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1.2 Potentiel de la biotechnologie agricole[257]


ANNEXE 1: ÉTUDE DE CAS N° 2

INTRODUCTION

La FAO estime, qu’au cours des 30 prochaines années, plus des trois quarts de la croissance de la production végétale nécessaire pour satisfaire les besoins alimentaires devront provenir des augmentations de rendement. Cela ne sera possible qu’avec l’aide d’innovations technologiques importantes. Les outils modernes de la biotechnologie de recombinaison de l’ADN, dont le génie génétique, offrent de telles possibilités d’innovation.

L’utilisation de médicaments et de vaccins issus de manipulations génétiques a soulevé peu de controverses; par contre, le développement de cultures génétiquement modifiées (GM) a rencontré une forte résistance, surtout en Europe, basée sur des considérations éthiques et des préoccupations sur l’impact négatif que pourraient avoir ces cultures GM sur l’environnement et la qualité sanitaire des aliments. Les considérations éthiques tournent autour de sujets tels que la nature artificielle des transferts de gènes d’une espèce à l’autre, les impacts socioéconomiques pouvant être responsables de l’élargissement du fossé entre agriculteurs riches et pauvres et entre pays et la crainte que la biotechnologie agricole n’accroisse la dépendance de la fourniture alimentaire mondiale à l’égard de quelques firmes multinationales contrôlant l’industrie des semences. On s’inquiète aujourd’hui de savoir si toute la publicité négative faite sur les cultures GM et la résistance des consommateurs européens à ces cultures, ont pu freiner le transfert de cette innovation vers les pays en développement, qui ont un besoin urgent d’accroître la productivité de leurs cultures.

En dépit de la résistance de certains groupes, la biotechnologie est déjà en train de changer la façon de produire de nombreux produits de la vie de chaque jour: alimentation humaine et animale, fibres, carburant et médicaments. Dans le domaine agricole, on a utilisé les outils de la biotechnologie pour diagnostiquer des maladies des animaux et des plantes, pour produire des vaccins contre les maladies animales et pour améliorer le bétail et des cultures. Les superficies des productions des cultures GM sont passées de deux millions d’ha en 1996 à 44 millions d’ha en 2000 (James, 2000); la plus grande partie des ces superficies se situent dans trois pays, les USA, le Canada, et l’Argentine (PNUD, 2001). L’Argentine compte 10 millions d’ha de cultures GM. Toutefois, sans ce pays, la superficie des cultures transgéniques pour les pays en développement représente moins d’un pour cent des surfaces cultivées. Les autres pays en développement ayant des surfaces relativement importantes de cultures GM sont la Chine, le Mexique et l’Afrique du Sud. De plus, seules quelques cultures ont des variétés GM d’une certaine importance commerciale, c’est le cas du soja, du maïs, du coton, du colza oléagineux, de la pomme de terre, de la courge et de la papaye.

Le manque d’aide au développement des OGM dans la lutte pour la sécurité alimentaire est un fait connu. En juin 2000, sept académies nationales de sciences ont rendu un rapport appelant à un effort concerté des secteurs public et privé pour le développement des cultures GM - spécialement pour les aliments de base - pour le bénéfice des consommateurs et des agriculteurs pauvres, particulièrement dans les pays en développement. Ce rapport a appelé les firmes privées qui ont développé la technologie des OGM à la partager afin qu’elle soit utilisée pour réduire la faim et pour améliorer la sécurité alimentaire des pays en développement. Le rapport a aussi proposé des exemptions spéciales pour les agriculteurs pauvres du monde afin de les protéger contre des restrictions inopportunes à la propagation de ces cultures (NAS, 2000).

RÔLE DE LA BIOTECHNOLOGIE

Au sens large, la biotechnologie met en jeu l’utilisation des organismes vivants au bénéfice des humains. Cette utilisation a deux composantes: i) la culture de cellules et de tissus et 2) les techniques de l’ADN, dont le génie génétique. Ces deux composantes sont indispensables pour la production des OGM végétaux et animaux.

La culture de tissus végétaux et de cellules est une technologie relativement peu coûteuse, facile à apprendre, à appliquer et largement utilisée dans de nombreux pays en développement. La culture des tissus végétaux est un outil utilisé pour l’amélioration végétale; il est en particulier utilisé pour: i) la propagation en grande quantité d’un stock d’élite; ii) la production de plantes indemnes de virus au moyen de la culture in vitro de méristème; iii) la sélection de variants somaclonaux pour des caractères particuliers et leur multiplication; iv) la possibilité de surmonter les barrières à la reproduction entre espèces et le transfert de caractéristiques désirables aux cultures par croisements larges; v) la possibilité de transférer des gènes par fusion de protoplasme; vi) l’utilisation de la culture d’anthère pour obtenir des lignées homozygotes dans les programmes de sélection; et vii) la conservation in vitro de germplasm végétal.

La deuxième composante de la biotechnologie, c’est-à-dire les technologies de l’ADN, dont le génie génétique, utilise les toutes nouvelles connaissances des gènes et du code génétique pour améliorer les cultures, les arbres, le bétail et les poissons.

Parmi les importantes applications des technologies de l’ADN nous pouvons citer l’utilisation de sondes d’ADN spécifiques des pathogènes et ravageurs, pour leur identification, leur suivi et leur contrôle. Les marqueurs d’ADN sont particulièrement utiles pour la construction de cartes de gènes afin de les isoler. Cette technologie, qui n’est pas controversée, est utilisée pour renforcer l’efficacité des programmes conventionnels de sélection végétale et pour caractériser les ressources génétiques en vue de leur conservation et de leur utilisation.

Une importante caractéristique de la transformation de l’ADN est sa capacité de transférer les gènes, y compris du règne animal au règne végétal et vice versa, aidant ainsi à augmenter les pools de gènes de tous les organismes, dont des cultures. Bien qu’aujourd’hui controversée, l’ingénierie génétique permet de transférer des gènes utiles de n’importe quel organisme vivant à des plantes ou des animaux afin d’améliorer leur productivité. Les bactéries ou les arbres génétiquement modifiés peuvent être utilisés pour enrichir les sols. De plus, on peut aussi manipuler les voies de la biosynthèse pour ajouter des composants nutritionnels aux cultures, pour fabriquer des produits pharmaceutiques de haute valeur et autres polymères en utilisant les plantes comme des bioréacteur. Les quelques exemples de technologies actuelles ne donnent qu’une vague idée des vastes implications de l’importance potentielle de la biotechnologie pour l’agriculture au cours des deux prochaines décennies.

Les cultures GM actuellement disponibles ne mettent en jeu que des caractéristiques simples et des gènes uniques; toutefois, les progrès technologiques permettent maintenant le transfert d’au moins 12 gènes sur le génome d’une seule plante (Zhang et al., 1998), ces gènes ne sont pas tous exprimés. Ces progrès permettent la manipulation de caractères plus complexes, mais aussi plus utiles, tels que le rendement et la tolérance à la sécheresse, à la salinité, à la chaleur, au froid, au gel, et à la toxicité aluminique. De plus, de grands progrès sont en cours dans l’utilisation les cultures GM pour la production de vaccins bon marché, qui conviennent aux conditions de stockage des pays en développement (Artzen, 1995, 1996; Landridge, 2000).

Les progrès en biologie moléculaire ont beaucoup aidé la recherche concernant la base physiologique et biochimique de la tolérance abiotique. Les chercheurs japonais (Kobayashi et al., 1999) et américains (Jaglo-Ottosen et al., 1998) ont indépendamment isolé un facteur de transcription qui lorsqu’il se trouve surexprimé dans des plantes GM entraîne une bonne tolérance à la sécheresse et aux stress dus au sel et au gel. Un mécanisme complètement différent a permis d’obtenir la tolérance à la salinité d’Arabidopsis GM et de la tomate modifiée pour surexprimer un gène vacuolaire antiport Na+/H+ (Apse et al., 1999, Zhang et Blumwald, 2001). L’amélioration de la tolérance au stress, en renforçant la stabilité du rendement tout en remodelant la photosynthèse par ingénierie génétique, peut accroître le rendement potentiel des plantes. Le transfert des gènes de la photosynthèse du maïs vers le riz a donné expérimentalement une augmentation de 35 pour cent du rendement du riz comparé aux lignées génétiquement semblables (Maurice et al., 1999).

En foresterie, on a réalisé des progrès dans la manipulation génétique des arbres pour qu’ils produisent un bois ayant un contenu en lignine réduit pour la pulpe et l’industrie du papier. De plus, des recherches sont en cours pour manipuler les gènes impliqués dans le développement floral afin de produire des arbres sans floraison, améliorant ainsi la productivité en bois (Rick Meilan, communication personnelle).

La connaissance des gènes de rassemblement et de mise en ordre des gènes dont les modèles d’expression sont semblables chez Arabidopsis, une dicotylédone, et le riz, une monocotylédone, peut être utilisée pour isoler et caractériser les gènes correspondants et pour comprendre l’ordre des gènes et leur modèle d’expression chez d’autres plantes (Somerville et Somerville, 1999). Cette connaissance, associée aux possibilités de surmonter les barrières génétiques entre espèces, élargit les possibilités de combinaison de gènes chez les plantes, ce qui n’aurait pas été possible, ou aurait entraîné d’énormes difficultés, en utilisant les approches conventionnelles. La biotechnologie agricole, particulièrement celle des cultures et des arbres, doit beaucoup à Arabidopsis et aux projets de séquence du génome du riz.

SCÉNARIOS RÉGIONAUX EN BIOTECHNOLOGIE

Afin d’apporter l’assistance nécessaire à leur développement, Byerlee et Fischer (2000) ont classé les pays d’après leur capacité biotechnologique. Comme on le sait, la révolution génétique commença par les pays développés et s’étendit à des pays en développement tels que l’Argentine, le Brésil, la Chine, l’Inde, le Mexique et l’Afrique du Sud. Ces pays ont non seulement profité des retombées technologiques, mais ils sont devenus à leur tour des développeurs de technologies. Ils ont de solides programmes de sélection végétale traditionnels et des compétences dans la culture des tissus végétaux et des cellules. Il leur est donc possible de développer leurs compétences dans les technologies de recombinaison sur des bases solides; les connaissances en matière de culture de tissus et de cellules étant en effet nécessaires à la transformation de l’ADN. Les cellules transformées, possédant les gènes désirés, doivent être régénérées dans des plantes complètes et évaluées pour la stabilité, à un niveau acceptable, de l’expression génétique au cours des générations suivantes. Bien que la phase de culture de tissus ne soit peut-être plus nécessaire à l’avenir en raison des progrès réalisés dans la transformation du pollen (Burke et al., 1999; Saunders et al., 1997), il est indispensable pour tout programme de biotechnologie végétale de pouvoir s’appuyer sur un solide programme de sélection végétale. Il sera toujours nécessaire de tester les plantes GM pour leur adaptabilité et leurs performances dans les conditions locales avant qu’elles ne soient autorisées à être commercialisées à grande échelle.

Afrique

Ce continent a connu quelques initiatives nationales et internationales en matière de biotechnologie végétale. Récemment, le Kenya a entrepris des tests au champ de patate douce GM à l’aide de la protéine d’enrobage du feathearly mottle virus (Wambugu, 2000). En Afrique du Sud, un programme très élaboré de recherche en biologie moléculaire est en cours depuis plus de 20 ans. Récemment, ce pays a conduit des travaux pour isoler et caractériser des gènes de la plante Xerophyta viscosa, qui sont importants pour le fonctionnement de la tolérance osmotique, dans le but de créer un matériel végétal plus tolérant aux stress environnementaux tels que la sécheresse. L’Afrique du Sud possède déjà une législation en matière de sécurité biologique lui permettant la culture commerciale de plusieurs plantes GM telles que le coton-Bt et le maïs-Bt[258]. Le Kenya et le Zimbabwe ont tous les deux utilisé, avec beaucoup de succès, des vaccins recombinés contre des maladies animales. Fait intéressant, alors que la réaction européenne au génie génétique est loin d’être enthousiaste, les gouvernements africains, en particulier le Nigeria et le Kenya, ont exprimé leur souhait d’avoir accès aux biotechnologies (Amadu, 2000).

Asie

En Asie, les réglementations sont en place pour permettre les essais en champ et autoriser les cultures GM en Chine, en Inde, en Indonésie, au Japon, aux Philippines, à Taiwan province de Chine, et en Thaïlande. La Chine a la plus grande superficie en cultures GM (Ten, 2000); en 1990, elle a autorisé à la vente des variétés de tabac et de tomates GM résistantes aux virus. Depuis lors, la Chine a procédé à 31 essais en champ de cultures GM, surtout pour la résistance au virus, avec le colza, le coton, la pomme de terre, le riz et le tabac. Des expérimentations avec des cultures GM sont conduites sur de petites surfaces expérimentales en Inde, aux Philippines, en Thaïlande, au Vietnam, à Singapour, en Malaisie, en Indonésie et en Chine, alors que des essais en plein champs sont en cours en Indonésie, aux Philippines, en Thaïlande, en Inde et en Chine.

La Thaïlande a réussi, à partir d’une approche moléculaire, à diagnostiquer et à contrôler une maladie virale de la crevette. Le Gouvernement des Philippines a reconnu la biotechnologie comme une stratégie importante pour augmenter la productivité agricole; toutefois, l’opinion publique a empêché les essais en plein champ et la commercialisation des cultures GM (De la Cruz, 2000). En Inde, le gouvernement a beaucoup soutenu la biotechnologie, et les capacités du pays dans ce domaine sont aujourd’hui impressionnantes. Néanmoins, aucune culture GM n’est aujourd’hui commercialisée dans ce pays. Le Sri Lanka a récemment interdit l’importation des cultures et des aliments GM.

Moyen-Orient

L’Egypte, avec son Institut de recherche agricole en génie génétique (AGERI), est probablement le pays le plus avancé du Moyen-Orient dans l’application des biotechnologies. L’AGERI a conduit des essais en champ d’un grand nombre de cultures GM en Asie de l’Ouest et en Afrique du Nord. Grâce à la collaboration avec le secteur privé sous les auspices de l’USAID-ABSP administrée par l’université d’Etat du Michigan, l’AGERI a isolé et fait breveter ses propres gènes Bt locaux - un cas de réussite de la collaboration privé-public entre pays développés et en développement (Lewis, 2000).

Amérique latine et Caraïbes

La région a beaucoup bénéficié du réseau REDBIO patronné par la FAO, qui réuni dans un seul réseau d’information 619 laboratoires appartenant à 32 pays. Il existe aussi dans la région un certain nombre de pays fiers de posséder de bonnes capacités en matière de biotechnologie (Mexique, Brésil, Argentine, Costa Rica et Cuba). La recherche conduite au Mexique sur la biologie moléculaire de la tolérance des plantes à l’aluminium ouvre de grandes perspectives dans ce domaine. Depuis 1998, le Mexique a évalué en plein champ des cultures GM de maïs, de coton, de pomme de terre et de tomate. Le cas du Mexique est intéressant en ce qui concerne la biosécurité car le maïs est originaire de ce pays. Le Mexique a aussi commercialisé du coton-Bt. Bien que le Brésil ait été un pionnier en matière de recherche, développement et essais en plein champ de cultures GM, un procès récent a entraîné l’interdiction de leur culture et de leurs essais, ce qui pourrait ralentir les progrès en cours de ce pays (Amstalden Sampaio, 2000). Le Brésil est le premier parmi les pays en développement à avoir déterminé la séquence du génome d’une lignée bactérienne de Xylella fastidiosa, qui attaque les orangers. Ce projet de séquence fut en partie financé par l’industrie brésilienne de l’orange (Simpson et al., 2000; Yoon, 2000).

Le Costa Rica utilise la biotechnologie pour la conservation et la caractérisation de la biodiversité. Ce pays cherche aussi à réduire l’utilisation de produits chimiques toxiques en contrôlant les maladies de la banane (Sittenfield et al., 2000). Cuba est, pour les pays en développement, un modèle d’application de la biotechnologie au développement agricole et à la médecine. Une douzaine de cultures GM ont atteint le stade du laboratoire et/ou des essais en champ. Toutefois, Cuba s’est interdit l’utilisation de tabac GM, par crainte de mettre en danger ses industries d’exportation de cigares et de tabac (Lehman, 2000).

IMPACT

Revenus importants générés par l’adoption des cultures GM

On a débattu pour savoir si la première génération de cultures GM, axée sur les intrants et des caractères simples pour l’agriculture industrielle des pays développés, pouvait être bénéfique pour les petits agriculteurs des pays en développement; il est de plus en plus évident que cela est bien le cas. La pratique des cultures GM dans certains pays en développement possédant de fortes capacités en matière de biotechnologie démontre que ces cultures ont déjà un impact en réduisant le coût des pesticides et les risques d’empoisonnement; elles sont aussi bénéfiques pour l’environnement et entraînent des gains de productivité.

En Chine, Pray et al. (2000) ont montré que les revenus économiques des petits agriculteurs qui avaient semé le coton-Bt avaient augmenté et qu’ils étaient moins hospitalisés pour empoisonnement par les pesticides que ceux qui cultivaient du coton non Bt. L’utilisation du coton-Bt a réduit la consommation de pesticide de 80 pour cent dans la province de Hebei en Chine. L’impact sur l’environnement et la santé est important car les pesticides du coton représentent 25 pour cent de la consommation totale de pesticides pour les cultures. L’expérience sud africaine a montré que les petits agriculteurs pouvaient aussi tirer un bénéfice du coton-Bt. Le nombre de petits agriculteurs cultivant le coton-Bt dans ce pays est passé de 4 à 400 en 4 ans seulement, montrant qu’ils réalisaient des bénéfices en pratiquant les cultures GM (Webster, 2000). Au Kenya, on a prévu que deux variétés de patate douce GM pour la résistance à un virus et à un charançon, génèreront des bénéfices bruts annuels de 5,4 millions et 9,9 millions de dollars EU respectivement. La patate douce étant une culture de subsistance, les ménages producteurs en seront les premiers bénéficiaires. La grande efficacité des projets de recherche est confirmée par les retours importants sur les investissements (Qaim, 1999).

En Argentine, les taux d’adoption élevés des cultures GM montre qu’elles ont déjà eu un impact. La contrebande illégale de semences GM d’Argentine vers le Brésil montre que les agriculteurs brésiliens, en grande partie producteurs commerciaux, apprécient l’intérêt des cultures GM par rapport aux cultures conventionnelles. Au Mexique, la culture du coton-Bt a permis des bénéfices supplémentaires estimés à 5,5 millions de dollars EU, dont 84 pour cent sont allés aux agriculteurs et 16 pour cent aux fournisseurs de semences (Traxler et al., 2001). A Cuba, la stratégie d’utiliser d’une façon intensive les connaissances en biotechnologie devrait être payante en termes de royalties pour les propriétaires des technologies. Cuba développe des trousses pour le diagnostic des maladies végétales. Les vaccins cubains issus de l’ingénierie génétique contre les tiques du bétail et contre les entéro-toxines d’E. Coli, ont déjà été vendus sur les marchés mondiaux et ont réduit les importations de pesticides (Borroto, 2000). La production d’un bionématocide breveté permettra la réduction de l’utilisation des nématocides toxiques dans les plantations de banane (Lehman, 2000). L’utilisation des vaccins recombinés contre la tique du bétail a réduit les importations cubaines de pesticides de 2,5 à seulement 0,5 millions de dollars EU par an (Borroto 2000).

On utilise aussi la biotechnologie pour découvrir les mécanismes de l’apomixie des plantes pour son application potentielle en agriculture[259]. Cette technologie pourrait avoir un énorme impact en permettant aux agriculteurs pauvres en ressources de ressemer leurs propres semences qui conserveraient d’une façon permanente la vigueur hybride des variétés hybrides apomictiques.

On a obtenu en expérimentation des accroissements de rendement de 10 à 35 pour cent pour le riz GM à partir d’enzymes photosynthétiques dérivés du maïs (Maurice et al.,1999) et un quadruplement du rendement du riz GM chez lequel on avait transféré un gène d’orge fournissant une tolérance à la faible teneur en fer des sols alcalins (Takahashi et al., 2001); ces résultats montrent que des gains de rendements important sont possibles.

Amélioration de la qualité nutritionnelle et médicale

Avec 800 millions de personnes mal nourries dans les pays en développement, la génomie nutritionnelle utilisant l’ingénierie génétique pour manipuler les microéléments nutritifs des végétaux pour la santé humaine, offrent des perspectives considérables (Della Penna, 1999; Li et Della Penna, 2001). On les a appelé «nutraceutiques». Bien que leur production puisse, au départ, viser principalement les consommateurs riches du monde développé, les gènes pourront, par la suite, être introduits dans des cultures pratiquées et consommées par les agriculteurs pauvres afin d’améliorer leurs régimes alimentaires. Le Golden Rice, issu de manipulations génétiques, a un endosperme plus riche en vitamine A (Ye et al., 2000). La qualité nutritionnelle peut aussi être améliorée en éliminant la production de certaines substances. Le manioc-GM présente des taux réduits de glycosides cyanogènes (Sayre, 2000), évitant ainsi les problèmes de toxicité associés aux variétés courantes. On a démontré que, grâce à la réduction des mycotoxines produites par des infestations de champignons suite aux attaques d’insectes, les cultures GM-Bt permettent une alimentation plus saine que celle des cultures traditionnelles. Les technologies d’utilisation génétique des restrictions (GURT), y compris les technologies dénommées terminator, peuvent être très utiles pour empêcher la contamination de l’environnement par fuites de gènes en limitant les flux transgéniques non souhaités lors de la production de médicaments et/ou de vaccins à l’aide de cultures utilisées comme bioréacteurs. La mise à disposition de vaccins peu onéreux constitués de plantes comestibles contre des maladies endémiques des pays en développement telles que l’hépatite B, le choléra et la malaria, peut permettre aux personnes pauvres de mener une vie saine et productive. Souhaitons, qu’un jour, un vaccin contre le SIDA constitué de plantes comestibles puisse être créé.

Utilisation et réhabilitation des terres marginales et dégradées

Dans de nombreux pays en développement, d’immenses superficies ne conviennent pas à l’agriculture en raison de contraintes en matière de sols; d’autres zones sont utilisées, et les rendements y sont faibles. Le travail des chercheurs mexicains qui tentent d’élucider le mécanisme moléculaire de la tolérance à l’aluminium et qui créent des plantes GM résistantes à cet ion toxique pourrait avoir un impact considérable sur la mise en valeur des sols acides des pays en développement (de la Fuente et al., 1997), particulièrement la possibilité de cultures plus intensives sur les vastes espaces des Cerrados du Brésil et des savanes humides d’Afrique de l’Ouest. Plus de 43 pour cent de l’ensemble des sols des zones tropicales étant acides, les cultures tolérantes à l’aluminium permettraient d’étendre la production végétale à de nombreuses zones. De plus, 30 pour cent des terres cultivées sont alcalines; dans ces terres le fer n’est pas disponible et la production végétale n’y est pas optimum. Des chercheurs japonais ont récemment démontré que le riz GM à l’aide de gènes d’orge, présentait une meilleure tolérance à la faible disponibilité en fer et donnait, dans les sols alcalins, des rendements quatre fois supérieurs aux variétés non transformées (Takahashi et al., 2001). Des résultats encourageants sont en cours d’obtention dans le domaine de la tolérance au sel. En présence de 200 mM de NaCL, les plantes de tomate et de colza GM arrivent à maturité et présentent respectivement une très bonne fructification et une bonne qualité d’huile, (Apse et al., 1999; Zhang et Blumwald, 2001; Eduardo Blumvald, communication personnelle, 2001). De plus, les accidents climatiques, tels qu’une sécheresse soudaine ou une gelée peuvent avoir des conséquences graves pour les agriculteurs pauvres en ressources vivant dans un environnement marginal. Les applications de la recherche biotechnologique sur les effets des stress environnementaux pourraient assurer des récoltes plus régulières aux agriculteurs pauvres.

Les applications de la recherche biotechnologique pourraient aussi permettre de restaurer la fertilité les sols dégradés, à partir de pratiques conventionnelles à l’aide de cultures GM et/ou de micro-organismes. Les cultures GM, transformées pour produire directement ou indirectement des carburants (par une transformation en biomasse) pourraient être utilisées comme source d’énergie renouvelable. La transformation de la biomasse en un carburant tel que l’alcool ne contribuerait pas nécessairement à une augmentation de dioxyde de carbone dans l’atmosphère; elle pourrait être particulièrement utile si de tels carburants pouvaient satisfaire les besoins du tiers monde, en remplacement des carburants dérivés du pétrole (Guy et al., 2000).

Réduire l’envahissement des environnements marginaux

Comme n’importe quelle autre technologie capable d’augmenter la productivité, l’accroissement de la productivité des cultures dû à la biotechnologie peut réduire la pression sur les nouvelles terres et diminuer ainsi la nécessité d’envahir des environnements fragiles des régions tropicales et subtropicales. On affirme souvent que l’augmentation des rendements a sauvé des terres en diminuant la pression sur l’environnement, et, par conséquent, a limité la déforestation qui aurait eu lieu sans cela (FAO, 2000). On a aussi calculé qu’une augmentation de la productivité végétale de seulement 1 pour cent par an, équivalant à une augmentation cumulée de 69 pour cent de 1997 à 2050, réduirait de 325 millions d’ha les superficies nécessaires pour répondre aux futurs besoins, comparé à une perte supplémentaire de 1 600 millions d’ha si la productivité végétale restait au niveau de 1997 (Goklany, 2000). Cet objectif n’est pas impossible à atteindre car la recherche en biotechnologie avance très rapidement.

Remplacement des intrants

On a principalement reproché à la révolution verte d’avoir laissé de côté les agriculteurs pauvres vivant dans les environnements marginaux et ceux qui n’avaient pas les moyens de se payer des intrants comme les pesticides, les engrais et les coûts de l’infrastructure pour l’irrigation. La révolution du «gène» est, dans une certaine mesure, en train de redresser ce déséquilibre en créant des cultures qui produisent leur propre pesticide. La recherche en matière d’assimilation des éléments nutritifs par les plantes et de fixation biologique de l’azote est aussi pleine de promesse pour les agriculteurs pauvres en ressources qui n’ont pas les moyens de se payer des engrais. Elle aiderait aussi à protéger l’environnement en épargnant les carburants fossiles nécessaires à la production d’engrais azotés. Les cultures non légumineuses, tels que le maïs ou le riz, pourraient être modifiées pour fixer leur propre azote. Par ailleurs, l’accroissement de la gamme d’hôtes des bactéries capables de fixer l’azote permettrait à plus de cultures de maintenir des relations symbiotiques avec ces bactéries. En ce qui concerne le phosphore, des chercheurs mexicains ont démontré que la capacité d’absorption du phosphore des plants de tabac génétiquement modifiés était significativement supérieure à celle des plants témoins (Shmaefsky, 2000). De plus, un groupe de recherche de l’université de Purdue a cloné un gène transporteur du phosphore à partir d’Arabidopsis. On a trouvé de tels gènes chez d’autres cultures telles que la tomate, la pomme de terre et la luzerne. La création de plantes GM pour une absorption plus efficace du phosphate est en cours (Prakash, 2000).

Elevage

Parallèlement à la biotechnologie végétale, les agriculteurs pauvres peuvent aussi bénéficier des progrès de la biotechnologie animale dus à la révolution de l’élevage qui a lieu actuellement dans la plupart des pays en développement. La recherche a montré que les ruraux pauvres et sans terre obtiennent une plus grande part de leur revenu de l’élevage que les personnes rurales plus aisées. Aussi un accroissement de la consommation des produits animaux peut-il réellement aider à augmenter le pouvoir d'achat en nourriture des pauvres et cette révolution de l’élevage pourrait devenir un moyen essentiel pour réduire la pauvreté au cours des 20 prochaines années si les politiques et les investissements appropriés sont mis en place (IFPRI, 1999). La biotechnologie animale peut fournir des protéines animales abondantes, plus saines et meilleur marché. On est en train de réaliser la transformation génétique du porc pour qu’il soit moins gras, des poulets résistants aux maladies bactériennes et des bovins dont la croissance est deux fois plus rapide avec moins d’aliment du bétail. Les agriculteurs pauvres qui possèdent quelques têtes de bétail verront leurs investissements mieux protégés en raison des progrès réalisés en santé animale grâce à l’obtention de meilleurs vaccins, moins chers, produits à partir d’ADN recombiné. La détection de maladies par diagnostic moléculaire profitera aussi aux troupeaux villageois en permettant le contrôle de leur diffusion et en améliorant la santé animale, donc en aidant les communautés rurales en général et en assurant la sécurité alimentaire des ménages.

Impacts immédiats des cultures de tissus et de la micropropagation

Les petits agriculteurs des pays en développement commencent à bénéficier des technologies de l’ADN; toutefois, pour de nombreux pays, surtout ceux ayant un faible capital technique, l’impact immédiat résidera dans la production et la distribution de variétés locales clonées indemne de maladies et multipliées végétativement. Les cultures concernées sont la banane, le plantain, le manioc, l’igname la pomme de terre, la patate douce, l’ananas, la canne à sucre, de nombreux arbres fruitiers tels que le pommier, le poirier, le prunier, le dattier, le manguier et le litchi, et de nombreux arbustes ornementaux et fleurs. Les avantages de la micropropagation sont immédiats et la disponibilité en main-d’œuvre à bon marché dans les pays en développement les rend très compétitifs dans l’utilisation de cette technologie. La micropropagation du bananier et de la canne à sucre a créé des emplois ruraux à Cuba et a permis l’exportation de propagules de plantes ornementales de l’Inde vers l’Europe. Ces cinq dernières années ont vu la création de près d’une centaine d’entreprises privées de micropropagation en Inde. En augmentant sa capacité de micropropagation Cuba pourrait satisfaire la demande intérieure et épargner ainsi 15 millions de dollars EU par an d’importation de plants de pomme de terre. L’industrie familiale cubaine de culture de tissus procure des emplois à mi-temps aux épouses rurales. A Shandong en Chine, la micropropagation de plants de patate douce indemnes de virus a permis une augmentation moyenne de rendement d’au moins 30 pour cent, et fournit un taux de rentabilité interne de 202 pour cent et une valeur nette de 550 millions de dollars EU (Fuglie et al., 2001). Au Kenya, les plantules de banane indemnes de maladies ont fortement augmenté les rendements qui sont passés de 8-10 à 30-40 tonnes/ha (Anonyme, 2000).

RECOMMANDATIONS POUR ACTION

Il y a toujours un risque inhérent à toute technologie ancienne ou nouvelle. On s’inquiète au sujet de la résistance accrue des ravageurs résultant des cultures Bt qui pourrait entraîner la perte du pouvoir insecticide de Bt. De tels risques peuvent être contrôlés au moyen d’analyses scientifiques et de la gestion des risques, y compris le suivi post commercial, associé à une gestion adéquate des systèmes de culture. Aux Etats-Unis, une expérience récente à grande échelle de cultures GM Bt montre le bien-fondé de cette approche. Tabashnik et al., (2000) ont rapporté que, contrairement aux attentes, on n’a pas observé de résistance accrue des insectes dans la région où est cultivé le coton-Bt en Arizona. De plus, des gènes de résistance aux insectes autres que Bt devraient être identifiés, réduisant ainsi les risques potentiels futurs.

Mettre plus l’accent sur les contraintes végétales et animales importantes pour les petits producteurs

Il est essentiel qu’un effort concerté soit mené pour s’assurer que les avantages de la biotechnologie sont à la disposition du maximum de petits agriculteurs des pays en développement afin de pouvoir contribuer à la réduction de la pauvreté et à un développement équitable. Malgré les réalisations et les progrès décrits cidessus, la grande majorité de la recherche a été dédiée à des cultures comme le soja, le maïs et le colza qui sont de première importance pour les grands producteurs commerciaux du monde industrialisé. Pour changer cet état de fait, il est nécessaire d’augmenter les ressources publiques internationales et nationales allouées: aux cultures dites «pauvres» comme le sorgho, la banane, les haricots et les lentilles; à la résistance accrue aux maladies des petits ruminants et de la volaille; et à certains caractères particulièrement importants pour les producteurs à bas revenu (fixation biologique de l’azote). Le partage des données de la séquence du génome du riz avec les chercheurs des pays en développement par le secteur privé (IFPRI 2000) et l’annonce faite récemment de la séquence du génome de la banane (http://www.inibap.org/new/genomics_eng.htm) sont des pas dans la bonne direction pour l’utilisation de la biotechnologie pour le bénéfice des pays en développement.

Les inquiétudes des habitants des pays industrialisés concernant l’impact des biotechnologies sur la sécurité et sur l’environnement constituent, sans aucun doute, une contrainte majeure à l’accroissement du financement international. Il existe deux façons de répondre à ces inquiétudes: une meilleure communication sur les risques réels et les bénéfices que l’on peut attendre de l’adoption des biotechnologies, et l’amélioration des mesures de sécurité. L’introduction des cultures GM pouvant entraîner des risques différents dans les différents pays, il est important que les organisations internationales, les secteurs privé et public, les donateurs et les autres parties prenantes des pays en développement répondent d’une façon appropriée aux inquiétudes publiques et assurent un suivi et un environnement réglementaire efficaces.

Développement des cadres réglementaires

Aider la planification économique

Promouvoir l’assistance technique entre les institutions nationales, régionales et internationales

CONCLUSIONS

L’impact de la biotechnologie au cours des 30 prochaines années dépendra dans une large mesure des stratégies que les pays adopteront pour améliorer leurs capacités techniques et pouvoir en bénéficier. La biotechnologie ne peut pas, à elle toute seule, stimuler la croissance économique et réduire la pauvreté; toutefois, ses innovations constituent certainement un instrument supplémentaire pour combattre la faim. Il y a plus de 30 ans, Théodore Schultz a montré que les agriculteurs pauvres sont des hommes d’affaires efficaces qui savent utiliser les ressources et la technologie à leur disposition afin d’obtenir un revenu maximum de leurs investissements. Le problème est qu’ils atteignent le point d’équilibre à un niveau très bas. De nouvelles innovations sont nécessaires afin d’élever ce niveau.

En raison d’un manque d’accès aux intrants nécessaires et de politiques inappropriées, la révolution verte a laissé de coté de nombreux petits producteurs. La «révolution du gène» peut finalement leur fournir l’opportunité de partager les bénéfices de la technologie si les politiques et les investissements appropriés sont mis en place. Il est important d’examiner les stratégies proposées (Byerlee et Fisher, 2000; Spillane, 1999), d’apprendre à partir d’études de cas (Paarlberg, 2000) et de formuler une stratégie mondiale qui canalise les bénéfices de la biotechnologie agricole vers les pauvres. Au sein de cette stratégie, les institutions internationales (donateurs, secteurs public et privé, institutions de recherche de pointe et ONG), dans le cadre de leurs différents mandats, devront mettre leurs ressources limitées en commun et coordonner leurs activités au moyen de réseaux techniques régionaux tels que le REDBIO, pour assurer le développement technologique et les transferts. Ces activités, ayant pour but de maximiser les bénéfices tout en minimisant les risques par des mesures de biosécurité au meilleur coût, reposent sur plusieurs fondements dont l’éthique, le dialogue public et les mesures de biosécurité. A cet égard, le rôle de la FAO pourrait être de collaborer avec ses partenaires pour aider les pays membres. Depuis 1999, la Conférence de la FAO et le Comité de la FAO pour l’Agriculture (COAG) ont recommandé que l’Agence renforce sa capacité d’assistance aux pays membres pour les aider à tirer profit du pouvoir de la biotechnologie (FAO, 1999; http://www.fao.org/unfao/bodies/COAG/COAG15/X0074E.htm et http://www.fao.org/biotech/index.asp?lang=fr). Cependant, le succès de cette stratégie dépendra largement des gouvernements nationaux qui, en fin de compte, sont responsables du développement des politiques appropriées et de l’allocation de ressources suffisantes à la recherche agricole dans leurs pays respectifs.


[257] Cette étude de cas est condensée de Le (2001).
[258] Les cultures Bt sont celles dont les gènes ont subi une manipulation à partir de la bactérie Bacillus thurigiensis. Ces gènes codent des endotoxines toxiques pour des classes spécifiques de ravageurs.
[259] L’apomixie peut être décrite comme un processus de reproduction (c’est-à-dire de production de semences) sans fécondation, assurant ainsi l’exacte duplication des gènes du stock parental.

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