Page précédente Table des matières Page suivante


Chapitre 4

Le monde pays par pays

A - Un classement des pays du monde sous hypothèse

Essai de géographie dynamique de la sous-alimentation chronique

Des défauts d'une approche planétaire

Avec les premiers chapitres de cet ouvrage, nous avons présenté les résultats globaux de l'étude à l'échelle de la planète, parfois en décrivant la situation de chaque continent. Au plus fin, nous avons décrit la situation d'ensembles de pays présentant plusieurs centaines de millions d'habitants. Notre but n'était-il pas de proposer une vision globale des besoins alimentaires du monde à l'horizon 2050? La méthode retenue, les données utilisées et l'échelle adoptée étaient pertinentes à ce niveau de généralités.

Nous avons bien conscience des limites de cette approche, qui bien souvent masque les drames vécus par des millions d'êtres humains au quotidien. Pas besoin de faire un grand effort d'imagination pour comprendre que dans chaque pays, d'une région à l'autre, à la ville ou à la campagne, d'un quartier à l'autre, coexistent des populations aux sorts très différents.

De même, on savait, bien avant d'entendre parler des « nouveaux » pauvres, que les pays les plus riches n'avaient pas éliminé la faim. Et que si la Chine « nourrit » aujourd'hui sa population, des millions d'assiettes restent vides. Quant aux pays les plus pauvres, on sait que les situations les plus extrêmes y coexistent. C'est pourtant cette réalité très hétérogène, à l'échelle planétaire comme à l'échelle nationale, que nous avons tenté de cerner au plus près, à l'évidence sans y parvenir pleinement, et sans pouvoir en présenter les résultats par zones géographiques régionales.

La sous-alimentation affecte encore une personne sur cinq

De nos jours, la sous-alimentation chronique affecte encore 800 millions de personnes. La malnutrition et les carences alimentaires atteignent 200 millions d'enfants de moins de 5 ans. Tel est le constat d'experts dressé par la FAO à la veille du Sommet Mondial de l'Alimentation (Rome, 1996).

Face à ce constat, l'engagement pris par les chefs d'État dans leur « Déclaration sur la sécurité alimentaire mondiale » est, pour l'immédiat, de « réduire de moitié le nombre de personnes sous-alimentées d'ici 2015 au plus tard ». Voilà un programme que certains jugeront peu ambitieux.

Mais le doute vient en suivant les travaux des économistes de la FAO [2], car ils font apparaître que la sous-alimentation chronique affectera encore probablement près de 640 millions d'individus en 2010.

Pour mieux juger un tel objectif, il faudrait examiner la situation actuelle et l'évolution probable des besoins en énergie alimentaire des populations de chaque pays sur le long terme et essayer de dresser une géographie dynamique de la sous-alimentation.

L'étude n'est pas conçue pour risquer des projections nationales

L'étude que nous présentons ici n'a pas été mise en place pour appréhender les situations locales. Le principe d'une approche monographique entre même en contradiction avec les fondements techniques de l'examen que nous avons conduit ici. L'échelle nationale, unité statistique incontournable pour la collecte des données, n'était requise que pour opérer des classements et des regroupements de pays réunissant des populations de la taille d'un continent.

L'examen de la situation alimentaire à l'horizon 2050 ne peut être effectué pays par pays, car la date du déclenchement de la baisse de la fécondité et la vitesse de la transition démographique sont difficiles à prévoir sur le très long terme à l'échelle d'un pays; sans compter que la sécurité alimentaire dépend en grande partie de la pauvreté des populations, des inégalités de distribution des vivres et des pertes de denrées, tous phénomènes de nature économique, les plus difficiles à prévoir sur le très long terme.

N'oublions pas enfin que de la date du déclenchement et du calendrier de la transition dépend pour une grande part de la taille de la population au milieu du siècle prochain, facteur qui détermine en grande partie l'importance des besoins.

Faute d'informations agricoles et commerciales suffisantes par zone géographique pour chaque pays, faute de centralisation et de production des données pour chaque agro-écosystème défini à partir de principes communs appliqués de la même manière à chaque nation du monde, on ne peut pas trouver d'unité d'observation plus fine que le pays.

Utilisons donc les résultats des projections de besoins alimentaires que nous avons établies pays par pays, sur la base des projections démographiques élaborées par les Nations unies pays par pays. Les leçons du passé [31] montrent par ailleurs qu'elles constituent un excellent outil d'analyse prospective des relations entre peuplement et productivités agricoles des ressources en hommes, terres et eau. En annexes no 1 et no 2, deux tableaux synthétiques - par continent et par pays - présentent les résultats de nos calculs en fonction des différents facteurs, le premier dans l'ordre alphabétique des pays, le second par ordre décroissant de l'effort de production alimentaire que les pays devraient fournir d'ici à 2050.

Ne prenons pas les projections à très long terme, pour des prévisions

À l'horizon 2050, l'accroissement de la population aura sans doute très nettement ralenti dans la plupart des pays du monde, comme le supposent les Nations unies.

Imaginons par ailleurs que l'humanité ait évité, d'ici là, toute catastrophe écologique majeure qui aurait pu résulter de changements globaux avec le développement rapide des activités humaines et l'extension de leurs pollutions; que l'humanité n'ait connu aucune fracture génétique, ou biotechnologique désastreuse; qu'aucune pandémie ne se soit manifestée, dont la propagation pourrait être rendue foudroyante par l'intensité des migrations, par la densification et les progrès rapides de la concentration urbaine, par le défaut de recyclage des eaux usées, par leur introduction dans les nappes phréatiques, etc.

Sauf en rêve, il paraît illusoire de prospecter un avenir aussi lointain pour tous les pays du monde. En effet - il faut le redire -, il est difficile de déterminer la date du déclenchement de la transition démographique, le rythme de la baisse de la fécondité, ou la migration, tous phénomènes fortement influencés par un autre phénomène, l'évolution économique, le plus difficile à prévoir. Dans ce domaine, plus l'échelle est réduite, plus l'exercice est périlleux.

Mais si l'on prend les résultats obtenus pour chaque pays du monde comme des ordres de grandeur; si l'on utilise les exemples de pays comme des cas de figure plutôt que comme des situations futures réelles; si l'on retient les résultats obtenus comme des éventualités sous hypothèses, non comme des certitudes, l'examen des résultats devient très éclairant. Il est en effet fondé sur la mise en œuvre de phénomènes et de tendances démographiques et alimentaires d'une grande inertie. Qu'il s'agisse d'un retard de transition démographique, ou d'un retard de transition alimentaire (concept que l'on pourrait définir comme un processus de réduction de la sous-alimentation chronique et de la malnutrition qualitative), les conséquences s'inscrivent dans le temps long.

Greniers pleins et ventres vides

Les difficultés de l'exercice ne tiennent pas seulement à la nature démographique et nutritionnelle du phénomène, mais aussi à sa nature sociale. Ainsi un taux de couverture des besoins en énergie de 1,0 obtenu pour un pays peut tromper. Il s'agit d'une moyenne qui dissimule de fortes inégalités locales dues aux disparités de distribution et d'accès aux vivres. On a déjà insisté sur les pertes de denrées entre le marché de détail (là où sont évaluées les disponibilités alimentaires) et la consommation sont d'autant plus grandes que les réserves sont volumineuses.

Le taux d'accroissement annuel des besoins

Cette étude repose sur une évaluation du taux d'accroissement de l'énergie d'origine végétale nécessaire pour satisfaire les besoins nutritionnels des populations en 2050. Évalués pour la période de 55 ans qui sépare 2050 de 1995, ces taux dépassent assez couramment les 100 % ou les 200 %, si bien que la notion de coefficient multiplicateur s'est imposée. Mais si l'on veut comprendre les implications de tel ou tel taux ou coefficient, il convient de le comparer avec des valeurs de références. Nous avons donc calculé des taux moyens annuels d'accroissement des besoins en énergie d'origine végétale, soit des puissances 1/55 des coefficients multiplicateurs calculés pour la période considérée. Il en ressort un réticule de référence composé de coefficients multiplicateurs et de taux d'accroissement annuel moyen appliqués durant 55 ans.

Coefficients multiplicateurs (période 1995–2050, base 1 en 1995)Taux d'accroissement annuel moyen (période 1995–2050)
14,645 %
8,654 %
5,083 %
2,972 %
1,731 %

Un taux annuel moyen d'accroissement de l'énergie d'origine végétale nécessaire à une population n'a pas la même nature qu'un taux annuel moyen d'accroissement de la production agricole, car la transformation en calories animales des calories d'origine végétale consommées par les proies chassées ou par les animaux domestiques n'est pas opérée dans le deuxième cas. Malgré cela, il est utile de rappeler trois données de référence importantes : l'Afrique a connu durant les années 1960–1975 un taux annuel d'accroissement des produits nationaux bruts en produits agricoles de 2,0 % [17]; la croissance la plus rapide enregistrée dans cette région sur une longue période a été de 2,4 % en 1971–1990; la révolution verte a permis une croissance moyenne annuelle de 4,3 % en Asie de l'Est, entre 1975 et 1990.

Soulignons ici que ces taux d'accroissement des besoins en énergie d'origine végétale ne donnent pas une idée précise de l'effort qu'un pays aura à consentir pour satisfaire ses besoins supplémentaires.

En effet, hormis le contexte géographique et climatique de la production vivrière d'un pays, sa croissance agricole future dépendra :

  1. du capital disponible en terres et de la productivité de ce capital foncier, compte tenu des aménagements fonciers consentis au cours des décennies antérieures,
  2. du capital disponible en eau et de la productivité de ce capital, fonction des équipements d'irrigation et de drainage, ainsi que des infrastructures d'aménagement hydraulique existantes,
  3. mais aussi et surtout de la valorisation du capital humain par l'enseignement de base et par l'enseignment technique.

Ces trois facteurs de production sont à considérer comme primordiaux, mais ils ne sont pas les seuls, puisque interviennent aussi les infrastructures de communication, de transport, les systèmes d'agrofournitures, les marchés, les services bancaires, les politiques d'incitations à la production, ainsi qu'une multitude d'autres facteurs; sans oublier les investissements capitalisés dans le domaine de la recherche de variétés végétables ou de races animales.

Des disparités extrêmement fortes dissimulées par cette vision planétaire

Les tableaux no 20 et 21, qui résument les chapitres précédents, sont là pour nous rappeler les fortes disparités apparues entre les continents. Ils désignent nettement l'Afrique comme le continent où les ressources naturelles et les appareils de production agricole seront les plus sollicités d'ici à 2050, puisque ses besoins semblent devoir quintupler d'ici à cette date (tableau no 20). Mais la situation globale de l'Afrique dissimule de fortes disparités. Ainsi l'énergie alimentaire devrait être multipliée par 7

Tableau no 20

Accroissement des besoins en énergie d'origine végétale (*) entre 1995 et 2050, selon le continent
Continent ou sous-continentAugmentation des besoins (*)
Afrique5,14
Asie2,34
Europe0,91
Amérique Latine et Caraïbes1,92
Amérique du Nord1,31
Océanie1,61

(*) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050.

Tableau no 21

Accroissement des besoins en énergie d'origine végétale (*) entre 1995 et 2050, selon le régime alimentaire
Classe de régime alimentaire des paysAugmentation des besoins (*)
Riz2,37
Maïs1,96
Blé2,84
Produits d'origine animale et blé1,13
Mil, millet, sorgho, etc.4,82
Manioc, igname, taro, etc.7,17

(*) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050.

dans le même temps, là où l'alimentation est constituée de racines et de tubercules (manioc, igname, taro), c'est-à-dire principalement en Afrique subsaharienne, tropicale et équatoriale, dans cette partie du monde où se trouvent réunis la plupart des pays les moins développés de la planète (tableau no 21).

Les cartes no 2 à 4 tirées des résultats par pays sont plus parlantes. Au premier regard, elles ne réservent pas de grandes surprises. Entre le Nord et le Sud, les pays développés et les pays en développement, les croissances de disponibilités vivrières attendues pour subvenir aux besoins des populations dans les cinquante prochaines années vont du simple au quintuple, voire au-delà.

Mais un examen plus soigneux de ces cartes montre que les enjeux alimentaires varient dans de plus fortes proportions au sein de chaque continent qu'entre continents. Ainsi, à l'exception de ses marges septentrionales et méridionales, l'Afrique connaîtra des accroissements de ses besoins vivriers bien supérieurs à ceux évoqués jusqu'à maintenant (carte no 2).

La croissance des besoins de l'Amérique latine et des Caraïbes sera très inférieure à celle attendue pour l'Afrique : l'accroissement des besoins en énergie d'origine végétale devrait dépasser 2 % par an au Honduras, en Bolivie, au Pérou, au Salvador, en République Dominicaine, au Paraguay et en Équateur; atteindre 3 à 4 % au Guatemala et au Nicaragua. Enfin Haïti pourrait être le seul pays d'Amérique latine à devoir affronter une croissance extrêmement rapide de ses besoins alimentaires, probablement supérieure à 4 % l'an entre 1995 et 2050 (carte no 3, tableau no 22).

En revanche, selon nos résultats, le continent asiatique aurait encore à affronter, au moins dans ses parties occidentales et méridionales, de fortes croissances de ses besoins alimentaires durant les cinq prochaines décennies (carte no 4, tableau no 22).

Carte no 2
Évolution des besoins en énergie d'origine végétale selon le pays entre 1995 et 2050 : Afrique
(nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050)

Carte 2

L'accroissement des besoins en énergie d'origine végétale devrait dépasser 2 % par an au Viêt-nam, en Irak, en Birmanie, au Pakistan, en Jordanie, en Syrie, au Sri Lanka, en Inde et en Iran; atteindre 3 à 4 % l'an dans cinq autres pays (le Yémen, le Cambodge, le Bangladesh, le Laos et le Népal) et même dépasser 4 % l'an en Afghanistan.

Ces cartes laissent entrevoir des croissances de besoins extrêmement rapides, dont il faut trouver les facteurs déterminants.

En particulier, il est important de comprendre comment cette croissance peut atteindre des niveaux aussi élevés que des multiplications par 10, voire par 15 pour certains pays, entre 1995 et 2050 ! Nous allons le constater, un tel résultat ne peut s'expliquer que d'une seule façon : quel que soit le facteur considéré (l'accroissement des populations, l'évolution de leurs répartitions, le complètement des rations énergétiques moyennes, la diversification à apporter à leurs régimes alimentaires), ils influent tous à leur plus haut degré d'intensité sur l'évolution des besoins vivriers de certains pays.

Carte no 3
Évolution des besoins en énergie d'origine végétale selon le pays entre 1995 et 2050 : Amérique latine
(nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050)

Carte 3

Les territoires du défi alimentaire des prochaines décennies

Lorsque l'on classe les pays dans l'ordre décroissant des coefficients multiplicateurs traduisant l'augmentation de l'énergie en calories d'origine végétale nécessaire d'ici à 2050, et donc « l'effort » à fournir pour nourrir les populations, on constate que le groupe de tête est quasiment exclusivement constitué de pays africains (tableau no 22): 17 pays verront leurs besoins décupler durant cette période de 55 ans. En moyenne annuelle, cette augmentation avoisinerait l'accroissement de disponibilités vivrières dégagé par la révolution verte en Asie de l'Est, durant les quinze ans qui ont couru entre 1975 et 1990 (croissance supérieure à 4,3 % l'an). Examinons avec soin la situation de ces pays.

Les plus fortes croissances de besoins alimentaires seront en Afrique

Les quatorze premiers pays sont en Afrique (tableau no 22) : Éthiopie, Mozambique, République démocratique du Congo - ex-Zaïre -, Libéria, Burundi, Malawi, Angola, Rwanda, Sierra Leone, Niger, Ghana, Tchad, Nigéria et Congo. Trois situations contextuelles (géographiques, économiques et politiques) différentes jouent un rôle de frein à la croissance de la production. Dans la première, dont le Niger offre le modèle, la précarité foncière et les limites des ressources en eau se conjuguent avec des conflits pour l'accès aux ressources (par exemple entre les agriculteurs et les éleveurs) et avec les accidents climatiques, pour entraver la progression de la production vivrière. Dans la deuxième figurée par le Mozambique, les carences d'infrastructures, les défauts de produits nécessaires à l'agriculture (engrais, herbicides, etc.), le manque de crédits sont conjugués avec la désorganisation de la société civile et avec l'insécurité pour entraver la progression de la productivité des facteurs humains, fonciers et hydrauliques de production, dans un contexte où les superficies cultivées ne peuvent être étendues notablement. Dans la dernière, où figure le Congo, des ressources en terres et en eau extrêmement abondantes devraient permettre à la population de faire face éventuellement à une croissance extrêmement rapide de ses besoins alimentaires sur le très long terme. Les freins à la production sont essentiellement dus aux carences d'infrastructures (communications, transports, etc.), à des équipements insuffisants, à l'absence de politiques agricoles et de promotion des cultures vivrières [72].

Carte no 4
Évolution des besoins en énergie d'origine végétale selon le pays entre 1995 et 2050 : Asie
(nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995, pour obtenir les besoins de l'année 2050)

Carte 4
Tableau no 22

Les plus fortes croissances de besoins en énergie d'origine végétale entre 1995 et 2050 (*) (classement par valeurs décroissantes)
RangPaysAccroissement des besoins (*)RangPaysAccroissement des besoins (*)
Croissance annuelle moyenne de 4 à 5 % entre 1995 et 2050
1Éthiopie15,4213Nigéria10,04
2Mozambique14,5214Congo9,85
3Congo (ex-Zaïre)13,8715Haïti9,81
4Libéria12,6516Côte d'Ivoire9,61
5Burundi12,2317Zambie9,51
6Malawi12,2118Ouganda9,34
7Angola12,1119Afghanistan9,16
8Rwanda11,5820Guinée9,13
9Sierra Leone10,9221Togo9,07
10Niger10,5822Cameroun8,78
11Ghana10,5723Centrafricaine (Rép.)8,68
12Tchad10,3424Burkina-Faso8,66
Croissance annuelle moyenne de 3 à 4 % entre 1995 et 2050
25Bénin8,2735Sénégal6,24
26Yémen8,2536Guatemala6,12
27Tanzanie7,9937Gabon5,87
28Kenya7,3438Nicaragua5,73
29Cambodge7,0939Laos5,68
30Madagascar7,0240Namibie5,53
31Mali6,9541Népal5,45
32Bangladesh6,8042Zimbabwe5,40
33Lesotho6,5343Soudan5,29
34Somalie6,43   
Croissance annuelle moyenne de 2 à 3 % entre 1995 et 2050
44Honduras4,8053Salvador3,79
45Viêt-nam4,7354Botswana3,70
46Bolivie4,3855Jordanie3,55
47Irak4,2356Syrie3,53
48Birmanie4,1957Sri Lanka3,50
49Pérou4,0258Inde3,37
50Philippines3,8959Mauritanie3,22
51Libye3,8760Iran3,05
52Pakistan3,80   
Croissance annuelle moyenne de 1 à 2 % entre 1995 et 2050
61Dominicaine (Rép.)2,9073Algérie2,14
62Indonésie2,8174Malaisie1,99
63Paraguay2,5575Jamaïque1,93
64Thaïlande2,4876Chine1,90
65Équateur2,3977Tunisie1,88
66Afrique du Sud2,3378Trinité et Tobago1,86
67Corée du Sud2,3079Chili1,84
68Panama2,2780Liban1,81
69Venezuela2,2581Colombie1,80
70Maroc2,2482Mexique1,79
71Égypte2,1883Brésil1,75
72Costa Rica2,16   

(*) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050.

Au quinzième rang de cette liste de pays qui verront probablement au moins décupler leurs besoins en énergie alimentaire, on trouve Haïti (tableau no 22), un pays dont les insuffisances en ressources naturelles se traduisent déjà actuellement par un fort taux de déboisement, par la mise en culture de terres de plus en plus marginales, par des baisses de fertilité des sols, ainsi que par des pénuries de ressources hydrauliques. Faute de politique déterminée de promotion de la productivité des ressources en terres et en eau, Haïti se trouve déjà confronté à de graves difficultés pour satisfaire ses besoins alimentaires [72]. Quel est, dans ces conditions, l'avenir réservé à Haïti ?

Deux autres pays d'Afrique viennent clore cette liste, la Côte d'Ivoire et la Zambie, qui devraient connaître respectivement une multiplication par 9,81 et 9,61 de leurs besoins entre 1995 et 2050 (tableau no 22).

La sous-alimentation chronique régresse en Inde et en Chine

Deux États continents souvent cités pour leurs déficits vivriers, l'Inde et de la Chine, sont absents de cette liste. Or le centre de gravité de la sous-alimentation chronique se trouve encore actuellement en Asie : 265 millions de personnes étaient encore touchées par ce fléau en Asie du Sud en 1988–90, 258 millions en Asie de l'Est. Les prospectives de la FAO prédisaient en effet des désastres dans cette partie du monde avant que la révolution verte n'ait porté ses fruits [31]. Mais l'augmentation des revenus des ménages et la forte croissance de la production agricole depuis vingt ans ont fait régresser la sous-alimentation dans un contexte de régression de l'accroissement de la population.

En Inde, la production agricole a augmenté de 2,5% par an depuis vingt ans, en partie grâce à l'introduction de nouvelles variétés de riz et de blé à hauts rendements dans les zones irriguées. Les enquêtes nutritionnelles de la FAO montrent que l'insuffisance des disponibilités alimentaires du pays par rapport à ses besoins est tombée de 10% en 196971, à 9% en 1979-81, puis à 5% en 1990-92 [41]. Dans ce pays autosuffisant et exportateur de céréales, l'accès aux vivres diffère très nettement selon les Etats et selon les couches de population. Un quart de la population y vit sous le seuil de pauvreté, un tiers souffre de carences en huiles, et en acides aminés indispensables. L'autoconsommation est majoritaire, l'insécurité alimentaire est due à des entraves à la production agricole: aléas climatiques, manque d'eau, défauts d'infrastructures, mais aussi aux freins que la pauvreté et l'isolement des populations opposent à la demande [72].

La Chine a presque atteint l'autosuffisance alimentaire (96 à 99% entre 1961 et 1990). Selon les enquêtes nutritionnelles de la FAO, l'insuffisance relative des disponibilités alimentaires est tombée de 14% en 1969–71 à 8% en 1979–81, puis descendue en dessous de 4% en 1990-92 [41]. La Chine traverse des périodes pendant lesquelles elle doit importer des céréales (1986-1990, 1994-95) et des périodes durant lesquelles elle peut exporter (1985-86, 1993-94, 1995-96). La malnutrition demeure dans les zones les plus enclavées, les moins développées et les moins fertiles. Les causes de l'insécurité alimentaire sont : les entraves à la production, inondations au Sud, sécheresse au Nord, faibles disponibilités en terres arables encore diminuées par l'extension des zones de peuplement industriel, faibles disponibilités en eau, insuffisances de produits indispensables à l'agriculture (engrais, herbicides, insecticides, etc.), politiques de prix insuffisamment incitatives; mais aussi les freins à la demande, les déficiences des réseaux de distribution ou des systèmes de transport, les pertes entre la récolte et la consommation, etc. [72].

La croissance de l'économie de cette région du monde est largement supérieure à l'accroissement de sa population. Elle est un facteur primordial de la couverture des besoins alimentaires par les disponibilités; elle augmente la demande, stimule la production en mettant à la disposition des paysans des produits nécessaires à l'agriculture, et augmente les capacités financières d'importations céréalières du pays. Ainsi, du fait de la réussite de ces deux pays, d'autres pays occupent le devant de la scène des déficits alimentaires.

Les plus fortes croissances de besoins alimentaires interviendraient dans les pays les plus pauvres du monde

À sélectionner les pays qui ont les plus gros efforts à fournir en matière agricole, on a regroupé des pays que la Banque mondiale classe parmi les plus pauvres du monde - excepté l'Angola classé parmi les « pays à revenus intermédiaires » -, et qu'elle range parmi les pays dont l'état d'endettement est critique-exceptés le Malawi et le Tchad classés comme « modérément endettés ».

Que l'on ordonne les pays selon la croissance des besoins ou selon le Produit Intérieur Brut par habitant, on obtient un classement similaire. Une dizaine de pays figurent d'ailleurs à la fois dans la liste des 17 qui verront leurs besoins décupler (tableau no 22), et dans celle des 17 les plus pauvres de la planète : Éthiopie, Mozambique, République démocratique du Congo - ex-Zaïre -, Rwanda, Burundi, Tchad, Malawi, Niger, Sierra Leone. Certains des pays les plus pauvres ne devraient pas avoir à décupler leurs disponibilités d'ici à 2050, mais ils devraient les multiplier par 7 (tableau no 22) : l'Ouganda, l'Afghanistan, la Guinée, le Burkina-Faso, la Tanzanie, Madagascar et le Mali devraient assumer ainsi une croissance de plus de 3,5% par an.

Le rôle de chaque facteur d'accroissement des besoins

Deux questions se posent alors: quelle est la dynamique de la sous-alimentation chronique dans une vision prospective à long terme? et, question subsidiaire, comment s'explique cette belle et rare cohérence entre « le démographique », «l'alimentaire » et « l'économique » ?

L'accroissement de la population, cause principale de la croissance des besoins, interviendra surtout en Afrique

Contrairement à ce que l'on observe pour les autres continents, l'accroissement de la population prévu pour le prochain demi-siècle contribuera largement à modeler, par ses différences locales, une nouvelle distribution spatiale des besoins en énergie alimentaire. La transition démographique a en effet été différée au cours des dernières décennies, sur une grande partie du continent. Il s'agit là de l'une des manifestations du sous-développement social et économique (carte no 5).

Deux bandes de territoires ponctuées de massifs montagneux sont plus particulièrement concernées. Elles traversent l'Afrique en diagonale de sud-ouest en nord-est. L'une part du Massif du Fouta-Djalon, du berceau du Niger et des Voltas, pour arriver dans l'Aïr, le Tibesti et au désert de Libye. L'autre couvre un territoire allant des Monts Chella en Angola, au plateau des Grands Lacs, jusqu'au Massif Éthiopien. Ce territoire constitue l' « espace de la transition démographique différée » dont nous reparlerons ultérieurement.

Il encadre une zone de moindre fécondité où se trouvent des pays tels que le Nigéria, le Tchad, la République Centrafricaine et le Soudan.

Les bassins versants amonts de plusieurs lacs internationaux et de plusieurs fleuves internationaux, dont deux d'une grande importance, le Niger et le Nil - en particulier le Nil bleu -, figurent sur ces deux bandes de territoires à fort accroissement de population. Or les populations qui vivent sur ces territoires vont devoir faire un usage extrêmement intensif de leurs ressources foncières à des fins agricoles, en particulier de l'eau pour satisfaire leurs besoins alimentaires. C'est dire les risques qui pèsent sur la paix de la région, du fait du cumul de la pauvreté, de la sous-alimentation et des insuffisances de productivité.

Carte no 5
Effet de l'accroissement de la population sur la croissance des besoins en énergie d'origine végétale entre 1995 et 2050, selon le pays : Afrique
(nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050)

Carte 5

Au niveau de croissance des besoins affichés par les 17 pays mentionnés plus haut, l'accroissement prévu pour la population est très rapide : 14 de ces 17 pays, tous situés en Afrique (Côte d'Ivoire, Niger, République démocratique du Congo - ex-Zaïre -, Angola, Libéria, Éthiopie, Congo, Mozambique, Ghana, Nigéria, Malawi, Burundi, auxquels on peut ajouter le Tchad et la Zambie), pourraient connaître un triplement des besoins justifié uniquement par l'accroissement de la population (tableau no 23).

Ainsi, sur une croissance annuelle globale de 3 à 5% des besoins, l'accroissement de la population serait responsable de 2%, ou plus.

Tableau no 23

Les plus fortes croissances de besoins dues à l'accroissement de la population entre 1995 et 2050 (*) (classement par ordre décroissant)
PaysEffet de l'accroissement de la population (*) (**)PaysEffet de l'accroissement de la population (*) (**)
Accroissement annuel moyen de 2 à 3% entre 1995 et 2050
Côte d'Ivoire4,31Togo3,31
Niger3,78Mozambique3,26
Congo (ex-Zaïre)3,75Cameroun3,26
Angola3,72Kenya3,26
Libéria3,62Burkina-Faso3,23
Libye3,53Syrie3,22
Éthiopie3,48Ghana3,14
Somalie3,47Jordanie3,10
Bénin3,45Tanzanie3,07
Madagascar3,45Nigéria3,03
Mali3,41Malawi3,02
Arabie Saoudite3,41Soudan3,02
Yémen3,40Gabon3,01
Congo3,39Burundi2,98
Ouganda3,39Afghanistan2,98
Guinée3,37  
Accroissement annuel moyen inférieur à 2% entre 1995 et 2050
Tchad2,90Sierra Leone2,68
Zambie2,87Mauritanie2,67
Lesotho2,86Laos2,66
Sénégal2,82Haïti2,59
Irak2,82Cambodge2,56
Guatemala2,76Honduras2,46
Nicaragua2,75Népal2,43
Rwanda2,74Iran2,42
Pakistan2,72Zimbabwe2,36
Namibie2,70Paraguay2,35
Centrafricaine (Rép.)2,69Bolivie2,29
Botswana2,69Afrique du Sud2,17

(*) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année2050, si l'on tient compte uniquement de l'accroissement de la population.

(**) Source : Division de la population des Nations Unies, World Population Prospects [60].En grisé : Les noms des 17 pays dont les besoins en énergie alimentaire décupleraient entre 1995 et 2050(voir tableau no 22).

Carte no 6
Effet de l'accroissement de la population sur la croissance des besoins en énergie d'origine végétale en 2050, selon le pays : Amérique latine (nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050)

Carte 6

L'effet de l'évolution des structures démographiques sera faible, il se fera surtout sentir en Afrique sub-saharienne

L'évolution de la répartition des populations par classes d'âges, tailles physiques, degrés d'urbanisation, activités, fécondités ne provoquera qu'une augmentation de 8 à 11% des besoins en énergie d'origine végétale pour l'alimentation des 17 pays mentionnés précédemment, croissance surtout due au vieillissement.

Réparti sur l'ensemble de la période 1995–2050, l'effet de ces évolutions de répartitions représenterait une croissance annuelle des besoins en énergie alimentaire de moins de 1% durant toute la période 1995–2050 (tableau no 24).

Pour si faible que soit l'effet de ces changements de répartitions, il ne sera pas négligeable. Fait plus important, les changements de répartition auront un effet maximum là où un fort accroissement de la population provoquera déjà les plus fortes croissances de besoins (tableau no 24). Quatorze des pays qui connaîtront un décuplement de leurs besoins entre 1995 et 2050 font partie des 32 pays du monde où l'effet de ces changements de répartitions sur la croissance des besoins sera le plus fort (tableau no 24).

Carte no 7
Effet de l'accroissement de la population sur la croissance des besoins en énergie d'origine végétale en 2050, selon le pays: Asie
(nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050)

Carte 7
Tableau no 24

Effet des changements de structures démographiques sur l'évolution des besoins en énergie d'origine végétale (*)
(classement par ordre décroissant de cet effet)
PaysEffet de l'évolution des structures démographiques (*)PaysEffet de l'évolution des structures démographiques (*)
Effet annuel moyen inférieur à 1% entre 1995 et 2050
Éthiopie1,11Libéria1,08
Yémen1,11Nigéria1,08
Malawi1,10Sierra Leone1,08
Rwanda1,10Zambie1,08
Ouganda1,10Togo1,08
Cambodge1,10Tanzanie1,08
Syrie1,10Kenya1,08
Congo (ex-Zaïre)1,09Madagascar1,08
Angola1,09Somalie1,08
Congo1,09Guatemala1,08
Côte d'Ivoire1,09Nicaragua1,08
Guinée1,09Laos1,08
Bénin1,09Iran1,08
Irak1,09Burundi1,07
Libye1,09Niger1,07
Jordanie1,09Ghana1,07

(*) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année2050 si l'on ne tient compte que des modifications de répartitions des populations.En grisé: Les noms des 17 pays dont les besoins en énergie alimentaire décupleraient entre 1995 et 2050(voir tableau no 22).

Rien d'étonnant à cela puisque la baisse de la fécondité intervient surtout dans les pays où l'accroissement de la population est le plus rapide et provoque à terme un vieillissement qui, lui-même, induit une augmentation des besoins alimentaires.

Le complètement des régimes en énergie alimentaire interviendra surtout en Afrique

Rappelons notre hypothèse dans ce domaine : l'établissement des conditions d'une véritable sécurité alimentaire suppose que les disponibilités en énergie alimentaire des populations dépassent de 30% au moins leurs besoins nationaux évalués pour 2050. Appliquée quel que soit le pays considéré, pour des raisons de faisabilité, cette hypothèse conduit à des résultats qui ne tiennent pas compte des situations locales : certains pays connaîtront de faibles disparités de distribution de vivres, certains n'enregistreront pas de lourdes pertes de denrées liées à des conditions de conservation domestique trop sommaires, d'autres connaîtront au contraire des disparités et des pertes supérieures à la moyenne; dans tous ces cas l'application de cette hypothèse ne sera pas justifiée.

Répétons-le donc, les résultats concernant les pays dont les noms sont déclinés ci-dessous ne prédéterminent leur avenir que si toutes les hypothèses émises précédemment sont satisfaites.

L'hypothèse ne peut être considérée comme ambitieuse; en effet le niveau énergétique moyen ainsi adopté (2 808 calories) serait supérieur à celui des disponibilités moyennes du monde en énergie alimentaire pour 1988–1990 (2 700 calories), mais inférieur à celui prévu par la FAO pour 2010 (2 860 calories). Les pays en développement s'aligneraient ainsi en moyenne sur la situation prévue par la FAO, pour l'Asie de l'Est, en 2010.

Apparemment, le complètement des rations alimentaires devra surtout concerner l'Afrique (carte no 8), qui souffre d'un lourd déficit en énergie alimentaire, tout particulièrement les 17 pays mentionnés plus haut. Pour 15 d'entre eux, la correction des déficits supposerait dans l'immédiat une augmentation de 40 à 80% de leurs disponibilités, soit une croissance annuelle de l'énergie disponible en calories d'origine végétale proche de 1% durant toute la période 1995–2050, et même supérieure à 1% pour l'Éthiopie (tableau no 25).

L'Amérique latine et les Caraïbes ne sont pas épargnées avec en particulier Haïti, le Pérou, la Bolivie qui doivent augmenter de plus d'un tiers leur énergie alimentaire (carte no 9).

L'Asie est loin d'avoir éliminé de son territoire le fléau de la sous-alimentation. Ce ne sont plus l'Inde et la Chine, mais l'Afghanistan et le Bangladesh, qui retiennent principalement l'attention: ces deux pays pourraient avoir à compléter leur énergie alimentaire de 68% et 45%; sans oublier l'Asie de l'Ouest, en particulier le Yémen (carte no 10) aussi affectés par de lourds déficits alimentaires. De plus, ces moyennes dissimulent des situations nationales encore préoccupantes, en particulier celle de l'Inde - où l'on trouve encore aujourd'hui une partie importante de la sous-alimentation chronique du monde - et même celle de la Chine.

La diversification de régime pour éliminer la malnutrition qualitative devrait intervenir avant tout en Afrique

Rappelons notre hypothèse en la matière: l'élimination de la malnutrition qualitative suppose que soit atteint, dans tous les pays, un rapport entre l'énergie végétale nécessaire à la production de l'énergie moyenne ingérée (y compris celle venant d'animaux domestiques, ou de bêtes chassées) et le nombre des calories de la ration moyenne, égal en 2050 à celui constaté pour l'ensemble du monde en 1990, soit 1,783. Pour des raisons de faisabilité de l'étude, cette hypothèse est appliquée sans modulation spécifique, quel que soit le pays considéré. Elle conduit donc à des résultats qui ne tiennent pas compte des situations locales. Certains pays auront besoin de beaucoup plus d'énergie d'origine végétale que la moyenne. D'autres auront besoin de beaucoup moins d'énergie que la moyenne pour couvrir leurs besoins en acides aminés, en vitamines ou autres nutriments. Dans tous ces cas, que ce soit par excès ou par défaut, l'application de l'hypothèse moyenne commune ne se justifierait pas1.

Carte no 8
Effet de l'élimination de la sous-alimentation chronique sur la croissance des besoins en énergie d'origine végétale en 2050, selon le pays : Afrique
(nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050)

Carte 8

1 Répétons-le donc, les résultats concernant les pays dont les noms sont déclinés ci-dessous ne prédéterminent leur avenir que si toutes les hypothèses émises précédemment sont satisfaites.

Tableau no 25

Les plus fortes augmentations de besoins occasionnées par l'élimination de la sous-alimentation chronique des pays en développement (*)(classement par effet décroissant)
PaysEffet du complètement des disponibilités en énergiePaysEffet du complètement des disponibilités en énergie
Effet annuel moyen de 1 à 2% entre 1995 et 2050
Éthiopie1,78  
Effet annuel moyen inférieur à 1% entre 1995 et 2050
Tchad1,72Niger1,41
Somalie1,72Ghana1,40
Afghanistan1,68Nigéria1,40
Mozambique1,67Pérou1,39
Haïti1,64Cameroun1,38
Centrafricaine (Rép.)1,63Bolivie1,38
Angola1,60Burkina-Faso1,37
Rwanda1,60Namibie1,37
Burundi1,57Tanzanie1,35
Sierra Leone1,54Congo1,34
Malawi1,52Ouganda1,34
Kenya1,50Yémen1,33
Bangladesh1,45Zimbabwe1,33
Zambie1,44Madagascar1,30
Congo (ex-Zaïre)1,42Lesotho1,30
Soudan1,42Sénégal1,30
Libéria1,41  

(*) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour éradiquer la sous-alimentationchronique.
En grisé : Les noms des 17 pays dont les besoins en énergie alimentaire décupleraient entre 1995 et 2050(voir tableau no 22).

Nous l'avons dit précédemment, cette hypothèse n'est pas ambitieuse. Pour en juger, il suffit de constater que les pays en développement bénéficieraient d'un régime alimentaire proche de la moyenne mondiale de 1988–1990. Le régime ainsi défini pourrait s'apparenter à celui du Mexique en 1988–90.

Les plus fortes carences qualitatives apparaissent dans les pays où les guerres civiles ou nationales ont sévi durant les dernières décennies (tableau no 3 de l'annexe no 3). L'éradication de la malnutrition qualitative constituera pour eux un véritable défi (tableau no 26). Rien de surprenant à cela, puisque c'est là où règnent l'insécurité, la désorganisation des marchés et la destruction des infrastructures principales, que l'accès aux viandes et aux légumes - les denrées qui se transportent le moins facilement sans réfrigération - est rendu le plus hasardeux.

Carte no 9
Effet de l'élimination de la sous-alimentation chronique sur la croissance des besoins en énergie d'origine végétale en 2050, selon le pays : Amérique latine
(nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050)

Carte 9

L'Afrique se trouve tout particulièrement désignée, en particulier les 17 pays mentionnés précédemment. Dans cette liste figurent en effet les pays les plus carencés : leurs rations alimentaires manquent gravement d'huiles et de protéagineux, de vitamines, etc. ; il y règne en général insécurité civile et instabilité. La correction des déficits conduirait à des augmentations de disponibilités de 70 à 155% (tableau no 26).

Plus généralement, la réduction des carences alimentaires actuelles en Afrique (carte no 11) suppose de fortes croissances de disponibilités vivrières dans une large bande de territoires qui prend l'Afrique en diagonale, du nord-ouest au sud-est. La zone part du Niger et du Burkina-Faso, dépasse la région des lacs et atteint le Mozambique. Il s'agit là de déficits et de carences, manifestations d'un sous-développement social et économique ancien, souvent aggravé d'une déstabilisation des institutions, d'une dégradation des infrastructures, voire d'une dégradation de la paix sociale, ou même d'une forte insécurité. Dans de nombreux cas, les affrontements masquent des stratégies d'appropriation de l'espace, ou des ressources naturelles en terres ou en eau. Le territoire constitue « l'espace des déficits alimentaires hérités du passé » dont nous reparlerons ultérieurement.

Carte no 10
Effet de l'élimination de la sous-alimentation chronique sur la croissance des besoins en énergie d'origine végétale en 2050, selon le pays : Asie
(nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050)

Carte 10
Tableau no 26

Les plus fortes croissances d'énergie d'origine végétale nécessaires pour éliminer la malnutrition qualitative entre 1995 et 2050 (*)
(classement par effet décroissant)
PaysEffet de la diversification des régimes alimentairesPaysEffet de la diversification des régimes alimentaires
Effet annuel moyen de 1 à 2 % entre 1995 et 2050
Mozambique2,54Togo1,97
Sierra Leone2,46Cambodge1,97
Burundi2,45Guinée1,96
Malawi2,42Burkina-Faso1,88
Congo (ex-Zaïre)2,40Angola1,87
Rwanda2,40Ouganda1,86
Libéria2,30Niger1,85
Éthiopie2,25Centrafricaine (Rép.)1,84
Ghana2,25Cameroun1,83
Haïti2,24Bénin1,82
Bangladesh2,24Viêt-nam1,81
Nigéria2,20Tanzanie1,79
Zambie2,12Sri Lanka1,79
Congo1,99Afghanistan1,75
Tchad1,97Birmanie (Myanmar)1,73
Effet annuel moyen inférieur à 1% entre 1995 et 2050
Côte d'Ivoire1,72Indonésie1,65
Lesotho1,67Zimbabwe1,62
Yémen1,65Philippines1,62
Guatemala1,65Sénégal1,60
Népal1,65  

(*) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour éliminer la malnutrition quali-tative.En grisé : Les noms des 17 pays dont les besoins en énergie alimentaire décupleraient entre 1995 et 2050(voir tableau no 22).

Carte no 11
Effet de l'élimination de la malnutrition qualitative sur la croissance des besoins en énergie d'origine végétale entre 1995 et 2050, selon le pays : Afrique
(nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050)

Carte 11

Là encore les moyennes nationales dissimulent des situations locales très aiguës et sous-estiment les effectifs de populations concernées. Ainsi on estime qu'un tiers de la population de l'Inde présente des carences en huiles ou en protéagineux [72].

Le transfert géographique de la faim

Le cumul des effets de tous les facteurs d'accroissement des besoins à leur plus haut niveau en Afrique

Les multiplications par 10 ou par 15 relevées précédemment pour les 17 pays mentionnés donnent le vertige. Comment expliquer de telles croissances de besoins? Il faut voir là une conjugaison de deux ensembles de facteurs liés au sous-développement.

Dans l'immédiat, les pays concernés ont à rattraper de graves retards, à corriger des apports encore insuffisants en produits de base qui donnent l'énergie, mais aussi de fortes carences en éléments indispensables, acides aminés, vitamines et autres nutriments. L'absence de couverture de leurs besoins apparaît nettement à la lecture des travaux de la FAO : leurs disponibilités alimentaires ne dépassent pas actuellement 2 100 calories par jour. Seuls le Niger et le Nigéria ont des disponibilités supérieures à 2 100 mais inférieures à 2 300 calories.

Carte no 12
Effet de l'élimination de la malnutrition qualitative sur la croissance des besoins en énergie d'origine végétale entre 1995 et 2050, selon le pays : Amérique latine
(nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050)

Carte 12

D'autre part ces pays connaîtront, encore longtemps, de fortes croissances de leur population : là où le déclenchement de la transition démographique est déjà intervenu et où la baisse de la fécondité est en cours, le nombre des femmes en âge de procréer continue à augmenter encore rapidement, assurant une croissance démographique soutenue. En outre, du fait de la baisse de la fécondité, ces pays connaîtront un vieillissement de leur répartition par âge qui, là encore, générera des augmentations de besoins du fait de la diminution de la proportion des populations aux âges les plus jeunes.

Carte no 13
Effet de l'élimination de la malnutrition qualitative sur la croissance des besoins en énergie d'origine végétale entre 1995 et 2050, selon le pays : Asie
(nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050)

Carte 13

Ces quatre facteurs agissent ensemble, et à leur plus haut niveau d'intensité, dans certains des 17 pays. Ainsi l'Éthiopie occupe une place remarquable sur chacun de ces registres. Placée parmi les 10 premiers pays pour lesquels l'accroissement de la population et la diversification des régimes seront responsables des plus fortes croissances de besoins, elle est en tête de liste pour les effets des changements de structures de population (tableau no 24), et pour les effets du complètement de l'énergie alimentaire (tableau no 25). Elle détient ainsi le triste record de croissance des besoins entre 1995 et 2050 (carte no 2).

L'Éthiopie peut être considérée comme la figure emblématique d'un ensemble de pays pour lesquels le défi alimentaire est lourd de menaces.

En résumé, la croissance des besoins (carte no 2, page 123) est avant tout déterminée par deux facteurs : l'accroissement de la population (carte no 5) et la résorption des déficits alimentaires, déficits en énergie, et carences en acides aminés ou nutriments (carte no 14). Les trois cartes no 2, 5 et 14 suggèrent une géographie dynamique de la sous-alimentation en Afrique.

Nous l'avons déjà souligné, la réduction de l'ensemble des déficits et des carences alimentaires actuels (carte no 14) appelle de fortes croissances de disponibilités vivrières dans une large bande de territoires qui prend l'Afrique en diagonale, du nord-ouest au sud-est, du Niger et du Burkina-Faso, jusqu'au Mozambique : « l'espace des déficits alimentaires hérités du passé ».

Quant à l'accroissement de la population prévu pour le prochain demisiècle, nous avons vu qu'il se manifesterait sur deux bandes de territoires, qui traversent l'Afrique en diagonale, mais cette fois-ci de sud-ouest en nord-est (carte no 5), du Burkina-Faso à la Libye, et de l'Angola à l'Éthiopie.

Le territoire commun à cet espace des déficits alimentaires hérités du passé et à cet espace de la transition démographique différée constitue un « espace du risque majeur » en matière d'insécurité alimentaire du prochain demi siècle, dans lequel on retrouve les 17 pays qui ont retenu notre attention depuis le début de ce chapitre.

Pour ne parler que de ces 17 pays, la population concernée atteignait 340 millions d'habitants en 1995 et devrait dépasser 1,1 milliard en 2050. Ces territoires représenteraient 11 millions de km2, soit une superficie largement supérieure à celle des États-Unis d'Amérique : 9,4 millions de km2. Tout indique que le défi alimentaire y sera extrêmement difficile à relever, principalement pour deux séries de motifs :

Carte no 14
Effets cumulés de l'élimination de la sous-alimentation chronique et de la malnutrition qualitative sur la croissance des besoins en énergie d'origine végétale entre 1995 et 2050, selon le pays : Afrique
(nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050)

Carte 14

On relève ici à quel point l'Afrique est hétérogène et la sous-alimentation loin de la menacer partout avec la même rigueur. La situation alimentaire des marges septentrionales et méridionales du continent est en effet nettement meilleure que celle de l'Afrique subsaharienne. La croissance moyenne annuelle des besoins ne dépassera probablement pas 2 % en Tunisie, en Algérie, au Maroc et en Afrique du Sud ; elle sera légèrement supérieure à 2 % au Botswana et en Mauritanie.

Le transfert des déficits alimentaires vers l'Afrique

Voilà donc sommairement dressée une géographie de la croissance des besoins d'ici à 2050. Elle ne peut tenir lieu de géographie dynamique de la sous-alimentation ou de la malnutrition, car elle ne tient pas compte des capacités de réponse des pays à des demandes alimentaires croissantes. Ces capacités de réponse dépendent en effet, avant tout, de différentes formes de capitalisation préalable effectuée sur le long terme.

Les gros progrès de productivité de ces dernières décennies sont intervenus dans les pays qui ont constitué leurs sols - et procédé pour cela il y a longtemps à des aménagements fonciers -, dans les pays qui ont maîtrisé leurs eaux au moyen d'une ingénierie de l'irrigation et du drainage acquise anciennement et dans les pays où on a pu utiliser des variétés végétales sélectionnées récemment et des races animales adaptées au contexte pédologique et géographique local. Ils n'ont pu intervenir que là où on disposait d'infrastructures favorables, et là où l'éducation de base et la formation technique des populations permettaient de mettre en œuvre les innovations techniques (tableaux no 1 à 4 de l'annexe no 3).

N'oublions pas que la croissance des disponibilités alimentaires nationales et la satisfaction des besoins alimentaires ne sont pas uniquement affaire de production agricole, puisqu'un déficit alimentaire peut être comblé par des importations de vivres.

Les résultats obtenus dans cette étude marquent une évolution remarquable de la géographie de la sous-alimentation.

L'Asie, selon les prospectives élaborées par la FAO il y a une vingtaine d'années [31], était promise à la sous-alimentation, à moins que les pays de cette région n'opèrent un changement radical de leur échelle de développement. Il fallait pour cela qu'ils intensifient leur production par de plus gros apports en engrais, en produits antiparasitaires, par l'utilisation de variétés à plus hauts rendements, par le recours à des techniques et à un matériel agricole plus sophistiqués, etc. Depuis cette époque la révolution verte a permis une forte progression de la productivité agricole et une régression de la sous-alimentation. En outre, les prospectives de la FAO ne pouvaient prendre en compte les conséquences du déclenchement de la transition démographique de la fin des années 60 et de l'accélération de la baisse de fécondité des années 70 en Asie, phénomènes encore mal évalués à l'époque.

L'Afrique subsaharienne cumule de nombreux handicaps. En effet les pays les plus sollicités par la croissance des besoins ne disposent pas, pour la plupart, des facteurs de réussite d'une révolution verte. Au plan structurel, ils manquent de réseaux routiers ou ferrés, de systèmes d'approvisionnement, de systèmes de commercialisation, de systèmes bancaires, d'écoles, de centres de formation technique. De plus la dispersion et l'enclavement des populations sont à l'origine de coûts supplémentaires de conservation et de transport. Au plan pratique, ils manquent de semences à hauts rendements, de réseaux d'irrigation adaptés à ces semences, d'engrais chimiques nécessaires pour profiter de leurs aptitudes aux hauts rendements, de pesticides pour protéger ces semences vulnérables aux parasites, tous facteurs coûteux tant pour la collectivité qui doit les importer que pour les agriculteurs qui doivent se les procurer. La plupart des facteurs d'un développement durable manquent dans la région.

Ainsi les évolutions des productivités agricoles et des accroissements de la population des différentes régions du monde semblent être à l'origine d'un déplacement du défi alimentaire de l'Asie vers l'Afrique.

Faute d'un environnement économique favorable et d'une valorisation suffisante du capital humain et des ressources naturelles, la géographie de la croissance accélérée des besoins que nous venons de dresser pourrait bien désigner les populations qui vont connaître les pires difficultés pour résoudre les problèmes posés par le rattrapage des déficits alimentaires et par l'accroissement de leur population au regard des ressources alimentaires prévisibles. Ces populations se trouvent dans une zone d'Afrique subsaharienne comprise entre, au nord-ouest la Sierra Leone, le Burkina-Faso et le Niger, et au sud-est le Mozambique; avec au centre le Congo, le Burundi et le Rwanda.

Plus que tous les autres pays, le Burundi, le Rwanda et le Malawi devront recourir aux technologies les plus avancées pour faire face à l'accroissement probable de leurs besoins; pour les deux premiers - les sœurs jumelles de l'Afrique - ce serait en raison de leurs très faibles disponibilités en terres et en eaux douces compte tenu de la taille de leurs populations; pour le Malawi ce serait en raison de disponibilités très insuffisantes en eau.

La FAO arrive à un résultat semblable à partir d'une démarche purement économique [2] : elle montre en effet que la population sous-alimentée devrait régresser sensiblement en Asie de l'Est, passant de 258 millions de personnes en 1988-90 à moins de 80 millions en 2010, plus lentement en Asie du Sud, passant de 265 à moins de 200 millions de personnes durant la même période. Mais cette baisse serait en partie compensée par une hausse de la population sous-alimentée en Afrique subsaharienne (175 millions de personnes en 1988-90, près de 300 en 2010). Ainsi le transfert continental de la sous-alimentation du monde maintiendrait-t-il probablement celle-ci à un haut niveau global durant la prochaine décennie (781 millions de personnes concernées en 1988-90, près de 640 en 2010).

Comme le montre le cas de l'Asie, les projections pessimistes des années 60-70 ont été déjouées par des interventions appropriées. Il n'y a aucune « fatalité » africaine, et le destin de l'Afrique est bien dans les mains de ses habitants, comme le montre la section suivante.


Page précédente Début de page Page suivante