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III. Amérique latine et Caraïbes

VUE D'ENSEMBLE

Situation économique générale

L'année 2000 a été marquée par un redressement progressif mais irrégulier de l'économie des pays de la région Amérique latine et Caraïbes, dont une grande partie avaient subi une récession en 1998 et 1999. La croissance du PIB de la région a été quasiment nulle en 1999 et, selon les prévisions, elle devrait atteindre quelque 4 pour cent en 200084. On prévoit que le taux d'inflation restera exceptionnellement bas, environ 10 pour cent en moyenne pour la région. Les comptes courants devraient rester déficitaires, le déficit représentant environ 17 pour cent des exportations de biens et de services. Néanmoins, le déficit devrait être moindre qu'en 1998 et devrait être compensé par les entrées de capitaux dans la plupart des pays.

Cette amélioration générale est due en grande partie à des facteurs externes. Par exemple, la région a été favorisée par le redressement des économies d'Asie et par la vigueur de la demande aux États-Unis ainsi que par l'accélération de la croissance en Europe. Les prix à l'exportation de plusieurs produits importants ont eu tendance à se raffermir après avoir été très déprimés en 1999.

Toutefois, la profondeur de la crise et la vigueur de la reprise ont varié selon les pays. En effet, les années 1998 et 1999 ont été des années de récession pour la plupart des pays d'Amérique du Sud, tandis que les pays des Caraïbes et d'Amérique centrale et le Mexique ont continué d'enregistrer une croissance positive, malgré un ralentissement, en particulier grâce au dynamisme des exportations vers les États-Unis. L'écart a été moins marqué en 2000, car la reprise s'est étendue à la plupart des pays de la région.

Tableau 27

TAUX DE CROISSANCE ANNUEL DU PIB RÉEL EN AMÉRIQUE LATINE ET LES CARAÏBES

Pays/région

1996

1997

1998

1999

20001

20011

 

(pourcentage)

Argentine

5,5

8,1

3,9

-3,1

1,7

3,7

Brésil

2,7

3,6

-0,1

1,0

4,0

4,5

Colombie

2,1

3,4

0,5

-4,5

3,0

3,8

Mexique

5,2

6,8

4,9

3,5

6,5

4,8

Amérique latine et Caraïbes

3,6

5,4

2,2

0,3

4,3

4,5

1Projections.

Source: FMI.

La réponse des autorités à la crise a été différente selon les pays. Parmi les pays les plus grands, le Brésil a appliqué des mesures rigoureuses d'assainissement budgétaire pour préserver la stabilité de la monnaie et maîtriser l'inflation, et le secteur exportateur a été favorisé par la dévaluation de 1999. D'autres pays, dont le Chili, la Colombie et l'Équateur, ont aussi dévalué leur monnaie mais, dans le cas de l'Équateur, cette mesure a provoqué de fortes pressions inflationnistes. En revanche, l'Argentine a eu du mal à préserver sa compétitivité dans un régime de taux de change fixe et a dû prendre des mesures de réforme budgétaire impopulaires. Plusieurs pays des Andes ont souffert d'une instabilité politique qui a rendu difficile la stabilisation et le redressement de l'économie. Pour de nombreux pays, la crise et les mesures qui ont été prises pour y faire face ont laissé derrière elles de nombreux problèmes socioéconomiques délicats et beaucoup d'incertitudes pour l'avenir. Le ralentissement de l'activité en 1998 et 1999 a réduit la création d'emplois et aggravé le chômage, qui a atteint un niveau sans précédent depuis une dizaine d'années. Les mesures de stabilisation impliquaient inévitablement une certaine austérité financière et une récession temporaire, qui s'est répercutée de façon disproportionnée sur les pauvres. Le niveau de la pauvreté et l'inégalité des revenus, qui n'avaient guère diminué même pendant les périodes de forte croissance, ont augmenté à cause de la crise.

Situation de l'agriculture

L'évolution de la production agricole de la région ces dernières années a été contrastée. Des conditions climatiques extrêmement mauvaises et des catastrophes naturelles ont entraîné un ralentissement du taux de croissance de la production agricole, qui atteint 1,8 pour cent en 1998. Cette année-là, la région a été frappée par deux catastrophes naturelles exceptionnellement dévastatrices: le phénomène El Niño, qui a touché surtout la région andine, et l'ouragan Mitch, qui a été la catastrophe naturelle la plus grave subie par l'Amérique latine depuis plus de 50 ans.

Le taux de croissance de la production agricole de la région a beaucoup augmenté en 1999, atteignant un chiffre estimé à 4,6 pour cent. La production des cultures et celle de l'élevage ont progressé de plus de 4 pour cent, et la récolte de céréales de 4,6 pour cent, alors qu'elle avait diminué de près de 3 pour cent l'année précédente. En revanche, les productions non alimentaires n'ont augmenté que de 0,4 pour cent. La sous-région qui a obtenu les meilleurs résultats est l'Amérique du Sud, dont la production a progressé de 5,1 pour cent en 1999, contre 2,1 pour cent en 1998. En 1999, la production alimentaire et la production de l'élevage ont augmenté de 5,4 et 5,7 pour cent respectivement, contre 1,8 et 0,7 pour cent en 1998. La récolte de céréales, qui avait chuté de 4,4 pour cent en 1998, a augmenté de près de 7 pour cent en 1999. Pour 2000, on estime que la croissance de la production agricole globale se rapproche de 2 pour cent; la récolte de céréales et d'autres cultures devrait augmenter de moins de 1 pour cent, mais en revanche la production de l'élevage et celle de produits non alimentaires devraient augmenter d'environ 3 et 4 pour cent respectivement.

Tableau 28

TAUX DE CROISSANCE NET DE LA PRODUCTION EN AMÉRIQUE LATINE ET LES CARAÏBES

Année

Agriculture

Céréales

Cultures

Produits alimentiares

Élevage

Produits non alimentaires

 

(pourcentage)

1991-1995

3,1

4,8

2,6

3,5

3,7

-3,5

1996

1,8

2,9

0,8

1,6

3,1

5,9

1997

3,7

3,5

3,9

4,3

2,5

-6,3

1998

1,8

-2,7

2,2

1,5

1,5

6,9

1999

4,6

4,6

4,0

4,9

5,8

0,4

20001

2,0

1,7

1,4

2,0

2,7

2,0

1 Estimations.

Source: FAO.

En Argentine, la production agricole n'a progressé que de 1,4 pour cent en 1999, contre 7,1 pour cent en 1998. Cette même année, il y avait eu une forte augmentation des récoltes de sorgho, maïs et soja. En 1999, la récolte de céréales a chuté de près de 10 pour cent, en raison d'une diminution considérable des récoltes de maïs, sorgho et orge. En revanche, la récolte de blé, estimée à 14,2 millions de tonnes, était en nette hausse par rapport à celle de 1998, qui avait été inférieure à la moyenne. Selon des estimations préliminaires, la production agricole globale a crû de moins de 1 pour cent, mais la récolte de céréales pourrait être en hausse de près de 7 pour cent en 2000. La production de l'ensemble des cultures devrait baisser de 0,4 pour cent.

Au Brésil, la production agricole a augmenté de 7,3 pour cent en 1999, mais n'a enregistré qu'une augmentation de 1,7 pour cent en 1998. Dix États du nord-est du pays ont souffert en 1998 d'une longue sécheresse qui s'est répercutée sur leurs productions végétales. La récolte de céréales a chuté d'environ 9,2 pour cent en 1998, mais a ensuite progressé de 16,6 pour cent en 1999. Les récoltes de maïs, riz et orge ont progressé dans des proportions comprises entre 5 et 53 pour cent. Pour 2000, on estime que la production agricole globale devrait croître de 3 à 4 pour cent, tandis que la production de céréales devrait baisser de 2 pour cent et la production de l'élevage augmenter d'environ 4 pour cent.

Au Chili, la production agricole globale a diminué de 1,7 pour cent en 1999, après avoir augmenté de 1,5 pour cent en 1998. Les récoltes de blé, orge, maïs et riz de 1999 ont été affectées par la sécheresse, et la production globale de céréales a chuté de près de 30 pour cent. On prévoit une nouvelle baisse de la production agricole en 2000, mais celle-ci ne devrait pas dépasser 1 pour cent. Selon les estimations, la production végétale devrait décliner de 2 à 4 pour cent, tandis que la récolte de céréales devrait croître de 20 pour cent.

En Colombie, la production agricole est restée au même niveau en 1999 qu'en 1998, année durant laquelle elle avait augmenté de 2,5 pour cent. La récolte de céréales a été moyenne, après une mauvaise année en 1998. À la fin de 1999, des pluies intenses et des inondations ont fait de nombreux morts et endommagé les cultures, en particulier de café. En 2000, la production agricole globale devrait augmenter de 1 à 2 pour cent.

Au Venezuela, la production agricole a augmenté de 2 pour cent en 1999, après avoir reculé de 2,2 pour cent en 1998. La récolte de céréales a diminué de 1,7 pour cent en 1999 après une chute d'environ 11 pour cent l'année précédente. En décembre 1999, le pays a été dévasté par des pluies torrentielles et de fortes inondations qui ont fait environ 30 000 morts et causé d'importants dégâts à l'agriculture. Néanmoins, on estime que la production agricole de 2000 ne diminuera que de moins de 1 pour cent, la production végétale et la production de céréales devant continuer de décliner pour la troisième année consécutive.

Dans deux pays andins, le Pérou et l'Équateur la production agricole a beaucoup augmenté en 1999 (13,5 pour cent et 19,4 pour cent respectivement). En Équateur, la production avait beaucoup diminué en 1998, et on estime qu'en 2000 elle reculera d'environ 5 pour cent, la production végétale et la production de produits non alimentaires devant diminuer tandis que la récolte de céréales devrait légèrement progresser par rapport à 1999. Au Pérou, la production agricole devrait augmenter d'environ 2 pour cent en 2000, notamment grâce à une récolte de blé supérieure à la moyenne et à une récolte de maïs exceptionnelle.

En Amérique centrale, la production a augmenté de 3,4 pour cent en 1999, contre seulement 1,1 pour cent en 1998. Les mauvais résultats enregistrés en 1998 ont été dus au fait que la production mexicaine n'a progressé que de 1,1 pour cent tandis que celle du Costa Rica et d'El Salvador a diminué. Pour 2000, on estime la croissance de la production agricole à 3 pour cent: augmentation d'environ 3,5 pour cent pour la production alimentaire et 5 pour cent pour la production céréalière et baisse d'environ 6 pour cent pour les produits non alimentaires.

Au Mexique, les intempéries ont fait chuter la récolte de blé de 5 pour cent en 1999, après une baisse de près de 12 pour cent en 1998. La récolte de maïs, 1,8 million de tonnes, est restée à un niveau moyen, et la récolte de sorgho a baissé d'environ 6,7 pour cent. Pour 2000, on estime que la production agricole globale devrait croître de près de 3 pour cent (2 pour cent pour le maïs et 6 pour cent pour le sorgho).

Au Costa Rica, en El Salvador et au Guatemala, malgré les pluies abondantes qui ont retardé les semailles en 1999, la production végétale a été moyenne ou supérieure à la moyenne. Dans le cas des deux derniers de ces pays en particulier, cela représente un progrès considérable après les mauvaises récoltes dues à l'ouragan Mitch de l'année précédente. En revanche, au Honduras, la production globale a été inférieure à la moyenne et la récolte de céréales a diminué de 2,4 pour cent en 1999. La production du Nicaragua a bondi de 22 pour cent en 1999, après une mauvaise année. Dans certains pays d'Amérique centrale, des tempêtes tropicales et l'ouragan Keith ont perturbé l'activité agricole en 2000. Le Belize a été le pays le plus touché, et El Salvador, le Honduras et le Nicaragua ont signalé d'importantes pertes dans la culture de maïs. Le niveau global de la production de céréales secondaires devrait être inférieur à la moyenne.

Dans la sous-région des Caraïbes, la production agricole a diminué presque tout au long des années 90 et a reculé de 1,1 pour cent en 1999. Pour 2000, on estime qu'elle progressera de moins de 1 pour cent. La production de Cuba a baissé de 0,6 pour cent en 1999, dans le prolongement d'une tendance qui a caractérisé presque toutes les années 90. En République dominicaine, la production a chuté de 5,8 pour cent en 1999, après avoir augmenté de 1 pour cent seulement l'année précédente. Toutefois, la récolte de céréales a augmenté de 13 pour cent, après un recul de 6 pour cent en 1998. En Haïti, la récolte de céréales et de haricots de 2000 devrait être inférieure à la moyenne en raison d'une sécheresse prolongée. La République dominicaine et Cuba devraient enregistrer une récolte de céréales moyenne.

Réformes agraires basées sur le marché

Au-delà des conditions climatiques exceptionnellement mauvaises de ces dernières années, il convient d'analyser les résultats relativement décevants de l'agriculture des pays d'Amérique latine et des Caraïbes à la lumière des problèmes de développement à long terme de l'économie en général et de l'agriculture ainsi que des nouveaux défis liés au processus de libéralisation et de mondialisation en cours.

Les déséquilibres et inégalités sociaux sont parmi les premiers obstacles au développement à long terme de l'économie et de l'agriculture de la région. En particulier, la forte concentration de la propriété foncière et l'iniquité de l'accès à la terre sont probablement le principal obstacle à une réduction rapide de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire. Après 80 ans de réformes agraires redistributives «traditionnelles», conduites dans toute la région depuis la révolution mexicaine, les progrès ont été inégaux et insuffisants. Les réformes déjà accomplies n'ont pas encore permis d'atteindre trois objectifs majeurs: assurer aux petits paysans et aux paysans sans terre un accès garanti à la terre, faire en sorte que les modes de faire-valoir soient compatibles avec la conservation et l'utilisation durable des ressources naturelles, et assurer la compétitivité des bénéficiaires de la réforme agraire et des petits agriculteurs en général. Dans la présente section, on analysera ces questions, en mettant l'accent sur une nouvelle orientation apparue ces dernières années, consistant à fonder les réformes agraires sur le marché.

Dans les années 60, les latifundistas possédaient environ 5 pour cent des exploitations agricoles et 80 pour cent de la terre, tandis que les petits paysans possédaient 80 pour cent des exploitations mais seulement 5 pour cent de la terre85. À la fin des années 90, la concentration de la propriété foncière avait quelque peu diminué mais restait considérable: 26 pour cent des exploitations contrôlaient 90 pour cent des terres arables, tandis que les 50 pour cent d'exploitations les plus petites n'en contrôlaient que 2 pour cent86. L'indice de Lorenz de la concentration de la propriété foncière est encore compris entre 0,85 et 0,95 pour la plupart des pays de la région87.

Dans la plupart des pays, les droits de propriété restent mal définis et le marché foncier (achat ou location) est insuffisamment développé et généralement inaccessible aux paysans sans terre ou aux petits agriculteurs. Les droits d'accès à la terre sont très mal garantis, et l'on estime que la moitié environ des ménages ruraux d'Amérique latine et des Caraïbes n'ont pas de titre de propriété88. Tous ces facteurs découragent l'investissement dans des activités productives et l'adoption de méthodes de conservation des ressources naturelles. Ils constituent un obstacle majeur à tout progrès notable en matière de lutte contre la pauvreté rurale et motivent de nombreuses revendications et révoltes, dont celles du Chiapas au Mexique et du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre au Brésil qui ne sont que quelques exemples récents.

Ces dernières années, le modèle de développement généralement adopté, qui consiste à s'appuyer sur les forces du marché, a été élargi au régime foncier. La réforme agraire basée sur le marché, orientation désormais retenue par plusieurs gouvernements et appuyée par les banques de développement, est considérée comme plus rapide, moins coûteuse et moins conflictuelle que les réformes agraires traditionnelles.

L'objectif de cette nouvelle réforme est d'intervenir sur le marché foncier pour aider les pauvres ruraux à obtenir accès à la terre. Ses principes fondamentaux sont que les transferts doivent être volontaires et viser les terres souhaitées par les bénéficiaires, le gouvernement jouant un rôle de médiateur dans la négociation entre acheteurs et vendeurs89.

Par conséquent, ces politiques excluent l'expropriation et s'appuient sur des impôts progressifs visant à inciter les propriétaires de grands domaines inexploités à vendre leurs terres. Il ne s'agit pas de redistribuer la terre mais plutôt de combiner des mécanismes de cession et de financement. Le processus suppose une décentralisation des décisions et des mécanismes de répartition des ressources et exige une importante participation des bénéficiaires au financement de leurs achats de terres.

Cette réorientation s'est produite dans le contexte d'une réforme macroéconomique visant à réduire certaines distorsions qui affectaient le marché foncier. Le crédit agricole bonifié a été considérablement réduit et l'inflation a été maîtrisée et est tombée à un niveau sans précédent. En conséquence, il est devenu moins intéressant de posséder des terres sans les exploiter, ce qui a eu pour effet d'accroître l'offre et de réduire le prix de la terre. Au Brésil par exemple, le prix de la terre a considérablement chuté ces dernières années, et aujourd'hui de grands domaines sont offerts à la vente90. Outre le Brésil, deux autres pays d'Amérique latine (la Colombie et le Guatemala) ont lancé une politique de réforme agraire basée sur le marché.

En Colombie, une nouvelle loi sur la réforme agraire a été promulguée en 1994 pour encourager une redistribution négociée des terres. Elle prévoit une subvention directe égale à 70 pour cent de la valeur totale de la terre afin de faciliter l'acquisition. Les autorités fournissent une assistance technique pour la négociation des achats, pour l'évaluation financière et économique des biens à acheter et pour promouvoir une exploitation productive et efficiente des terres acquises. La grande innovation est que des groupes de bénéficiaires clairement définis négocient le prix de la terre avec un vendeur volontaire, principe qui est désormais à la base de la plupart des réformes fondées sur le marché91.

L'agence de réforme agraire Instituto Nacional Colombiano de Reforma Agraria (INCORA) peut aussi acheter ou exproprier des terres et les céder aux bénéficiaires avec la même subvention de 70 pour cent. En 1996, la plupart des transactions se faisaient par ce biais. Le nombre total de transferts n'a que légèrement augmenté en 1995 par rapport à la moyenne des années précédentes (4 172 contre 3 673)92. Une nouvelle loi promulguée en 1996 a donné aux autorités des moyens considérables pour exproprier et redistribuer d'immenses terres qui avaient été acquises illégalement. Jusqu'à présent, cette réforme n'a eu qu'un impact limité, mais cette loi devrait permettre de l'étendre.

Au Guatemala, deux institutions ont mis en œuvre des programmes de réforme agraire négociée: la fondation privée Fundación Centavo (FUNDACEN) et l'organisme public Instituto Nacional de Transformación Agraria (INTA). Toutes deux visent à ouvrir le marché foncier aux paysans pauvres et à appliquer le principe d'une réforme agraire négociée93. Elles ont atteint un nombre limité mais croissant de familles (environ 1 300 et 1 800 respectivement). La FUNDACEN offre aux bénéficiaires une aide financière pour acheter des terres ainsi que des services de crédit, d'assistance technique, de commercialisation et des services sociaux, pour les aider à devenir autonomes.

L'INTA a installé ses bénéficiaires sur une superficie totale de 5 000 ha couvrant 11 grandes propriétés, en distribuant une subvention forfaitaire de 1 600 dollars EU par bénéficiaire. Le crédit est distribué par la banque nationale de développement Banco Nacional de Desarrollo (BANDESA). Après versement d'un apport initial de 10 pour cent de la valeur de la terre, un titre foncier provisoire collectif est délivré à chaque groupe de familles d'agriculteurs et la terre est ensuite subdivisée de façon informelle en unités familiales. Globalement, l'aide financière fournie par l'INTA est moins élevée que celle fournie par la FUNDACEN, mais les bénéficiaires semblent devenir autonomes et viables plus rapidement94.

Au Brésil, les modes de faire-valoir et d'exploitation de la terre sont des questions essentielles. D'après une récente étude de la FAO, quelque 2,5 millions de familles pourraient bénéficier d'une réforme agraire. En 1985, 44 pour cent des terres arables du pays avaient une productivité insuffisante95. D'après les dernières estimations, plus de 50 pour cent des exploitations font moins de 10 ha et elles occupent au total moins de 3 pour cent des terres agricoles totales, tandis que 1 pour cent des exploitations représentent près de 50 pour cent des terres agricoles totales. Depuis le milieu des années 80, des mouvements de paysans sans terre ont mobilisé quelque 150 000 familles qui ont occupé des terres inexploitées et exigé que le gouvernement négocie l'obtention de titres fonciers. En réponse, les autorités ont d'abord opté pour une réforme de type «traditionnel», fondée sur l'expropriation et la redistribution des terres; depuis 1997, elles ont complété cette politique par une réforme basée sur le marché.

Le premier Plan national de réforme agraire (1985-1989) avait pour objectif d'installer 1,4 million de familles de paysans sans terre dans un délai de cinq ans. En fait, cette réforme de type traditionnel a été mise en œuvre beaucoup plus lentement que prévu. En 1989, le gouvernement fédéral avait installé 84 000 familles sur quelque 4,7 millions d'hectares96. Un ministre fédéral de la réforme agraire a été nommé en 1996 et le budget de la réforme agraire est passé de 0,4 milliard de dollars EU en 1994 à quelque 1,5 milliard de dollars en 1997. Le processus s'est accéléré. Rien qu'en 1997, 82 000 familles ont bénéficié de cette réforme, et 1,8 million d'hectares ont été expropriés ou achetés par l'institut national de l'installation et de la réforme agraire, Instituto Nacional de Colonizacão e Reforme Agraria (INCRA), pour les redistribuer. Ces mesures ont été accompagnées par d'autres dispositifs, notamment une nouvelle taxe foncière qui pénalise les propriétaires qui n'exploitent pas leurs terres ou épuisent les ressources, une nouvelle loi sur l'expropriation foncière; un programme d'aide aux exploitations familiales Programa Nacional de Fortalecimento da Agricultura Familiar (PRONAF); et un projet de vulgarisation (LUMIAR).

Préparation du sol
Au Brésil, la redistribution des terres dans le cadre de la réforme agraire a été accompagnée de politiques d'aide aux exploitations familiales et de sanctions lorsque les terres ne sont pas exploitées

- FAO/14799/A. CONTI

En 1999, l'INCRA avait redistribué plus de 8 millions d'hectares à 290 000 familles97. En outre, il avait appuyé la colonisation d'environ 14 millions d'hectares par 75 000 familles98. Dans le même temps, le PRONAF était venu en aide à quelque 600 000 exploitations. On estime que le coût total de cette approche «traditionnelle» a atteint en moyenne quelque 30 000 dollars par famille installée99. Le processus de redistribution est lent car les formalités légales prennent généralement entre 12 et 24 mois et peuvent aller jusqu'à 36 mois lorsque les occupations sont très contestées.

Encadré 2

PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DES PROJETS CÉDULA DA TERRA ET BANCO DA TERRA DU BRÉSIL1

  • Les terres sont choisies par des groupes communautaires et achetées sur la base du «volontariat de l'acheteur et du vendeur». Cela devrait ramener le coût des achats de terres à 3 000 dollars par famille car les acheteurs bénéficient d'un financement sous la forme d'un crédit global pour l'achat de terres et les investissements productifs. En outre, cela incite les propriétaires qui négocient à vendre leurs terres le moins cher possible2.
  • Les propriétaires fonciers sont indemnisés en espèces et non en obligations de l'État assorties d'une forte décote. On estime que cela incite fortement les propriétaires (y compris les banques, qui détiennent d'importantes superficies à titres de cautions pour des prêts improductifs) à vendre.
  • La mise en œuvre est décentralisée. Le rôle du gouvernement se limite à veiller à ce que les titres de propriété foncière soient valables et à ce que le prix soit négocié dans des limites acceptables.
  • Les bénéficiaires sont autosélectionnés de par leur participation à des groupes communautaires qui choisissent les terrains, négocient leur acquisition et définissent les projets de production à mettre en œuvre.
  • La terre n'est pas distribuée mais vendue et, à cet effet, les associations de bénéficiaires et le conseiller financier du programme contractent un emprunt. Les crédits sont distribués à ces associations dans l'ordre des demandes.
  • Seules les associations ont accès au crédit; les crédits sont assortis de conditions conformes à celles du marché et les arriérés de remboursement injustifiés peuvent entraîner la perte des terres acquises.
  • Les associations de bénéficiaires sont totalement libres de déterminer l'emploi des prêts (par exemple, type de production, répartition des terres entre les familles et délimitation des terres communes).
  • Les services d'assistance technique et de vulgarisation sont privatisés et rémunérés par les bénéficiaires.
  • Une association de paysans sans terre et de paysans pauvres3 participe aux réunions du Conseil d'État concernant la réforme, diffuse des renseignements et est associée à la négociation pour l'achat des terres.

1 D'après: K. Deininger. 1998. Making market-assisted land reform work: initial experiences from Colombia, Brazil and South Africa. Banque mondiale; et A. Buainain. 1999. Structural adjustment and finacial crisis in Brazil: impacts on agriculture and food security. Document de travail de la FAO (en préparation).
2 K. Deininger, Ibid..
3 Notamment, la Confederacão Nacional dos Trabalhadores na Agricultura (CONTAG). Un autre organisme, le Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra (MST), est plutôt favorable à la méthode traditionnelle d'installation et d'occupation des terres dans les zones où il y a de fortes pressions sociales et a reproché au gouvernement de promouvoir une réforme agraire «bidon», axée sur des zones dans lesquelles il n'y a pas vraiment de conflits autour de la terre (El Norte, 16 décembre 1997).

Depuis 1997, avec l'appui de la Banque mondiale, le Gouvernement brésilien a cherché à mettre au point une nouvelle approche fondée sur le marché dans les États du nord-est du pays afin de créer des mécanismes de réforme moins coûteux et plus simples. Le programme pilote, appelé Cédula da Terra, visait dans un premier temps à distribuer des terres à 5 000 familles en trois ans. La première année, 6 000 familles ont pu être installées, ce qui a été jugé encourageant, et en 1999 le programme a été étendu à d'autres États du nord-est du pays100. D'après des évaluations préliminaires, la nouvelle approche décentralisée et fondée sur le marché présente certains avantages par rapport aux programmes traditionnels: le coût par famille est moins élevé (l'économie réalisée sur les seuls frais d'installation peut atteindre 30 pour cent) et le processus est plus rapide (six mois)101. En 1998, le gouvernement fédéral a décidé d'élargir les objectifs et le champ d'application du programme qui vise désormais 13 États dans le cadre d'un ambitieux projet appelé Banco da Terra, dont le budget est de 2 milliards de dollars102 sur quatre ans.

Par rapport au programme appliqué en Colombie, l'approche brésilienne semble avoir pour avantage d'encourager les bénéficiaires à négocier des prix moins élevés pour la terre et de favoriser l'autosélection des bénéficiaires, ce qui rend le processus plus participatif et moins bureaucratique. En revanche, comme le crédit de fonds de roulement accordé aux bénéficiaires est subventionné jusqu'à 70 pour cent, la viabilité à long terme des exploitations ainsi créées est problématique, car il leur est difficile d'être vraiment efficientes et compétitives103.

Cette approche basée sur le marché est mise en œuvre dans les États du nord-est, où vivent deux tiers des ruraux pauvres du Brésil, mais les problèmes fonciers ne sont pas les mêmes dans tous ces États. Les conflits autour de la terre sont beaucoup moins aigus dans le nord, le centre-ouest et l'Amazonie que dans le sud, qui est la région dans laquelle la plupart des occupations de terres dirigées par le MST ont lieu, et que dans le nord-est, où l'approche fondée sur le marché est mise en œuvre.

Malgré ses avantages théoriques, l'approche fondée sur le marché n'a jusqu'à présent eu que des résultats modestes: l'objectif pour la première étape consiste à installer 15 000 familles sur quelques années (alors que dans la politique de redistribution traditionnelle l'objectif est d'installer environ 100 000 familles par an). Toutefois, le projet Banco da Terra devrait fournir au gouvernement des moyens de reproduire ailleurs les premières expériences. La situation actuelle, caractérisée par le faible prix de la terre et par des impôts très lourds sur les terres inexploitées, sera probablement favorable à la diffusion de cette méthode à court terme. Toutefois, quels que soient ses avantages et son potentiel, l'approche basée sur le marché ne peut pas vraiment être considérée comme un substitut des réformes agraires redistributives traditionnelles mises en œuvre par l'INCRA. Ces dernières continueront de jouer un rôle majeur dans la promotion de l'accès des paysans sans terre à la terre, même si la crise financière de 1998/99 et l'ajustement consécutif ont eu pour effet immédiat de réduire de moitié ses ressources.

En conclusion, on peut dire que l'approche fondée sur le marché présente de nombreux avantages, notamment du fait qu'elle est moins coûteuse et plus rapide. Elle a déjà permis d'obtenir des résultats remarquables au Guatemala et au Brésil, mais elle semble exiger un appui plus solide du secteur public. La viabilité économique des exploitations agricoles ainsi créées nécessite un ensemble de services d'appui subventionnés, ce qui suppose un engagement institutionnel et financier solide et durable de l'État.

De plus, pour améliorer le fonctionnement du marché foncier il est indispensable de garantir les droits de propriété. On doit faire un gros effort pour établir des cadastres et des registres fonciers, ainsi que des contrats de location et autres contrats d'utilisation des terres. La mise en place d'un cadre juridique efficace et d'un bon système d'information foncière est indispensable pour obtenir une réduction notable des coûts de transaction.

Dans l'ensemble, les limites de cette approche sont déterminées par les limites du marché foncier lui-même. Les possibilités qu'offre la location (fermage ou métayage) n'ont pas encore été sérieusement explorées, ce qui est dû en grande partie à l'insécurité des droits de propriété. Pour le moment, il faut considérer la réforme agraire basée sur le marché comme un instrument de politique foncière parmi d'autres; les politiques traditionnelles d'expropriation des terres pourraient être appelées à continuer de jouer un rôle important dans la plupart des zones très conflictuelles.

HAÏTI

Introduction

L'histoire d'Haïti a été marquée par une instabilité politique et institutionnelle considérable. De 1991 à 1994, le pays a subi un embargo économique imposé par l'Organisation des États américains après un coup d'État qui a forcé le Président démocratiquement élu à l'exil. En outre, le Conseil de sécurité des Nations Unies a imposé des sanctions commerciales et financières au milieu de 1993. La constitutionnalité a été rétablie en 1994.

L'isolement économique et politique dû à l'embargo a accéléré la détérioration de l'économie. La production et l'emploi ont fortement chuté, les entrées de capitaux étrangers et d'aide ont beaucoup diminué, et les capacités institutionnelles se sont détériorées. Plus récemment, en raison de difficultés politiques, les postes clés du gouvernement sont restés vacants depuis 1997, et les progrès du développement ont été entravés jusqu'aux élections en 2000.

Caractéristiques physiques et ressources

La superficie d'Haïti est de 28 000 km2 et sa population est de 8,1 millions d'habitants; la densité démographique, 289 habitants au kilomètre carré, est une des plus élevées des Caraïbes. Deux tiers des Haïtiens vivent dans les zones rurales et sont de petits paysans.

Le climat est tropical ou sous-tropical, la diversité biologique est considérable, et Haïti possède quelques gisements minéraux. C'est un pays exposé aux tempêtes tropicales et aux ouragans qui sévissent dans la région des Caraïbes et, depuis plusieurs années, les intempéries ont causé d'importants dégâts.

Les terres agricoles représentent environ 50 pour cent de la superficie totale; il y a 20 pour cent de terres arables et 12 pour cent de terres sous cultures permanentes. Le reste se compose de plaines et de collines qui ont été très déboisées, si bien que le couvert forestier ne représente aujourd'hui que 5 pour cent de la superficie totale. Entre les chaînes de montagnes se trouvent plusieurs vallées fertiles qui sont consacrées à l'agriculture.

Développement économique et social

Le niveau de développement d'Haïti est très bas (voir tableau 29) et on estime que 60 à 80 pour cent de la population sont pauvres; l'espérance de vie est de 54 ans. Selon l'Indicateur du développement humain (IDH) du PNUD, Haïti se classe au 150e rang sur 174 pays. Le PIB par habitant était d'environ 410 dollars en 1998 et la répartition des revenus est très inégale, 1 pour cent de la population détenant quelque 44 pour cent de la richesse totale.

La sécurité alimentaire en Haïti est un sujet épineux. D'après les estimations les plus récentes de la FAO, sur la période 1996-1998, 62 pour cent de la population étaient sous-alimentés. Ce chiffre représente un léger recul par rapport au début des années 90, mais un essor considérable par rapport à la période 1979-1981, durant laquelle on estimait le pourcentage de personnes sous-alimentées à 48 pour cent. L'aggravation de l'insécurité alimentaire est due essentiellement au déclin de la production vivrière depuis 1981, les importations et l'aide alimentaire ne suffisant pas à combler l'écart. Le Ministère de l'agriculture, des ressources naturelles et du développement rural est en train d'élaborer un Plan d'action sur l'insécurité alimentaire afin d'évaluer la situation actuelle. Dans le cadre du Système d'information et de cartographie sur l'insécurité alimentaire et la vulnérabilité (SICIAV), la FAO a sélectionné Haïti parmi les huit pays pilotes nécessitant un développement accéléré et une évaluation de leur plan d'action sur l'insécurité alimentaire.

Tableau 29

HAÏTI: PRINCIPAUX INDICATEURS ET COMPARAISON AVEC LA MOYENNE DES PAYS À BAS REVENUS, 1998

Indicateurs

Haïti

Moyenne des pays à bas revenus

PNB par habitant ($EU)

410

520

Espérance de vie (années)

54

63

Mortalité infantile (pour 1 000 naissances vivantes)

71

68

Taux d'analphabétisme chez les adultes (%):

   

Hommes

50

22

Femmes

54

49

Accès à l'eau potable

   

(pourcentage de la population)

28

...

Source: Banque mondiale. 2000. Indicateurs du développement dans le monde 2000. Washington.

L'aide extérieure a apporté une contribution essentielle à l'économie haïtienne après le coup d'État (tableau 30), finançant jusqu'à 90 pour cent des investissements publics dans les services sociaux certaines années.

Tableau 30

AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT NETTE À HAÏTI

Année

APD

 

(millions de $EU)

1994

601

1995

726

1996

369

1997

325

1998

407

Source: OCDE.

Certains donateurs ont financé des programmes sociaux en distribuant des ressources directement aux ONG chargées de fournir les services. Le vaste système de services privés est essentiel pour la survie des habitants pauvres des campagnes, pour lesquels les ressources de l'État sont généralement insuffisantes ou inexistantes. En outre, il a créé des possibilités de partenariat entre des ONG actives sur le terrain et différents ministères. La récente politique de décentralisation des services publics et d'accroissement des ressources mises à la disposition des zones rurales permettra de dynamiser ces partenariats.

Situation et politiques macroéconomiques

La coordination entre la Banque centrale et les Ministères des finances et de la planification a permis de faire des progrès sur plusieurs fronts même dans la période pendant laquelle Haïti n'avait pas de gouvernement. Un plan de redressement à moyen terme a été élaboré en 1994 avec l'aide du FMI, de la Banque mondiale, de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et d'autres bailleurs de fonds.

Encadré 3

L'ACCROISSEMENT DES DÉPENSES SOCIALES, UNE CLÉ POUR UNE ACCÉLÉRATION DE LA CROISSANCE

Une comparaison entre la situation d'Haïti et celle des pays voisins et des autres pays de la région Amérique latine et Caraïbes montre bien les effets à long terme de l'insuffisance des investissements sociaux. La Banque mondiale a essayé d'estimer le taux de croissance qu'Haïti pourrait obtenir moyennant une modification relativement modeste des variables sociales, juridiques et politiques essentielles, et la façon dont la situation d'Haïti aurait évolué si les conditions et politiques initiales avaient été les mêmes que dans certains autres pays, sur une période identique1. D'après son estimation, la modification qui aurait eu l'impact le plus fort sur la croissance économique serait une augmentation d'un an de la scolarité des garçons, qui se traduirait par un surcroît de revenus par habitant de 1,3 pour cent. Une réduction de 1 pour cent du taux de fécondité aurait des effets presque aussi importants. Les autres facteurs qui auraient aussi stimulé la croissance, mais dans une moindre mesure, sont l'amélioration de l'efficience des dépenses publiques et du fonctionnement du système juridique et le renforcement de la démocratie. Un des résultats les plus remarquables de cette étude est que, si les conditions de départ avaient été les mêmes qu'en République dominicaine, le taux de croissance du PIB par habitant d'Haïti durant la période 1985-1990 aurait été de 3,5 pour cent par an alors qu'en fait il a été de -1,7 pour cent par an.

Banque mondiale. 1998. Haiti: the challenges of poverty reduction. Washington.

Ce plan a été mis en œuvre de façon très parcellaire et a quelque peu réussi à réduire les dépenses publiques, à privatiser les industries, à stabiliser l'inflation et à orienter l'aide extérieure vers les secours d'urgence, la réparation des infrastructures et les services sociaux. Les résultats positifs sont notamment une réduction du déficit extérieur et du déficit public ainsi qu'une accélération de la croissance globale. Le revenu par habitant a diminué de plus de 2 pour cent par an en moyenne entre 1980 et 1991, puis a chuté de près de 6 pour cent par an en moyenne pendant la période de l'embargo (1991-1994) et ne s'est que légèrement redressé depuis. Toutefois, la croissance du PIB réel s'est un peu accélérée depuis la levée de l'embargo et atteignait 2 pour cent en 1999.

Table 31

TAUX DE CROISSANCE DU PIB RÉEL EN HAÏTI

Année

Pourcentage de variation annuelle du PIB réel

Pourcentage de variation annuelle du PIB réel par habitant

 

(pourcentage)

1980-1991

0,3

-2,3

1991-1994

-4,8

-5,9

1995

4,4

2,4

1996

2,7

0,5

1997

1,2

-0,9

1998

3,0

0,9

1999

2,0

0,3

Source: FMI.

À cause de la croissance de la production et des exportations, la dette extérieure d'Haïti est en diminution et ne représentait plus que 27 pour cent du PIB en 1999, le ratio du service de la dette étant de 11 pour cent des exportations dans l'exercice budgétaire 1998/99. L'essentiel de la dette est assortie de conditions de faveur.

La Banque centrale d'Haïti a fait des progrès considérables dans la lutte contre l'inflation, dont le taux est tombé de 37 pour cent en 1994 à 10 pour cent en 1999. De même, le taux de change s'est stabilisé. Les exportations ont atteint 352 millions de dollars en 1998/99, soit 23 pour cent de mieux que l'année précédente. Les principaux produits d'exportation sont les vêtements et chaussures destinés au marché des États-Unis. Cette activité représente 80 à 90 pour cent des exportations totales d'Haïti. Les usines d'assemblage travaillant pour l'exportation dans la zone de Port-au-Prince emploient quelque 25 000 personnes. Ces industries ont été très dynamiques et pourraient se développer encore beaucoup à condition que la fiabilité des services se maintienne. La part des produits agricoles dans les exportations est tombée de 50 pour cent du total en 1980 à 11 pour cent en 1999, ce qui est dû en partie à la croissance du secteur manufacturier, mais surtout au déclin de la production agricole disponible pour l'exportation.

Les importations représentent près de 30 pour cent du PIB et ont triplé depuis le début des années 90. La part de l'alimentation dans la facture d'importation a diminué ces dernières années, passant de 50 pour cent environ durant la plupart des années 90 à 27 pour cent en 1999, ce qui est dû essentiellement à l'augmentation des autres importations. La plupart des importations sont financées par les donateurs (sous forme d'aide financière ou d'équipements) et par les envois de fonds des Haïtiens qui vivent et travaillent à l'étranger. On estime que les envois de fonds représentent 300 millions de dollars par an.

Le problème macroéconomique essentiel d'Haïti était et est toujours l'insuffisance de l'investissement. Entre 1988 et 1998, l'investissement intérieur brut a reculé en moyenne de 1,5 pour cent par an, pour tomber à 11 pour cent du PIB en 1998. Cela représente à peine plus de la moitié du ratio d'investissement moyen de l'ensemble des pays à bas revenus. L'aide extérieure est une source importante mais irrégulière de financement des investissements.

Vente sur un marché
Bien que l'agriculture absorbe près des deux tiers de la main-d'œuvre d'Haïti, l'essentiel de la population rurale se trouve dans l'obligation d'avoir des activités commerciales supplémentaires

- FAO/18757/G. BIZZARRI

Le secteur agricole

L'agriculture représente environ 30 pour cent du PIB et emploie près des deux tiers de la population active. La production agricole par habitant a diminué de 20 pour cent entre 1989-1991 et 1999 (voir figure 23). Ce déclin est dû à la détérioration des infrastructures, à la dégradation des sols et aux intempéries, notamment une grave sécheresse dans le nord-ouest et l'ouragan George en 1998.

Les principaux produits agricoles d'Haïti sont le maïs, le sorgho, le riz, les haricots, les bananes, les tubercules et certains produits d'origine animale. L'essentiel de la production est assuré par des petits paysans, la taille moyenne des exploitations étant de 1,2 ha. Il existe quelques grandes plantations (1 pour cent des exploitations), qui occupent environ 10 pour cent des superficies cultivées et produisent principalement du café et du sisal. La majorité des Haïtiens sont de petits agriculteurs, et l'agriculture emploie 63 pour cent de la population active. Néanmoins, l'exode rural a créé des taudis densément peuplés autour de Port-au-Prince et la population urbaine représente 34 pour cent du total. La terre est transférée par héritage, et à chaque génération elle est subdivisée en parcelles de plus en plus petites. Comme une grande partie des transferts fonciers ne sont pas enregistrés, les droits de propriété sont obscurs et complexes. Le gouvernement s'est fixé pour objectif de mettre en œuvre une réforme agraire pour accroître la productivité, mais s'est heurté aux traditions en matière de propriété foncière.

La productivité de l'agriculture est très faible et souffre notamment de l'insuffisance d'intrants modernes. La traction animale est très peu développée, alors que cela permettrait d'accroître la productivité et d'obtenir du lait et des engrais organiques. La plupart des ménages d'agriculteurs n'ont pas les moyens d'acheter un animal de trait et les aliments fourragers importés sont hors de prix. Toutefois, une fraction de ménages agricoles beaucoup plus prospères parviennent à produire à peu près 10 fois plus que les ménages pauvres sur la même superficie en raison de leurs connaissances et de leur accès à des intrants modernes.

Le Programme spécial de la FAO pour la sécurité alimentaire opère en deux endroits en Haïti. Sa mission est de favoriser des aménagements propres à accroître la productivité dans les zones ayant un potentiel élevé de production vivrière. Il a travaillé avec plusieurs milliers de petits paysans d'Haïti pour intensifier les cultures et améliorer les réseaux d'irrigation à petite échelle et la gestion de l'eau. Grâce à l'amélioration des semences et à la fourniture d'intrants ainsi qu'à la réduction des pertes après récolte, ces agriculteurs ont pu considérablement accroître leur rendement de maïs et de riz.

Haïti possède 560 000 ha de terres arables, dont 75 000 environ sont irriguées. L'amélioration de l'irrigation est une des priorités du Ministère de l'agriculture, des ressources naturelles et du développement rural, et plusieurs projets ont été lancés pour remettre en état une partie du réseau d'irrigation de la vallée d'Artibonite qui est une zone de production importante.

Les exportations de produits agricoles représentent environ 10 pour cent du total des recettes d'exportation et étaient évaluées à 23 millions de dollars en 1999. Le café est le seul produit agricole d'exportation important, et la culture du café s'est récemment révélée un moyen efficace de protéger le couvert forestier local. Autrefois, Haïti produisait beaucoup de sucre, mais le sucre importé du Guyana et d'autres pays des Caraïbes a remplacé la production nationale et les raffineries haïtiennes sont fermées depuis le début des années 90. La production de canne à sucre, qui a été une des principales causes des problèmes d'érosion, a diminué de 44 pour cent depuis 1987. L'autre culture importante est le riz, qui joue un rôle majeur dans l'alimentation de la population. Le riz est cultivé sur les terres irriguées et fertiles de la Vallée d'Artibonite. Toutefois, l'importation de riz bon marché a découragé la production locale, qui a chuté de 17 pour cent depuis 1987. La figure 24 illustre la valeur totale des exportations de produits agricoles et de café.

Dans le cadre du programme de restructuration économique lancé après 1994, Haïti a beaucoup abaissé ses droits de douane sur de nombreux produits, et les importations de produits alimentaires ont considérablement augmenté. L'aide alimentaire sous forme de céréales a représenté environ 110 millions de tonnes par an durant les années 90. La figure 25 illustre les valeurs des importations totales de produits agricoles et des importations de riz. Les importations à des conditions commerciales ont progressé plus vite (en termes de volume et de calories) que la production nationale depuis 1980. Aujourd'hui, les importations de denrées représentent à peu près la moitié de la valeur totale des importations de marchandises et près de deux fois la valeur des exportations totales.

La dégradation des ressources naturelles menace la productivité agricole et les moyens de subsistance de la population rurale. La topographie d'Haïti est partiellement montagneuse, avec une plaine côtière et quelques vallées fertiles. Le problème le plus grave est celui du déboisement qui a atteint un stade irréversible. Les pauvres abattent des arbres pour les brûler ou les vendre. Les lits des cours d'eau sont très envasés à cause de l'érosion. On estime que près de 80 pour cent de l'eau distribuée à Port-au-Prince est contaminée par des eaux-vannes et que seuls 16 pour cent des habitants des campagnes ont une latrine à fosse simple.

Le déboisement, qui réduit les ressources disponibles pour les pauvres, tend à sensibiliser la population rurale aux problèmes d'environnement, mais il n'y a pas d'autre solution pour obtenir des revenus ou de l'énergie. Une des options proposées dans le plan d'action du Ministère de l'agriculture, des ressources naturelles et du développement rural consiste à coordonner ses propres efforts et ceux du Ministère de l'environnement pour définir des pratiques agricoles de rechange et les mettre en œuvre à l'aide d'un système de microcrédits.

Il est essentiel de créer d'autres activités rémunératrices pour les pauvres ruraux si l'on veut protéger ce qui reste du couvert arbustif. Le gouvernement mise sur une relance de l'industrie touristique, qui avait quasiment disparu depuis le début des années 90. L'insuffisance des infrastructures de transport et l'absence d'installations touristiques en dehors de Port-au-Prince, ainsi que l'insécurité des zones rurales, font obstacle au développement du tourisme.

Les habitants des campagnes ne sont pas tous tributaires de l'agriculture en tant que moyen de susbsistance. La plupart n'en retirent que 50 pour cent de leurs revenus et ont d'autres activités commerciales à petite échelle; en outre, ils reçoivent des envois de fonds de parents émigrés. Néanmoins, vu l'importance de la propriété foncière, le caractère essentiellement rural de la société et la nécessité d'accroître la production vivrière pour garantir la sécurité alimentaire, l'agriculture est appelée à jouer un rôle important en Haïti.

Perspectives et politiques agricoles

Le gouvernement a fait de l'agriculture une des grandes priorités de sa stratégie de développement. Les principales motivations sont l'importance de la population rurale, la nécessité d'améliorer la sécurité alimentaire et la volonté d'accroître les exportations de produits agricoles. Les quatre objectifs principaux définis par le Ministère de l'agriculture, des ressources naturelles et du développement rural sont les suivants:

Toutefois, avant que ces quatre objectifs puissent être atteints et que l'agriculture puisse satisfaire une proportion plus grande des besoins alimentaires de la population, Haïti devra surmonter plusieurs obstacles considérables. Les importations de produits alimentaires à des conditions commerciales ont permis de pallier quelque peu la pénurie de denrées, mais ne résolvent pas le problème à long terme de l'approvisionnement alimentaire.

La dépendance croissante à l'égard des importations de produits alimentaires n'est pas considérée comme une option viable pour Haïti. On pourrait accroître les recettes d'exportation pour financer ces importations, notamment en vendant des produits agricoles spécialisés. Toutefois, en raison des limites de l'accroissement de la productivité agricole, pour devenir un exportateur compétitif de produits traditionnels ou nouveaux, Haïti devrait faire des investissements considérables qui ne porteront leurs fruits qu'à moyen ou à long termes. Comme en outre il est urgent d'améliorer l'état nutritionnel d'une population en expansion, il faut trouver d'autres solutions. Vu le rôle essentiel que joue l'agriculture dans la survie d'une grande partie de la population, une solution évidente consisterait à privilégier la production de produits alimentaires de base, notamment dans les petites exploitations, afin de réduire la pauvreté et d'améliorer l'état nutritionnel des ruraux pauvres. Cela permettrait aussi de réduire les importations de produits alimentaires.

Les obstacles

Une étude importante de la situation d'Haïti à la lumière de l'évolution des conditions du commerce international a mis en évidence plusieurs obstacles cruciaux entravant l'accroissement de la productivité agricole du pays:

Dans un monde de plus en plus ouvert au commerce extérieur, l'agriculture d'Haïti souffre d'un manque considérable de compétitivité. La faible productivité due aux facteurs énumérés ci-dessus contribue à majorer les coûts ou à réduire la production du secteur agricole, ce qui limite les perspectives d'Haïti sur le marché international. Pour éliminer ces obstacles, il faudra un programme coordonné d'investissement à long terme dans les zones rurales. Ce programme devra s'attaquer aussi bien à des problèmes sectoriels, tels que la qualité des semences et les services de vulgarisation, qu'à des problèmes plus généraux d'environnement et d'infrastructure.

Les responsables qui élaborent les politiques espèrent développer les exportations de produits haïtiens sur des marchés spécialisés. Pour cela, ils veulent notamment promouvoir l'exportation du café Haitian Blue, récemment introduit, ainsi que l'exportation de certains fruits et légumes locaux destinés à des consommateurs haïtiens vivant aux États-Unis. Le succès de ces efforts dépendra de la mise en œuvre d'une stratégie de commercialisation bien conçue et de la conclusion d'accords commerciaux à différents niveaux, notamment dans le cadre du Marché commun de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) et de l'OMC.

Haïti est récemment devenu membre de la CARICOM, qui est le bloc commercial de la région des Caraïbes. L'adoption du tarif extérieur commun permettra de limiter les importations de produits alimentaires venant des États-Unis et d'Europe au profit de produits provenant des autres pays des Caraïbes. Haïti a négocié un moratoire de cinq ans pour l'application du tarif extérieur, espérant que cela lui permettra de trouver des débouchés dans la région et d'éviter une augmentation brutale du prix à la consommation de denrées essentielles. Dans le cadre de la CARICOM, Haïti est exposé à la concurrence d'autres pays membres qui ont investi pour moderniser des productions agricoles telles que le sucre, le café, les fruits et légumes et le riz.

CONCLUSIONS

Quelle que soit l'orientation des politiques publiques, le degré auquel elles parviendront à mettre en place les conditions d'un redressement durable dépendront de la disponibilité des ressources financières et techniques nécessaires. Une grande partie de ces ressources devront venir de l'aide extérieure. Les donateurs fournissent un appui considérable pour revitaliser l'agriculture et en faire un moteur de la croissance, notamment au moyen de projets de développement rural intégré et de remise en état des réseaux de routes et d'irrigation et de programmes de conservation des ressources naturelles et de promotion de la sécurité alimentaire. On met de plus en plus l'accent sur des projets durables et fortement créateurs d'emplois, plutôt que sur la distribution d'aides directes.

L'obtention d'un flux suffisant d'aide extérieure dépendra de la façon dont les donateurs évaluent l'efficacité de l'emploi de l'aide. À cet égard, l'environnement politique sera un facteur décisif.


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