacité dans ce domaine est très probablement responsable du retard de la transition démographique

Rappelons en effet que certains pays appartenant à ces régions ont déjà été signalés par la FAO dès 1980 [31], en raison des lourds risques pesant sur leur sécurité alimentaire avant l'an 2000. Quelques-uns d'entre eux ont déjà connu de très graves affrontements ethniques ou religieux, probablement dus à la concurrence pour l'exploitation des ressources naturelles. Ils font maintenant partie des régions ou regroupements de pays mentionnés plus haut et sur lesquels planent de très lourdes menaces à long terme; mais le risque est cette fois plus global. Existet-il encore des conflits locaux? Les migrations internationales pourrontelles être encore longtemps contenues? Peut-on ignorer le risque majeur de voir se développer des dégradations de la situation sociale de sousrégions entières?

En tout état de cause, l'absence de moyens financiers nécessaires à l'importation de céréales peut conduire à une solution des problèmes agrodémographiques par l'absurde, c'est-à-dire par une augmentation de la mortalité, tendance inverse de celle programmée par les Nations unies.

Les implications déterminantes des hypothèses basses et hautes d'évolution de la fécondité

La stabilisation de la fécondité à 1,6 (hypothèse basse des Nations unies), 2,1 (hypothèse moyenne), ou 2,6 enfants par femme (hypothèse haute) aurait pour conséquence que le continent africain aurait à multiplier l'énergie d'origine végétale qu'il utilise par 4, par 5, ou par 6; quant aux populations qui consomment principalement du manioc, ou d'autres racines ou tubercules, elles auraient, selon le cas, à multiplier l'énergie utilisée par 6,2, par 7,2 ou par 8,3 (tableau no 19).

De telles perspectives de pressions sur les ressources pourraient amener à conclure un peu trop rapidement que, quel que soit le scénario de baisse de la fécondité, le défi ne peut être relevé. Mais ce constat est contraire à la raison. Certes, ces résultats montrent l'inertie des phénomènes démographiques et leur « rebondissement » de générations en générations: la forte fécondité d'une génération donne le nombre de femmes en âge de procréer d'une génération de filles quelque quinze à vingt années plus tard, et apporte un nombre minimum d'enfants issus de cette génération fille, même en hypothèse de fécondité réduite. C'est la raison pour laquelle les conséquences des évolutions démographiques sur la croissance des besoins en énergie alimentaire dans les hypothèses basse et haute d'évolution de la fécondité ont été présentées dans les tableaux no 6, no 7, no 10 à 15, et no 19, en dépit du fait que ces hypothèses extrêmes, prises à l'échelle du monde, ne sont que des « cas d'école ».

Mais il n'en demeure pas moins que la baisse de la fécondité - scénario le plus probable - rend le rythme de l'évolution économique nécessaire pour satisfaire les besoins moins absurdes, et le situe, en tout cas, dans le domaine du possible.

Dans le cas de l'Afrique, à chacun des scénarios de baisse de la fécondité est attaché un modèle de développement différent, correspondant à un taux de croissance différent. Il s'agit ici du taux de croissance de la production de calories d'origine végétale nécessaires à la production des disponibilités alimentaires. Ce taux s'élèverait respectivement dans chaque cas à 2,6 %, 3 % et 3,3 % par an pendant 55 ans. Comparaison n'est pas raison, mais on peut tout de même faire remarquer que si chacun de ces taux dépasse le maximum constaté pour le taux d'accroissement de la production agricole en Afrique subsaharienne entre 1971 et 1990 (2,4 %), il reste en deçà du maximum constaté en Asie de l'Est pendant la même période (4,3 %). Mais le modèle asiatique est celui de la zone la plus peuplée du monde, d'une région plus urbanisée, qui dispose d'infrastructures de base plus développées, d'un capital humain plus valorisé (alphabétisation, etc.) et d'un contexte de développement général plus dynamique que celui de l'Afrique.

La situation semble encore plus aiguë pour les pays dont les populations consomment du manioc, de l'igname, du taro ou du plantain, car l'augmentation de l'énergie d'origine végétale nécessaire devrait alors atteindre respectivement 3,3 %, 3,6 % et 3,9 % par an, soit des évolutions plus proches des accroissements maximum enregistrés en Asie de l'Est. Il s'agit là probablement d'objectifs très difficiles, peut-être impossibles à atteindre dans le contexte économique et structurel africain actuel.

Vingt-cinq pays auraient à multiplier l'énergie d'origine végétale qui leur sera nécessaire d'ici à 2050 par 10 ou par 15, ce qui les conduirait à des augmentations annuelles de plus de 4 % l'an durant les 55 prochaines années, soit un développement rural voisin ou supérieur à celui enregistré en Asie de l'Est entre 1975 et 1990. Parmi ceux-ci figurent l'Éthiopie, le Mozambique, la République démocratique du Congo - ex-Zaïre -, le Libéria, le Burundi, l'Angola, le Rwanda, le Ghana, le Tchad, le Nigéria, le Congo, Haïti, la Côte d'Ivoire.

Le retard accumulé dans la transition démographique, donc dans le développement de l'Afrique, explique que ces résultats diffèrent autant de ceux de l'Asie du Sud, la région la plus peuplée du monde, où la situation alimentaire restera certes problématique en 2050, et où la croissance de la production agricole devra se maintenir à 2,2 % par an. On voit bien qu'il est question, dans le cas de l'Afrique, d'un véritable défi aux capacités du développement durable.

La rationalisation des choix budgétaires et la priorité donnée aux débouchés permettant de répondre aux situations d'urgence en matière de sécurité alimentaire justifient que les investissements lourds en terme de recherche de cultivar aient surtout concerné les agricultures des populations les plus nombreuses, et donc en particulier les cultures de blé, de riz ou de maïs. Elles devraient maintenant favoriser des régions du globe dont les agricultures ont été largement délaissées. Les investissements de recherche sont d'autant plus urgents que ces pays connaissent des croissances démographiques rapides et qu'ils concentrent d'ores et déjà la majorité des pauvres de la planète. Ils devraient concerner les cultivars de racines, de tubercules, mais aussi les cultivars de légumes secs qui apportent des compléments en protéines indispensables aux populations qui mangent peu de viandes, toutes plantes qui présentent en outre l'avantage d'une conservation facile des denrées. Mais ces mutations techniques ne suffiront probablement pas. Il sera nécessaire de réunir tout un ensemble de moyens indispensables à un véritable développement d'ensemble de ces pays.

C'est maintenant aux moyens à mettre en œuvre pour répondre à la demande alimentaire des populations dans les années qui viennent que nous voulons nous intéresser, en reprenant plus en détail certaines des pistes déjà évoquées.


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