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4.  COLLABORATION POUR LA DETERMINATION DES MESURES D'AMENAGEMENT

4.1   Problèmes et avantages de la collaboration

La plupart des pays sont disposés à collaborer dans le domaine de la recherche, étant donné qu'il n'y a aucun incovénient sérieux à mettre en balance avec des avantages indubitables. Il n'en est pas de même pour ce qui concerne la prise de mesures d'aménagement, que ce soit au sens étroit de la fixation de contingents de capture ou de limites de taille, etc., ou au sens plus large de l'adoption d'une politique générale de pêche, y compris la mise en valeur des pêcheries. L'inconvénient d'une certaine perte d'autorité sur des ressources qui, avec l'instauration des ZEE, sembleraient désormais être complètement sous contrôle national, est évident, alors que les avantages qu'un pays pourra retirer de la collaboration n'apparaissent pas toujours immédiatement. De fait, il existe quelques cas très spéciaux où un pays individuel peut avoir très peu d'intérêt à collaborer avec d'autres. Ce sont probablement des exceptions et, en général, les avantages pourront être considérables, ainsi qu'on le montrera dans les sections ci-dessous. Ils seront fonction des caractéristiques de déplacement des poissons et de l'état des pêcheries dans les diverses ZEE. Les chances de se heurter à de graves inconvénients, réels ou apparents, augmentent parallèlement à l'évolution des formes de collaboration, celle-ci commençant par des échanges de vues sur les problèmes d'aménagement (y compris un examen des qualités et défauts de diverses mesures), pour se poursuivre par des accords officieux sur les mesures générales qui seront prises par les pays individuels et aboutir enfin à des accords officiels ayant force d'obligation (soit à l'issue de négociations bilatérales, soit dans le cadre d'une commission internationale des pêches ou organisme analogue) sur les mesures précises à prendre. Les pays peuvent trouver facile d'engager des discussions, pouvant même aboutir à des accords sans caractère obligatoire sur ce qu'il y a lieu de faire, tout en n'acceptant pas d'envisager des accords ayant force d'obligation, même si les dommages qui pourraient en résulter pour leurs pêcheries sont à la fois importants et évidents (Les deux adjectifs ne sont pas synonymes). Heureusement, la manière dont les stocks se trouvent partagés est telle que des accords officiels et obligatoires sur les mesures d'aménagement à prendre ne sont pas toujours nécessaires. Les raisons en seront examinées aux sections suivantes; mais, en bref, les activités de chaque pays étant dans une large mesure confinées à sa propre ZEE, il s'ensuit que, sauf dans les cas où les mélanges de poissons entre des ZEE sont très rapides, les dommages qui seront causés à l'ensemble des pêcheries si un accord n'est pas observé par un pays affecteront ordinairement surtout les pêcheurs de celui-ci. Par contre, dans une situation d'accès libre, comme il pouvait en exister pour un groupe de pays pendant la période pré-ZEE ou comme il peut en être pour les pêcheurs nationaux, le pays ou le pêcheur individuel a presque toujours intérêt à ne pas se conformer à une réglementation, indépendamment du dommage causé à l'ensemble de la pêcherie.

Dans le reste de la présente section, où nous examinerons les bénéfices possibles dans diverses conditions d'une collaboration pour la prise de mesures d'aménagement, une distinction sera donc établie entre les situations où les avantages ne se concrétiseront que si les pays coordonnent pleinement leur action et celles où un pays pourra tirer profit d'une action unilatérale, même si les autres pays ne s'y associent pas. Autrement dit, il y a des situations où une seule forme de collaboration internationale est indispensable, à savoir les échanges de vues d'ordre techniques (biologique, économique et social) qui permettront d'identifier ce que l'on peut faire au profit des pêcheries - le reste pouvant être laissé aux pays individuels; et il y a d'autres situation où la collaboration doit conduire à des accords ayant force obligatoire en vue de mettre en application des mesures précises, et, ce que l'on néglige trop souvent, à des arrangements propres à assurer que ces accords soient respectés par chaque pays et que tous les autres pays et leurs pêcheurs puissent constater qu'ils sont effectivement observés.

4.2   Stocks partagés non-migrateurs (stocks frontaliers)

Les opérations de pêche intéressant les stocks de ce type peuvent être divisées en deux catégories - celles où les pays concernés ont des économies analogues et celles où les pays ne se trouvent pas dans les mêmes conditions sociales et économiques ou n'ont pas les mêmes objectifs en matière d'aménagement des pêcheries.

Lorsque des stocks sont partagés, le premier cas est le plus simple. Si les pays ont des économies et des objectifs ultimes analogues (par exemple pour ce qui est de l'importance relative accordée à l'amélioration de la rentabilité économique et à l'accroissement des disponibilités totales de poisson), alors ils auront probablement des objectifs stratégiques et tactiques analogues en ce qui concerne l'état dans lequel il serait souhaitable de maintenir le stock de poisson et le meilleur moyen d'y parvenir. Les problèmes soulevés par l'aménagement de telles pêcheries sont des problèmes techniques, puisqu'il s'agit de déterminer les mesures à prendre effectivement pour atteindre les objectifs souhaités. Il est clair que des échanges de vues internationaux seront utiles à cette fin. La valeur de la collaboration sur le plan biologique a déjà été signalé dans la précédente section et elle est largement reconnue, mais il est d'un intérêt égal que les autres problèmes (par exemple économiques et sociaux/techniques) fassent l'objet d'échanges de vues entre tous les pays (au niveau administratif, mais aussi, plus particulièrement, au niveau technique). Une fois que des mesures appropriées auront été identifiées, alors il sera avantageux pour chaque pays de les mettre individuellement en application, indépendamment de ce que font les autres. Aucune autre forme de collaboration officielle que celle intéressant les études biologiques et les échanges des données n'est nécessaire, et la plupart des inconvénients possibles seront évités. Toutefois, il arrive dans la pratique que le fait qu'il y ait eu des échanges de vues internationaux et qu'un organisme international ait formulé certaines propositions ou recommandations (même si elles n'ont pas un caractère obligatoire) puisse stimuler une action concrète de la part des pays.

S'il y a des différences d'intérêts, par exemple si un pays a surtout besoin d'un approvisionnement important en poisson ou a besoin d'occuper davantage de main-d'oeuvre à qui il ne s'offre pas d'autres possibilités d'emploi, tandis que l'autre souhaite accroître les taux de capture pour qu'ils restent attrayants pour ses pêcheurs, il s'ensuivra que le degré préféré d'exploitation (mesuré par exemple par la mortalité par pêche) sera plus élevé pour l'un que pour l'autre. Supposons que chaque pays guère alors sa pêcherie en appliquant le système d'exploitation qui lui semble optimal. Supposons également que la vitesse de mélange soit assez lente. Alors, exception faite des emplacements proches de la frontière entre les ZEE, l'abondance du stock correspondra au système d'exploitation préféré par le pays concerné et les deux groupes de pêcheurs nationaux seront satisfaits. A des vitesses de mélange plus élevées, ou à proximité de la frontière entre les ZEE, l'abondance du stock sera affectée par les opérations de pêche menées de l'autre côté; et, dans la ZEE du pays qui applique la politique la plus restrictive, l'abondance (et par conséquent les captures) seront inférieures auxn iveaux escomptés; dans l'autre ZEE, les captures seront supérieures aux prévisions. Dans ces circontances, il est difficile de voir quelles mesures coordonnées, ou au moins quelles modalités d'application d'une politique unifiée, seraient attrayantes pour les deux pays. Le pays qui applique la politique la plus restrictive pourrait espérer encourager l'autre à réduire le volume de ses opérations, mais il ne peut pas faire grand chose pour l'inviter à modifier un système qui lui convient clairement - pourquoi lui demande-t-on de moins pêcher et, encore mieux, pourquoi devrait-il ecourager le premier à pêcher plus intensément?

Cela ne veut pas dire qu'en pratique il n'y aura pas d'avantages à ce que les pays examinent ensemble l'aménagement de ces stocks partagés. Souvent, les différences d'intérêts peuvent être plus apparentes que réelles. Il peut aisément arriver qu'une analyse complète des avantages potentiels de la réduction des coûts ou de la moindre variabilité des captures annuelles qui pourraient découler d'une réduction de l'effort de pêche, montre qu'une politique plus restrictive serait dans l'intérêt à long terme des deux pays.

4.3   Migrations saisonnières régulières

4.3.1   Besoins généraux

C'est pour ce mode de partage des stocks que la coordination des mesures d'aménagement est le plus nécessaire. Supposons que deux pays se partagent un tel stock et que les études biologiques, économiques et sociales - peut-être entreprises en coopération - montrent qu'avec un niveau souhaitable d'effort de pêche la production annuelle serait de 100 000 t. Si la coordination s'arrête là, chaque pays pourra très bien décider de prélever 60 000 t ou même davantage. Le résultat en sera que l'objectif global sera considérablement dépassé et que le stock s'appauvrira. Loin d'arriver à 60 000 t chacun, les pays pourront bien à longue échéance ne pas capturer plus de 40 000 t par an et il est certain que le prix de revient de leur production effective sera beaucoup plus élevé que nécessaire ou qu'il ne l'aurait été si le volume total des opérations avait été maintenu au niveau de l'objectif.

Jusqu'à ce point, les problèmes soulevés par l'aménagement de ce type de stocks partagés sont très analogues à ceux que posaient l'aménagement des pêcheries de la haute mer dans l'ancien système de l'accès entièrement libre. L'histoire de celles-ci n'est pas très encourageante, mais il y a quelques différences importances. La principales est que l'accès est limité aux pays où se trouve le stock; ceux-ci ne seront souvent que deux ou trois et 1'entente entre eux ne pourra pas être troublée par 1'entrée d'autres pays dans la pêcherie En second lieu, les caractéristiques du stock relativement aux ZEE des différents pays (par exemple l'emplacement des lieux de ponte ou des zones de nourrissage, etc.) fournissent certaines mesures objectives qui peuvent aider à parvenir à un accord pour l'allocation de parts dans la pêcherie.

En admettant que la collaboration entre les pays intéressés ait suffisamment progressé pour que l'on ait pu déterminer 1'état du stock et les effets que la pêche aura sur lui, ainsi que les effets biologiques des mesures d'aménagement possibles, et en admettant que 1'on dispose également d'analyses (effectuées individuellement ou en coopération) des effets sociaux et économiques de telles mesures, les dispositions ci-après devront alors être prises pour aménager le stock:

(i)   choix de la stratégie, c'est-à-dire détermination du mode d'exploitation préférable (par exemple détermination de l'intensité globale d'exploitation du stock);

(ii)  choix de la tactique, c'est-à-dire détermination des mesures nécessaires pour parvenir à ce mode d'exploitation (par exemple, détermination des quantités à capturer ou du nombre de navires qui seront autorisés à opérer pendant l'année à venir);

(iii)  mise en application des mesures choisies;

(iv)  évaluation des mesures prises, y compris contrôles de l'application effective des réglementations et de l'obtention des résultats escomptés.

4.3.2   Les choix stratégiques

Si les intérêts des pays sont raisonnablement analogues - comme ce sera généralement le cas pour des pays adjacents - ces choix présentent peu de difficultés. Si une priorité élevée est donnée à la production de poisson, indépendamment du coût, alors on adoptera probablement une stratégie de pêche propre à assurer le rendement maximum équilibré ou un niveau proche de celui-ci. Si l'on souhaite avant tout obtenir des taux de capture élevés et assurer de bonnes conditions de vie à quelques pêcheurs, alors le choix se portera sur une faible intensité de pêche. Des difficultés surgiront lorsque les pays auront des objectifs différents. Par exemple, la Californie et le Mexique se partagent un important stock d'anchois. Pour le Mexique, ce stock représente de la matière première potentielle pour l'industrie de la farine de poisson, et un taux d'exploitation élevé apparaît souhaitable. Par contre, pour nombre de personnes en Californie, l'anchois a surtout l'intérêt d'alimenter une pêche sportive très rentable et il est également utilisé - en quantité limitée - comme appât: le taux d'exploitation optimal apparaît donc faible. (Il y a en Californie des personnes qui ont les mêmes intérêts qu'au Mexique, mais elles sont moins nombreuses que les pêcheurs sportifs.) Pour résoudre ce type de conflit, il faut des négociations politiques.

4.3.3   Décisions tactiques - Attribution de parts

La principale décision à prendre en la matière est celle du partage des bénéfices entre les participants. Elle suppose en fait deux processus distincts, à savoir la détermination de la part à allouer à chaque participant et celle de la manière dont les parts devraient être mesurées. On admet souvent tacitement qu'elles doivent être exprimées en proportion (nombre de tonnes) du total des captures admissibles; il se peut que ce soit la meilleure formule, aussi bien que la plus évidente, mais elle ne devrait pas être adoptée sans réflexion. Il peut être difficile de fixer correctement la limite de capture qui permettra d'obtenir le taux d'exploitation souhaité lorsque la population présente des fluctuations dues à des causes naturelles (et si l'ajustement en fonction de la fluctuation n'est pas assez bon, il peut avoir pour effet d'accroître l'amplitude de celle-ci à un tel point qu'une fluctuation en baisse pourra amener le stock au bord de l'épuisement. C'est là semble-t-il ce qui s'est produit pour le stock de pilchards vivant au large de la Namibie (Troadec et al., sous presse)). Il peut également être difficile, si les débarquements sont dispersés le long de la côte, de vérifier si les limites de captures sont respectées. Pour les pêcheries purement nationales, d'autres mesures de l'incidence de la pêche sur le stock, par exemple le nombre de bateaux, peuvent être meilleures. Toutefois, les contingents de captures ont le grand avantage que les unités sont bien définies - la répartition d'une capture totale autorisée (CTA) de 100 000 t en 50 000 t pour chaque pays montre clairement qu'ils ont chacun une part égale. Les parts relatives sont beaucoup moins évidentes si l'accord prévoit qu'un pays fera opérer 75 chalutiers de taille moyenne, tandis que l'autre permettra à 25 000 artisans-pêcheurs de travailler. Les problèmes que cela soulèvera dans le second cas seront encore accrus lorsque un pays décidera d'améliorer la rentabilité des opérations de ses pêcheurs. La question de l'ajustement à apporter au nombre d'unités autorisées à opérer sera un champ de discussions fertile.

Ces considérations étaient décisives dans la plupart des échanges de vues internationaux à l'époque précédant l'instauration des ZEE, où (par exemple dans le cadre de la CIPAN ou de la CPANA), les parts attribuées étaient (et sont encore dans le cas de la CIPASE) exprimées en proportion d'une CTA. Pour le moment, il est probable que les accords concernant l'aménagement de stocks partagés de ce type continueront de porter sur le poids capturé, c'est-à-dire une CTA globale assortie d'un nouvel accord sur la manière dont elle devrait être répartie entre les différents pays. Toutefois, il conviendrait d'examiner d'autres approches, par exemple l'expression de l'effort de pêche par le nombre de navires.

Bases de l'attribution des parts

De quelle manière les parts seront-elles attribuées? En dernier ressort, la question devra être résolue par des négociations entre les pays. L'attribution de parts pour des stocks particuliers pourra être décidée dans le cadre de négociations sur d'autres stocks ou de négociations plus larges sur toutes autres questions que les pays pourraient juger utile d'examiner. Néanmoins, il est clair que les décisions en la matière se trouveront facilitées s'il existe un certain degré d'accord sur les principes généraux à prendre en considération.

A l'époque de l'accès libre, avant l'instauration du nouveau droit de la mer, le problème de l'attribution des parts avait été examiné par la Commission internationale des pêches de l'Atlantique nord-ouest (CIPAN). Ces échanges de vues avaient eu lieu parce que l'on avait reconnu qu'en l'absence d'un contingent global, ou CTA, la plupart des avantages économiques potentiels de l'aménagement seraient perdus, et ils avaient permis d'établir une série de principes généraux. Le Comité permanent de la CIPAN sur les mesures de réglementation avait recommandé que “les parts des pays participants soient établies principalement sur la base des performances historiques (captures moyennes au cours d'une période(s) donnée(s)), en réservant une petite proportion des captures totales admissibles pour les nouveaux entrants dans la pêcherie, pour les pays pêcheurs autres que les membres de la Commission, pour les pays membres ayant un secteur de la pêche en développement, pour les préférences des Etats côtiers et pour les flottilles des pays membres qu'il était impossible de détourner vers d'autres pêcheries” (CIPAN, 1969).

Ces principes n'ont maintenant plus beaucoup de raisons d'être. Il se peut que les captures passées soient prises en considération pendant une période intérimaire d'ajustement au nouveau régime juridique des océans, mais il est douteux qu'un pays quelconque admette qu'un voisin ait droit de façon permanente à une plus grande proportion des captures effectuées dans un stock partagé pour la simple raison que ce dernier a mis sa pêcherie en valeur plus tôt ou plus rapidement. Pour l'attribution de parts permanentes, il faudra presque certainement se baser sur des caractéristiques plus fondamentales des stocks et sur celles qui rendent le mieux compte de leurs rapports avec les ZEE nationales. Par exemple, si un stock passe neuf mois dans une ZEE et trois mois dans une autre, alors, toutes autres choses étant égales, il semblerait raisonnable d'affecter 75 pour cent de la CTA totale au premier pays et 25 pour cent au second.

Dans la pratique, les choses sont plus compliquées. Les effets des différences possibles entre les caractéristiques biologiques des captures, par exemple lorsque une ZEE contient principalement des petits poissons immatures, sont examinés à la section suivante. Les autres complications envisagées ici sont la contribution des phénomènes biologiques survenant dans une zone ou une autre à la production de poisson de tailles exploitables; l'incidence des conditions naturelles dans chaque zone sur les coûts de production; enfin, les conditions économiques générales dans chaque pays.

L'âge des poissons avant la récolte peut aller de plusieurs mois à plusieurs années et, pour que la pêche se révèle productive, il faut qu'ils bénéficient de conditions favorables pendant ces mois ou années dont une partie peut être passée à très grande distance de l'endroit où opèrent les bateaux de pêche. Pour l'attribution des parts de la récolte finale, il faudra donc tenir compte de ce qui se passe depuis le moment du frai. Cela signifie non seulement déterminer l'emplacement des frayères et des alevinières, ainsi que celui des principales zones de nourrissage par rapport aux diverses ZEE nationales, mais aussi apprécier l'incidence que les mesures prises par le pays concerné peut avoir sur l'état du stock retenant l'intérêt. Quoique l'aménagement des stocks de saumon ne soit pas directement examiné dans le présent document, cette espèce fournit un exemple valable des principes qui pourraient être appliqués, avec certaines modifications évidentes, aux espèces purement marines. Le succès de la ponte et l'assurance d'un taux de survie satisfaisant pendant la première partie de la vie du saumon sont fonction du maintien des conditions requises par le pays dans les cours d'eau duquel le poisson se reproduit et il appartient à ce pays d'enrayer les effets adverses possibles de la construction de barrages, de l'exploitation forestière, des pulvérisations effectuées sur les cultures, etc. L'une des grandes raisons pour lesquelles il est admis que les ressources de saumon et autres espèces anadromes devraient être placées sous l'autorité de l'Etat côtier concerné est que, s'il n'en est pas ainsi, celui-ci n'aura que peu ou pas d'intérêt à maintenir des conditions convenables et qu'avec le temps, il n'y aura plus guère de saumon pour personne.

Des considérations analogues sont applicables aux espèces purement marines. Un pays escomptera probablement qu'on lui attribue une large part d'un stock si la productivité de celui-ci dépend à un degré décisif des conditions qui règnent dans sa ZEE, et notamment si ses propres activités peuvent affecter ces conditions. Par exemple, de nombreux stocks vivant au large ont leurs alevinières dans des zones côtières (lagunes et estuaires, etc.) et celles-ci peuvent être sérieusement affectées par la bonification des terres, la coupe des mangroves, etc. Si un pays contrôle ces activités au bénéfice de la pêche, il escomptera qu'on lui alloue une part substantielle de la production, indépendamment de l'emplacement géographique des fonds de pêche, et spécialement si ces mesures de contrôle déterminent des pertes pour d'autres secteurs de l'économie nationale.

Les facteurs qui pourront être pris en considération pour l'attribution de parts inclueront l'emplacement géographique des frayères, des alevinières et des principales zones de nourrissage des adultes, ainsi que des zones où les poissons seront effectivement capturés. En outre, il sera souhaitable de savoir de quelle manière les conditions régnant dans ces zones affectent la productivité des stocks - le succès de la reproduction, et la croissance et la mortalité des sujets. Pour la plupart ou la totalité de ces éléments, les renseignements sont rares ou font complètement défaut pour de nombreux stocks, parmi lesquels la grande majorité de ceux qui se trouvent au large de pays en développement. Cela indique qu'un important effort de recherche sera nécessaire si l'on veut que les parts d'un stock commun soient attribuées sur un base rationnelle.

Pour l'attribution des parts, il sera également nécessaire de prendre en considération les aspects pratiques et économiques. La présence de poissons de taille marchande ne garantit pas la rentabilité d'une pêcherie. Les différences de comportement des poissons aux différents stades de leur cycle migratoire annuel feront presque toujours qu'il sera plus facile et moins onéreux de pêcher en certains moments et lieux plutôt que dans d'autres. Beaucoup d'espèces se dispersent pendant la période où elles se nourrissent, mais elles se regroupent en bancs compacts et faciles à capturer juste avant le frai. Ces rassemblements au moment du frai peuvent se produire dans une unique ZEE nationale, alors que le stock se trouve pendant l'année dans plusieurs ZEE. Par exemple, pendant la période de nourrissage, le merlan bleu de l'Atlantique nord-est a une large zone de distribution qui va de l'ouest des îles Britanniques aux îles Féroé, à l'Islande et à la Norvège, mais les taux de capture ne sont assez élévés pour être économiquement attrayants que pendant la saison du frai où le stock se confine dans les eaux britanniques. La valeur d'un certain poisson sur le marché est également susceptible de varier au cours de l'année (et donc probablement d'une ZEE à l'autre). Typiquement, le poisson atteint son meilleur état un peu avant le frai, puis son poids diminue rapidement pendant la période de reproduction pour tomber au minimum après celle-ci, et il remonte à nouveau pendant la saison de nourrissage.

Compte tenu de tous ces facteurs, on peut considérer que la valeur nette du poisson à un point quelconque de son cycle annuel de migration est représentée par la différence entre le prix qu'il rapporte sur le marché et le coût de sa capture. Cette valeur a toutes chances d'être extrêmement variable et les bénéfices totaux procurés par le stock ont toutes chances d'atteindre leur maximum lorsque la récolte est concentrée aux moments et lieux où la valeur nette est élevée.

D'autres facteurs, qui ne sont ni biologiques ni directement liés aux caractéristiques du stock, devront probablement être pris en considération lorsqu'il s'agira de se mettre d'accord sur les attributions de parts. Les pays n'accorderont pas tous la même valeur à une part donnée des captures. Leur attitude sera conditionnée par l'existence d'une flottille de pêche efficace, à même d'opérer pour un faible coût; par celle d'un bon système de commercialisation et de distribution, ou d'une forte demande de poisson, permettant de payer un prix élevé aux pêcheurs; et également par le manque éventuel d'autres possibilités d'emploi pour ceux qui pratiquent la pêche à ce moment. Ces divers éléments ne seront peutêtre pas toujours faciles à exprimer en termes comparables; par exemple, un pays pauvre, qui n'a pas beaucoup d'autres sources de protéines, pourra accorder une haute valeur au droit de pêcher même si, du fait de sa pauvreté, la valeur en dollars du poisson peut être faible. Néanmoins, avec les réserves voulues, il semblerait que l'on maximiserait les bénéfices globaux procurés par la ressource en attribuant effectivement une plus large part de celle-ci aux pays qui accordent le plus de “valeur” à une certaine allocation.

Ces considérations économiques indiquent les orientations possibles pour l'attribution des parts, mais elles ne donnent pas d'indications quantitatives quant à l'ordre de grandeur des allocations; par exemple, elles n'indiquent pas si une part importante devrait être de 55 pour cent ou de 90 pour cent du total. On pourra reconnaître certaines limites à la dimension des parts en examinant l'évolution probable en l'absence d'accord; elle seront indiquées par les bénéfices que réaliserait chaque pays dans ce cas. Le cours probable des événements dans le cas d'un contingent non reparti appliqué à une pêcherie nationale a souvent été décrit dans les études économiques (voir par exemple, Crutchfield et Zellner, 1962). Les principaux faits qui interviennent alors - tous les pêcheurs se jetant dans la lutte pour maximiser leurs captures pendant que la pêche est authorisée, avec pour résultat rapide une augmentation des coûts de la pêche jusqu'au moment où le pêcheur individuel n'a plus les moyens de s'efforcer d'accroître sa part - se répèteraient indubitablement dans la situation plurinationale. Les coûts augmenteraient à mesure que les pays s'efforceraient de maintenir ou d'accroître leur part du total jusqu'à ce qu'un certain équilibre soit atteint, les pays les plus efficaces (ou ceux qui sont disposés à accorder les plus fortes subventions à leurs pêcheurs) s'assurant les plus grosses parts - peut-être même au point que les moins efficaces pourraient se trouver complètement écartés de la pêcherie - mais pour un prix de revient élevé. Il serait possible d'estimer les parts qui seraient récoltées par chaque pays dans cette position d'équilibre et d'utiliser ces chiffres comme première approximation pour les allocations. Des études plus détaillées sur les aspects économiques des stratégies d'aménagement qui pourraient être adoptées dans cette situation ont été faites (par exemple Munro, 1979), mais elles débordent le cadre du présent document.

4.3.4   Mise en application et observation des accords

En l'absence de dispositions d'application convenables, les meilleurs accords en matière de stratégie d'aménagement et de répartition des bénéfices peuvent se révéler inutiles. La mise en application des réglementations arrêtées d'un commun accord a toujours constitué un problème difficile dans les pêcheries internationales, et, pour les stocks partagés du type examiné dans la présente section, elle sera peut-être rendue plus difficile encore par le nouveau régime juridique des océans. Les pêcheurs ont toujours le soupçon que si l'on vérifie qu'eux-mêmes se conforment aux réglementations, par contre d'autres groupes de pêcheurs - appartenant à un pays différent ou basés dans un port différent du même pays - sont soumis- à un contrôle moins rigoureux. Ils sont donc peu désireux de respecter les règlements dont l'application peut alors se révéler très difficile. Dans toute pêcherie plurinationale, il est donc indispensable que les pêcheurs (les administrateurs, etc.) d'un pays donné puissent être assurés que ceux des autres pays se conforment aux réglementations. A l'époque de l'ancien droit de la mer, lorsque les opérations de pêche se concentraient principalement en haute mer, il existait un certain nombre d'arrangements, par exemple les systèmes internationaux d'inspection de la CIPAN et de la CPANE, en vertu desquels des inspecteurs agréés d'un pays donné pouvaient arrêter les bateaux de pêche d'un autre pays adhérant au système. Si les poursuites juridiques suscitées par toute infraction apparente restaient la prérogative de l'état du pavillon, l'arrangement permettait effectivement à chaque pays de savoir dans quelle mesure les pêcheurs des autres pays observaient les règlements.

Le maintien de ce système dans le cadre du nouveau droit de la mer impliquerait, pour être efficace, que les navires d'inspection d'un pays donné soient en mesure d'arrêter et d'inspecter les bateaux d'un second pays alors même qu'ils se trouvent dans la ZEE de ce dernier - pratique qui a peu de chances d'être reconnue comme généralement acceptable. Il sera toutefois nécessaire de trouver un système permettant de rassurer chaque pays sur le fait que les autres appliquent les mesures convenues. Il ne sera peut-être pas facile de se mettre d'accord, mais la chose n'est pas impossible. Ainsi, le système international d'inspection de la Commission internationale baleinière prévoit la présence d'inspecteurs d'un pays donné sur les stations du littoral d'autres pays. A noter que le rôle de ces inspecteurs internationaux n'est pas d'entamer des poursuites judiciaires (ce qui serait inacceptable), mais seulement d'établir des faits.

Les arrangements qui seraient effectivement pris dans un cas particulier seraient le résultat de négociations entre les pays immédiatement concernés et ils tiendraient compte de nombreux facteurs extérieurs à la pêche, en particulier le degré général de collaboration entre les pays. Ils ne seront pas examinés plus avant ici; ce qu'il y a lieu de noter ici est que les difficultés ne sont pas égales lorsqu'il s'agit de vérifier l'observation des diverses réglementations. En particulier, il vaut la peine de réexaminer la question de savoir si les quantités capturées sont forcément une meilleure mesure du volume de la pêche que, par exemple, le nombre ou la taille des bateaux de pêche. L'expérience du contingentement des captures dans des pêcheries nationales et internationales a montré que les difficultés liées à la mise en application des réglementations s'accroissent rapidement à mesure que le nombre de lieux de débarquement (ainsi que la valeur unitaire du poisson) augmente, cela souvent au point qu'il se révèle pratiquement impossible d'en assurer convenablement l'observation. Même dans la mer du Nord, qui est entourée de pays où il existe de bonnes structures administratives, la mise en application de contingents est loin d'être parfaite; ainsi, on estime que les captures de soles pendant ces dernières années ont été supérieures de 50 pour cent ou davantage au total déclaré (CIEM, 1980, tableau 63). Le danger de cette situation est non seulement que les réglementations sont sans effet, mais aussi qu'une fois les statistiques devenues sujettes à caution, il est très difficile de savoir ce qu'il advient des pêcheries et des stocks de poissons et, par conséquent, de formuler des règlements plus efficaces.

Dans la plupart des pays en développement, les statistiques des pêches sont pour le moment loin d'être satisfaisantes; il pourrait se révéler difficile de les améliorer si l'impression produite était que les pêcheurs du pays en cause risqueraient d'être plus rigoureusement contrôlés que ceux de pays voisins exploitant le même stock. Même en cas d'améliorations effectives, il resterait difficile à un pays de s'assurer que les captures des autres soient réellement maintenues au niveau convenu. Il conviendrait donc d'envisager d'autres mesures du volume de la pêche - par exemple nombre de bateaux - dont l'application soit plus facile à vérifier.

4.4   Déplacements liés à la croissance et au développement

Ces déplacements soulèvent quelques-uns des problèmes les plus difficiles lorsqu'il s'agit d'aménager des stocks partagés. L'expérience pratique comme les études théoriques ont montré que les bénéfices procurés par l'exploitation d'une ressource se trouvent accrus si l'on évite de capturer des poissons de certaines tailles ou dans un certain état (en particulier les sujets de petite dimension), et si la pêche se concentre autour d'une taille optimale de capture. Presque par définition, les captures effectuées dans les diverses ZEE nationales diffèreront de par la taille et l'état du poisson, et il pourra facilement arriver qu'il y ait des avantages considérables, du point de vue du point total capturé, à ce que les opérations soient concentrées dans une zone ou dans une autre.

Dans cette situation, il est difficile de se rendre compte des mesures qui peuvent être prises, à moins de tenir compte d'autres facteurs. Il n'est pas dans les intérêts de l'Etat dans les eaux duquel sont capturés les poissons de petite taille (ou autrement “indésirables”) de réduire ses prises au profit d'un ou de plusieurs autres, même si une telle ligne de conduite peut accroître les captures de l'ensemble des pays concernés. Il est certain que le projet de texte du nouveau droit de la mer, qui appelle - par exemple à l'Article 63 - à la consultation et à la collaboration entre les Etats, n'invite pas à consentir des sacrifices de ce type aux fins de la conservation ou d'un meilleur aménagement. Toutefois, étant donné que les avantages pour un pays dépassent les inconvénients pour l'autre (sans quoi le total ne s'en trouverait pas augmenté), ce type de situation offre manifestement au pays bénéficiaire la possibilité d'offrir des compensations à l'autre dans le cadre d'autres négociations (n'intéressant pas forcément le secteur de la pêche). Un pays peut très bien se trouver en mesure de décourager toute nouvelle expansion d'une pêche nationale ramenant du poisson de petite taille en retour de concessions dans d'autres domaines; il peut toutefois être beaucoup plus difficile, spécialement au niveau politique, de prendre des mesures pour réduire une pêche nationale. La véritable solution, pour un meilleur aménagement des pêcheries en cause, pourrait être toutefois que le pays où se trouvent les poissons de grande taille autorise l'accès de l'autre à sa ZEE.

4.5   La pêche dans les ZEE d'autres pays

L'accès de navires étrangers au ZEE nationales a considérablement retenu l'attention. Les échanges de vues ont concerné presque uniquement l'accès d'Etats qui n'ont pas d'intérêt spéciaux dans un stock à la partie de la capture potentielle - l'“excédent” - qui n'est pas prélevée par l'Etat côtier. On a beaucoup plus rarement examiné les possibilités d'exploitation d'un stock partagé par les pêcheurs de l'un des Etats venant opérer dans la ZEE d'un Etat adjacent.

Dans le cas des stocks qui effectuent des migrations saisonnières et pour lesquels deux pays se sont mis d'accord sur la répartition des captures totales, il revient presque au même pour un pays A que le pays B pêche sa part du total dans sa propre ZEE ou dans celle de A. Cela peut toutefois faire une très grande différence pour le pays B, et pour la rentabilité économique de ses opérations, de pouvoir pêcher sa part dans l'une et l'autre ZEE. Dans beaucoup de cas, on permettrait ainsi à une pêche qui est normalement hautement saisonnière de poursuivre ses opérations pendant la plus grande partie de l'année. Prenons, par exemple, un cas extrême, celui de la Gambie, dont la ZEE est une bande étroite que d'importants stocks de sardinelles (et autres espèces) traversent au cours de leurs migrations. Les poissons ne sont présents dans les eaux gambiennes en concentrations et nombres suffisants pour alimenter une pêche industrielle que pendant des périodes brèves et irrégulières, mais ils se trouvent à d'autres moments dans les eaux sénégalaises ou autres. Pendant les périodes où ils se trouvent en Gambie, les captures totales pourront être élevées (susceptibles d'alimenter une pêche industrielle de bonnes dimensions) mais cette pêche industrielle gambienne ne sera viable que si elle a l'accès au stock partagé lorsque celui-ci se trouve dans les eaux sénégalaises ou autres.

Les avantages sont encore plus grands avec l'autre type de migrations, à savoir celles liées au développement du poisson. Si, par exemple, le pays où se trouvent les alevinières est autorisé à pêcher les poissons adultes lorsqu'ils se trouvent dans la ZEE d'un autre pays, cela l'incitera à réduire l'exploitation des poissons de petite taille.

La distinction entre d'une part l'accès à un “excédent” accordé à un Etat non côtier et, de l'autre, le transfert d'une ZEE à une autre des opérations menées par un Etat côtier sur un stock partagé devrait maintenant être claire. Dans le premier cas, l'Etat aux pêcheurs duquel l'accès à la pêcherie est autorisé n'a ni autorité ni pouvoir de juridiction sur le stock; dans le second, il possède un pouvoir de juridiction sur le stock dans la mesure où il se trouve aussi dans sa propre ZEE. Dans ce dernier cas, les décisions concernant le mode d'exploitation par chacun des pays qui se partagent le stock pourront être prises en deux étapes: tout d'abord, il s'agira d'établir les parts revenant à chaque pays (par exemple, attribution de parts d'une capture totale admissible), ce qui sera fait dans une large mesure sur la base de la répartition du stock par rapport aux ZEE nationales; ensuite, des accords pourront être conclus pour définir dans quelle mesure un pays pourra pêcher sa part dans la ZEE d'un autre. Par exemple, l'URSS dispose d'une part importante de la CTA de morues de l'Arctique-Norvège, parce qu'une grande partie des zones de nourrissage des jeunes morues et les fonds de pêche les plus productifs pour la capture des sujets de petite taille se trouvent dans la ZEE soviétique. Toutefois, il serait probablement avantageux pour la Norvège, dans la ZEE de qui se trouvent les frayères ainsi que la plupart des meilleurs fonds de pêche pour les morues de grande taille, qu'une grande partie de la part soviétique soit capturée dans la ZEE norvégienne, à savoir plutôt sous la forme de morues de grande taille.

Indépendamment d'une meilleure rentabilité économique et peut-être aussi d'une meilleure adaptation des opérations aux fins de l'utilisation rationnelle du stock, l'accès aux ZEE de pays adjacents pourrait avoir un autre effet bénéfique. Spécialement s'il y a accès réciproque, ce mode d'exploitation pourrait conduire à plus de confiance mutuelle en ce qui concerne l'observation effective des accords relatifs aux mesures d'aménagement (limitations des captures ou du nombre de bateaux).

4.6   Dispositif administratif

Pour l'aménagement des stocks migrateurs partagés, il sera nécessaire que les pays concluent des accords officiels, ayant force obligatoire, en ce qui concerne les mesures à appliquer. Alors que dans le cas des stocks frontaliers non migrateurs, il suffira que chaque pays prenne des mesures conformes à son propre intérêt national pour que tout aille bien (ou raisonnablement bien), par contre, l'adoption de procédures égoïstes analogues dans le cas des stocks migrateurs partagés déterminera une concurrence pour la maximisation des parts nationales, et par suite la même surexploitation, avec ses catastrophes, que l'on a toujours observé dans les pêcheries à accès libre.

Deux types d'arrangements sont possibles. L'un consiste à établir une commission permanente dont les recommandations ont un caractère obligatoire pour les pays membres (sous réserve habituellement de quelque procédure d'“objection”). Dans l'autre cas, les accords sont conclus directement entre les gouvernements, éventuellement sur un base ad hoc pour chaque année. Dans la pratique, une procédure hybride a quelquefois été suivie. Par exemple, l'aménagement de l'albacore dans le Pacifique est se fonde sur les analyses effectuées par la Commission interaméricaine du thon tropical (CIATT). Après que celles-ci aient été discutées au sein de la Commission et que les niveaux suggérés pour les captures totales aient été examinés, de nouveaux échanges de vues intergouvernementaux ont lieu en dehors de la Commission pour examiner en détail les réglementations à mettre en application (par exemple exemptions accordées aux navires de petite taille ou aux pays ayant de petites flottilles). C'est seulement après que l'on se soit mis d'accord sur des mesures détaillées à ces réunions tenues hors du cadre de la Commission que celle-ci se réunit de nouveau pour convenir officiellement du contingent global. Une procédure assez analogue a été suivie pendant un certain temps pour les baleines de l'Antarctique. Les entretiens décisifs sur la répartition du contingent entre les pays avaient lieu hors du cadre de la Commission internationale baleinière.

Peut-être jugera-t-on souvent utile d'adopter des procédures analogues en ce qui concerne les stocks partagés. Beaucoup ne le sont qu'entre un nombre limité de pays. La situation la plus fréquente est sans doute celle où deux pays adjacents seulement se partagent un stock dont l'aire de distribution s'étend de part et d'autre de la frontière entre leurs ZEE. A l'époque faisant suite à l'UNCLOS, il est peu probable que ces pays souhairont que d'autres participent aux échanges de vues sur l'aménagement de leurs stocks. La composition des organismes régionaux des pêches, et même celle de leurs sous-comités ou autres groupements sous-régionaux, ne correspond que dans de très rares cas à celle du groupe de pays qui se partagent un stock particulier; elle est habituellement plus large. Par ailleurs, les réunions de ces organismes fournissent la tribune nécessaire pour examiner en termes généraux les problèmes soulevés par l'aménagement des stocks de la région et elles offrent aux pays l'occasion de tenir des réunions de groupe pour se mettre d'accord sur des mesures spécifiques. Il se pourrait donc que les organismes régionaux des pêches participent de manière moins officielle à l'aménagement des stocks (puisque les décisions officielles seront prises à des réunions ad hoc de pays directement concernés), mais deviennent en pratique plus influents (puisque leurs réunions offriront la possibilité d'aboutir à des décisions plus concrètes en matière d'aménagement que cela n'a jamais été le cas à l'époque pré-ZEE des pêcheries à accès libre).

4.7   La pêche en haute mer

A première vue, il ne semblerait pas que le nouveau droit de la mer modifie grandement les conditions de la pêche au-delà de la limite des 200 milles. Des sections appropriées du projet de texte invitent les pays concernés à collaborer en vue d'un aménagement rationnel, mais, au sens officiel, elles ne représentent pas beaucoup plus que l'expression d'un espoir.

Les incidences réelles des modifications du régime juridique sont toutefois très importantes pour beaucoup de stocks. La plupart des stocks concernés - qui sont presque tous des thons - sont également exploités dans la limite des 200 milles. Leur pêche tombera sous le contrôle du ou des Etats côtiers et, dans les cas où les captures en haute mer représentent une forte proportion du total, les Etats côtiers pourraient être en mesure d'instaurer un régime d'aménagement qui ne sera pas très différent de l'une ou l'autre des situations déjà décrites dans la présente section. Prenons un cas assez extrême, celui des Etats insulaires du Pacifique sud-ouest. La géographie de la région est telle que les ZEE des différents pays forment une mosaïque serrée et ne sont separées que par une très petite zone de haute mer - certainement trop petite pour qu'il soit possible d'y pêcher la bonite à ventre rayé ou autres thons (principale ressource de la région) sans avoir accès à quelques-unes au moins des ZEE nationales. Les Etats côtiers, en particulier s'ils coordonnent leurs négociations avec des flottilles de pêche non locales, pourront se trouver à même d'assurer que figure parmi les conditions d'accès, un accord prévoyant que les navires étrangers devront se conformer aux dispositions régionales en matière d'aménagement, même lorsqu'ils pêchent en haute mer. Le Pacifique sud présente une autre caractéristique inhabituelle en ceci que beaucoup des nouveaux Etats insulaires ne sont pas en mesure de s'engager dès à présent dans la pêche au thon sur une grande échelle et que, pendant l'avenir prévisible, une grande partie des opérations resteront le fait de navires basés à l'extérieur de la région. Nous pouvons uniquement faire allusion ici à la complexité des arrangements qui ont commencé d'être pris dans cette région. Le point essentiel est que le nouveau régime juridique de l'océan, associé aux accidents de la géographie locale, a transformé les stocks de thons de cette partie du monde en une ressource potentiellement contrôlable par les Etats côtiers, si bien que les problèmes à résoudre sont dans une grande partie les mêmes que pour les autres stocks migrateurs partagés entre plusieurs pays (quoiqu'en attendant l'analyse complète des expériences de marquage effectuées par la Commission du Pacifique sud, la nature exacte du partage ne soit pas très bien établie).

L'albacore vivant dans la partie orientale du Pacifique tropical est un cas plus typique. Il peut être pêché en grandes quantités aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de la zone des 200 milles dans les eaux qui s'étendent au large de l'Amérique centrale, depuis le Mexique jusqu'à l'Equateur. L'impossibilité d'opérer à l'intérieur de la limite des 200 milles aurait pour effet de réduire l'efficience et la rentabilité de la pêche non locale, mais elle ne la rendrait pas complètement impraticable. Dans cette situation, la plupart des problèmes qui ont fait obstacle à un aménagement efficace à l'époque pré-ZEE - à savoir la nécessité d'un consensus pour l'adoption de mesures d'aménagement, et le fait que des pays qui ne sont pas partie à l'accord peuvent participer à la pêche et s'assurer la plus belle part des bénéfices de l'accord - restent les mêmes. Quoique l'on se soit beaucoup intéressé aux méthodes d'aménagement des stocks de thon (par exemple Joseph et Greenough, 1979; King, 1979), la manière de réaliser un aménagement efficace est toujours loin d'être claire. La dynamique des populations de thons (dans la mesure où elle est actuellement connue) est telle que l'échec des mesures d'aménagement en apparaît à la fois plus probable et moins dangereux. A la différence de certains autres groupes de poisson (notamment le hareng et les espèces voisines), les thons (à l'exception possible du thon rouge) semblent avoir une bonne faculté de récupération lorsqu'ils sont intensément exploités, ce qui permet de maintenir la production brute. En l'absence d'un aménagement efficace, l'industrie de la pêche a pu avoir des difficultés économiques, mais il n'y a pas eu d'épuisement des pêcheries de thons. Par ailleurs, de même que lorsque l'on a un grand danger suspendu sur la tête, l'épuisement d'une pêcherie a l'effet merveilleux de concentrer l'attention sur le problème. L'histoire de la chasse à la baleine et celle d'autres pêches montrent clairement qu'il faut souvent en arriver là pour que des mesures d'aménagement efficaces soient mises en application. En l'absence de tels stimulants à agir, il faudra peut-être un certain temps avant l'instauration d'un strict régime d'aménagement des stocks de thon. Mais, en tout état de cause, il ne nous est pas possible d'approfondir ici ce problème.


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