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Chapitre 3

Des solutions pour préparer l'avenir

Subvenir aux besoins de l'humanité d'ici à 2050 ne semble pas, en l'état actuel des connaissances et au niveau global, une mission impossible.

Mais il ne faut pas se cacher les difficultés et les obstacles. En effet, nous l'avons abondamment souligné, ce sont les pays qui souffrent déjà de malnutrition, et certains dont les conditions s'aggravent, qui devront réaliser les plus fortes croissances de disponibilités alimentaires d'ici le milieu du siècle prochain (annexe no 3, tableau no 1).

Qui plus est, lorsque l'on examine les facteurs le plus souvent mis en avant permettant de combattre la sous-alimentation, on doit se rendre à l'évidence: aucun n'apporte de véritable solution. Reprenons-les rapidement.

Aucun des facteurs habituellement mis en avant n'apporte de véritable solution à la sous-alimentation chronique

La baisse de la fécondité

Elle aura des effets trop tardifs sur l'accroissement démographique car les populations sont jeunes. Certes, plus la baisse sera rapide moins le défi lancé au développement durable et à la sécurité alimentaire sera difficile à relever [42]. Mais, nous l'avons largement développé, le rôle des politiques de limitation des naissances sera moins important que prévu. Même si la baisse de la fécondité rend l'évolution économique nécessaire moins absurde, plus proche du possible, c'est la politique de développement pratiquée qui aura une importance déterminante.

L'augmentation des superficies cultivées

Selon la FAO [2], il reste 1 800 millions d'hectares de terres aptes aux cultures encore exploitées (la Chine n'étant pas prise en compte ici). Il faut ajouter que, sur ce total, 94 millions d'hectares sont occupés par des villes ou villages, 770 sont couverts de forêts et 200 font partie de zones protégées par un statut juridique (parcs nationaux, forêts de conservation, réserves de faune). Ce qui laisse tout de même plus de 700 millions d'hectares utilisables par l'agriculture, soit une réserve de terres à peu près équivalente aux superficies actuellement en exploitation. La majorité de ces terres se situe en Afrique (500 millions d'hectares en Afrique subsaharienne), en Amérique latine (220 millions d'hectares), sous-continent qui dispose d'immenses forêts, dans une moindre mesure en Asie de l'Est (Chine non comprise, 45 millions) et en Asie du Sud (10 millions).

Si l'on en croit la FAO, la croissance démographique très soutenue que va connaître le monde pendant encore quelques décennies, ne provoquerait pas d'importantes colonisations de nouvelles terres au détriment des surfaces forestières. N'oublions pas en effet que dans le même temps la migration des campagnes vers les villes s'intensifiera notablement.

Cependant ces terres sont peu fertiles. Ceci explique en partie que les programmes de colonisation de nouvelles terres mis en place durant les dernières décennies n'aient jamais permis d'absorber d'importantes proportions de populations rurales excédentaires [52]. En outre, compte tenu de l'accroissement démographique, et de l'exode des ruraux, les villes gagneront également sur ces terres.

Toujours selon la FAO, l'augmentation des superficies arables exploitées ne devrait pas dépasser 90 millions d'hectares, soit une augmentation de 12 % d'ici à 2010, et 2 millions d'hectares de terres arides et hyperarides pourraient être mises en irrigation [2].

Les perspectives dégagées en 1995 par la FAO pour l'année 2010 sont sur ce point identiques à celles émises en 1979 pour l'an 2000 [30]: on ne peut espérer que l'exploitation de « nouvelles » terres constitue un facteur déterminant pour assurer dans l'avenir la sécurité alimentaire.

L'importation de vivres

Une autre clé d'accès à la sécurité alimentaire réside dans la possibilité d'importer des céréales. Mais, comme on l'a déjà souligné, plus les pays sont prospères, moins leur fécondité est élevée et plus leurs importations de grains sont volumineuses. C'est ce que l'on pourrait appeler la logique économique des importations céréalières [21]. Elle n'intervient qu'en cas de solvabilité des pays [22].

Les données les plus récentes (tableau no 3 de l'annexe no 3) confirment ce point: l'économie des États les plus pauvres de la planète n'autorisera probablement pas les importations de céréales nécessaires pour équilibrer leurs situations alimentaires.

La redistribution spatiale des populations

Elle est souvent évoquée car elle sensibilise les responsables nationaux ou internationaux aux situations subies par les peuples sous-alimentés. Elle réveille aussi de vieilles craintes et alimente des fantasmes exploités par les partis xénophobes qui entretiennent le mythe des hordes venues du Sud, l'exode massif des populations affamées déferlant vers le Nord riche.

L'ouvrage n'a pas pour objectif de traiter ce sujet. Il convient néanmoins d'observer, pour mémoire, que les différentes études menées révèlent que l'insécurité alimentaire ne constitue pas un facteur déterminant de migration vers les pays développés. Elle est en revanche l'un des éléments déterminants de la migration vers les pays limitrophes. Elle pousse des hommes, des femmes et des enfants à se réfugier sur le territoire des pays voisins. Elle peut alors être à l'origine de troubles sociaux, de graves conflits pour la possession de ressources naturelles en eau ou en terres, ou même de guerres.

Comme on a pu le constater dans le passé, la solution migratoire sera inéluctable dans certains cas. Les pays de forte émigration à la fin des années 80 sont, pour la plupart, des pays qui connaissaient à cette époque de graves déficits alimentaires. Cependant le niveau de ces déplacements ne sera pas suffisant pour constituer un véritable remède aux problèmes alimentaires des zones de départ.

Il est peu probable que les migrations internationales, généralement entravées par les éventuels pays d'accueil, permettront de réduire les disparités entre distributions spatiales des populations d'une part et distributions spatiales des ressources naturelles d'autre part.

Les investissements en infrastructures

Un autre facteur, de nature technique, est souvent avancé pour expliquer la persistance et parfois l'aggravation de l'insécurité alimentaire: il s'agit de l'insuffisance des infrastructures et des investissements de base.

L'absence de systèmes efficaces d'irrigation et parfois de gestion des ressources en eau, le défaut de réseau routier, de moyens de transports, de réseaux de communication d'informations, comme l'absence de structure d'approvisionnement coopératif, de structures bancaires, ou encore le manque de structures de commercialisation et/ou l'éloignement des marchés sont autant d'obstacles au développement; au même titre que des législations foncières inappropriées aux situations de précarité foncière, que la faiblesse des services ou le défaut d'organisations associatives, coopératives et mutualistes; sans négliger la déficience des agrofournitures, le suivi sanitaire insuffisant des troupeaux, le vieillissement génétique des cultures; ni l'absence de politique agricole, en particulier le manque de politique de régulation des marchés, le défaut de politique de crédit, l'absence de prêts bonifiés à long terme. La liste est longue de ces insuffisances d'infrastructures et d'investissement de base qui peuvent interdire le développement rural. Et nombre de pays cumulent ces handicaps.

Il convient cependant de rappeler que la construction des agricultures des pays développés fut une affaire de long terme et de faible rentabilité du capital immobilisé, et que les grandes civilisations céréalières, en particulier celles du riz ou du blé ont mis des siècles à constituer leurs sols.

Ces constats donnent la mesure des flux financiers du Nord vers le Sud nécessaires pour donner force aux économies rurales des pays du Sud et contribuer à l'élimination de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire.

Bien sûr, ce ne serait probablement qu'une faible rétribution des retombées financières des flux de denrées qui, de la colonisation à nos jours, ont cheminé du Sud vers le Nord pour asseoir la capitalisation financière, technique, scientifique ou artistique de l'Occident. N'en déplaise à notre bonne conscience, n'y a-t-il pas aussi en ce domaine un « devoir de mémoire »?

Mais les lois de la rentabilité des capitaux n'ont que des rapports très lointains avec l'histoire des civilisations. Seule une prise de conscience par le Nord des intérêts du Sud pourra aider à emprunter cette voie. Sans compter que, dans une perspective dynamique, les pays du Sud pourraient devenir des consommateurs, dans la mesure où les pays du Nord favoriseraient leur développement. Les pays du Sud pourraient ainsi à nouveau provoquer le développement des pays du Nord. Alors ne peuton imaginer un intérêt bien compris !

Mais il semble peu probable que la solution au problème de l'insécurité alimentaire soit trouvée dans une capitalisation rapide et renforcée du Sud par le Nord.

C'est du côté des techniques, et notamment des espoirs suscités par l'accroissement de la productivité et l'apport des biotechnologies, que de nombreux experts se tournent aujourd'hui. Le salut par la science.

L'accroissement de la productivité avec des techniques déjà connues

Selon la FAO [2], les rendements des productions de céréales devraient progresser de 37 % entre 1990 et 2010 dans les pays en développement. C'est dire à quel point les gains des productions céréalières, qui devraient atteindre 58 % durant cette période, seront dus à des progrès de productivité et qu'ils résulteront peu des augmentations des superficies cultivées (17 %).

Les rendements moyens des trois principales céréales (riz, blé, maïs) devraient augmenter respectivement de 36, 42 et 39 % entre 1990 et 2010. C'est donc à une progression annuelle de plus de 1,5 % qu'il faut s'attendre en matière de rendements céréaliers.

Ces augmentations de rendements seront dues à l'amélioration des cultivars. La recherche vise à la réduction de l'écart entre les rendements obtenus lors des essais et les rendements aux champs et, dans une moindre mesure, l'augmentation des rendements maximaux. Observons que la part des variétés modernes a augmenté : de 30 % à 74 % pour le riz dans les pays en développement, de 20 % à 70 % pour le blé (Chine non comprise) entre 1970 et 1990.

Les leçons de la révolution verte

Nous l'avons déjà évoqué, la révolution verte qui s'est développée en Asie depuis 1965 avec le système quadripolaire « semences-engrais-irrigation/drainage-vulgarisation » a, en vingt ans, permis de multiplier la production agricole par deux, en particulier en ce qui concerne le riz. Cultiver les quelque 2 000 variétés de riz, sélectionner les plus intéressantes, les croiser entre elles pour préserver les caractéristiques souhaitées et éliminer les indésirables, tel a été le travail rationnel des agronomes et biotechniciens. Cette révolution technique, dont les effets n'avaient pas été anticipés par les experts, a surpris tout le monde [31]. Aujourd'hui, compte tenu des progrès réalisés dans la sélection et l'amélioration de certaines espèces végétales ou animales, la FAO n'hésite pas à affirmer que la croissance des disponibilités alimentaires destinées à l'alimentation humaine dépassera la consommation humaine pour les pays en voie de développement, au moins jusqu'en 2010. Et cette croissance résultera pour les deux tiers des augmentations de rendements [43].

De nouvelles variétés de riz font l'objet de recherches actives, en particulier par l'International Rice Research Institute (IRRI), institution fondée aux Philippines dans les années 60 afin de trouver une solution rapide aux problèmes de la famine en Asie. Ces recherches devraient permettre d'augmenter à nouveau sensiblement les rendements : avec une hauteur de 90 centimètres, des racines plus vigoureuses, des talles épaisses, huit à dix panicules portant chacun en moyenne 250 grains, au lieu d'une centaine habituellement, la productivité de ces plants de riz serait augmentée de plus de 20 % et un gain nouveau de 25 % pourrait être tiré de l'hybridation de ces nouvelles variétés.

Les productivités restent encore aujourd'hui nettement inférieures à celles qu'autoriserait l'utilisation des connaissances scientifiques et des techniques disponibles, ceci pour la plupart des pays du monde. Des gains de productivité considérables pourraient être obtenus, y compris par l'application de techniques simples et le recours à de faibles investissements. Il suffit pour s'en convaincre de comparer, région par région, les rendements des récoltes opérées dans des conditions optimales avec ceux obtenus à l'heure actuelle. Ils sont encore 5 à 9 fois supérieurs à ceux obtenus dans les pays développés et dans les pays en développement [7].

Il semble donc que l'insécurité alimentaire résulte plus d'un défaut d'application des techniques connues, pour des motifs d'accès aux moyens de production ou de diffusion des savoirs, que d'une défaillance de l'état général des connaissances et des techniques.

Mais, bien avant que les bienfaits de cette révolution verte aient pu bénéficier aux populations de l'Afrique subsaharienne, une somme de nouvelles promesses concernant tous les stades de développement des plantes fait irruption et dépasse largement le domaine de la génétique traditionnelle. Ces promesses viennent de l'émergence des biotechnologies. Celles-ci vont-elles modifier les données du défi alimentaire africain ? C'est la question que nous allons aborder maintenant.

Les facteurs d'augmentation de la production et des rendements

Différents facteurs, mentionnés par ailleurs dans le plan d'action du Sommet mondial de l'alimentation (Rome, 1996), contribueront largement à l'augmentation de la production vivrière et des rendements des pays les moins avancés. Il ne nous appartient ni d'en dresser la liste, ni d'en déterminer les plus efficaces. La nature interactive de ces facteurs et l'aspect holistique du développement rendent d'ailleurs illusoire toute hiérarchie, car ce sont des combinaisons complexes de facteurs qui influencerons le développement économique et social des peuples. Les exemples que nous détaillerons sous ce titre auront donc pour but d'illustrer, non de relever l'importance majeure du facteur considéré.

Certains facteurs d'augmentation de la production et de la productivité agricole relèveront des politiques générales de développement. Les politiques macro-économiques, les politiques monétaires et fiscales, les politiques de subvention, les politiques de distribution de revenus en font partie. D'autres facteurs de nature plus spécialement économique, et commerciale, interviennent. Parmi ceux-ci, on relève les politiques de prix, la régulation des marchés, les actions des États dans l'approvisionnement du marché vivrier ou dans la régulation des importations, telle que l'obligation d'achat d'un quota sur le marché local pour les importateurs de vivres, les systèmes d'information sur les marchés, etc. Les politiques de réduction de la pauvreté occupent une place importante au sein de cet ensemble, et, parmi celles-ci, les interventions sur les marchés agricoles appellent quelques commentaires car elles peuvent avoir pour résultat de stimuler indirectement à terme la consommation, la production et parfois la productivité. Mais cela suppose que ces politiques atteignent leur « cible », à savoir les populations les plus démunies, et qu'elles soient bien conduites. Or celles de ces politiques qui visent à intervenir directement sur les prix à la consommation de céréales (Égypte, Maroc, Inde, Chine, etc.), ne sont pas toujours couronnées de succès. Elles bénéficient surtout aux populations citadines et délaissent les populations rurales, souvent les plus démunies. Ainsi des subventions massives apportées à la consommation de blé ont pu entamer la motivation des paysans à produire les vivres qu'elles devaient rendre accessibles aux populations les plus pauvres. En outre, les hausses des prix à la production, mesures favorables aux ruraux attachés à la terre, peuvent déstabiliser la paix sociale urbaine et rendre nécessaire l'octroi de subventions aux consommateurs citadins, là où ils ne sont pas en mesure de supporter la répercussion de ces hausses sur les marchés.

Autres facteurs importants, l'établissement, l'entretien ou la restauration d'infrastructures, principalement l'école, l'électricité, l'eau, les routes, les transports, le téléphone, mais aussi les services bancaires, le crédit, l'approvisionnement en produits divers de l'industrie et de la chimie, la commercialisation (collecte, entreposage, transport, transformation, vente au détail des excédents), les services vétérinaires (amélioration des races animales, suivi sanitaire, centres de prophylaxie) et phytosanitaires (lutte contre les parasites, les champignons, les virus, le vieillissement génétique des cultures), etc., figurent parmi les stimulants efficaces de la croissance de la production agricole. Les effets de ces facteurs sur le développement économique sont en général bien connus. Mais on connaît moins précisément les effets de la rupture de l'isolement physique des producteurs, que ceux des autres facteurs cités précédemment. Ainsi, les cultures et les élevages sont de plus en plus durement frappés par les attaques de parasites, de virus, de champignons et d'autres épidémies. La raison en est double. Tout d'abord les agriculteurs utilisent de plus en plus fréquemment des variétés végétales ou des races animales génétiquement améliorées, beaucoup plus exposées de ce fait aux maladies. D'autre part, ils souffrent d'un manque d'accès physique aux services de lutte prophylactique ou phytosanitaire. Autre exemple, la fermeture des structures étatiques de crédit agricole (Haïti, Niger, Pérou, etc.) et leur remplacement par des usuriers traditionnels, qui pratiquent souvent des taux très élevés, appellent l'établissement de solutions de substitution telles que des organisations mutualistes ou coopératives, qui peuvent être économiquement viables car les épargnants sont généralement plus nombreux que les emprunteurs en milieu rural, et indispensables tant par leur rôle économique, que par leurs vertus pédagogiques. Observons que l'importance des facteurs d'ordre financier s'accroîtra au fur et à mesure que les agriculteurs s'affranchiront de l'économie de subsistance et introduiront leurs productions sur les marchés locaux, nationaux ou internationaux. Il s'agit en particulier de gérer des fonds ou d'obtenir des crédits pour des périodes le plus souvent inférieures au cycle de production.

Les facteurs institutionnels occuperont aussi une place importante dans le développement. Ces facteurs ont trait aux performances attendues des pouvoirs publics, des coopératives et des organisations privées, pour orchestrer le passage d'une agriculture de subsistance à une agriculture commerciale. Ils mettent en jeu la création ou le renforcement d'institutions les plus diverses souvent très peu performantes dans les pays les moins avancés. Citons quelques exemples : les lois foncières, la planification des investissements, l'importation de produits nécessaires à l'agriculture, l'administration des contrôles de qualité, l'établissement de systèmes d'information sur les marchés, de systèmes d'alerte précoce, la constitution de stocks nationaux de sécurité, la régulation et la stabilisation des marchés, la taxation et la perception de droits de douane spécifiques sur l'importation de produits de première nécessité, l'application de normes sanitaires spécifiques, le recours à l'aide extérieure pour la lutte contre les acridiens, l'importation de produits phytosanitaires, la réorientation, la coordination et la diffusion de la recherche, sans oublier les poids et mesures, les catégories et normes, etc.

Qu'il soit social, culturel ou plus généralement politique, l'environnement humain influera directement sur le développement et apportera, de ce fait, son contingent de facteurs de croissance de la production et des rendements, parfois de freins. Ainsi l'accès aux ressources, terres, pâturages, eau, bois de feu, lieux de pêche, crédit, revenus de l'exploitation, etc., qui devrait dépendre du partage des rôles entre hommes et femmes ou entre les jeunes adultes et leurs aînés, qui est aussi influencé par les relations entre membres de la famille, entre familles, entre clans, entre villages, entre ethnies seront d'importants facteurs de développement. L'évolution des rôles de la « tradition », facteur décisif en matière de sécurité de la tenure foncière, participera amplement à l'évolution de la production et des rendements. Autre ensemble de facteurs, le renforcement des organisations de producteurs, l'instauration d'un climat de confiance des agriculteurs vis-à-vis des organisations professionnelles et, pour cela, la dynamisation des structures traditionnelles seront essentielles. Il n'est pas utile de multiplier les exemples. Deux observations puisées dans le domaine de la participation des femmes à la production agricole suffisent à illustrer la puissance et la complexité de ces facteurs et à montrer les risques encourus à éluder cet aspect du développement. Le mécanisme d'attribution du crédit à l'agriculteur favorise naturellement le détenteur du droit à l'exploitation et peut ignorer la personne réellement en charge des tâches qui justifient l'octroi du prêt. Or un tel principe peut conduire à créditer des hommes qui peuvent ne participer que de façon lointaine au processus de production, là où des femmes ont la charge effective des opérations, en particulier là où les tâches qui font l'objet d'attribution de crédits sont souvent assumées par les femmes. Même constat pour l'accès des femmes à la propriété, à l'usufruit, et aux revenus des terres qu'elles exploitent.

L'évolution technologique est le facteur déterminant de la croissance de la production et de la productivité agricole. Elle repose encore parfois sur la réduction de la période de jachère et sur l'extension des superficies cultivées. Mais les réserves de terres arables encore inexploitées diminuent. De ce fait l'accroissement des productivités de la terre, de l'eau et des hommes l'emporte de plus en plus largement sur l'accroissement des ressources naturelles, dans la détermination de l'accroissement de la production. L'augmentation des rendements et la multiplication des cultures sur une même parcelle deviendront les maîtres mots du développement agricole. La valorisation du matériel génétique par la recherche et l'utilisation par les producteurs de variétés végétales ou de races animales améliorées en sont les outils principaux. Mais la pleine utilisation de ce matériel appelle la valorisation du patrimoine foncier par les ouvrages d'aménagement et par l'irrigation. Le recours à des engrais chimiques même chez des paysans très pauvres, l'organisation technique des travaux de culture et d'élevage, le recours au matériel agricole qui permet, par un apport complémentaire de puissance, une amélioration de la préparation des terres, une diminution des temps de travail, etc., sont d'autres facteurs importants de cette quête de productivité. Mais ces évolutions technologiques exigent des modifications en profondeur des politiques générales de développement et des infrastructures. Les institutions, l'homme, à travers ses pratiques et ses savoirs, devront eux-mêmes s'adapter aux bouleversements qu'implique le développement économique et social des peuples.

Enfin l'environnement et les ressources naturelles sont cruciaux en matière de production agricole. Plusieurs facteurs sont en jeu. La sécurité de la tenue foncière est un facteur fondamental qui conditionne la mise en valeur des terres et la réalisation par les producteurs de travaux à financer sur les gains de plusieurs campagnes de cultures intensives (travaux du sol en profondeur, aménagements, drainage, irrigation, adoption de cultures pluriannuelles, plantations, etc.). Le remembrement des terres, facteur de réduction des temps de travail, mais aussi préalable indispensable à l'introduction du tracteur dans les unités de production, est le plus souvent une condition nécessaire à l'augmentation de la productivité. Quant à la réforme des structures foncières, elle pourra étendre l'accès à la terre à une population plus nombreuse et provoquer ainsi à terme une intensification de la production, éventuellement elle favorisera le passage d'un monopole d'une économie de rente à une répartition entre l'économie de rente et l'économie vivrière plus favorable à la sécurité alimentaire. Enfin, la lutte contre l'érosion des sols, le déboisement et le surpâturage font partie des enjeux du défi des cinquante prochaines années, mais la réduction de ces dégradations des terres découlera largement des gains de productivité obtenus sur les terres arables. Enfin l'investissement dans l'irrigation permettra aux producteurs d'augmenter les superficies cultivées, d'intensifier la production en utilisant des cultures améliorées, et de multiplier les récoltes tirées d'une même parcelle, au cours d'une même campagne. L'irrigation et le drainage permettront aux agriculteurs de « gérer » les quantités d'eau qu'ils allouent à chaque fraction de leur assolement. Mais l'eau est rare dans la plupart des pays en développement et convoitée par les autres utilisateurs domestiques, industriels ou touristiques. Avec l'amélioration génétique des cultures et des élevages, l'eau sera le facteur déterminant de la quête de productivité des cinquante prochaines années.

Mis à part le changement technologique, ces facteurs seront, soit très coûteux, exigeants en aide financière internationale et générateurs de fort endettement national - ce sera le cas de l'établissement des infrastructures nécessaires au développement -, soit très dépendants du niveau de développement économique national - ce sera le cas de l'importation des produits nécessaires à l'agriculture (machines agricoles, etc.) -, soit longs et difficiles à mettre en place - ce sera le cas des facteurs humains et institutionnels -, soit très coûteux et productifs uniquement à très long terme - ce sera le cas de l'éducation de base des populations -, soit à la fois longs, coûteux et difficiles à mettre en place tant socialement que politiquement - ce sera alors le cas des instruments d'aménagement et de gestion des disponibilités en terres et en eau.

Il semble donc peu probable que la communauté des nations valorise tout à la fois son capital humain et son patrimoine en ressources naturelles, et intègre les facteurs de développement évoqués précédemment en un ensemble qui élève durablement la croissance économique des pays les moins avancés à un niveau nettement supérieur à celui de l'accroissement de leur population. Comme cela a été le cas tout au long de l'histoire de l'humanité, ce seront sans doute les facteurs techniques du développement de la production et de la productivité qui apporteront les résultats décisifs, face au défi alimentaire des cinquante prochaines années. Parmi les technologies en vue pour le prochain siècle, on relève l'irrigation goutte-à-goutte, qui permet une agriculture de précision très économe en eau, les cultures hydroponiques, qui sont en mesure d'augmenter notablement les disponibilités alimentaires, etc., mais les biotechnologies sont les plus prometteuses. Examinons donc ce que l'on peut en attendre.

Les biotechnologies

La Convention des Nations unies sur la diversité biologique désigne sous le vocable de biotechnologie « toute application technologique qui utilise les systèmes biologiques, des organismes vivants ou dérivés de ceux-ci pour réaliser ou modifier des produits ou des procédés à usage spécifique ».

Nous ne nous intéressons ici qu'aux applications agricoles des biotechnologies, celles qui mettent en oeuvre des techniques de manipulation de cellules ou de composants de cellules d'êtres vivants, végétaux ou animaux, afin de modifier certains caractères héréditaires des organismes. Les applications biotechnologiques sont d'une grande diversité. Nous ferons référence ici à celles qui améliorent directement ou indirectement les conditions de la production agricole et alimentaire, le stockage, la transformation et la consommation de ces produits1.

Nous ne parlons donc ici que de ce qui a été expérimenté. Il est d'ailleurs important de constater que le frein apporté au développement des recherches tient au fait qu'il faut encore utiliser des méthodes traditionnelles de sélection pour incorporer de nouvelles caractéristiques dans des variétés ayant de bonnes qualités agronomiques et des rendements stables [64] et que cette contrainte rend très incertaine toute prospective.

1 Ce chapitre s'appuie sur les progrès des biotechnologies, annoncés ou projetés, recensés par la FAO à partir d'articles scientifiques figurant dans les principales banques de données documentaires (AGRIS, CAB, CARIS, AGRICOLA et TROPAG).

Les effets attendus des progrès biotechnologiques sur les denrées agricoles

Les effets attendus des biotechnologies sur les progrès de la production, de la productivité et des marchés des denrées agricoles sont très nombreux et en croissance exponentielle. Dans l'inventaire qui suit, ils sont classés d'amont en aval à partir de la filière de production agricole. C'est la raison pour laquelle figurent ici, en premier, les effets sur la recherche biotechnologique elle-même.

Désormais, les biotechnologies permettront de réduire considérablement les temps d'obtention de variétés aux rendements améliorés, alors qu'il fallait auparavant des dizaines d'années pour arriver à des résultats comparables.

Il s'agit là d'un résultat appréciable. En effet, la course étant engagée entre la croissance démographique d'une part, et la croissance des rendements d'autre part, la superficie exploitée par habitant devra diminuer à un rythme comparable à celui de la croissance démographique, ce qui commande l'utilisation de toutes les ressources techniques, dont les biotechnologies.

Pour se nourrir, l'humanité devra multiplier par 2,25 ses prélèvements d'énergie d'origine végétale sur ses ressources naturelles [42]. Elle se trouve ainsi dans l'obligation de mieux utiliser les conditions agroclimatiques existantes et de mettre en exploitation des terres inexploitées, en particulier celles qui restent impropres à la culture. Ce champ des biotechnologies intéresse beaucoup les Nations unies et, entre autres agences, la FAO et l'UNESCO.

En effet, les biotechnologies pourraient permettre de réduire les coûts de la désalinisation des eaux, ce qui rendrait possible une augmentation des superficies cultivables. Elles pourraient de la même manière conférer à certaines espèces une meilleure résistance au froid, à la sécheresse ou à la chaleur. Là encore ces possibilités autoriseraient une augmentation des superficies cultivables. Autre exemple : on pourrait obtenir un allongement de la période végétative de certaines plantes fourragères comme le sorgho et accroître ainsi leurs capacités fourragères.

Les promesses d'augmentation des rendements agricoles contenues dans les biotechnologies peuvent avoir des effets directs très importants sur les productions et les marchés des produits. Il s'agit en particulier de modifications morphologiques des plantes et des animaux, génératrices d'augmentation de productivité des intrants principaux, travail, superficie en terre, volume d'eau, etc. Ainsi, les recherches d'hybrides intervariétaux d'orge perlé à haute productivité progressent et produisent jusqu'à 40 % de grains en plus. On étudie aussi la possibilité de diminuer la durée du cycle de croissance des végétaux ou des animaux, afin de réduire le temps nécessaire pour obtenir une récolte ou une portée.

La recherche d'une moindre vulnérabilité des plantes et des animaux à leur environnement motive une grande partie des efforts. Une meilleure résistance aux agents pathogènes, aux maladies virales ou aux organismes nuisibles est ainsi espérée. De très nombreuses applications concernent le riz (lutte contre le virus blanc de la feuille, les larves brunes et la cécidomye par l'utilisation de marqueurs ADN, le foreur jaune des tiges par l'utilisation de protoplastes pour régénérer les plantes par culture tissulaire), le maïs (lutte contre la chrysomèle des racines du maïs), le manioc (lutte contre la mosaïque africaine du manioc, les mosaïques communes), la pomme de terre (lutte contre le virus de l'enroulement des feuilles, la brûlure tardive, la teigne des tubercules, le hanneton du Colorado), etc.

De même, les chercheurs tentent d'obtenir des plantes ayant une meilleure résistance aux herbicides, aux conditions météorologiques défavorables (résistance du maïs, du sorgho à la sécheresse, de l'orge perlé à la chaleur, de la banane aux dégâts dus au vent, etc.), ou encore à des conditions pédologiques défavorables (résistance à la salinité, à l'acidité des sols, etc.). Ces derniers progrès pourraient permettre l'utilisation de terres impropres à la culture. Toutes améliorations qui peuvent influencer fortement les marchés des produits.

De même, toute diminution des coûts de production est précieuse, dès lors qu'il s'agit de sécurité alimentaire, car elle favorise la diminution du prix des denrées. On cherche donc à transférer à certains végétaux qui sont à la base de l'alimentation humaine des caractéristiques qui permettent des économies substantielles en intrants, ou qui confèrent aux produits agricoles des propriétés appréciables en matière de coût ou de durée de conservation (diminution des pertes de denrées); ou encore, qui apportent aux produits agricoles des qualités attractives qui en facilitent la commercialisation.

Les qualités pédologiques des sols interviennent largement dans le processus de production et dans son coût. Le transfert à certaines plantes de la possibilité de fixer naturellement l'azote, comme le font certaines légumineuses, diminuerait les coûts de production en réduisant l'emploi d'engrais azotés et contribuerait à une meilleure préservation de l'environnement en évitant la pollution des nappes phréatiques.

Avec les biotechnologies, on peut maintenant se passer de certains produits agricoles coûteux, provenant souvent de pays en développement. Il est ainsi possible d'obtenir des sirops riches en fructose sans recourir à la canne à sucre; ce qui pourrait être une catastrophe pour les pays exportateurs, soit pour la plupart des pays en développement.

Ce rapide panorama montre que l'humanité est à la veille d'une mutation de ses techniques de production agricole, mutation susceptible de bouleverser les modes d'utilisation des sols (la répartition des terres selon les différentes cultures, les rotations, etc.), les modes de faire-valoir (propriété individuelle, propriété collective, locations, droits coutumiers, etc.) - en raison des investissements à faire sur les parcelles -, mais aussi la structure spatiale de la production (en particulier la répartition entre pays développés et pays en développement) et la structure temporelle de la production si tant est que les calendriers subissent d'aussi profondes modifications que ceux attendus.

Tous les espoirs semblent donc permis, y compris pour les pays en développement. Mais, comme nous allons le montrer, de grands bouleversements sont à prévoir, avec des conséquences graves pour le Tiers-Monde.

Les effets des biotechnologies sur la sécurité alimentaire future

D'une façon générale, il faut attendre des biotechnologies qu'elles facilitent une diminution nette et rapide de la superficie moyenne exploitée par habitant de la terre et qu'elles allègent la pression sur les terres dites marginales, à condition que les pays en développement puissent bénéficier des gains de productivité permis par ces nouvelles technologies. Dans ces conditions, que nous réserve le futur ?

Une chose est sûre, les avancées des biotechnologies se feront là où les rendements économiques seront les plus élevés. Qu'il s'agisse de l'amélioration des semences ou de l'élaboration de techniques nouvelles ressortant de l'application directe de biotechnologies à des organismes vivants, les procédures en question supposent un contexte de capitalisation préalable de différents types de compétences : biologie et microbiologie, chimie et biochimie, génétique, physique et biophysique, etc., et, surtout, de disponibilités financières investies à court, moyen et long terme.

Sans surprise, ces biotechnologies ont toutes les chances d'être le fait des pays développés, et plus particulièrement de ceux d'entre eux qui peuvent supporter les investissements à très long terme, c'est-à-dire les plus riches. Les avancées attendues se feront donc pour les produits dont les rendements économiques seront les plus prometteurs pour ces pays.

À l'heure actuelle, la priorité est donnée aux améliorations de la résistance et de la tolérance des espèces. Pour la plupart, les applications biotechnologiques sont concentrées sur la réduction de la variabilité des rendements, l'objectif étant que le résultat de la filière de production soit plus proche du résultat optimum compte tenu du matériel génétique utilisé, moins dépendant des facteurs climatiques, écologiques, voire humains. Les applications visent à transférer aux organismes des capacités de résistance aux agents pathogènes, aux organismes nuisibles, aux herbicides et aux pesticides, mais aussi à leur transmettre des propriétés de tolérance à certaines conditions écologiques qui contrarient le cycle végétatif ou la reproduction.

Certaines variétés transgéniques étaient déjà commercialisables en 1995 [50], principalement dans des pays développés : aux États-Unis pour augmenter la richesse du colza en acide laurique, la résistance du soja et du coton aux herbicides, celle du maïs aux insectes, celle de la courgette à des virus ; au Canada pour accroître la résistance du soja aux herbicides, celle du maïs et de la pomme de terre aux insectes et du colza aux herbicides ; et au Royaume-Uni pour accroître la résistance du colza aux herbicides.

Seules quelques variétés transgéniques sont commercialisables dans de rares pays en développement, en Chine pour la résistance de la tomate à des virus, en Argentine, du soja aux herbicides.

Ce sont principalement les semences qui permettront d'utiliser les biotechnologies au service des populations les plus démunies, mais, malheureusement, les applications biotechnologiques visant à améliorer directement les rendements sont rares. Les budgets de recherche en amélioration des plantes, qui ont été en hausse dans les années 1950 à 1980, semblent stagner depuis 1980 et ont régressé depuis 1990 [50].

G. Persley [64] note ainsi, à propos des pays en développement : « Nous avons à peu près le même niveau dans les tropiques, au moins dans les parcelles d'essais, que dans les zones tempérées. À moins qu'il n'y ait un progrès très significatif de la productivité (progrès significatif bien plus grand que ce que je trouve actuellement dans les données des centres internationaux de recherche et dans d'autres centres engagés en recherche agricole tropicale), je ne nous vois pas capables de contredire les positions de Malthus à l'horizon 2000 ou 2030. Les nouveaux progrès significatifs devraient venir du génie génétique ».

On assiste en effet à un ralentissement de la croissance des rendements. Selon la FAO, la croissance annuelle des rendements du blé passera de 2,8 % entre 1970 et 1990 à 1,6 % entre 1990 et 2010. Dans le même temps, la croissance des rendements diminuera de 1,8 % à 1,5 pour le maïs, et de 2,3 % à 1,5 pour le riz.

En ce qui concerne les produits de base, l'essentiel de la recherche semble porter sur les agrumes, l'arachide, la banane, le café, la canne à sucre, le maïs, le manioc, la pomme de terre, le riz, le soja, le sorgho et le tabac. De très importants progrès semblent attendus pour les agrumes, la banane, le maïs, le manioc, la pomme de terre, le riz et le tabac.

Il est difficile, à partir d'une analyse des ouvrages spécialisés, de déterminer en combien de temps la recherche produira des applications commerciales utiles. Néanmoins, compte tenu des recherches et des effets commerciaux que l'on peut attendre comme résultats probables de ces recherches, des variétés génétiquement améliorées de riz, maïs, manioc, soja, agrumes, banane, café, colza seront probablement commercialisées au cours des dix ou quinze prochaines années [43].

L'insécurité alimentaire va probablement diminuer dans les zones les plus peuplées du monde, en Asie, en particulier à la suite des gains de productivité permis par les plantes améliorées. Mais elle va se répandre en Afrique, tout particulièrement dans les populations qui se nourrissent principalement de racines ou de tubercules, plantes « orphelines » - car oubliées des grands programmes de recherches - de variétés productives et résistantes aux facteurs pathogènes. Ce serait surtout par l'amélioration des végétaux que les biotechnologies contribueraient à améliorer le sort des paysans africains.

La recherche devrait maintenant favoriser des agricultures qui appellent des investissements de recherche d'autant plus urgents qu'elles fournissent la plupart de l'alimentation de population qui s'accroissent rapidement (la République démocratique de la République démocratique du Congo - ex-Zaïre - consomme plus de 400 kilos de manioc par habitant et par an) et qu'elles approvisionnent d'ores et déjà une grande partie des pauvres de la planète. Ces investissements devraient concerner les cultivars de racines et de tubercules (manioc, patates douces, pommes de terre, taro, igname [45]), mais aussi de plantains, de légumes secs, ainsi que de céréales sèches (mil, millet) et de sorgho.

En dépit du fait que la propagation végétative des racines et des tubercules facilite la recherche biotechnologique, la FAO nourrit peu d'espoir de voir s'élever les rendements de ces plantes dites « orphelines » en raison de l'absence de recherches, alors que « l'intérêt des racines et des tubercules tient à ce qu'elles peuvent fournir des quantités importantes d'énergie alimentaire et que leur production reste stable dans des conditions qui peuvent être fatales pour d'autres cultures. Elles acceptent toutes sortes de conditions défavorables : sols acides, fluctuations de l'humidité du sol, forte pluviosité, et terres marginales infertiles » [2]. Elles apportent en outre des compléments en protéines indispensables aux populations qui mangent peu de viandes.

Mais l'accroissement de coût induit par l'emploi des biotechnologies doit être compensé soit par une réduction des coûts en herbicides, en pesticides, en engrais, soit par une augmentation des prix à la production justifiée par une réduction des coûts de stockage ou des coûts de transformation, soit par une augmentation des prix à la consommation que justifie une amélioration de la qualité des produits, amélioration permettant une meilleure rémunération des produits agricoles. En outre, la rémunération du travail biotechnologique pourrait venir d'une augmentation des rendements obtenus avec les nouvelles techniques par rapport aux anciennes.

Pourtant, force est de constater que ces apports sont, pour la plupart, hors de portée des cultivateurs dont la production est principalement destinée à l'autoconsommation, ou même des familles frappées par la pauvreté. Dans tous ces cas, les solutions apportées par les biotechnologies sont de peu d'utilité. En revanche, elles seront probablement d'un grand profit pour faciliter la transition entre l'agriculture de subsistance et l'agriculture commerciale, car les semences ne sont généralement pas extrêmement coûteuses et leur utilisation ne requiert pas une formation particulière.

« Le rôle des biotechnologies fait encore l'objet d'un débat international intense sur les questions d'éthique, d'innocuité et de droits de propriété intellectuelle. L'expérience montre qu'il faudra peut-être attendre encore 10 à 20 ans pour que les résultats des biotechnologies se fassent pleinement sentir sur le terrain, parmi les agricultures des pays en développement » [40, Doc. no 6].

Les risques liés à l'utilisation de biotechnologies

Aujourd'hui, la culture à grande échelle des plantes transgéniques est en cours aux États-Unis, au Canada et en Chine (et bientôt en France). Le nombre de variétés commercialisées augmente rapidement. Les produits végétaux issus de plantes transgéniques arrivent sur le marché mondial, du fait des échanges internationaux.

La question se pose de savoir quels sont les risques encourus. La plupart d'entre eux ne sont pas d'une nature nouvelle : les anciens sont fortement amplifiés ; quant aux nouveaux, ils sont encore très difficiles à évaluer. Pour la plupart, ceux liés aux biotechnologies sont probablement imprévisibles du fait du nombre des facteurs qui interviennent en écologie. Nous nous bornerons à évoquer quelques risques majeurs.

Les pertes de patrimoine génétique

Le patrimoine génétique de la planète est en voie de rapide diminution. La FAO estime que, depuis 1900, 75% de la diversité génétique des cultures agricoles a disparu.

Ce phénomène est d'une grande importance, car il porte en germe un risque de pénurie de patrimoine végétal pour des « sélectionneurs » qui sont de plus en plus à la recherche de gènes porteurs de tels ou tels nouveaux caractères de résistance ou de tolérance, dans le patrimoine génétique mondial aujourd'hui disponible. Ce risque peut devenir majeur dans le cas de la disparition d'espèces végétales qui peuvent, à terme, s'avérer vitales pour la sécurité alimentaire de l'humanité.

On peut en outre craindre l'utilisation intensive d'une seule espèce à une très vaste échelle, car elle expose toute la production à une destruction rapide en cas de catastrophe agraire (voir les pertes massives occasionnées aux États-Unis par le « gray leaf spot », aux cultures de maïs « pioneer 3394 »).

Ainsi la FAO a affirmé, lors du Sommet mondial de l'Alimentation de novembre 1996, que « le maintien de vastes réserves génétiques, in situ et ex situ, pour les cultures importantes restera une des priorités de la révolution verte ». Les besoins des biotechnologies en matériel génétique sont d'autant plus importants que le développement qu'elles doivent générer est fortement accéléré pour fournir une réponse au piège malthusien qui menace les pays les plus pauvres.

Si l'on accepte l'idée que les biotechnologies apporteront, à terme, une solution technique au défi que constituent cinquante ans d'accroissement rapide de la production agricole de nombreux pays actuellement frappés par la sous-alimentation, alors les pertes de patrimoine représentent véritablement un risque majeur pour l'efficacité de ces biotechnologies et pour l'humanité, car il n'est pas vrai que les sélectionneurs puissent se passer des réserves de biosphère et qu'une banque de gènes en laboratoire puisse tenir lieu de source de substitution à ces réserves naturelles d'espèces.

L'uniformisation des espèces cultivées

Pour bon nombre d'experts, l'uniformité croissante des plantes cultivées à des fins alimentaires constitue un danger. On connaît approximativement 50 000 espèces de plantes comestibles, dont 15 assurent 90 % de la production alimentaire mondiale. Les deux tiers de la production reposent sur 3 d'entre elles : le riz, le blé et le maïs.

Plus les populations réduisent l'éventail des plantes qu'elles utilisent - le plus généralement en raison de leur forte productivité - plus la vulnérabilité de ces plantes aux agents pathogènes peut entraîner des pertes massives et s'avérer catastrophique. La culture à très grande échelle de plantes transgéniques très productives, telle qu'elle commence à être pratiquée aux États-Unis, constituera un risque majeur dès lors qu'elle sera appliquée aux plantes de subsistance de vastes populations de pays en développement.

Le maintien d'un minimum de diversité des cultivars s'impose donc comme une condition de la sécurité alimentaire.

Les risques écologiques

Les biotechnologies apportent leur lot de risques écologiques : prolifération de plantes transgéniques (par gain de vigueur, par accroissement de fécondité, par raccourcissement des intervalles entre floraisons, par acquisition de résistance aux herbicides, etc.), modification de structure et de taille des populations d'insectes, sélection d'agents pathogènes par les plantes résistantes, etc.

De tous ces nouveaux dangers, ce sont les flux de gènes qui retiennent le plus l'attention, car la diffusion des caractères transgéniques dépasse largement la simple transmission à la population de la variété d'origine. La diffusion du caractère transgénique s'opérera vers toutes les variétés de la même espèce du fait des possibilités de croisement de variétés d'une même espèce. Elle pourra aussi intervenir vers d'autres espèces qui présentent une certaine « interfertilité » avec l'espèce à laquelle appartient la plante transgénique. C'est ainsi qu'on pourra voir se multiplier des populations spontanées dotées de résistance à plusieurs herbicides, et pulluler des « mauvaises herbes » contre lesquelles les herbicides sont inefficaces.

Le risque sera d'autant moins important que les plantes cultivées seront isolées géographiquement de leurs parents sauvages et dépourvues d'interfertilité avec ceux-ci.

Ces menaces contenues dans le génie génétique imposent l'établissement d'une biovigilance afin que la fonction de production soit assurée dans des conditions de sécurité accrue, quel que soit le niveau de développement des pays. Ceci suppose des stratégies et des capacités de financement nationales et internationales adaptées à chaque situation nationale.

Les risques de toxicité

Il n'existe peut-être aucun rapport entre les circonstances probables de la diffusion de la maladie de la vache folle (l'épizootie d'encéphalite spongiforme bovine) et les biotechnologies modernes. Ces dernières comportent néanmoins certains risques pour l'homme, dont nous ne relèverons que quelques-uns.

Ils sont liés en particulier à la toxicité des produits que les plantes transgéniques résistantes aux herbicides peuvent synthétiser, aux modifications du métabolisme et de la composition de ces plantes, aux produits de dégradation par les enzymes des herbicides auxquels ces plantes sont résistantes, au cumul de substances toxiques par une plante rendue génétiquement résistante à des agents pathogènes, etc.

Les risques économiques et politiques

Cette révolution génétique porte en germe une forte augmentation de la productivité, une diminution de la superficie arable nécessaire par habitant, une diminution du nombre de cultivateurs qui auront à alimenter le reste de la population du monde, une plus grande sécurité d'approvisionnement, une meilleure préservation de l'environnement face à la dégradation de l'état pédologique des sols et à la désertification [29] [47]. Mais elle peut n'être d'aucun secours pour les populations sous-alimentées, dont la production agricole est exclusivement destinée à l'autoconsommation vivrière, ou ne pas leur être accessible pour des raisons économiques, commerciales ou géographiques. De fait, les agricultures de subsistance trop pauvres pour rémunérer les coûts des biotechnologies ne pourront pas non plus rémunérer les coûts de recherches plus conventionnelles, d'où l'importance du rôle joué par la FAO dans ce domaine. La biotechnologie présente à long terme des dangers. De plus, l'irruption des biotechnologies peut, compte tenu du contexte économique international actuel, induire une dépendance financière et technologique des populations à l'égard de quelques grandes firmes multinationales qui monopolisent les progrès dans ce domaine en raison des coûts élevés de la recherche génétique. Elle peut accélérer la diminution de la proportion de personnes actives dans l'agriculture, là même où la conversion des emplois agricoles en emplois non agricoles est incompatible avec le niveau de développement du pays, du fait de l'insuffisance de l'éducation des populations; ce qui signifierait une élimination prématurée d'emplois traditionnels. Nombre de pays en développement vivraient alors une crise agricole du même ordre que celle qu'un pays comme la France a connue entre 1950 et 1980, sans disposer des emplois non agricoles que les pays développés ont pu allouer à leurs générations de migrants ruraux [20].

Elle peut également être à l'origine d'une délocalisation d'emplois au bénéfice des pays du Nord. La production in vitro de succédanés de produits tropicaux, fabriqués en laboratoire au Nord, ainsi que la production agricole de substances venant se substituer à des produits tropicaux, menacent directement l'emploi et les recettes d'exportation de bon nombre de pays du Sud, ce qui pourrait aggraver leur endettement et accroître leur dépendance vis-à-vis des pays les plus industrialisés. Ces modifications soudaines de la distribution internationale des forces de travail pourraient provoquer une déstabilisation sociale mettant en péril le travail de centaines de millions de paysans du Sud, si ces changements majeurs n'ont pas été anticipés et préparés par des politiques économiques et sociales adaptées; sans oublier les risques de production dans le Nord d'une nourriture à bas prix, qui pourrait concurrencer les produits du Sud et pourrait mettre à mal leur agriculture. À l'inverse, les progrès biotechnologiques peuvent être favorables aux intérêts économiques des pays du Sud. Ainsi certaines productions telles que la canne à sucre permettent d'intégrer la biotechnologie, les us et coutumes et l'évolution commerciale. D'autres intègrent le transfert de technologie et la nécessité de maintenir le patrimoine écologique. Ceci montre qu'il est illusoire de qualifier de façon optimiste ou pessimiste l'apport de la biotechnologie aux pays du Sud durant les prochaines décennies.

Enfin, cette révolution biotechnologique comporte des risques d'impérialisme biologique. Elle impliquerait en effet la collecte de ressources génétiques issues de pays peu développés, l'exploitation de ces ressources par un petit nombre d'entreprises dont seule la taille économique autorise de véritables stratégies d'investissements de recherche, et la mise sur les marchés des plantes transgéniques qui permettrait de dégager un profit considérable en partie rémunéré par les fournisseurs de gènes.

Du fait de la croissance des besoins en énergie d'origine végétale et de la raréfaction des espaces disponibles pour une agriculture traditionnelle, les biotechnologies pourraient devenir un passage obligé pour nourrir les hommes. Il est probable qu'elles permettront de relever le défi de la sécurité alimentaire du XXIe siècle dans bon nombre de pays émergents. Mais la vigilance est de rigueur. Vigilance technique quant aux risques écologiques. Vigilance sociale du fait de l'accès inégal à ces nouvelles techniques.

Les risques culturels et sociaux

Mais il faut aussi être conscient que les populations les plus déshéritées du monde ne franchiront probablement pas ce passage sans être les victimes d'une véritable acculturation, résultant de l'abandon de cultures, de pratiques et de savoirs traditionnels au profit de nouvelles techniques et donc d'une formation et d'un enseignement « importés ». Ces modifications pourront porter en elles-mêmes les facteurs d'une déstructuration, voire d'une destruction des systèmes traditionnels.

Dans ces conditions, il est nécessaire de soutenir les fonctions ethnobotaniques de l'UNESCO, pour qu'il puisse procéder à l'éstablissement d'un « conservatoire des savoirs paysans », relatifs aux espèces cultivées, et des usages agricoles, alimentaires et médicinaux du monde. L'humanité pourrait à l'avenir tirer certainement un grand profit, et peut-être son salut, du recensement d'un tel patrimoine avant sa disparition. Cette mémoire faite de savoirs, d'aptitudes, de pratiques et de représentations pourrait constituer une partie du legs offert aux terriens du troisième millénaire.

Former et éduquer les hommes

Ce que l'on a appelé « la révolution verte » a en fait résulté d'une somme de programmes technologiques concernant des riz et des blés à hauts rendements, programmes qui portaient également sur une maîtrise de l'eau, l'apport de fertilisants et de pesticides. Le succès de ces programmes qui s'appuyaient sur de nouvelles techniques dépendait en fait d'un ensemble de conditions d'ordre éducatif, social, économique, infrastructurel, commercial et institutionnel, et en particulier sur le soutien populaire et l'adhésion des individus. Ils ont donc été accompagnés de véritables plans en matière d'éducation et de vulgarisation.

L'éducation des populations est primordiale. Un enseignement de base de trois ou quatre années, qui s'adresse aussi bien aux enfants qu'aux adolescents sortis trop tôt de l'école primaire, qu'aux adultes analphabètes est en effet l'une des clés du développement agricole et rural. Il faut qu'un paysan sache lire une notice d'information, rédiger une commande ou une facture, exposer les caractéristiques d'un problème. On sait aujourd'hui que les échecs de la révolution verte ont été dus pour une grande part à un manque d'éducation de base.

À cet égard, la mise en œuvre des biotechnologies fait encore l'objet de controverses internationales intenses, qui portent sur des problèmes d'innocuité, sur des questions de droits de propriété intellectuelle, mais aussi sur des notions d'éthique. La plupart des pays en développement souffrent d'un manque de chercheurs, de laboratoires et d'infrastructures de recherche, de brevets ou d'informations brevetées, de systèmes d'approvisionnement, etc.

Il faut insister sur ce point : l'éducation des populations est l'une des clés du développement économique et de la lutte contre l'insécurité alimentaire. Mettre l'homme au cœur des choix économiques et politiques est une urgence de tous les instants. Sans formation, pas de possibilités d'appliquer de nouvelles technologies, et les retards ne feront que s'accentuer.

Des politiques de promotion de l'éducation doivent donc être mises en place tout particulièrement dans les pays dont les populations connaissent à la fois une sous-alimentation chronique et une forte proportion de population rurale. Et il nous faut rappeler la réalité actuelle en ce domaine pour comprendre la nature du retard à combler.

Ces pays sont ceux où l'enseignement primaire est le moins suivi (tableau no 4 de l'annexe no 3,). En effet, la population qui fréquente les bancs des écoles primaires représente ici moins de 80 % de la classe d'âges de 6 à 11 ans. Au vrai, la proportion est bien moindre car, en plus des enfants de 6 à 11 ans, on retrouve à l'école des adolescents chassés trop tôt de l'école primaire et des adultes analphabètes.

Pourtant, il faut bien avoir conscience qu'une telle stratégie ne pourra être réalisée que par la mobilisation de deux générations, au moins.

La première génération devra pouvoir bénéficier d'une éducation de base, indispensable on le sait pour permettre le développement agricole. C'est dire aussi qu'elle devra être mise en place en priorité dans le monde rural. Mais elle ne pourra être réellement efficace sans, au préalable, avoir amélioré l'état de santé des populations, en particulier au niveau de l'alimentation. On ne peut pas apprendre le ventre creux.

Les ministères de l'éducation ne sont pas les seuls ministères dont relève cette question. L'une des tâches des ministères de l'agriculture est aussi la mobilisation du capital humain. Ils ont en charge les paysans. Il faut donc qu'ils initient des politiques qui aident les paysans à nourrir leur propre famille et à alimenter les villes, dont la population va bientôt dépasser la moitié de la population mondiale. Pour cela, des formations adaptées sont indispensables.

C'est sur cette première génération que pourra s'appuyer la deuxième phase de l'éducation qui vise à l'apprentissage de nouvelles techniques supposant un niveau de connaissance et de capacités d'anticipation supérieur. La « deuxième génération » devra être en mesure de formuler et de mettre en application des projets, et ainsi d'augmenter la productivité. La diffusion des informations économiques et des innovations technologiques rend la formation professionnelle et la vulgarisation cruciales. Cette deuxième étape devrait favoriser l'intégration des masses paysannes dans un processus de développement et leur « transmutation » en agriculteurs.

Le rôle des femmes

L'avenir de l'Afrique dépend en particulier des femmes. De leur rôle actuel et futur. Il faut se souvenir qu'elles assurent pour une large part la production alimentaire en Afrique, et qu'elles dirigent une grande partie des foyers ruraux [54]. Où sont les hommes? Ils ont souvent émigré vers les villes, vers les concentrations urbaines. Il faut donc tenir compte de la place des femmes dans les sociétés africaines pour élaborer des politiques traitant des problèmes démographiques. La démographie en Afrique est vraiment un révélateur du statut de la femme. Car si les femmes font plus d'enfants, c'est qu'elles y voient un investissement, une sécurité, une force de travail. Cette réalité vécue doit être appréhendée par les planificateurs.

Parmi les moyens à mettre en œuvre pour affronter les défis, nous évoquons souvent, dans cet ouvrage, l'éducation et la formation. En Afrique, ces facteurs sont, beaucoup plus qu'ailleurs, à l'ordre du jour. L'éducation, particulièrement celle des femmes, contribue à améliorer la qualité de la vie, et on sait que plus le niveau d'instruction augmente, moins le nombre d'enfants est élevé. Actuellement, l'analphabétisme est plus important (environ 30 % de plus) dans la population féminine que dans la population masculine. Et le fossé entre hommes et femmes est encore creusé par les conséquences de l'ajustement structurel et du retrait discriminatoire des filles de l'école, dès le début de la scolarité.

Dans le même ordre d'idées, il est essentiel de reprendre certaines des recommandations formulées par le programme d'action de la Conférence internationale pour la population et le développement du Caire (1994) sur la production alimentaire. L'une insistait justement sur l'éducation des jeunes filles et la reconnaissance du rôle joué par les femmes dans l'éducation des enfants et dans la fonction de production de vivres, une autre sur la mortalité des femmes en couches. Et l'on sait que le déclin de la mortalité infantile est un préalable indispensable pour que les parents acceptent, adoptent et respectent des programmes de contrôle des naissances venant diminuer la fécondité.

Une affaire fortement déterminée par l'urgence des échéances et une volonté politique éclairée par les progrès de la connaissance

Globalement, compte tenu des connaissances et du savoir technique accumulés, qui n'ont pas encore été mis à profit par les pays les moins avancés, sachant les promesses du génie génétique, il ne semble pas impossible de subvenir aux besoins de l'humanité d'ici à 2050.

Mais, dans le contexte actuel de l'économie de marché, les solutions à notre disposition ont peu de chance d'être appliquées aux pays les plus pauvres. Pour la plupart de ces pays, l'augmentation des superficies arables sera insuffisante et si les perspectives en matière d'accroissement de la productivité semblent nettement plus prometteuses, les surcoûts occasionnés ne seront pas à leur portée. L'importation des céréales nécessaires à leur alimentation ne constituera pas une solution en raison de la faible solvabilité de leurs économies. Les migrations internationales, généralement entravées par les éventuels pays d'accueil, n'auront que peu d'effets. Enfin ils ne pourront attendre des pays du Nord la capitalisation en infrastructures de tous types nécessaire pour renforcer leurs économies rurales.

Quant aux biotechnologies, elles contiennent probablement en germe certaines des solutions techniques capables de lutter contre l'insécurité alimentaire avec, entre autres possibilités, la découverte de nouveaux cultivars plus productifs et plus résistants, et donc offrant de meilleurs rendements.

Sachant que ces pays sont par ailleurs, et pour la plupart, les pays qui connaissent les plus forts accroissements démographiques et sont donc appelés à fournir des efforts en matière de production agricole et alimentaire semblables à ceux permis par la révolution verte en Asie entre 1975 et 1990, ils devront, pour la plupart, changer d'échelle de développement.

Ces changements d'échelles de développement devront se traduire en particulier par d'importants gains de productivité qui résulteront d'une valorisation durablement améliorée des ressources en terres, en eau et, ce qui importe plus, en hommes. Ces gains de productivité ne pourront être générés qu'à la suite d'un fort engagement des unités domestiques dans la production agricole. Ce fort engagement dans la production agricole ne pourra lui-même être obtenu qu'au moyen d'interventions urgentes qui devraient autoriser une amélioration de l'accès aux ressources productives, et donc une réduction de la précarité foncière ainsi qu'un renforcement de la sécurité de la tenure foncière. En dépit du fait que ces mesures soient à considérer comme partielles, elles sont essentielles pour d'autres motifs qui relèvent du domaine politique ou social. Les affrontements entre ethnies, entre cultures, entre religions cachent en effet souvent des conflits pour l'appropriation des ressources essentielles à la vie.

Une vigoureuse stratégie d'investissement devra être mise en place afin que l'investissement et la production agricoles progressent plus rapidement que les besoins. Ceci suppose au préalable une amélioration de la sécurité alimentaire des ménages appuyée en partie sur l'aide alimentaire d'urgence, car les retombées des investissements sont trop lentes pour répondre aux besoins des populations sous-alimentées. Sachant que la plus grande partie des investissements requis devra provenir de sources intérieures, sachant que les capacités d'épargne des pays les moins avancés sont extrêmement faibles, il sera nécessaire d'éliminer les facteurs de discrimination qui dissuadent les investisseurs de créditer l'agriculture, ce qui suppose la réduction, voire la suppression des protections industrielles, et des taux de change surévalués. Les pouvoirs publics nationaux, ainsi que les donateurs et les organisations internationales devront en outre élaborer une stratégie internationale d'investissement qui orientera les investissements vers des pays et vers des projets qui ne peuvent intéresser des financiers privés, et qui visera à renforcer les capacités nationales en développant de nouveaux facteurs de production indispensables à l'intensification durable de l'agriculture. Cette stratégie devra enfin être associée à des mesures nationales d'encouragement de l'investissement privé qui devront augmenter la confiance en l'avenir de la petite agriculture [40, doc. no 10].

Néanmoins toute réponse durable au problème de la sécurité alimentaire dépendra au premier chef de l'application de politiques s'attaquant au manque d'éducation, d'information, de santé publique, de démocratie, à la pauvreté, toutes causes profondes de la sous-alimentation chronique.


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