Page précédenteTable des matièresPage suivante

Chapitre 2
Evaluation du stockage de carbone dans le sol et principaux changements

Afin d’estimer le potentiel de séquestration du carbone dans les sols sous divers scénarios pendant les 25 prochaines années (Batjes, 1999), il faut distinguer deux aspects: quels sont les stocks d’origine de carbone dans les sols, et quels sont les changements dans les stocks de carbone?

Mesure des stocks de C dans le sol

Lors de l’évaluation des stocks de carbone dans le sol, on ne tient pas compte de la matière organique au-dessus de la surface du sol. Pour les sols cultivés, cela signifie que les résidus des plantes ou des cultures sont considérés comme une phase transitoire; cependant, les résidus des cultures, les cultures de couverture ou le paillis sont des parties importantes de l’écosystème agricole. De la même façon, les détritus des forêts peuvent atteindre 8 à 9 kg/m2 pour les forêts tempérées (Dupouey et al., 1999), 5 ou 6 kg pour une forêt tropicale sur un ferrasol (Andreux et Choné, 1993). Les racines sont considérées comme une biomasse de carbone et dans les prairies par exemple, ce compartiment a une importance majeure.

La méthode la plus communément appliquée consiste à déterminer le carbone organique total à différentes profondeurs ou globalement pour un ou plusieurs horizons, et de transformer les données, en tenant compte de la densité apparente du sol. Les statistiques sont calculées sur différents échantillons afin de déterminer les réserves de carbone. Le résultat peut être exprimé en total de kg/m2, t/ha ou Gt (Pg) dans des zones et à des profondeurs spécifiées.

L’échelle peut être le site ou la parcelle, le bassin hydrographique, la région, un pays ou un continent spécifique ou la zone agro-écologique (FAO/ IIASA, 1999). L’extension spatiale est faite à l’aide de cartes digitalisées pour les différentes unités de sol considérées. Le nombre d’analyses des profils du sol utilisés est très important, et jusqu’à présent il y a eu un manque de bonnes données pour les sites-références.

Il existe trois références importantes concernant l’évaluation des stocks de carbone des sols au niveau mondial. Sombroek et al. (1993) ont utilisé la carte FAO/Unesco des sols du monde au 1/5 000 000 et environ 400 profils de sols regroupés selon des unités FAO avec détermination des fourchettes et des moyennes de teneurs en carbone et de densité pour chaque unité de sol. Ils ont été capables d’estimer aussi les stocks de carbone organique par type de sol et le stock au niveau mondial.

Post et al. (1982) et Eswaran et al. (1993) ont utilisé la classification américaine et un plus grand nombre de profils (près de 16 000), la majorité venant de pedons aux USA (WRC-SCS). La valeur du stock de C organique a été estimée à 1 550 Pg. Des détails sont donnés concernant les stocks pour les différents ordres ou sous-ordres et pour différentes profondeurs des profils. En conclusion, leurs auteurs mettent en avant l’importance dans l’estimation de la prise en compte de l’utilisation du sol et des changements de gestion des sols.

Tableau 2
Teneur moyenne en carbone organique pour quelques types de sols (Classification FAO-UNESCO et WRB) (d’après Batjes 1996)

L’intervalle de variation est toujours élevé (40 à 100)

Plus récemment Batjes a poursuivi l’estimation avec la banque de données Wise comprenant 4 353 profils (1996) (19 222 analyses de C) avec une distribution géographique plus représentative.

L’étude confirme un stock total de carbone de 1 500 Pg dans les horizons supérieurs (0–100 cm) mais révèle aussi la présence de stocks important de C stable entre 100 et 200 cm tout spécialement dans les sols tropicaux (tableau 2). L’auteur considère que le système d’information sur les sols (FAO/Unesco) n’est pas complètement adapté pour estimer les changements de propriété des sols induis par les changements d’usage des sols ou par d’autres facteurs (par exemple le changement climatique).

Au niveau mondial on doit noter que l’ IPCC (2000) prend comme référence un stock total dans les sols de 2000 Pg (pour une profondeur de 1 m) incluant les débris organiques.

Il existe (Batjes, 1996) une grande variation des teneurs en carbone organique relativement aux types de sol. Les valeurs vont de 2 kg/m2 pour les Xerosols ou les Arenosols à plus de 10 kg pour les Podzols, les Andosols ou les Rendzines (tableau 2). Les quantités totales de carbone dans les sols des zones arides (Xerosol, Yermosol) sont basses, autour de 7 kg/m2, comparé aux sols des tropiques, de l’ordre de 15 à 30 kg/m2, mais celles-ci sont variées selon la texture et la minéralogie. Ce qui importe c’est que la teneur en carbone peut doubler entre une profondeur de 30 cm à 1 m et être multipliée par quatre jusqu’à 2 m.

La teneur du sol en carbone dépend des principaux facteurs à long terme de la formation du sol, mais elle peut être fortement modifiée, dégradée ou améliorée par les changements d’utilisation du sol et la gestion du sol.

La plupart des études statistiques citées sur les stocks et la distribution du C sont basées essentiellement sur des cartes des sols. Récemment, des estimations similaires ont été faites en France (Arrouays et al., 1999) qui prennent en acompte à la fois les types de sols et la couverture végétale. Les analyses du C du sol qui étaient disponibles étaient des données pédologiques géoréférencées de la base nationale de données sols et des données provenant d’un réseau systématique de surveillance des sols (16km/16 km)disponible à l’échelle européenne pour les sols forestiers. L’information venant de la carte pédologique et celle venant de l’utilisation du sol ont été utilisées pour produire des statistiques simples sur les stocks de carbone pour différents usages du sol (avec 13 usages selon les définitions de Corine Land Cover) et les types de sols (avec 17 groupes de sols selon la FAO). Le nombre total de combinaisons existantes était de 138. La carte de France résultante pour le carbone du sol permet aussi d’évaluer le stock de carbone total (3,1 Pg pour une épaisseur de 30 cm), et aussi d’identifier les principaux facteurs qui contrôlent la distribution du carbone: utilisation des terres, type de sol, ou autres caractéristiques (climatiques ou pédologiques).

Tableau 3
Stocks totaux de carbone organique du sol (SOC) en (Pg C) et capacité moyenne de séquestration par grande zone agro-écologique (pour une profondeur de 30 cm et 1 m)

Source: Batjes, 1999

D’autres publications ont tentées des combinaisons similaires entre type de sol et végétation (Howard et al.,1995 pour la Grande Bretagne; Moraes et al., 1998 pour Rondonia, Brésil; Van Noordwijk et al.,1997 pour les zones de forêt humide).

A la fois les sols et l’utilisation du sol doivent être utilisés pour déterminer les stocks de carbone du sol. Les facteurs liés au sol sont important comme les facteurs liés au climat, pour expliquer le stockage de carbone sur de longues périodes de temps, les changements dans la végétation ou l’utilisation des terres déterminent les variations de carbone à court terme. Souvent, néanmoins, l’histoire de l’utilisation des terres n’a pas été documentée pour la plupart des profils de sol disponibles.

Il y a aussi (Batjes, 1999) de grandes variations dans la distribution du stock total de carbone selon les zones écologiques majeures (tableau 3). Ces zones montrent de grandes différences dans la réserve de carbone organique, surtout relativement à la température et aux précipitations. Le carbone du sol emmagasiné sur 1 m de profondeur, représente à peu près 4 kg/m2 (dans la zone aride) et 21–24 kg/m2 (dans des régions polaires ou boréales), avec des valeurs intermédiaires de 8 kg dans les zones tropicales. La contribution totale des régions tropicales au réservoir de carbone du sol serait dans un éventail de 400 Pg (jusqu’à 1 m), comparé à 2 000 Pg pour le monde (2 456 Pg jusqu’à 2 m). La zone aride, qui couvre 40 pour cent de la surface des sols du monde, emmagasine seulement 5 pour cent (100 Pg) du total. Ces zones agro-écologiques, développées par la FAO, peuvent constituer un cadre de référence pour évaluer et suivre la réserve de carbone dans les sols.

Figure 5

Evolution de la teneur en carbone dans les sols entre 1928 et 1991 avec ou sans fumier (site expérimental de l’INRA, Versailles «quarante deux parcelles»)

Evaluation des changements de stocks

Il existe de nombreux exemples historiques bien documentés sur le changement des stocks de carbone dans le sol des zones tempérées. La plupart de ces exemples sont le résultat d’expériences agronomiques à long terme.

L’expérience dite des «42 parcelles» de Versailles (INRA) a été mise en place en 1929 sans culture et en enlevant la végétation naturelle mais avec un retournement manuel.

Une série d’expérimentations ont été menées avec ajout d’amendements (chaux-matière organique) et de fertilisants. Le sol est l’un des sols limoneux de grande culture, le plus courant en France, avec un contenu initial en carbone de 1,7 pour cent. En 50 ans (figure 5), la teneur en carbone organique a décrue de 60 pour cent (teneur en C de 0,7 pour cent), par contre dans le sol recevant des quantités élevées de fumier (100t/ha/an), l’accroissement a été de 50 pour cent (teneur en C de 2,5 pour cent).Dans les deux cas, la pente de la courbe s’amortit avec le temps.

L’expérience de Rothamsted (blé de Broadbalk) est la plus ancienne et la plus connue des expériences agronomiques à long terme. Mise en place en 1843, avec des cultures en continu de blé et avec des rotations, elle a fait l’objet de différents traitements. L’épandage de fumier a eu pour résultat de doubler la teneur en carbone organique, mais rien qu’avec des résidus des cultures, la teneur en carbone du sol est restée stable. Dans la même série d’expériences (Rothamsted Highfield), la conversion de la prairie en sol arable a eu pour résultat 55 pour cent de perte de carbone en 20 ans, les teneurs passant de 3,5 à 2 pour cent C (figure 6). Des pertes en carbone similaires sont retrouvées là où la prairie naturelle a été convertie en terre cultivée au Canada ou aux États-Unis.

Figure 6

Evolution du carbone dans l’expérience de Rothamsted-Highfield pour la conversion prairie-terre arable (d’après Johnson, 1973)

Les pertes en matière organique lors de la déforestation sont du même ordre.

Figure 7

Evolution de la teneur en carbone organique après déforestation et mise en culture de maïs (Arrouays et al., 1994)

Une autre expérience de longue durée (90 ans) est l’expérimentation de Bad Lauchstadt qui démontre l’effet positif de la fertilisation (tout spécialement N) sur la teneur du sol en carbone.

De telles expérimentations de longue durée rendent possible l’évaluation des effets de changement du couvert végétal ou de l’utilisation des sols et sont la base essentielle pour évaluer le modèle.

Elles sont actuellement incluses dans un réseau (SOMNET) sur la matière organique du sol (Powlson et al., 1998). Pour une bonne partie de ces expérimentations le labour conventionnel était inclus dans les pratiques standards. Néanmoins, quelque expérimentations de relativement courte durée (autour de 20 ans) aux États-Unis, (Dick et al., 1998), en Allemagne (Tebruegge et Guring, 1999) et Russie (Kolchugina et al., 1995) rendent possible l’évaluation des différents types de pratiques culturales ou du non-labour sur le stockage du C. Le labour peut diminuer la teneur en C organique de 10 à 30 pour cent.Aux Etats Unis, un réseau de suivi spécial régional (grandes plaines centrales) a été mis en place à ce sujet (Lyon, 1998).

Des expériences existent pour les forêts tempérées (Arrouays et Pélissier, 1994) et tropicales (Neill et al., 1998), ce qui permet l’évaluation des effets du déboisement et du reboisement sur la réserve en carbone du sol. Le déboisement entraîne généralement la perte presque totale de la biomasse et une perte de carbone du sol de 40 à 50 pour cent dans l’espace de quelques décennies, dont la moitié se produit en moins de 5 ans (figure 7). L’équilibre dépendra alors de la nouvelle utilisation du sol. Dans le cas de déboisement suivi par une prairie, les études isotopiques de carbone montrent le remplacement relativement rapide de la réserve de carbone originelle de la forêt par des composés du carbone dérivés de la prairie. Avec le boisement, le carbone de la surface du sol et le carbone, du sous-sol augmentent, mais lentement, selon le taux de croissance des arbres.

Différentes expérimentations sur les émissions ou la séquestration du carbone ont été conduites dans les régions tempérées. Une grande variété d’études comparatives de longue durée montrent que les systèmes organiques et durables améliorent la qualité des sols en augmentant les teneurs organiques des sols et en carbone avec un accroissement de l’activité microbiologique: aux USA (Lockeretz et al., 1989; Wander et al., 1994, 1995; Peterson et al., 2000), en Allemagne(El Titi,1999; Tebruegge, 2000), UK(Smith et al., 1998; Tilman,1998), Scandinavie (Ketterer et Andren, 1999), Suisse (FiBL, 2000), et Nouvelle Zélande (Reganold et al.,1987).

Des expériences à long terme existent aussi dans d’autres parties du monde, une liste annotée partielle est disponible sur le site de la FAO sur l’Internet1 . Elles sont souvent relatives aux centres de recherche agricole internationaux (Greenland, 1994). Concernant l’utilisation durable du sol, il est nécessaire d’établir une base de données (Swift et al, 1954).

Figure 8

Changements simulés du carbone du sol (0-20 cm de profondeur) de 1907 à 1990 pour la zone à blé de la plaine centrale des Etats-Unis (d’après Smith, 1999)

L’évaluation récente du budget de carbone des USA et spécialement la contribution des changements d’usage des terres (Lal et al., 1998a; Young, FAO/IFAD 1999; Houghton et al., 1999) a donné lieu à quelques polémiques à propos de l’importance du puits de carbone dans les sols (Field et Fung, 1999).Pour cela les États-Unis ont été divisés en sept régions géographiques, chacune d’elle comprenant plusieurs écosystèmes naturels, sans inclure les terres cultivées ou les prairies. Dans ces évaluations, la nature du sol n’était pas prise en compte. Les indications sont qu’avant 1945, le développement de l’agriculture a dégagé 27 Pg C vers l’atmosphère, principalement à partir du sol dont la teneur en matière organique a décru de près de 50 pour cent. Après 1945, on a atteint un plateau. À l’aide de la modélisation, une accumulation de 2 Pg a été prévue, grâce à l’implantation du labour réduit. Les changements simulés du carbone total du sol pour une profondeur de 0-20 cm sont présentes dans la figure 8 (Smith, 1999). Selon le développement du labour réduit, le taux d’augmentation du carbone du sol peut être plus élevé.

Dans les pays du Nord (Canada, ex Union Soviétique), on constate des évolutions semblables et le même genre de résultat de simulation dans le cas de gestion sans labour (Gaston et al., 1993).

Des estimations similaires sur les flux annuels de séquestration du carbone ont été conduites en France par Balesdent et Arrouays (1999) et Arrouays et al., (1999). Le calcul était basé sur des relevés historiques d’utilisation des terres avec des attributions de stock moyen de C en équilibre avec chaque type d’utilisation du sol. Les valeurs de stocks vont de 20 à 30 t/ ha pour les jachères ou les vignobles, 40 pour les sols cultivés, 60 à 70 pour les prairies et forêts. Afin d’évaluer l’effet de l’utilisation des terres sur les stocks, un modèle simple de dynamique du C a été couplé avec différents taux de décomposition de la matière organique. En utilisant cette méthode, il a été possible de montrer que les sols de France ont accumulé plus de 4t C /ha durant le dernier siècle, avec de fortes variations historiques. Une carte récente des stocks de carbone en France est jointe en annexe (Arrouays et al., 2000).Ces approches basées sur l’utilisation des terres et les flux sont complémentaires de celles basées sur les stocks de carbone dans les sols.

Il existe plusieurs modèles de changements de l’utilisation du sol et de la dynamique de C, qui permettent la généralisation spatiale ou la simulation de C du sol selon les changements de l’utilisation du sol. Aux Etats-Unis, deux modèles de sol sont communément utilisés: Century et DNDC (qui peuvent associer les processus de dénitrification et de décomposition). Ils sont habituellement liés à un système d’information géographique (SIG). Les deux modèles exigent des données climatiques (températures et précipitations) sur les sites, qui sont groupés selon les caractéristiques générales du site, et les caractéristiques du sol (en particulier la texture) ainsi que l’information sur la gestion du sol (rotation des cultures, rendement, labour, irrigation, fumure). Concernant la matière organique, on fait la distinction entre deux formes de résidus (métaboliques et structuraux), de même qu’entre trois compartiments de SOM (actif, lent, passif), avec différentes durées de résidence. Chacun de ces modèles est conduit pour un scénario avec un seul type de sol, une seule rotation, un certain type de labour et pour un climat donné. Les productions des modèles sont la réserve en C du sol, le rendement cultural et les émissions de différents gaz.

Un modèle français a été mis au point par Arrouays et Pélissier (1994), dans le but de prévoir l’effet de l’utilisation des terres sur la dynamique du carbone. Ce modèle dénommé Morgane prend en compte différents compartiments organiques. Il a été testé dans différentes régions tropicales (Antilles, Brésil).Un numéro spécial de Geoderma (1993, 81) a été consacré à la comparaison de 9 modèles différents utilisant les données des expérimentations de longue durée dans les régions tempérées, et une application a été faite par Smith et al (1997) aux régions tropicales. Ces modèles peuvent être également utilisés pour simuler les effets du changement climatique (Paustian et al.,1998b).

Le projet FAO-IFAD sur la séquestration du carbone utilise un modèle appelé «RothC–26–3» (Jenkinson et Rayner 1997), qui a été mis au point à partir des expérimentations de Rothamsted sur le cycle de la matière organique dans les régions tempérées, mais pas encore étendu aux régions tropicales (Ponce–Hernandez ,1999).

Le modèle RothC, lié à un GIS, a déjà été utilisé au niveau national en Hongrie (Falloon et al.,1998).Il a déjà été considéré comme un modèle possible pour l’évaluation du potentiel de séquestration du carbone de l’Afrique de l’Ouest en utilisant un système d’information sur les terres (Batjes, 2001)


http://www.fao.org/WAICENT/AGICULT/agll/globdir/index.htn

Page précédenteTop Of PagePage suivante