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Chapitre 3: LES STRATÉGIES DES CONSOMMATEURS


3.1 - Le consommateur et la sécurité alimentaire
3.2 - Le petit commerce, une garantie pour la survie
3.3 - Les assurances et crédits informels, et les systèmes de solidarité
3.4 - Le pouvoir d’achat et la structure des dépenses
3.5 - La sécurité alimentaire et les habitudes de consommation
3.6 - Le consommateur en insécurité alimentaire et le marché des vivres
3.7 - Conclusions et contraintes
3.8 - Questions

3.1 - Le consommateur et la sécurité alimentaire

Les consommateurs, qui se trouvent en insécurité alimentaire adoptent des stratégies de survie. Tout d’abord, ils adoptent d’autres habitudes alimentaires (voir section 3.5) afin de maximiser leur niveau de consommation et le développement de certaines activités économiques (souvent le petit commerce) (voir section 3.2), et ensuite ils organisent des systèmes informels de solidarité afin de minimiser les risques généraux (voir section 3.3).

Dans une première phase d’insécurité alimentaire, le consommateur change ses habitudes alimentaires. Afin de maintenir le niveau de la consommation au niveau du ménage et de l’individu, les produits les plus coûteux sont remplacés par des substituts ou d’autres aliments moins chers (voir section 3.4). Premièrement, une baisse du pouvoir d’achat se reflète généralement dans une augmentation de la part relative des vivres caloriques (céréales, tubercules, manioc, etc.), qui remplacent les aliments riches en protéines (viande, soja, haricots, volaille, poisson, etc.). Deuxièmement, des changements entre les composantes de chaque groupe de produits interviennent: entre les différentes catégories de céréales, de viande, de poisson, de légumes, etc.; les céréales les plus chères sont remplacées par d’autres moins coûteuses; la viande de première qualité par les abats, le riz de première qualité par les brisures, les carottes par les feuilles de manioc, etc. En cas de réduction du pouvoir d’achat, le résultat de ces deux types de substitutions se traduirait par:

Pour un adulte de 55 kg, menant une vie normale et active, la consommation minimale d’énergie nécessaire s’élève à environ 2 450 kcal par jour. La qualité n’implique pas une quantité suffisante, comme c’est souvent le cas dans les modèles nutritionnels basés sur le manioc (par exemple au Zaïre).

Dans une deuxième phase d’insécurité alimentaire, la consommation est souvent repoussée à des niveaux dangereusement bas. Même en achetant les aliments les moins chers, le consommateur ne réussit plus à absorber le minimum en calories et en protéines. Le régime alimentaire de la population en insécurité alimentaire est généralement extrêmement monotone et ne contient que quelques vivres, les moins chers. Il est caractérisé par un rôle prépondérant des vivres caloriques, par une insuffisance des protéines et des micro-élements.

La sécurité alimentaire a été définie en termes d’accès en mettant l’accent sur l’individu. La prise de conscience de l’importance de la perception culturelle de l’alimentation a conduit à un élargissement du concept de la sécurité alimentaire.

Les stratégies de survie individuelles sont en général complétées par diverses stratégies de groupe comme l’épargne collective, l’échange de travail, etc. La réciprocité et les liens informels sont à la base de ce système dont le succès repose sur des normes sociales et sur l’intérêt de chacun de continuer à suivre les règles du jeu. Ces systèmes offrent bien une solution pour les risques spécifiques, mais pas pour les risques généraux. Si, dans une région déterminée, chacun est touché par une baisse de l’offre d’emploi, les synergies informelles apportent peu de solutions. A ce moment-là, seules comptent les propres stratégies individuelles, dont fait partie la vente des biens personnels. Les aspects informels des assurances sont commentés dans la section 3.3.

3.2 - Le petit commerce, une garantie pour la survie

La population en insécurité alimentaire vivant dans une métropole africaine, a généralement accès à un choix très limité d’activités. Les investissements se font souvent dans le petit commerce de distribution des vivres pour les femmes, et de collecte et de transport des produits agricoles pour les hommes, en raison des barrières d’entrée extrêmement basses. Pour la plupart de ces femmes, qui sont souvent nées en milieu rural, qui ne connaissent que l’agriculture et le commerce de vivres, qui ont un niveau d’éducation restreint, et qui ne parlent souvent que les langues vernaculaires, il n’existe pas d’autres sources d’emploi dans une métropole, surtout en période de crise économique. Ces femmes ne font presque jamais appel aux caisses d’épargne pour les crédits de démarrage et les fonds de fonctionnement d’une petite entreprise familiale. Généralement, les fonds nécessaires sont fournis par la famille. Le conjoint constitue la principale source des capitaux investis: le mari prélève de son salaire un montant qu’il met à la disposition de son épouse lui permettant de s’installer au marché de détail ou d’organiser la vente des biens de première nécessité sur une table devant son habitation.

Le premier souci d’un ménage qui vit du salaire mensuel du mari, est d’acheter un sac de manioc. Dès l’achat de ce sac, la survie de la famille jusqu’au mois prochain est en principe garantie. Le reste de l’argent est investi dans la marchandise qui est vendue au marché de détail par l’épouse ou la fille. Cette activité commerciale aide les ménages à faire un bénéfice direct et à réduire les risques généraux, ainsi:

Il est clair que “gagner un revenu supplémentaire” n’est que l’une des motivations pour exercer un commerce. Les marchés de détail jouent également un rôle social en situation de crise, rôle qui, pour les marchés de détail, empêche une compétition saine et efficace, d’où une augmentation des marges de distribution (voir section 4.1). En fait, les commerçants sur le marché évitent de se faire concurrence sur la base des prix, c’est-à-dire de “casser les prix”.

Parfois les vendeurs ont reçu un don de leur famille pour monter un commerce. Les fonds retournent généralement aux besoins familiaux en cas de nécessité, ce qui empêche souvent une bonne gestion et une croissance régulière des entreprises. Chaque fois que la famille a un problème financier, les fonds de roulement de l’entreprise sont utilisés. Le commerçant est obligé de repartir à zéro.

3.3 - Les assurances et crédits informels, et les systèmes de solidarité

Il existe toute une série de systèmes informels d’assurance, de crédit, de financement et de solidarité, souvent organisés par les commerçants sur les marchés de détail. En fait, il s’agit principalement de systèmes d’épargne collective et non pas d’un véritable crédit.

Le “crédit en nature” est surtout pratiqué après la période de récolte, lorsque les produits abondent sur les marchés et que les semi-grossistes (et les colporteurs) ont des difficultés à les écouler. A ce moment-là, il arrive que les semi-grossistes cèdent une partie des produits vivriers aux détaillants moyennant une caution, ou parfois même sans caution quand il s’agit d’une personne à qui le semi-grossiste fait confiance. Le détaillant vend les produits et perçoit sa marge bénéficiaire, ensuite la différence est remise au semi-grossiste. L’inconvénient est que le prix de détail sur les marchés peut baisser alors qu’une convention sur le remboursement a déjà été conclue. Les détaillants recevant parfois des produits à crédit représentent 22%. Le crédit est habituel dans le commerce du manioc (36%) et des bananes (33%) et peu habituel dans le commerce du maïs (14%), du riz (9%), des arachides (17%) et des haricots (16%). Cette forme de crédit, consent à 73% des personnes de ne rien payer à la livraison, à 13% de payer moins que la moitié de la valeur et à 14% de payer la moitié ou plus.

Le “likelembe” consent à un groupe de personnes de décider de mettre à la disposition de l’un des membres, un montant fixe suivant un calendrier de remboursement déterminé. Ce système est surtout populaire auprès des détaillants en produits vivriers: 27% des détaillants pratique le likelembe. La contribution moyenne est de 2,5 dollars par mois. Dans ce cas, cinq membres s’engagent par exemple à verser chacun 2,5 dollars par mois à l’un d’entre eux. Pendant les cinq mois qui suivent, chaque membre recevra une seule fois 12,5 dollars. Toutes les cotisations sont remises à un membre appelé “mama ya likelembe”. C’est lui qui reçoit l’argent et assure le respect du calendrier commun. Le délai de déroulement du likelembe varie selon le calendrier: un jour, une semaine, quinze jours ou un mois. La moitié de ces personnes utilise cet argent pour le commerce et la famille, un tiers pour augmenter les fonds de roulement du commerce. Il existe plusieurs inconvénients au likelembe, car il s’agit d’un véritable emprunt sans intérêt pour le premier bénéficiaire et d’une épargne sans intérêt pour le dernier. En cas de forte inflation, la perte de pouvoir d’achat pour les derniers est importante. Le retrait unilatéral du likelembe ou l’incapacité financière de continuer l’opération fait perdre au membre sortant le droit d’être remboursé dans les délais prévus antérieurement et il n’existe aucune garantie pour les membres en cas de non-remboursement ou de décès de l’un des participants.

Le “muziki” est un système qui ressemble au likelembe. La seule différence est qu’avec l’argent cotisé le bénéficiaire doit organiser une fête pour les autres membres.

Dans le système des “cartes”, les détaillants placent les bénéfices ou une partie de ces derniers chez une personne surnommée “papa carte” ou “mama carte”. Les versements se font suivant un délai et un montant fixe. Il y a par exemple des cartes d’un mois avec un montant fixe par jour, des cartes d’une semaine, etc. Le montant est inscrit sur une fiche gardée par l’épargnant et dans un registre. L’argent est collecté sur le marché-même par l’organisateur du système des cartes qui passe d’une table à l’autre, et qui utilise l’argent pour ses propres besoins. Dans ce système, l’organisateur ne prélève pas de pourcentage déterminé. Au moment où l’épargnant retire son argent l’organisateur du système prélève le versement de base. En supposant qu’il s’agisse de versements journaliers avec un retrait après un mois (30 versements par mois), les frais d’épargne sont de 3% (1/30). Les vendeurs participant au système des cartes représentent 37%. La contribution journalière moyenne est de 0,3 dollar et varie entre 0,06 et 0,8 dollar par jour.

La “Banque Lambert” est un système qui consiste à accorder un crédit pour une période d’un mois, mais avec un taux d’intérêt allant de 20 à 50%. Il s’agit d’un système dangereux pour le détaillant, car les marges bénéficiaires des produits vivriers sont généralement basses. Le système est parfois utilisé par ceux qui cherchent un fonds de démarrage ou qui veulent renforcer leur fonds de roulement.

En conclusion, la masse populaire s’adresse peu aux institutions de crédit formelles. Les formalités sont trop lourdes, des garanties sont demandées et la perte de temps pour retirer l’argent est trop grande. Les nombreuses réformes du secteur financier zaïrois dans le passé ont diminué la confiance dans les instituts formels. Le système des cartes offre de meilleures conditions aux détaillants: il n’y a aucune perte de temps, ni de frais de transport, car l’argent est collecté et remboursé sur place et peut être retiré chaque jour. De plus, les frais sont minimaux. Etant donné qu’il s’agit généralement de petites sommes et que les frais se situent autour de 3%, le système coûte moins cher qu’un compte en banque.

Mais l’inflation galopante est telle que ces systèmes ont actuellement perdu de leur importance. Le dollar est utilisé pour les épargnes, et la coupure minimale d’un dollar est moins accessible aux plus démunis.

3.4 - Le pouvoir d’achat et la structure des dépenses

En termes réels, les salaires ne représentaient en 1985 que 73% du niveau de 1975 pour le secteur privé et 24% pour les agents de l’administration publique (Banque du Zaïre, 1988). Depuis 1985, le pouvoir d’achat s’est encore considérablement détérioré en raison d’une érosion des salaires, d’une quasi-disparition du secteur formel et d’un non-paiement des salaires dans le secteur public depuis quelques années. En janvier 1996, le salaire mensuel d’un enseignant était de 3 à 4 dollars, et celui d’un professeur de 5 à 8 dollars. Les fonctionnaires avaient des salaires du même ordre de grandeur, et ces salaires n’étaient pas payés régulièrement. En 1995 et en 1996, la crise de l’Etat zaïrois a eu des implications catastrophiques.

Malheureusement, la dernière enquête sur les budgets des ménages au Zaïre date de 1986. En 1969, 1975 et 1986, Houyoux (1986) a effectué des enquêtes sur le budget et la consommation des ménages à Kinshasa, qui sont la principale source d’information sur les habitudes alimentaires.

En 1975, un ménage moyen comptait 5,8 membres et 7,3 membres en 1986, soit une augmentation de 25%. Ceci est une indication de la pression sociale sur les ménages: la jeune génération se marie plus tard, les familles sont obligées de loger plus de membres du clan, etc. Les dépenses par membre avaient diminué de 26% entre 1975 et 1986. Les dépenses par personne ont diminué de 20% pour la nourriture, de 60% pour les vêtements, de 40% pour l’éducation; elles sont restées stables pour le transport et les soins de santé. Bien qu’il n’existe pas de données, on peut supposer, au vu du cadre macroéconomique, que la situation s’est détériorée considérablement depuis 1986.

Les enquêtes ont révélé qu’en 1986, la nourriture constituait 62% du budget d’une famille à Kinshasa (voir tableau 1). Les ménages les plus pauvres dépensaient 70% de leur revenu pour l’alimentation; les ménages les plus riches seulement 50%. Ces niveaux sont extrêmement élevés, ce qui démontre l’impact potentiel d’une baisse des prix des vivres. La nourriture est la composante la plus inélastique du budget familial. Les élasticités-revenus étaient de 0,62 pour les vivres, 1,02 pour le logement, 2,55 pour les vêtements, 3,8 pour les investissements en logement, et 0,79 pour le transport. Une élasticité-revenu de 0,62 implique qu’une hausse du revenu de 1% aboutit à une augmentation de la consommation des vivres de 0,62%. Pour les plus démunis, l’élasticité-revenu pour la nourriture de base est actuellement probablement autour de 1%: une hausse du revenu de 1% aurait pour résultat une augmentation de la consommation des produits de base de 1%.

Tableau 1: STRUCTURE DES DÉPENSES DE LA CONSOMMATION FAMILIALE À KINSHASA EN 1969, 1975 ET 1986



1969

1975

1986

1986

%

%

%

(ZA)

Vivres

67,4

59,6

62,1

5315

Logements

14,9

15,9

15,8

1353

Vêtements

7,3

9,3

4,7

402

Transport

4,4

7,4

9,4

804

Dépenses diverses

3,0

4,6

4,4

275

Education

1,0

0,8

0,6

61

Soins de santé

2,0

2,4

3,0

258

Total

100

100

100

8568

Total en zaïres

31,42

79,59

8568

8568

Nombre de personnes





par ménages

5,9

5,8

7,3

7,3

Nombre de ménages





dans l’enquête

1471

1367

205

205

Comparaison de l’indice des prix et de l’indice des dépenses totales

Prix

100

244

27701


Dépenses par ménage

100

253

27253


Dépenses par personne

100

257

22026


Source: Houyoux, J. 1986.
Les ménages se sont adaptés de plusieurs façons à la baisse du pouvoir d’achat durant cette longue période. Les changements du régime alimentaire sont commentés dans la section 2.1. Les ménages ont désinvesti depuis des décennies afin de maintenir les dépenses pour la nourriture à un niveau acceptable. Actuellement, ils se trouvent probablement au niveau le plus bas, comme le démontre le nombre de plus en plus petit de biens de base: de 79 à 50 grands lits pour 100 ménages de 1969 à 1986, de 348 à 207 chaises, de 180 à 154 lits, de 50 à 38 radios. Les maisons sont construites avec la main-d’oeuvre familiale, parce que le taux d’inflation et les frais de construction élevés réduisent les possibilités de construire à bas prix. L’investissement en logement est la forme d’épargne la plus valable et la plus répandue. La qualité des maisons a diminué en choisissant d’autres matériaux de construction, en construisant meilleur marché ou en dépensant moins pour l’intérieur et l’entretien.

La pauvreté actuelle de la majorité de la population est la principale cause de la malnutrition. A Kinshasa, les revenus moyens ne sont pas suffisants pour l’achat d’un panier minimal de nourriture et la distribution des revenus est extrêmement inégale: 10% des ménages gagnant plus de 50% du revenu total de la ville et 90% des ménages gagnant les autres 50% du revenu (Houyoux, 1986).

3.5 - La sécurité alimentaire et les habitudes de consommation


3.5.1 - Les vivres caloriques
3.5.2 - La viande de boeuf, le poulet et le poisson
3.5.3 - Les légumes

3.5.1 - Les vivres caloriques

Le rapport entre la quantité de produits de base (manioc, maïs, riz, bananes plantains, pain) consommée par personne en 1986 et en 1975 est de 1,01. Bien que la quantité consommée de ces produits de base n’ait pas changé durant cette période, les dépenses par mois et par personne ont baissé de 37% en termes réels pour ces produits entre 1975 et 1986. La population urbaine a pu profiter des baisses considérables des prix des cossettes de manioc (- 28%), du riz (- 47%), du maïs (- 66%) et du pain (- 66%) pour maintenir la consommation. Ces baisses sont le résultat d’une baisse des prix au niveau mondial, d’une pression des produits importés sur les prix des produits locaux, des dons, etc.

Bien que la consommation totale (en kg) des produits de base soit restée stable entre 1975 et 1986, des glissements dans la consommation des cinq produits examinés (manioc, maïs, pain, riz, bananes plantains) ont eu lieu. Ils sont principalement causés par les changements des rapports de prix. Selon Houyoux (1986), la consommation du manioc est passée de 6,1 kg par mois et par personne en 1969 à 5,4 kg en 1975 et à 4,6 kg en 1986 (voir tableau 2). Cette chute est uniquement causée par une baisse de la consommation des tubercules frais et des chikwangues[1]. La consommation des cossettes[2], la source de calories la moins chère, s’est stabilisée, mais celle des deux autres formes les plus chères a baissé. Les zones de production des tubercules frais et des chikwangues n’ont guère changé (milieu périurbain, jusqu’à 150 km du centre-ville), bien que la population de Kinshasa n’ait cessé de croître. Il en résulte une hausse relative des prix par rapport aux cossettes. L’offre des cossettes par contre, a pu suivre la demande grâce au désenclavement de la région du Bandundu. La durée restreinte de conservation des chikwangues limite les zones qui peuvent approvisionner Kinshasa. Cette restriction implique que la production n’a pas pu suivre la demande, provoquant ainsi une hausse des prix. Au contraire, la production des cossettes s’est adaptée à la demande. Depuis la fin des années 70, quand la route nationale Kinshasa - Kikwit a été asphaltée, la région du Bandundu est devenue le principal fournisseur de manioc à Kinshasa, et le prix a baissé: les cossettes sont devenues relativement moins chères que la chikwangue.

Les chikwangues ont été remplacées dans le régime alimentaire par le pain, le riz et le maïs, dont la consommation a augmenté de respectivement 34, 44 et 38% de 1975 à 1986. La substitution a une dimension ethnique: la chikwangue et le riz sont deux produits de base du même groupe de population, à savoir les habitants des forêts du Mayombe et les tribus de la cuvette centrale, de l’Oubangui et de l’Uele. Le pain aussi, qui comme la chikwangue ne nécessite aucune préparation, est un substitut idéal.

Ces dernières décennies, le pain est surtout devenu important pour le petit déjeuner et pour la consommation quotidienne dans la rue durant la journée. Le pain, qui a l’avantage d’être préparé rapidement et consommé sans suppléments, risque d’être difficilement remplaçable, une fois que la population s’y est habituée, surtout si son prix concurrence celui du manioc. A Kinshasa, la consommation de pain est passé de 1,17 kg par mois et par personne en 1976 à 1,58 kg en 1986.

Le maïs est un produit de base de la population originaire du Kasaï et du Shaba. Pour ce groupe, la demande est probablement moins sensible au changement de prix que pour le reste de la population. La consommation moyenne par Kinois est basse, bien qu’elle soit passée de 220 g à 310 g par mois et par personne entre 1975 et 1986, ce qui peut être considéré comme une réaction aux changements des prix. Vers la fin des années 1980, la population semblait s’intéresser plus à la farine de maïs dont le prix était plus intéressant que celui du manioc. Ceci a abouti à une consommation de mélanges de farine (manioc et maïs). Une bouillie à base de farine de maïs est également devenue populaire pour le petit déjeuner.

Tableau 2: CONSOMMATION DES PRODUITS DE BASE À KINSHASA EN 1969, 1975 ET 1986

Produits

Consommation

Dépenses réelles

Ratio

(kg/mois/personne)

(ZA/mois)

Q86/ Q75

P86/ P75

1969

1975

1986

1969

1975

1986

Manioc

6,12

5,38

4,60

651

647

427

0,85

0,73


cossettes

4,17

4,05

4,29

484

516

391

1,06

0,72


tubercules

0,91

0,23

0,06

76

19

5

0,26

1,00


chikwangues

1,04

1,10

0,24

91

112

31

0,22

1,27

Pain

1,77

1,17

1,58

457

339

156

1,34

0,34

Riz

0,61

0,74

1,07

168

218

168

1,44

0,53

Plantains

0,37

0,32

0,44

20

24

40

1,36

1,22

Maïs

0,27

0,22

0,31

45

44

41

1,38

0,34

Total

9,14

7,83

8

1 341

1 272

832

1,01

0,64

Poisson

0,95

1,42

1,05

734

1 268

470

0,74

0,50


frais

0,52

0,63

0,86

180

261

205

1,37

0,57


autre

0,43

0,79

0,19

554

1 007

265

0,24

1,09

Viande

0,36

0,20

0,28

314

250

152

1,40

0,43

Volaille

-

0,16

0,38

-

213

313

2,37

0,62

Total

-

1,78

1,71

-

1 731

935

0,96

0,54

Quantité consommée en 1986/Quantité consommée en 1975 = Q86/Q75
Prix de 1986/Prix de 1975 = P86/P75.

Source: Houyoux, J. 1986.

Le riz, le maïs et le pain sont entrés dans le régime alimentaire grâce à de fortes baisses des prix. L’évolution de leur consommation dépendra de l’évolution de leurs prix vis-à-vis du manioc, surtout pour les deux premiers qui constituent la nourriture de base d’un petit groupe de la population kinoise.

En conclusion, pour le segment le plus pauvre de la population, la cossette de manioc est la principale source de calories, car son prix est plus avantageux. Souvent elle est même la seule source, ce qui peut provoquer des problèmes nutritionnels, surtout aux enfants. Les mélanges de farine de maïs et de manioc sont une alternative intéressante en raison de leur meilleure valeur nutritionnelle.

3.5.2 - La viande de boeuf, le poulet et le poisson

A Kinshasa, la consommation des produits d’origine animale comprend surtout la viande de boeuf locale ou importée, la volaille, principalement importée, et le poisson. Le poisson séché et fumé est souvent de provenance locale, le poisson salé est partiellement importé et le poisson frais est presque toujours importé. Le poisson frais provient des eaux internationales au large de l’Afrique. Il est directement importé au Zaïre par les chalutiers (principalement des pays de l’Est) et est de basse qualité. Entre 1975 et 1986, la consommation totale de viande, volaille et poisson n’a guère changé (1,78 kg par personne et par mois en 1975 contre 1,71 kg en 1986) grâce à une baisse du prix moyen au kg de 46%. Cette baisse des prix reflète, pour ces produits, une tendance générale à la baisse ainsi qu’un glissement de la consommation vers les formes les moins chères et parfois de qualité inférieure.

Entre 1978 et 1984, une forte baisse du prix du poisson frais, causée par une forte augmentation des importations de qualité inférieure a eu lieu. Depuis 1984, les prix du poisson fumé, séché et salé ont doublé en prix réels, et celui du poisson frais n’a que légèrement augmenté. Ceci a abouti à une substitution du poisson fumé et salé par le poisson congelé non éventré, appelé “mpiodi”. Ainsi la consommation du poisson frais est passée de 0,63 kg en 1975 à 0,86 kg en 1986, tandis que celle du poisson transformé (salé, fumé et séché) a diminué, passant de 0,79 kg par mois et par personne en 1975 à 0,19 kg en 1986. La consommation de poisson séché, qui coûte le plus cher, a diminué de 84%, le poisson fumé de 70% et le poisson salé, qui est le meilleur marché, de 64%. Il est clair qu’il s’agit d’effets de substitution. La baisse de la consommation du poisson, de 1975 à 1986, a partiellement été compensée par une augmentation de la consommation de viande de boeuf (viande “capa”; abats, tripes, etc.) et de poulet (poulet à bouillir). Pour ces derniers, la qualité des importations a également subi une baisse.

La baisse générale des prix de la viande de boeuf, du poisson frais et de la volaille a atteint la position concurrentielle de la pisciculture et des élevages zaïrois, mais elle a été très avantageuse pour les consommateurs des centres urbains. L’afflux de produits importés à des prix très concurrentiels a fait que la population citadine s’est ruée vers les produits importés au détriment des produits locaux.

Pour les plus pauvres, les produits d’origine animale sont des vivres de luxe qui sont généralement hors de portée. Parfois, ils peuvent se permettre d’acheter un poisson frais ou des haricots. Les haricots, riches en protéines, sont un substitut de la viande et du poisson.

3.5.3 - Les légumes

Selon une étude réalisée par le Ministère de l’Agriculture zaïrois en 1985, un total de 53 800 tonnes de légumes frais ont été commercialisées à Kinshasa en 1985, soit une moyenne mensuelle de 4 480 tonnes (voir tableau 3). Selon l’étude, 29 000 tonnes (54%) étaient produites dans la ceinture maraîchère. La région du Kivu produisait 13,7%, soit 7 630 tonnes (surtout pommes de terre, carottes, choux, poireaux, etc.). Les importations ne représentaient que 2,2% du total avec 1 194 tonnes. Les variétés de légumes importés peuvent être comparées, pour l’essentiel, avec celles qui sont produites au Kivu. Environ 24% des légumes provenaient du Bas-Zaïre (feuilles de manioc, tomates, patates douces, piments, etc.), 4% du Bandundu (surtout mfumbwa et feuilles de manioc), et 2% du Plateau de Bateke à 50-150 km de Kinshasa (surtout feuilles de manioc). Les importations concernaient surtout l’oignon. En 1985, il s’agissait de 600 tonnes d’oignons pour une importation totale de 1 194 tonnes. Le tableau 4 présente le résultat d’une enquête sur la consommation de légumes et de fruits à Kinshasa en 1986 menée auprès de 250 ménages à Kinshasa). Selon Houyoux (1986), la consommation était de 77 g par jour et par personne en 1986, soit 46 g de feuilles de manioc et 31 g d’autres légumes. Les feuilles de manioc sont de loin les principaux légumes. Elles couvrent plus de 50% de la consommation totale en légumes à Kinshasa et plus de 70% ailleurs. Leur consommation est surtout élevée en milieu rural zaïrois. Elles représentent une source importante de protéines. La consommation des feuilles de manioc s’élevait à 1,6 kg par personne et par mois en 1969 et se stabilisait à 1,3 kg en 1975 et 1986 (Houyoux, 1986). Etant donné l’évolution du pouvoir d’achat, la consommation par personne a baissé depuis 1986. Actuellement, elle est estimée à 50 g par personne et par mois, mais de nombreux glissements ont eu lieu.

Tableau 3: APPROVISIONNEMENT DE KINSHASA EN LÉGUMES SELON LA PROVENANCE, EN 1985 (TONNES PAR AN)

Produits

Bas-Zaïre

Bandundu

Ceinture maraîchère

Kivu

Importations

Patates douces

1 543

21

-

-

-

Haricots blancs

912

68

111

-

-

Aubergines

190

41

-

-

-

Tomates

2 225

-

-

10

104

Piments

1 252

2

-

-

-

Oignons

418

-

-

50

599

Feuilles manioc

5 753

286

3 899

-

-

Biteku-teku

570

-

9 203

-

-

Mfumbwa

204

430

-

-

-

Bilolo

-

-

1 329

-

-

Céleri

-

-

1 145

-

-

Ciboule

-

-

1 338

-

-

Concombres

-

-

200

-

-

Epinards

-

-

1 059

-

-

Laitues

-

-

465

-

-

Matembele

-

-

2 069

-

-

Ngai-ngai

-

-

4 562

-

-

Pointes noires

-

-

1 528

-

-

Pommes de terre

-

-

-

2 190

337

Ail

-

-

-

10

8

Carottes

-

-

-

1 540

14

Haricots verts

-

-

-

3

12

Choux

-

-

-

2 210

4

Poireaux

-

-

-

1 400

6

Salades

-

-

-

2

44

Chou-fleurs

-

-

-

4

21

Divers

-

-

2 264

46

45

Total

13 067

848

29 172

7 465

1 192

-: pas de données.

Source: BEAU, 1986.

Tableau 4: QUANTITÉS CONSOMMÉES PAR PERSONNE EN UN MOIS ET ÉLASTICITÉS-REVENUS DES LÉGUMES ET DES FRUITS À KINSHASA

Espèces

Kg/mois/personne

Elasticités-revenus

Ignames

0,005

-

Patates douces

0,016

-

Pommes de terre

0,027

2,70

Sous-total féculents

0,048

-

Carottes

0,001

0,64

Oignons

0,137

0,42

Feuilles de manioc

1,296

0,50

Salades

0,004

-

Epinards

0,100

0,87

Lengalenga

0,322

-

Tomates fraîches

0,059

0,34

Ngai-ngai

0,059

0,54

Matembele

0,103

0,57

Aubergines

0,009

3

Choux blancs

0,001

2,06

Pili-pili

0,157

0,20

Sous-total légumes

2,248

0,30

Banane douces

0,124

1,41

Citrons

0,004

1,26

Oranges

0,100

1,63

Avocats

0,020

1,09

Goyaves

0,005

0,62

Mangues

0,002

1,70

Ananas

0,003

-

Autres

0,011

-

Sous-total fruits

0,269

1,35

Total

2,565

-

Source: Houyoux, J. 1986.
Les légumes-feuilles (feuilles de manioc, d’igname, de patates douce, de haricots, d’amarante, d’oseille, etc.) constituent toujours la base de la consommation des légumes en milieu urbain zaïrois. Ces dernières années, les feuilles de la patate douce (matembele) ont gagné beaucoup d’importance et ont partiellement remplacé les feuilles de manioc. Selon plusieurs consommateurs, le matembele est actuellement le deuxième légume à Kinshasa. C’est pour cette raison que cette espèce est surnommée “Mokonzi ya Ndunda” ou “chef des légumes”. La substitution se fait pour deux raisons. Tout d’abord, les feuilles de la patate douce sont plus faciles à préparer et à un moindre coût, ensuite, elles sont devenues relativement moins chères que les feuilles de manioc. L’offre en feuilles de manioc a probablement diminué (en termes relatifs) à cause de la détérioration de l’infrastructure routière et du glissement relatif vers le transport fluvial. Les feuilles de manioc ne supportent qu’un transport de un à deux jours. La croissance actuelle du secteur maraîcher urbain est basée sur une production de légumes-feuilles. La production de feuilles de manioc en milieu urbain a connu une croissance importante, mais la qualité de ces feuilles est généralement mauvaise car elles craignent la poussière, la pollution, etc. Elles sont surnommées “caoutchouc”.

Au Zaïre, les légumes sont rarement consommés frais. Les légumes-feuilles sont cuits et préparés avec une sauce à base d’huile de palme ou d’huile d’arachide, de tomate (souvent en boîte), de pili-pili et d’oignon. La consommation de ces trois produits, dits complémentaires, variait autour de 150 g par personne et par mois en 1986. Ils sont cultivés dans toutes les régions, généralement en petites quantités, pour l’autoconsommation. En milieu urbain, la tomate fraîche est un produit de luxe, qui n’est pas compétitif. La consommation de tomates en boîte est le double de celle de tomates fraîches.

L’élasticité-revenu de la consommation d’un produit est la mesure de la variation relative du revenu et permet d’analyser la façon dont se comporte le ménage lorsque le revenu varie. Si le coefficient est supérieur à 1, la part de la dépense considérée croît relativement plus que les revenus, et lorsque croissent les revenus, si le coefficient est égal à 1, la part est constante, s’il est inférieur à 1, la part diminue relativement moins que les revenus. Le poste “légumes” est inélastique, tandis que les fruits ont une élasticité supérieure à 1. L’élasticité-revenu pour les légumes était de 0,30 en 1986, ce qui indique qu’une augmentation du revenu de 1% provoquerait une augmentation de la consommation de légumes de 0,30%. Les composantes du repas journalier, à savoir les légumes-feuilles, le pili-pili, l’oignon et la tomate avaient en 1986 des élasticités-revenus assez basses: entre 0,30 et 0,50. L’élasticité des légumes-feuilles se situe autour de 0,50. Actuellement ces élasticités-revenus se situent probablement autour de 1, en raison de la baisse du revenu. Une augmentation du revenu aurait un impact direct et du même ordre de grandeur relative sur la consommation de légumes.

La ciboule, le poireau et l’ail sont utilisés comme condiments dans les plats traditionnels. Les achats de légumes se font généralement en très petites quantités, destinées à la consommation de quelques jours. Le chou blanc, le concombre, l’aubergine, la pomme de terre et la laitue sont des produits de grand luxe: les élasticités-revenus varient entre 2 et 3. Une baisse des revenus de 1% implique une baisse de la consommation de 2 à 3%. Etant donné la détérioration de l’économie et du pouvoir d’achat durant ces dernières années, la consommation de ces produits a baissé de façon significative. De plus, une partie importante du groupe cible pour ces légumes, dits de type “européen”, a quitté le Zaïre ces dernières années, provoquant un glissement relatif vers les légumes-feuilles dans les habitudes alimentaires.

D’une façon générale, la consommation de fruits est basse à Kinshasa. Elle était de 0,30 kg par mois et par personne en 1986 alors qu’elle était encore de 0,63 kg en 1969 et de 0,49 kg en 1975. Elle concerne surtout la banane douce et l’orange. Les fruits sont caractérisés par une élasticité-revenu de 1,35, ce qui indique que le niveau des revenus a un impact important et que la demande en fruits a fortement diminué ces dernières années en raison de la baisse du pouvoir d’achat.

3.6 - Le consommateur en insécurité alimentaire et le marché des vivres


3.6.1 - La demande en services du marché
3.6.2 - L’impact du jour de paie
3.6.3 - La vente au micro-détail
3.6.4 - Le marché des pauvres: “wenze ya bitula”

Une augmentation du nombre de consommateurs en insécurité alimentaire aboutit généralement à un accroissement du nombre de commerçants dans les marchés de détail. De plus, les changements n’interviennent pas que dans le régime alimentaire, mais également dans d’autres aspects de la demande, tels que les services du marché demandés, les quantités, etc. Cette section commentera ces aspects.

3.6.1 - La demande en services du marché

Le changement de la demande totale pour les services du marché dépend principalement du revenu du consommateur: plus le revenu disponible est élevé, plus le consommateur peut se permettre les services du marché. A titre d’exemple, il est intéressant d’examiner le commerce du manioc. En pratique, le consommateur l’achète à tous les stades, c’est-à-dire de l’arrivage du sac de manioc à Kinshasa jusqu’au verre de farine. Toutes ces formes de manioc se trouvent sur la courbe de l’offre (voir figure 4). A gauche, à bon marché, le sac de cossettes sur le parking, à droite, le verre de farine au wenze près de la maison. Le consommateur peut acheter à plusieurs niveaux, selon la forme du produit, le degré de nettoyage, l’unité de mesure, etc. Dans l’exemple, les consommateurs sont classés en quatre groupes, du revenu le plus bas (D1) au revenu le plus élevé (D4). Les différentes courbes de la demande correspondent aux différentes classes de revenus. Chaque niveau du circuit de distribution occupe une autre position sur la courbe de l’offre. Cela revient donc à dire que le consommateur peut acheter le manioc:

Figure 4: Courbes de la demande des services de distribution

Pour chacun de ces niveaux, la quantité de services offerts, ainsi que la marge de distribution diffèrent.

Il résulte directement de cette insécurité massive que le consommateur achète ses vivres caloriques de base, par exemple le manioc, le plus souvent au marché de demi-gros. Il préfère acheter un sac de cossettes de manioc, produit avec une valeur ajoutée minimale, et organiser le transport, le triage, et la transformation lui-même afin de valoriser sa main-d’oeuvre (Q1, P1). Les plus pauvres sont obligés d’acheter au fur et à mesure qu’ils gagnent de l’argent, en petites quantités au marché de détail, et souvent à un prix plus élevé.

3.6.2 - L’impact du jour de paie

En général, les ménages achètent le sac de manioc pour leur consommation mensuelle au moment où ils reçoivent leur salaire. Dès que cette quantité est consommée, ils achètent de petites quantités afin de couvrir la période jusqu’au salaire suivant. Le paiement des salaires se fait à une date fixe. Les fonctionnaires perçoivent leur salaire le 20 du mois et les employés du secteur privé reçoivent souvent une avance le 15 du mois et le reste à la fin du mois. Beaucoup de salariés du secteur informel sont payés à la fin du mois. Ceci se reflète également dans les variations des prix du manioc au cours du mois. Le maximum est atteint dans les trois premiers jours du mois, le minimum, du 13 au 15 du mois. L’amplitude du mouvement est de 11% du prix moyen. Ce mouvement au cours d’un mois n’existe que pour le manioc du Bandundu. Ce dernier, d’une qualité inférieure à celui du Bas-Zaïre, est acheté en premier lieu par les personnes à faibles revenus qui achètent le manioc directement après paiement de leur salaire.

L’inconvénient de cette fluctuation est que les consommateurs les plus pauvres paient leur sac de manioc relativement cher car, ne pouvant plus attendre, ils sont obligés d’en acheter au début du mois.

3.6.3 - La vente au micro-détail

Les autres signes de croissance de l’insécurité alimentaire sont les ventes au micro-détail autour des marchés et sur les tables devant les maisons. Les vendeurs se concentrent surtout sur les condiments, le sucre, et les ingrédients pour la sauce qui accompagne le fufu (pâte de manioc).

En 1995, il était possible d’acheter le quart d’une petite boîte de purée de tomates (70 g), certains consommateurs ne pouvant plus acheter une boîte entière. On trouve aussi autour du marché de détail, des micro-détaillants assis par terre, qui vendent des demi-oignons, des tiges de ciboule et de céleri, des feuilles de poireau, etc.

Les clients du marché de micro-détail sont souvent les plus pauvres qui ne peuvent se permettre que d’acheter de très petites quantités. Ceux qui organisent le commerce, sont des pauvres avec très peu de moyens et sans accès au crédit pour acheter de la marchandise. Ce système est pervers dans le sens où les prix au kg, à ce niveau du commerce, sont souvent très élevés, tandis que les clients sont les plus pauvres. De plus, les conditions de vente en termes d’hygiène et de fraîcheur des produits, sont souvent moins bonnes que sur les marchés réguliers.

3.6.4 - Le marché des pauvres: “wenze ya bitula”

Le marché officiel est ouvert de 8 heures à 15 heures. Après 15 heures, le détaillant brade les invendus pour le bonheur des petites bourses. Ceci a lieu dans le marché appelé “wenze ya bitula”, qui se tient autour des marchés réguliers et qui n’utilise pas leur infrastructure. Les commerçants essaient de récupérer leur fonds de roulement et d’éviter les pertes dues aux invendus. Un vendeur qui a absolument besoin d’argent, pour cause de problèmes familiaux, peut également vendre des produits non périssables dans ce marché. Les bénéfices nets sont bas. Souvent, le vendeur y perd de l’argent, mais de cette façon, il peut au moins partiellement récupérer son capital sans incider sur le prix normal du marché et sans rompre l’équilibre existant entre les détaillants. L’offre, surtout des produits non périssables, est si basse et irrégulière au “wenze ya bitula”, que les consommateurs n’y achètent pas régulièrement. Il y a dix ans encore, l’achat sur les “wenze ya bitula” avait un cachet négatif, alors qu’aujourd’hui l’acceptation sociale est plus générale.

3.7 - Conclusions et contraintes

La structure de la consommation des vivres de la population urbaine détermine partiellement les quantités, les qualités, les formes des produits, et les services ajoutés que procurent le producteur et le commerçant. En d’autres mots, la demande du consommateur englobe un nombre de contraintes pour le système de production et de commercialisation. Dans la ville de Kinshasa, le repas de base d’une personne en insécurité alimentaire comprend des tubercules séchés de manioc préparés sous forme de pâte, consommés avec des légumes-feuilles préparés, et lorsque c’est possible, avec une sauce à base d’huile de palme, d’oignon, de tomate et de pili-pili. Quelques fois, on ajoute du poisson frais de mer ou de la volaille. Le repas est très monotone et la qualité nutritionnelle extrêmement basse. Le tubercule séché ou cossette est la source de calories la moins chère.

La demande de vivres des citadins en insécurité alimentaire a les caractéristiques suivantes:

En ce qui concerne la structure des marchés, l’impact de la demande actuelle du consommateur est la suivante:

Les systèmes de solidarité concernent surtout les assurances et les crédits informels entre consommateurs.

3.8 - Questions

1. De quelle façon le consommateur s’adapte-t-il à une situation d’insécurité alimentaire?

2. Quels sont les grands changements dans le régime alimentaire d’une famille qui évolue d’un niveau de vie élevé vers une situation d’insécurité alimentaire?

3. Définissez les caractéristiques de la demande en vivres d’une personne en insécurité alimentaire.

4. Quelles sont les structures de distribution des vivres à Kinshasa qui ont été créées pour répondre à la demande spécifique des gens en insécurité alimentaire?

5. Quelles sont les caractéristiques d’un système de solidarité?


[1] Pâte de manioc
[2] Tubercule séché

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