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Module 4: L’agriculture dans le GATT: Historique


Objectif
Points clés
4.1 Introduction
4.2 Les principes de base du GATT et de l’OMC
4.3 Le traitement de l’agriculture dans le cadre du GATT
4.4 Le «désordre» des marchés agricoles mondiaux
4.5 Les négociations agricoles dans le Cycle d’Uruguay
Bibliographie


R. Sharma
Division des produits et du commerce international

Objectif

L’objectif de ce module est de présenter un bref bilan de la manière dont l’agriculture a été prise en compte dans le cadre du GATT puis des négociations du Cycle d’Uruguay, de façon à bien comprendre les dispositions de l’Accord sur l’agriculture.

Points clés

· Le GATT repose sur les principes de bases suivants: la non-discrimination, la réciprocité, la transparence et, pour les mesures de protection, l’utilisation de tarifs douaniers plutôt que de mesures de contingentement.

· Dans le cadre du GATT, l’agriculture a fait l’objet d’un traitement spécifique présenté sous de nombreux intitulés dont les principaux traitaient de mesures de subvention et de contingentements. La multiplicité de ces exceptions signifiait qu’il n’y avait guère de règles en matière de politique agricole, en particulier dans les pays développés. Les marchés agricoles mondiaux étaient par conséquent livrés au désordre.

· Les difficultés de parvenir à un accord sur l’agriculture sont l’une des principales raisons pour lesquelles la conclusion des négociations du Cycle d’Uruguay a été retardé. Parmi les étapes importantes des négociations, on peut citer l’examen à mi-parcours d’avril 1989, la présentation du Projet Dunkel en 1991 et l’Accord bilatéral de Blair House de novembre 1993 entre les Etats-Unis et l’Union européenne.

· L’Accord sur l’agriculture signifie que, sans être encore pleinement intégré, le secteur agricole est dorénavant soumis aux règles générales du GATT sur le commerce des biens manufacturés.

4.1 Introduction

L’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) a été mis en place en 1947 à Genève, afin de créer un cadre réglementaire aux échanges internationaux. Dans le même esprit, la Banque mondiale et le FMI avaient été créés en 1944 afin de s’occuper des questions de développement et de finances internationales. Au départ, il était prévu d’établir une charte pour instituer une Organisation internationale du commerce mais les Etats Membres ne l’ont jamais ratifiée. Le GATT a par conséquent continué d’être régi selon des règles «provisoires» et «temporaires» et est resté sous forme d’un accord dépourvu de l’organisation formellement chargée de le mettre en œuvre. Ces dispositions “provisoires” ont duré jusqu’en 1994, année où l’Accord du Cycle d’Uruguay a été conclu et où l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a été instituée.

Le traitement particulier de l’agriculture dans le cadre du GATT

L’historique du secteur agricole au sein du GATT a toujours été difficile. Le GATT ne dit pas grand chose concernant spécifiquement l’agriculture ce qui, en théorie, signifiait que le commerce des produits agricoles devait pour l’essentiel être traité comme le commerce des autres marchandises. Quelques articles du GATT prévoyaient toutefois un traitement spécial pour les produits agricoles, ce qui indique que les rédacteurs de l’Accord étaient parfaitement conscients du statut politique particulier dont jouissait alors le secteur agricole dans les grandes économies de l’époque. Mais sans être totalement oubliée - tous les cycles de négociations successifs ont attiré l’attention sur ce secteur - la question agricole n’avait guère de succès. Parallèlement, l’agriculture était à l’origine de nombreux différends commerciaux. C’est finalement dans le cadre du Cycle de négociations d’Uruguay que cette question agricole a été abordée au GATT.

Le présent module a pour objet de présenter un bref compte rendu historique du traitement réservé à l’agriculture dans le cadre du GATT jusqu’à la conclusion des négociations du Cycle d’Uruguay. Il porte sur quatre thèmes:

· Les principes de base du GATT et de l’OMC.
· Le traitement de l’agriculture dans le cadre du GATT.
· Le «désordre» sur les marchés agricoles mondiaux.
· Les négociations agricoles dans le Cycle d’Uruguay.

4.2 Les principes de base du GATT et de l’OMC

Les objectifs du GATT de 1947 étaient d’instaurer un ensemble de règles cohérentes et transparentes à l’intérieur duquel les obstacles au commerce pourraient être progressivement réduits et le commerce international pourrait se développer. Dans ce but, l’Accord contenait certaines règles et des principes fondamentaux qui ont été repris dans les cycles de négociations ultérieurs. Les quatre principes clés sont résumés dans l’encadré 1.

La pratique des cycles de négociations

Le principal mécanisme mis en œuvre au sein du GATT afin de faire avancer la libéralisation des échanges commerciaux a été l’organisation de cycles périodiques de négociations multilatérales. Au total, il y a eu huit cycles de négociations, le premier étant le Cycle de Genève en 1947, qui a institué le GATT, et le dernier le Cycle d’Uruguay qui s’est achevé en décembre 1993 et a institué l’OMC1. Les cycles avaient pour thèmes centraux la promotion de réductions multilatérales des droits de douane, et l’extension des réductions convenues à tous les membres, conformément à la clause de la NPF.

1 Les huit cycles de négociations sont ceux de Genève (1947), d’Annecy (1949), de Torquay (1950), de Genève (1956), de Dillon (1960-61), de Kennedy (1962-67), de Tokyo (1973-79) et d’Uruguay (1986-93).

Encadré 1: Les principes fondamentaux du GATT

Le traitement de la nation la plus favorisée (NPF)
C’est LE principe fondamental du GATT, et ce n’est pas un hasard s’il apparaît dans l’Article 1 de l’Accord de 1947. Il établit que chaque partie contractante est tenue de consentir à toutes les autres parties contractantes les conditions d’échange les plus favorables qu’il accorde déjà à chacune d’entres-elles; autrement dit, chaque partie contractante est tenue de réserver à toutes les autres parties contractantes le traitement qu’elle réserve à la “Nation la plus favorisée”.

La réciprocité
Le GATT défend le principe des «droits» et «obligations». Chaque partie contractante a un droit, par exemple d’accéder aux marchés des autres partenaires commerciaux sur la base de la clause de la NPF, mais aussi une obligation, celle de retourner ce traitement en accordant des concessions commerciales sur la base de la clause de la NPF. En un sens, ce principe est étroitement lié à celui de la NPF.

La transparence
Pour garantir la transparence du système commercial, il est indispensable d’harmoniser le système de protection vis-à-vis des importations de façon à ce que les barrières commerciales puissent ensuite être éliminées via les négociations. Le GATT a par conséquent limité l’utilisation des quotas à quelques rares secteurs très spécifiques comme l’agriculture, et il a prôné l’instauration de régimes d’importation basés uniquement sur des droits de douane. En outre, le GATT, et aujourd’hui l’OMC, obligent les parties contractantes à émettre de nombreuses notifications sur leurs politiques agricoles et commerciales de façon à ce que celles-ci puissent être analysées par les autres parties qui s’assureront ainsi de leur conformité avec les règles du GATT et de l’OMC.

La consolidation et la réduction des droits de douane
Lorsque le GATT a été établi, les droits de douane étaient la principale forme de protectionnisme si bien que, durant les premières années, les négociations ont principalement porté sur leur consolidation et leur réduction. Le texte du GATT de 1947 énonce les obligations des parties contractantes à cet égard.

4.3 Le traitement de l’agriculture dans le cadre du GATT

Les règles conçues pour autoriser les politiques agricoles conduites par les principaux pays producteurs...

Les différences que l’on peut noter dans le GATT, entre l’approche adoptée pour les produits agricoles et celle suivie pour les produits industriels, sont fondamentales pour comprendre le rôle particulier qu’y joue l’agriculture. A cette fin, il importe d’examiner attentivement le contexte des politiques agricoles des principaux pays exportateurs de cette période. Aux Etats-Unis, qui étaient le principal pays exportateur de produits agricoles lors de l’institution du GATT, la Loi édictée en 1933 et portant sur l’aménagement de l’agriculture (l’Agricultural Adjustment Act), était pleinement opérationnelle en 1947. Cette loi permettait aux autorités de recourir aux mécanismes de droits de douane, de restriction quantitative des importations et de subventions des exportations, si cela s’avérait nécessaire pour stabiliser les prix intérieurs à la production. A cette même époque, la Communauté européenne n’existait pas encore et sa Politique agricole commune (PAC) n’a véritablement atteint son plein régime qu’au début des années 60. La majorité des autres pays qui jouent maintenant un grand rôle dans le commerce international, se relevaient de la guerre ou n’avaient que récemment acquis leur indépendance. Certains d’entre eux, comme l’Australie, ont toutefois pris une part active aux débats et négociations.

Les pressions politiques et sociales intérieures ont, dans une large mesure, aussi incité certaines parties contractantes à solliciter des exemptions pour les produits agricoles. Dans les pays les plus riches, l’agriculture était en déclin alors que l’industrie connaissait une expansion rapide. La préservation du revenu agricole et le maintien des populations agricoles relevaient dès lors de questions difficiles soulevant des problèmes politiques délicats. L’agriculture apparaissait ainsi comme un secteur à part de l’économie qui, pour diverses raisons dont notamment la sécurité alimentaire des pays, ne pouvait être traité comme les autres.

... sont à l’origine des principales exemptions du secteur agricole

Selon un analyste, dans ce contexte, non seulement l’agriculture a bénéficié d’un «traitement spécial» au sein du GATT mais ce traitement semble avoir été taillé sur mesure pour les programmes agricoles alors opérationnels aux Etats-Unis2.

2 Hathaway (1987).

Quelques dispositions exemptaient les produits agricoles des règles du GATT. Elles n’étaient pas nombreuses mais cela suffisait pour maintenir le secteur agricole en dehors des règles générales. Les deux domaines où ce contraste est le plus frappant concernent les subventions et les restrictions quantitatives.

4.3.1 Les subventions dans le GATT

L’agriculture n’est pas concernée par l’interdit général des subventions aux exportations...

L’accord initial du GATT ne contenait qu’une seule section qui obligeait les parties contractantes à notifier aux autres parties toute “subvention, y compris toute forme de soutien des revenus ou des prix, qui a directement ou indirectement pour effet d’accroître les exportations d’un produit du territoire de ladite partie contractante, ou de réduire les importations de ce produit sur son territoire”. A l’origine, les subventions intérieures ou à l’exportation n’étaient donc pas interdites. Cette disposition constitue l’Article XVI:1 actuel. Ce n’est que plus tard que l’interdiction des subventions à l’exportation des produits autres que les produits primaires3 a été ajoutée, en tant qu’Article XVI:4.

3 L’expression «produits primaires» recouvre tout produit de l’agriculture, des forêts ou des pêches et tout minéral, que ce produit soit sous sa forme naturelle ou qu’il ait subi la transformation qu’exige communément la commercialisation en quantités importantes sur le marché international (voir définition dans l’Addenda à l’Article XVI du GATT).

Il a fallu attendre 1955 pour que l’Article XVI soit complété. Le paragraphe 2 reconnaissait que les subventions à l’exportation pouvaient avoir des conséquences préjudiciables. Il est immédiatement suivi par le célèbre paragraphe 3 énoncé comme suit:

...si elles ne sont pas employées pour accroître les parts de marchés...

«les parties contractantes devraient s’efforcer d’éviter d’accorder des subventions à l’exportation des produits primaires. Toutefois, si une partie contractante accorde directement ou indirectement, sous une forme quelconque, une subvention ayant pour effet d’accroître l’exportation d’un produit primaire en provenance de son territoire, cette subvention ne sera pas octroyée de façon telle que ladite partie contractante détiendrait alors plus qu’une part équitable du commercial mondial d’exportation dudit produit, compte tenu des parts détenues par les parties contractantes dans le commerce de ce produit pendant une période représentative antérieure, ainsi que de tous facteurs spéciaux qui peuvent avoir affecté ou qui peuvent affecter le commerce en question.»

L’insertion dans le GATT de l’Article XVI:4 qui interdit les subventions à l’exportation des produits autres que les produits primaires, a finalement complété le traitement spécial de l’agriculture.

...mais la règle est sujette à de multiples interprétations

Des tentatives ont eu lieu ultérieurement afin de préciser les dispositions de l’Article XVI. Le Cycle de Tokyo (achevé en 1979) a ainsi essayé de définir les formules telles que «part équitable du commerce mondial d’exportation» et «période de base représentative». Ni cette tentative, ni les autres n’ont toutefois apporté d’amélioration significative.

4.3.2 Les restrictions quantitatives à l’importation

La règle du GATT qui discipline cette question est la deuxième grande source d’exemption des règles générales pour les produits agricoles. Quatre Articles du GATT traitent des restrictions quantitatives:

· L’Article XI interdit l’utilisation des quotas (à quelques exceptions près).

· L’Article XII prévoit une exception à l’Article XI en vue de préserver l’équilibre de la balance des paiements.

· L’Article XIII précise la réglementation des quotas (sur les importations et les exportations).

· L’Article XIV prévoit des exceptions à l’Article III dans certaines situations de la balance des paiements.

Deux de ces quatre articles justifiaient les restrictions quantitatives en cas de difficultés de la balance des paiements. Mais ils n’avaient guère d’intérêt pour les pays les plus riches, étant donné que ceux-ci ne pouvaient pas recourir aux exceptions au titre de la balance des paiements. Plusieurs pays en développement ont par contre invoqué cette exception, mais il est peu probable que cela ait provoqué des distorsions significatives sur les marchés internationaux compte tenu de la faible part de ces pays dans le commerce mondial. L’Article XI et l’Article XIII ont donc été les principales sources d’exemptions. L’Article XI:2 prévoit certaines exceptions pour les produits agricoles et notamment:

· La possibilité d’appliquer des restrictions à l’exportation pour prévenir ou atténuer les pénuries de produits alimentaires ou d’autres produits essentiels pour les pays exportateurs.

· La possibilité de recourir à des restrictions à l’importation ou à l’exportation pour permettre «l’application de normes ou de réglementations concernant la classification, le contrôle de la qualité ou la commercialisation de produits destinés au commerce international».

Les quotas d’importations sont permis dans certains cas...

· La possibilité d’appliquer des restrictions à l’importation de tout produit de l’agriculture ou des pêches quelle que soit la forme sous laquelle ce produit est importé, quand elles sont nécessaires à l’application de mesures gouvernementales qui visent à:

- restreindre la production ou la commercialisation du produit national similaire ou d’un produit national qui est un substitut proche;

- résorber un excédent temporaire d’un produit national similaire en mettant cet excédent à la disposition de groupes de consommateurs du pays à titre gratuit ou à des prix réduits;

- restreindre les quantités produites de tout produit d’origine animale dont la production dépend directement, en totalité ou pour la plus grande partie, du produit importé.

...ainsi que dans la dérogation de la Section 22...

D’après Hathaway, ces dispositions ont été rédigées sur mesure pour le programme agricole des Etats-Unis. Malgré cela, les Etats-Unis se sont vite rendus compte qu’elles n’étaient pas suffisantes. En 1951, le Congrès des Etats-Unis a donc déclaré dans la Section 22 de la Loi portant aménagement de l’agriculture (Agricultural Adjustment Act) que «aucun accord commercial ne pourrait être appliqué d’une manière qui soit incompatible avec la présente section». Enfin, en 1955, les Etats-Unis ont insisté et fini par obtenir la fameuse dérogation spéciale, après avoir menacé de quitter le GATT si elle ne leur était pas accordée4. Cette dérogation «temporaire» est restée en vigueur pendant près de 40 ans et a été utilisée pour restreindre les importations de sucre, de cacahuètes et de produits laitiers jusqu’au Cycle d’Uruguay.

4 Hathaway (1987).

La dérogation était une exception aux exceptions. Alors que l’Article XI autorisait toutes les parties contractantes à prendre des mesures de restriction du commerce à partir du moment où des politiques étaient en place pour limiter la production ou la commercialisation d’un produit national, cette dérogation autorisait les Etats-Unis à appliquer des restrictions à l’importation indépendamment de ces règles. Cette dérogation, qui constituait donc une discrimination à l’encontre des autres pays, a été une des principales sources de mécontentement et a servi d’argument pour démontrer que les Etats-Unis ne visaient pas vraiment la libéralisation du commerce.

...des raisons pour lesquelles l’agriculture ne faisait pas partie du GATT

A elles deux, ces exceptions ont suffi pour maintenir «avec succès» l’agriculture hors du GATT. Fondamentalement, elles ont permis aux économies nationales de: subventionner leurs agriculteurs au niveau qu’elles souhaitaient; assurer à la frontière la protection désirée; et exporter l’excédent résultant des politiques de subventions des exportations. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que ce soient précisément les trois domaines visés par l’Accord sur l’agriculture (AsA) du Cycle d’Uruguay.

4.4 Le «désordre» des marchés agricoles mondiaux

Le terme «désordre» a été propagé par le Professeur D. Gale Johnson, de l’Université de Chicago, dans un ouvrage publié en 1973 qui décrit les distorsions des marchés agricoles mondiaux5. Ces distorsions dériveraient principalement des diverses exemptions dont bénéficient les produits agricoles en vertu du GATT, et en particulier de la possibilité de limiter les échanges et d’offrir aux producteurs des subventions qui génèrent d’énormes excédents qui doivent ensuite être écoulés sur le marché mondial à l’aide des subventions à l’exportation. Pour des raisons évidentes, ces distorsions étaient d’autant plus manifestes dans le cas des aliments typiques des zones tempérées qui sont produits et exportés par les pays les plus riches. Les pays en développement n’avaient par contre, en majorité, guère de moyens d’accorder ces subventions.

5 Johnson (1973).

La distorsion des marchés mondiaux

Un certain nombre de caractéristiques des marchés agricoles mondiaux, repérées durant les années 70 et 80, sont utilisées pour décrire le «désordre» qui régnait sur «les marchés mondiaux»6.

6 De nombreux analystes ont «modélisé» ces distorsions de façon à démontrer les effets de leur éventuelle réduction ou suppression. Les résultats les plus courants étaient les suivants: augmentation des cours mondiaux; stabilisation des prix des produits concernés; et déplacement de la production et des exportations depuis les zones de subventions vers les zones sans subventions, ce qui, en définitive, est cohérent avec la théorie des avantages comparatifs. Voir par exemple, Valdez et Zietz (1980) et Tyers et Anderson (1992).

· Le niveau élevé du soutien interne aux producteurs - environ 60 pour cent de la valeur de la production dans les pays de l’OCDE en 1986-88 - payé par les contribuables et par les consommateurs, du fait à la fois des mesures de soutien interne et de protection à la frontière, a débouché sur la production en hausse d’excédents qui, dès lors, ne pouvaient plus être écoulés sur les marchés mondiaux qu’avec des subventions à l’exportation.

· Lorsque les prix intérieurs n’étaient pas directement liés aux cours internationaux, l’offre et la demande ne s’adaptaient pas à ces évolutions si bien qu’elles ne contribuaient pas non plus à atténuer les fluctuations des cours mondiaux. Ces derniers n’en sont devenus que plus instables. Les prélèvements variables à l’importation de la CE, en vertu desquels les droits de douane varient inversement aux fluctuations des cours mondiaux afin de maintenir un prix intérieur fixe, sont un bon exemple de ces politiques «isolationnistes». Sur quelques grands marchés d’importation, les entreprises commerciales publiques majorent les prix des importations pour obtenir des effets analogues.

· L’utilisation à grande échelle de subventions à l’exportation, du fait principalement des Etats-Unis et de la CE et dans le but d’écouler leurs propres excédents, a eu tendance à faire baisser les cours des marchés mondiaux et à accroître leur instabilité car les subventions dépendaient essentiellement de décisions politiques et n’étaient donc guère prévisibles. Cette pratique a causé des préjudices aux autres pays producteurs et exportateurs des produits considérés. Durant la deuxième moitié des années 80, les deux principaux exportateurs, qui luttaient pour maintenir leurs parts de marchés, se sont en effet livré à une «guerre des subventions».

· En ce qui concerne les pays ne pratiquant pas les subventions (soit la plupart des pays en développement), le protectionnisme agricole équivalait également à taxer implicitement les agriculteurs. Le maintien à un cours artificiellement bas des prix mondiaux a en outre fait plonger les prix intérieurs. Dès lors, non seulement la production agricole s’est retrouvée compromise par les effets dissuasifs de ces prix mais les moyens de subsistance de vastes couches de la population tributaires de l’agriculture ont été menacés et de nombreux pays en développement ont vu croître leur dépendance à l’égard de produits alimentaires importés à bas prix. Qui plus est, ces effets ont été souvent accentués par des politiques agricoles nationales qui taxaient bel et bien les producteurs.

· Les pays qui disposaient d’un avantage comparatif dans la production et l’exportation de produits agricoles commercialisables se sont en outre trouvés dans l’impossibilité de produire et d’exporter autant qu’ils l’auraient fait dans le cadre d’un régime commercial plus libéral. De fait, ils ont donc été privés de substantielles recettes d’exportation. Dans le même temps, de nombreux pays dotés de moindres avantages comparatifs ont pu produire dans des conditions très peu rentables à l’aide de très forts soutiens publics.

· Les tensions et les litiges internationaux à propos du commerce des produits agricoles sont dès lors devenus de plus en plus fréquents. On a bien fait appel aux institutions du GATT pour tenter de résoudre ces différends mais sans grand succès, car les règles étaient rendues inapplicables par les innombrables exemptions. De fait, 60 pour cent des litiges commerciaux soumis à l’organe de règlement des différends du GATT entre 1980 et 1990 concernaient des produits agricoles.

4.5 Les négociations agricoles dans le Cycle d’Uruguay

Les faits saillants

Au risque de simplifier à l’excès les multiples questions examinées et négociées pendant huit ans (1986-93), les sections suivantes synthétisent les principaux faits saillants des négociations sur l’agriculture sous trois intitulés: la Déclaration de Punta del Este qui a lancé le Cycle d’Uruguay; les principaux acteurs et intérêts des négociations sur l’agriculture; et enfin les événements clés qui ont abouti au Projet Dunkel de 1991 et à l’Acte final de décembre 1993.

4.5.1 La Déclaration de Punta del Este lance le Cycle d’Uruguay

Il est dans les attributions du Cycle de porter sur les politiques agricoles intérieures

Le Cycle d’Uruguay a été lancé en 1986 par la Déclaration ministérielle de Punta del Este, qui énonçait les objectifs du cycle de négociations. L’encadré 2 reproduit les points fondamentaux de cette Déclaration. Il y est explicitement reconnu que les politiques agricoles intérieures ont des effets sur le commerce international. Et il est décidé que le Cycle ne porterait pas seulement sur la question de la protection aux frontières et des subventions à l’exportation mais aussi sur un large éventail de questions de politique agricole intérieure.

4.5.2 Les principaux acteurs et intérêts des négociations sur l’agriculture

Des vues divergentes sur les résultats escomptés

Au risque, là encore, de simplifier à l’excès, il est possible de résumer les intérêts et positions respectives défendus durant les négociations agricoles, en fonction des pays ou groupes de pays suivants: les Etats-Unis, la CE, le Groupe de Cairns, le Japon et la République de Corée, les pays en développement importateurs d’aliments et les autres pays en développement7.

7 Ingersent, Rayner et Hine (1994) décrivent en détail la position de tous les acteurs clés des négociations.

Encadré 2: Extraits de la Déclaration de Punta del Este sur le Cycle d’Uruguay (1ère partie - Négociations sur le commerce des marchandises)

D. Les thèmes de négociations: les produits tropicaux
Les négociations viseront la libéralisation la plus complète du commerce des produits tropicaux, y compris à l’état transformé et semi-transformé, et elles couvriront aussi bien les mesures tarifaires que toutes les mesures non tarifaires affectant le commerce de ces produits.

Les PARTIES CONTRACTANTES reconnaissent l’importance du commerce des produits tropicaux pour un grand nombre de parties contractantes moins développées et conviennent que les négociations devront accorder une attention spéciale à ce domaine, notamment en termes de calendrier des négociations et de mise en œuvre des résultats ainsi qu’il est prévu à la section B(ii).

D. Les thèmes de négociations: l’agriculture
Les PARTIES CONTRACTANTES conviennent qu’il faut d’urgence renforcer la discipline et améliorer la prévisibilité des échanges mondiaux de produits agricoles en corrigeant et en prévenant les restrictions et les distorsions, y compris celles qui sont liées aux excédents structurels, de façon à réduire l’incertitude, les déséquilibres et l’instabilité qui règnent sur les marchés agricoles mondiaux.

Par le biais des mesures ci-après, les négociations viseront à libéraliser davantage le commerce des produits agricoles et à subordonner toutes les mesures touchant l’accès à l’importation et la concurrence à l’exportation, à des règles et disciplines du GATT renforcées et plus opérationnelles compte tenu des principes généraux régissant les négociations:

(i) amélioration de l’accès aux marchés, au moyen notamment de la réduction des obstacles aux importations;

(ii) amélioration du cadre de la concurrence par une meilleure discipline concernant l’utilisation de toutes les subventions directes et indirectes et des autres mesures touchant directement ou indirectement le commerce des produits agricoles, y compris la réduction progressive de leurs effets négatifs et en s’occupant de leurs causes;

(iii) réduction au minimum des effets contraires que les réglementations et les barrières sanitaires et phytosanitaires peuvent avoir sur le commerce des produits agricoles, en tenant compte des accords internationaux applicables en l’espèce.

Pour parvenir aux objectifs susmentionnés, le Groupe de négociations ayant la responsabilité première de tous les aspects de l’agriculture s’appuiera sur les Recommandations que les PARTIES CONTRACTANTES ont adoptées lors de leur quarantième session et qui ont été élaborées conformément au Programme de travail ministériel du GATT de 1982, et il tiendra compte des approches suggérées dans le cadre des travaux du Comité du commerce des produits agricoles, sans préjudice des autres options qui pourraient permettre d’atteindre les objectifs des négociations.

Source: Croome (1999) Annex - Ministerial Declaration on the Uruguay Round.

· Les Etats-Unis étaient très enclins à promouvoir une libéralisation accrue du commerce agricole et souhaitaient vivement réduire la protection et l’appui dont bénéficiaient les producteurs de la CE, au titre de la PAC.

· La Communauté européenne était nettement moins favorable à une libéralisation mais elle souhaitait ardemment parvenir à un compromis acceptable, qui puisse faire partie intégrante du GATT, de façon à minimiser d’éventuelles frictions ultérieures avec les Etats-Unis. La CE était fortement opposée à des réformes de portée générale et souhaitait négocier les concessions produit par produit.

· En tant qu’exportateurs nets de produits agricoles, les pays du Groupe de Cairns8 partageaient un intérêt commun qui était la libéralisation accrue du commerce des produits agricoles; ils étaient nettement favorables à une réduction du protectionnisme et des mesures de soutien dans les pays développés.

8 Le Groupe de Cairns comprenait 14 pays, développés et en développement, à savoir: l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, les Iles Fidji, la Hongrie, l’Indonésie, la Malaisie, la Nouvelle Zélande, les Philippines, la Thaïlande et l’Uruguay.

· Le Japon et la République de Corée se caractérisaient par une agriculture extrêmement protégée, en particulier sur le commerce du riz, et une forte opposition intérieure à toute réforme du secteur. Ils souhaitaient donc vivement protéger leurs agriculteurs de la concurrence internationale, en particulier dans le secteur rizicole, pour lequel ils sollicitaient et bénéficiaient d’un traitement spécial.

· Les pays en développement n’appartenant pas au Groupe de Cairns avaient également d’importants intérêts en jeu même s’ils ont eu moins d’influence sur les discussions. Un groupe de pays en développement importateurs nets de produits alimentaires se préoccupait des effets négatifs possibles du processus de réforme sur les factures d’importations alimentaires. Grâce à leurs efforts, le Cycle d’Uruguay a inclus une Décision ministérielle en leur faveur (et en faveur des pays les moins avancés) qui prévoit quelques aménagements pour corriger les effets négatifs possibles.

· Les autres pays en développement, ainsi que le dernier groupe, espéraient voir s’élargir leur accès aux marchés d’importation des pays développés et soutenaient par conséquent les réformes sur l’accès aux marchés. Ils demandaient aussi un traitement spécial et différencié, en soulignant que l’agriculture joue un rôle majeur dans leur développement économique et que les nouvelles règles et disciplines du GATT ne devraient pas freiner la croissance agricole en imposant des restrictions excessives aux politiques publiques de soutien.

4.5.3 Les événements clés ayant abouti au Projet Dunkel et à l’Acte final9

9 On trouve d’excellents comptes-rendus sur l’histoire des négociations du Cycle d’Uruguay dans Croome (1999) et Josling, Tangerman et Warley (1996).

L’examen à mi-parcours

Après le lancement du nouveau Cycle de négociations en 1986, le premier pas important a été l’examen à mi-parcours, qui a eu lieu à Montréal à la fin de 1988. Deux ans après le début des négociations, les membres du groupe de négociations sur l’agriculture avaient des positions aussi éloignées qu’au début et n’étaient même pas parvenus à rédiger de texte provisoire de discussion. Dans le même temps, le Groupe de Cairns refusait d’approuver les projets de textes des 14 autres groupes de négociations portant sur les autres secteurs tant qu’il n’y aurait pas de texte sur l’agriculture.

Un progrès décisif a été accompli avec la reprise de l’examen à mi-parcours en avril 1989. Celui-ci a abouti à l’Accord de Genève, par lequel les négociateurs des Etats-Unis renonçaient à leur revendication de l’option «double zéro», et qui conduisait à l’adoption d’une série de mesures à court terme, notamment celles qui concernaient le gel, aux niveaux actuels, des mesures de soutien interne, des subventions à l’exportation et des protections à l’importation. Les membres ont alors proposé de poursuivre les négociations en cherchant à obtenir des engagements distincts, sur chacun de ces trois domaines.

La Communauté européenne et quelques autres pays hésitaient toutefois à adopter cette approche. La CE était en particulier opposée à toute réduction significative de ses subventions à l’exportation. Les pourparlers se sont poursuivis, dans l’espoir de parvenir à un accord avant décembre 1990, date initialement fixée pour la conclusion du Cycle d’Uruguay. Le texte présenté a toutefois été rejeté par la CE de sorte que la date butoir a été dépassée sans parvenir à un accord. Il a fallu attendre 1991 pour que les négociateurs arrivent enfin à un consensus par lequel les pays acceptaient de faire des concessions dans les trois domaines ci-dessus. Après cet accord de principe, l’étape suivante consistait à déterminer le niveau des concessions spécifiques, ce qui a encore demandé deux ans de négociations acharnées.

Le Projet Dunkel

En décembre 1991, dans le but de hâter la conclusion du Cycle, le Directeur-général du GATT a présenté un Projet d’Acte final complet, connu sous le nom de Projet Dunkel. Le Projet englobait l’agriculture et tous les autres domaines en négociation. Il contenait le premier texte complet sur l’agriculture, avec des propositions chiffrées pour les concessions concernant chacune des trois grandes disciplines. Mais trois jours plus tard, la CE rejetait le Projet car elle estimait que certaines parties devraient être renégociées. Dans l’intervalle, l’adoption par la CE de la réforme de la PAC, en mai 1992, a constitué un progrès important car elle a facilité les négociations. Cette réforme rapprochait en effet significativement la politique agricole de la CE des objectifs énoncés dans le projet Dunkel. Dans le cadre des négociations en cours, sa caractéristique la plus importante était de remplacer une partie des mesures de soutien interne des prix intérieurs par des paiements directs aux producteurs agricoles.

Deux questions continuaient cependant à faire traîner les négociations. La CE était toujours hostile à une réduction substantielle de ses subventions à l’exportation et il restait en outre à déterminer si les paiements directs dans le cadre de la nouvelle PAC seraient assujettis aux engagements de réduction en matière de soutien interne.

L’Accord de Blair House

C’est dans ce contexte que les négociateurs des Etats-Unis et de la CE ont entrepris une série de discussions bilatérales qui a débouché sur un accord connu sous le nom d’Accord de Blair House. Ces réunions ont porté sur les amendements nécessaires à apporter au Projet Dunkel. Ces amendements, qui sont dorénavant inclus dans l’Acte Final, sont les suivants:

· Le volume autorisé des exportations subventionnées a été réduit à 21 pour cent alors que le volume initialement proposé était de 24 pour cent.

· La période de base utilisée pour établir le niveau à partir duquel les subventions à l’exportation seraient réduites, a été assouplie, ce qui a eu pour effet initial d’élever le niveau des subventions à l’exportation autorisées.

· Les versements directs de revenus au titre de programmes de limitation de la production, comme ceux effectués dans le cadre de la réforme de la PAC de la CE, ainsi que les primes de complément versées par les Etats-Unis, ont été exemptés des engagements de réduction en matière de soutien interne.

· Les engagements de réduction du soutien interne par produit ont été remplacés par un engagement de réduction du soutien global au secteur agricole.

L’Accord

L’Accord de Blair House a dès lors permis au groupe de négociations sur l’agriculture de sortir de l’impasse si bien que le Cycle d’Uruguay a pu être conclu en décembre 1993. Avec l’incorporation de l’Accord sur l’agriculture dans l’Acte final reprenant les résultats des négociations commerciales multilatérales du Cycle d’Uruguay, le commerce des produits agricoles s’est finalement - après plus de 46 ans - fortement rapproché de la discipline générale du GATT. Encore faut-il souligner qu’il ne s’agit que d’un «rapprochement» car l’Accord autorise toujours l’application de subventions à la production intérieure et aux exportations.

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