Page précédente Table des matières Page suivante


Chapitre 1 - La migration et l’urbanisation en Afrique

L'histoire des migrations et de l'urbanisation en Afrique au Sud du Sahara peut être découpée en trois grandes étapes (Gregory, 1988). Du XVIIe au XIXe siècle la traite des esclaves domine; entre 1880 et 1945, la pénétration coloniale accroît les besoins de main-d'œuvre (travail forcé) et entraîne l'implantation de quelques villes-comptoirs. Pendant l'époque coloniale également, certaines migrations intra-africaines ont été favorisées afin d'accélérer le développement économique de certaines régions stratégiques. Les populations de l'intérieur ont été encouragées à émigrer vers des pays comme le Sénégal et, davantage encore, la Côte d'Ivoire, le Ghana et plus tard le Nigeria. Depuis 1945, et surtout depuis les indépendances, les migrations spontanées se sont accélérées. De plus, les facteurs politiques et écologiques (lutte de libération nationale, oppression dans certains États, sécheresse, désertification) ont déterminé d'importants mouvements migratoires internes et externes. L'exode rural a longtemps été massif. Mais, avec la crise que traversent les pays africains depuis le début des années 80, cet exode tend à se ralentir, voire à s'inverser dans certains pays.

Figure 1: Croissance migratoire selon le milieu 1988-1992

Source: Enquêtes du REMUAO, CERPOD, 1995
Les résultats préliminaires[2] des enquêtes «migration et urbanisation» en Afrique de l'Ouest (REMUAO) coordonnées par le CERPOD (Institut du Sahel) permettent de faire le point sur la réorientation actuelle de certains flux. Ils montrent que les flux en provenance ou à destination du milieu rural sont devenus, dans la période 1988-92, majoritaires en Afrique de l'Ouest. Dans l'ensemble des flux migratoires entre villes et campagnes, les flux du monde rural vers la capitale se sont fortement ralentis. Ils ne comptent respectivement que pour 11 pour cent en Côte d'Ivoire, et 33 pour cent au Burkina Faso, du total des échanges entre villes et campagnes. En fait, les flux en sens inverse, de la capitale vers le milieu rural, sont assez importants. On observe même, en Côte d'Ivoire, que les migrants ivoiriens sont plus nombreux à quitter Abidjan pour la campagne que l'inverse (Bocquier, Traoré, 1995).

Si l'on considère les échanges sans distinguer leur orientation, les migrations entre le milieu rural et la capitale sont inférieures aux migrations entre le milieu rural et les autres villes dans trois pays: la Côte d'Ivoire, le Mali et surtout le Niger. Le bilan des migrations internes est très contrasté d'un pays à l'autre. Pour en rendre compte, on a isolé, pour les années 1988-1992, le croît migratoire interne moyen annuel de chaque milieu indépendamment des migrations internationales et du mouvement naturel (voir figure 1). Si les échanges internes se font plutôt au détriment du milieu rural au Burkina Faso, au Mali et au Sénégal, la balance migratoire du milieu rural est presque nulle en Guinée et au Niger, tandis que le phénomène s’inverse en Côte d'Ivoire où le milieu rural connaît un croît migratoire de un pour cent.

À l'exception de Niamey où la croissance migratoire est quasi nulle, les capitales restent plutôt bénéficiaires des flux de populations. Les capitales ont une croissance migratoire interne généralement plus rapide que le reste du milieu urbain.

La migration vers la ville induit bien souvent une multi-résidence des conjoints. On multiplie les pôles d'activités ruraux ou urbains, et chacune des femmes réside dans l'un de ces pôles. Ce qui apparaît comme une stratégie de diversification des sources de revenus peut être aussi, dans d'autres cas, une diversification des pôles de consommation. La pénurie et la cherté du logement urbain, ainsi que le coût de la vie, conduisent de plus en plus de citadins à dissocier la résidence du chef de ménage et celle de la (ou des) épouse(s) qui réside(nt) ailleurs à la campagne (Locoh, 1989). Cette résidence multipolaire entraîne d'importants flux financiers entre la ville et la campagne: à Abidjan, huit pour cent des revenus sont transférés en zone rurale; au Ghana, une étude plus ancienne de Caldwell relevait que 10 pour cent des revenus gagnés à Accra partent à la campagne (Mahieu, 1989).

Dans les villes, les migrants croient trouver un cadre de vie plus attrayant. Il y a des infrastructures socio-économiques (santé, école, loisirs), les emplois y sont concentrés et le cadre de vie semble plus agréable. Mais en fait, ici aussi, l'accès aux ressources dépend des revenus, qui se sont considérablement amenuisés avec l'approfondissement de la crise économique et la croissance rapide des populations urbaines. En ville, l'insertion pose toute une série de problèmes (accès au logement, au travail, etc.). La majorité des migrants n'a pas les qualifications nécessaires pour prétendre aux postes du secteur moderne; mais, en contrepartie, ils sont prêts à tous les travaux, et sont relativement moins touchés par le chômage urbain que les natifs des villes. Cette forte disponibilité de main-d'œuvre contribue à maintenir la rémunération des travaux non qualifiés à un niveau très bas. La filière souvent exploitée est le secteur dit informel. Elle semble être la porte d'entrée privilégiée des migrants qui s'appuient sur différents réseaux relationnels omniprésents dans le contexte de la migration africaine (Antoine et al, 1995; Ouedraogo, Piché, 1995).

Les migrations féminines vers les villes tendent à devenir aussi importantes que celles des hommes (dans certains cas, elles sont plus nombreuses (Findley, 1989)). L'accès des migrantes au marché du travail est plus difficile du fait de leur faible niveau de scolarisation. On observe un rééquilibrage progressif du rapport de masculinité dans les villes, et la féminisation relative de la pyramide des âges en ville entraîne une hausse du taux de natalité, même si la fécondité tend à diminuer du fait d'un mariage plus tardif.

Le taux de scolarisation est beaucoup plus élevé dans les capitales que dans les régions de l'intérieur. Les meilleurs établissements scolaires, l'université, la majorité des fonctionnaires et des travailleurs du secteur moderne sont concentrés dans la capitale ainsi que les meilleures infrastructures sportives et culturelles. Ces villes exercent, par conséquent, une attraction irrésistible sur la population scolarisée qui espère s'y épanouir plus facilement. Cette scolarisation bénéficie particulièrement aux jeunes filles, dont le niveau scolaire s’accroît et qui aspirent ainsi à des tâches plus valorisantes que les seules activités domestiques.


[2] Et encore provisoires.

Page précédente Début de page Page suivante