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Module 4 - Les dispositions de l’Accord ADPIC relatives à l’agriculture (2e partie)


Objectif
Points clés
4.1 Introduction
4.2 Brevets: Articles 27-34
4.3 Examen analytique de l’Article 27.3(b): Terminologie
Bibliographie


R. Silva Repetto et M. Cavalcanti
Bureau juridique

Objectif

Le présent module a pour objectif de se familiariser avec les dispositions et principes de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) en matière d’agriculture, afin que les Etats puissent mieux s’acquitter des obligations énoncées dans l’Accord et se préparer aux négociations multilatérales en vue de son réexamen.

Points clés

· La réglementation définie par l’Accord autorise les pays à ne pas breveter les organismes supérieurs, qu’ils soient végétaux ou animaux, ainsi que les procédés biologiques essentiels pour la production de plantes et d’animaux.

· Les Etats Membres doivent en général mettre en place une protection par brevet des micro-organismes et des procédés non biologiques et microbiologiques.

· Les pays doivent également protéger les variétés végétales par des brevets, un système sui generis efficace ou par toute combinaison de ces deux moyens.

· Les systèmes de brevets conformes à l’Accord ADPIC ne sont pas toujours appropriés pour la protection de la matière vivante ou des produits qui en dérivent. Un système sui generis peut offrir une plus grande flexibilité dans la définition des moyens légaux de protection.

· Les obligations imposées par l’Accord laissent ouvert un champ d’interprétation très large, dû à l’absence de définitions des concepts clés qui y sont utilisés.

4.1 Introduction

Au titre de l’Accord ADPIC, les Membres sont tenus de prendre des mesures pour protéger les variétés végétales, soit par des brevets, soit par un système sui generis efficace, soit encore par une combinaison de ces deux moyens [Article 27.3 (b)].

L’Article 27 de l’Accord établit qu’un brevet pourra être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques. Dans ces domaines est également incluse la biotechnologie. L’Article 27.3 est une clause de dérogation au titre de laquelle les Membres pourront exclure de la brevetabilité les végétaux et les animaux autres que les micro-organismes, et les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux autres que les procédés non biologiques et microbiologiques.

4.2 Brevets: Articles 27-341

1 Voir aussi le module IV.2, section 2.3.3 e).

Le système des brevets est le meilleur instrument de protection de la propriété intellectuelle établi à l’échelon mondial. Néanmoins, l’Accord prévoit aussi un système de brevet «pionnier» pour le matériel biologique et les formes de vie. En raison de sa délicatesse, tant au plan juridique qu’éthique, ce thème a suscité de vives controverses. De profondes divergences d’opinion sur ses répercussions possibles caractérisent les pays qui ont des niveaux de développement et d’industrialisation différents, et mettent à jour des intérêts conflictuels dans les procédures de mise en œuvre et de négociation.

Le principe fondamental qui sous-tend le système des brevets est la forte impulsion donnée par la protection de la propriété intellectuelle à l’investissement dans la recherche et le développement. Ni les individus créatifs ni les investisseurs dans la recherche ne peuvent se permettre d’affecter à une entreprise d’importantes sommes d’argent sans en attendre une récompense en cas de succès. Les DPI sont estimés efficaces et, partant, nécessaires pour recouvrer le capital investi et stimuler le transfert de technologies entre les pays. Le système devrait permettre à la longue de réduire la dépendance des pays en développement vis-à-vis des fournisseurs étrangers de technologie.

Des points de vue opposés sur le système des brevets

Toutefois, ce point de vue n’est pas partagé par toutes les Parties contractantes. Les pays en développement, notamment, considèrent le système des brevets comme une restriction de leur capacité d’obtenir et d’exploiter les techniques de pointe étrangères alors qu’on leur impose de reconnaître des droits établis par les fournisseurs extérieurs de ces technologies. Ils estiment qu’un petit nombre de pays hautement développés détiendront ainsi le pouvoir sur le développement technologique. En outre, le système des brevets lèse les petits agriculteurs par rapport aux obtenteurs commerciaux, car il ne prévoit aucun mécanisme de reconnaissance et de récompense pour leurs efforts et ceux des communautés autochtones.

Les pays en développement insistent également pour que la matière vivante utilisée par l’industrie alimentaire et pharmaceutique soit exclue du domaine des brevets. Les études réalisées sur les conséquences générales de l’introduction ou du renforcement de la protection de la propriété intellectuelle dans les pays en développement ont suscité dans ces pays des préoccupations quant à la hausse possible des prix, et à la sécurité des approvisionnements en médicaments et cultures vivrières de base une fois que des brevets de produits auront été octroyés au titre de l’Accord.2

2 CNUCED, ONU (1996); p. 31.

Reconnaissant la divergence de ces points de vue, qui dépendent du niveau de développement des pays intéressés, l’Accord prévoit une large panoplie d’options pour mettre en œuvre le système au plan national. C’est pourquoi on ne s’attend guère à ce qu’il détermine une harmonisation mondiale des législations nationales en matière de brevets. Cependant, les dispositions relatives ont été à l’origine de différends entre les pays quant à la procédure d’interprétation et de réexamen de l’Accord. En raison de la divergence des intérêts et des vues, la manière dont les objectifs de l’Accord pourront être réalisés demeure équivoque.

Les inspecteurs de brevets ont du mal à s’adapter aux nouvelles biotechnologies3 et le texte de l’Accord reflète cette situation. L’Accord n’offre aucune aide car il ne contient pas de définition de l’«invention» et laisse donc les Parties contractantes relativement libres de tracer la ligne de démarcation entre les «découvertes» non brevetables et les «inventions» proprement dites dans le domaine biologique.4 L’absence de consensus concernant les brevets biologiques laisse aussi les pays libres d’appliquer les mesures de politique générale qui leur conviennent5. Mis à part la possibilité offerte aux Membres d’exclure de la brevetabilité certains produits et procédés, les Etats peuvent limiter la protection offerte par le brevet en adoptant une interprétation restrictive des critères de brevetabilité.

3 http://www.idrc.ca/books/725/chap4.html.

4 CNUCED, ONU (1996); p. 34.

5 Idem.

Les critères de brevetabilité et la biotechnologie

En fait, la plupart des critères nécessaires pour obtenir la brevetabilité sont mentionnés sans autres détails; c’est ainsi que le texte des accords énonce que «la nouveauté», «l’utilité» (capacité d’application industrielle), «l’esprit d’invention» (originalité) et «la divulgation» sont indispensables pour obtenir un brevet mais omet d’approfondir ces termes. En ce qui concerne les normes à la base de cette terminologie, les législations nationales adoptent différentes approches. Ainsi, selon les intérêts d’un pays, la législation en vigueur sera plus ou moins restrictive. Il en résultera des discussions concernant la mise en application des normes de brevetabilité.

Les pays pauvres en diversité biologique pencheront en faveur d’une interprétation plus générale du critère de «nouveauté» afin de couvrir une gamme plus large de produits biologiques industriels, qui diffèrent très peu du matériel d’origine, et d’étendre ainsi leurs droits de propriété sur du matériel vivant provenant d’autres pays.

En revanche, les pays riches en diversité biologique tendront à limiter l’applicabilité de la protection par le brevet en choisissant une définition plus restrictive du critère de «nouveauté», afin de conserver le contrôle sur leurs ressources et d’en régler l’exploitation, et de bénéficier en outre d’une part des avantages économiques et financiers qui en découlent. Ce même débat s’appliquera aux critères d’«utilité» et d’«esprit d’invention».

Pour ce qui est de la divulgation, des problèmes se sont posés relativement aux inventions biologiques car les parties intéressées ont parfois besoin de disposer du produit proprement dit et non simplement de sa description6. La législation nationale devra donc établir le lieu où ces matériels devront être déposés, les conditions d’entretien des échantillons et les moyens d’accéder aux produits en question. Dans la mesure où les pays membres jouissent d’un potentiel élevé de ressources biologiques ou en ont un grand besoin eux-mêmes, la législation adoptée favorisera ou découragera l’accès aux matériels en question en fonction des avantages économiques à en tirer.

6 CNUCED, ONU (1996); p. 35.

L’Accord laisse les pays membres libres de concevoir leur propre système de protection des variétés végétales soit par des brevets soit par un mécanisme sui generis «efficace» soit par une combinaison de ces deux moyens [Article 27.3(b)]. Les principales inquiétudes exprimées quant à l’établissement d’un système de DPI fondé simplement sur les brevets sont les mêmes que celles suscitées par l’introduction de régimes de protection intellectuelle en général. Il est estimé que les droits conférés par les brevets sont trop restrictifs et discriminatoires vis-à-vis des besoins du petit obtenteur, de l’agriculteur et des populations autochtones (dans les pays en développement, en particulier) qui dépendent de l’usage et de l’exploitation illimitée de leurs matières végétales.

Avantages d’un système sui generis

La concession de brevets à la matière vivante ou aux produits qui en sont tirés est une question chargée de fortes ambiguïtés qui justifient l’application d’un système sui generis. Une extrême flexibilité constitue une amélioration notable du système des brevets, ce que l’approche sui generis peut apporter. Ce système pourrait incorporer des éléments qui visent à renforcer la conservation de la diversité biologique, en reconnaissant la contribution apportée par les agriculteurs et les populations autochtones à l’amélioration des variétés végétales non commerciales, et faciliter l’introduction d’un mécanisme de partage des bénéfices.

On devra donc faire preuve de prudence en examinant les dispositions de l’Accord concernant les brevets. Les opinions et les conséquences dont il faudra tenir compte sont multiples et divergentes, et elles risquent de susciter de graves différends entre les pays. Les solutions les mieux adaptées à sa mise en œuvre et les plus équitables seront analysées dans les sections suivantes.

4.3 Examen analytique de l’Article 27.3(b): Terminologie

Les dispositions concernant la protection de la propriété intellectuelle dans les secteurs à haute intensité de recherche et de développement en matière de matériels biologiques et de formes de vie appliquent la loi sur les brevets à de nouveaux domaines. La manière dont est formulé l’Article 27.3(b) laisse planer de fortes incertitudes quant à ses répercussions juridiques. La complexité scientifique et juridique de l’objet impose une analyse détaillée de la terminologie employée, fondamentale pour le processus de mise en œuvre.

L’interprétation dépend de la signification des termes utilisés dans l’Article

La terminologie en question a suscité de nombreux débats portant sur son interprétation. Le problème principal réside dans le fait que, tout en se rapportant à une matière scientifique, elle reste vague dans la démarcation juridique de l’objet en question, autrement dit certains des termes employés pour définir la matière brevetable manquent apparemment de précision au plan scientifique et risquent d’entraîner des problèmes d’interprétation juridique.

L’Accord permet aux pays d’exclure de la brevetabilité les êtres vivants supérieurs, animaux ou végétaux, et «les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux et d’animaux». Cependant, les Membres sont tenus de fournir une protection générale par des brevets aux micro-organismes et aux «procédés non biologiques et microbiologiques». Les pays doivent protéger les variétés végétales par des brevets, par un système sui generis efficace ou par une combinaison de ces deux moyens.

A première vue, cette approche régulée des exceptions, et les exceptions aux exceptions, présente quelques difficultés. Elle traduit toutefois la complexité des principes qui régissent les droits de propriété sur la matière vivante. Pour déterminer dans quelle mesure les Membres sont effectivement obligés de conférer des droits de propriété intellectuelle sur les végétaux et les variétés végétales, il faudra examiner le système de règles et d’exceptions.7

7 Pour présenter ce thème l’auteur a suivi, en certains endroits, l’étude de Goebels, B. (1994).

4.3.1 Les végétaux

Définition des végétaux

L’emploi du terme «végétaux» à l’Article 27.3(b) donne à penser que la matière pouvant être exclue de la brevetabilité doit être prise dans sa totalité, y compris toutes les parties de la plante (matériel génétique, tissus, feuilles, etc.). Cette interprétation est conforme à l’objectif de l’Article 27.3(b) et est renforcée par le raisonnement utilisé dans cet article.8

8 Leskie, D. et Flitner, M. (1997); p. 19.

L’Article 27.3(b) ne précise pas si le système sui generis pour la protection des variétés végétales ne s’applique qu’à un nombre limité de genres et d’espèces botaniques, ce qui signifie qu’il doit s’appliquer en principe à tous les genres et espèces. Suivant cette interprétation, rien dans l’Accord n’empêche les Membres d’octroyer une protection dans le cadre d’un système sui generis à une matière autre que les variétés végétales (savoir traditionnel ou indigène, droits de l’agriculteur, etc.).

Bien que les Membres ne puissent exclure de la brevetabilité une innovation uniquement parce qu’elle consiste en matériel vivant, ils sont libres de le faire pour de simples découvertes de matériel vivant ou de matériel vivant dont l’utilisation est déjà connue. S’il est vrai que l’article ne définit pas les critères de brevetabilité (nouveauté, originalité et applicabilité industrielle), le deuxième critère pourrait représenter un obstacle pour les variétés végétales améliorées par des techniques de sélection classiques.

4.3.2 Les micro-organismes

Définition des micro-organismes

Au titre de l’Article 27.3(b), les micro-organismes sont obligatoirement brevetables. Ils sont communément définis comme tout organisme microscopique, y compris les bactéries, les virus, les algues et protozoaires unicellulaires et les champignons microscopiques. Ils sont considérés comme appartenant à une catégorie de vie autre que celle du règne animal et végétal. Les cellules et les tissus des végétaux et animaux supérieurs font partie du domaine de la microbiologie mais ne sont pas des micro-organismes.

L’Article 53(b) de la Convention sur les brevets européens contenait une exclusion similaire à celle de l’Article 27.3(b). Au moment d’adopter la Convention, il a été estimé nécessaire de préciser que l’utilisation de micro-organismes, c’est-à-dire les procédés de fermentation, étaient brevetables. La législation sur les droits des obtenteurs dans les pays en développement est, dès lors, durement affectée par l’obligation de protéger par un brevet les micro-organismes.

4.3.3 Les procédés essentiellement biologiques

Que veut-on dire par «procédé essentiellement biologique»?

Au titre de l’Article 27.3(b), les Membres pourront exclure les «procédés essentiellement biologiques» de la brevetabilité. Dans le domaine des sciences naturelles un «procédé biologique» consiste en toute activité biologique entreprise par un être vivant, moléculaire, cellulaire ou au niveau de l’organisme. Le terme «essentiellement» contenu dans l’expression «procédé essentiellement biologique» n’étant pas scientifique, il requiert une définition plus détaillée.

Un procédé «essentiellement» biologique pourrait indiquer chacune des activités biologiques importantes: réplication, transcription et traduction de l’ADN, par exemple, ayant lieu au sein d’une cellule et nécessaire à la perpétuation des êtres vivants. Au niveau de l’organisme, les activités physiologiques comprenant la respiration, la photosynthèse, la reproduction, etc. sont considérées comme des procédés essentiellement biologiques.

En étendant l’exclusion facultative de la brevetabilité aux «procédés essentiellement biologiques», l’Accord reprend la clause d’exclusion de l’Article 53(b) de la Convention sur les brevets européens. Il convient, toutefois, d’observer que cet article de la Convention poursuit un objectif très différent, à savoir l’exclusion totale de la brevetabilité de certaines matières, alors que l’Article 27.3(b) de l’Accord ADPIC, plus conciliant, laisse les Membres libres de décider de certaines questions.

Toutefois, pour les besoins de la législation, la portée des «procédés essentiellement biologiques» a été interprétée de manière restrictive, dans le but principalement d’étendre l’octroi de brevets. La commission technique de l’Office européen des brevets (OEB) donne une définition négative de ce qui ne constitue pas un «procédé essentiellement biologique», à savoir un procédé pour l’obtention de végétaux comprenant au moins une mesure technique de base qui ne peut être appliquée sans l’intervention humaine, et qui a un impact décisif sur le résultat final. Dans ce sens, l’expression «essentiellement biologique» devrait s’entendre dans le sens d’un procédé se déroulant sans l’application par l’homme de compétences techniques extérieures. Le critère décisif devient alors l’intervention humaine. Cependant, un «procédé biologique» exclut par définition la manipulation; c’est-à-dire que dès qu’une technologie humaine intervient dans un procédé naturel indépendant, elle en neutralise le caractère biologique pour le rendre artificiel. L’intervention humaine ne paraît donc pas être un critère approprié pour faire la distinction entre un «procédé essentiellement biologique» et un «procédé biologique».

Il est cependant douteux que l’interprétation de l’Article 53(b) de la Convention sur les brevets européens puisse réellement servir de guide pour interpréter l’Article 27.3(b) de l’Accord ADPIC. Si «essentiellement biologique» signifie «non technique», il aurait été irrationnel de déclarer expressément la brevetabilité de deux procédés dont le caractère technique est manifeste au plan des moyens et des méthodes, à savoir les procédés microbiologiques et non biologiques. «Essentiellement biologique» doit être une notion plus étroite que le champ de la biologie, autrement il n’aurait pas été nécessaire de recourir au terme «essentiellement». La ligne de partage entre les procédés essentiellement biologiques et les autres correspondra sans doute au moment où la technologie entre en jeu dans le déroulement du procédé. Cependant il paraît improbable que puisse être fixé un seuil net et précis au-delà duquel l’intervention de la technologie rend un procédé autre qu’«essentiellement biologique» aux termes de l’Accord. On pourrait plutôt supposer que l’Accord, en utilisant ces mêmes expressions, traduit les différences d’opinion sur le champ d’application de l’Article 53(b) de la Convention sur les brevets européens, laissant aux Membres la liberté de définir «essentiellement biologique» dans son contexte spécifique.

Malgré cela, définir un «procédé biologique» comme ci-dessus, ajouterait une nouvelle dimension, à savoir le caractère «essentiel», à l’exclusion de la brevetabilité. Quelle que soit la manière dont ce caractère sera défini dans ce contexte, il en résultera au plan juridique une importante restriction du rayon d’action des Parties contractantes vis-à-vis de la mise en vigueur de ces dispositions. Autrement dit, les choix seront si limités que l’exclusion de la brevetabilité visée en sera pratiquement annulée. C’est pourquoi, du point de vue juridique, il serait préférable d’adopter la définition fournie par le Bureau technique de la Convention sur les brevets européens et tenter de mieux approfondir la question relativement à la gamme des exceptions possibles.

Un nouveau problème de clarification juridique se fait jour dans différents domaines biotechnologiques (génie génétique) où les procédés à multiples étapes, dans lesquels les procédés naturels et la manipulation technique sont étroitement imbriqués, représentent des traits inhérents. La question qui se pose est de déterminer, parmi les étapes parcourues lors d’une expérimentation, celle qui répond aux critères de «procédé essentiellement biologique» ou comment établir le stade qui détermine la brevetabilité dans des procédés à multiples étapes interconnectées. En définissant les critères du «procédé essentiellement biologique», les Membres devraient tenir compte des spécificités de la technologie moderne et donner une indication claire de l’objet susceptible d’être breveté afin d’éviter une application très divergente, voire contradictoire, dans les différents pays.

4.3.4 Les procédés microbiologiques et non biologiques

Selon l’Article 27.3(b), les procédés non biologiques et microbiologiques sont obligatoirement brevetables. La règle générale énoncée dans l’article prévoit que les végétaux peuvent être exclus de la brevetabilité. L’exception à cette règle est que certains procédés sont obligatoirement brevetables. Si de tels procédés étaient définis comme intéressant aussi la totalité de la plante obtenue par l’application, à un stade quelconque, de techniques microbiologiques, l’exception serait étendue et rendrait partiellement sans objet la règle générale, en soumettant les plantes à une brevetabilité accordée pour ainsi dire par la petite porte. Du moment qu’une telle hypothèse n’est pas confirmée par la formulation du texte de l’Article 27.3(b), on peut supposer qu’un procédé microbiologique n’est que le stade où sont appliquées effectivement des techniques microbiologiques en utilisant des cellules de plantes ou des micro-organismes.

La protection par le biais du procédé

Il convient maintenant de définir le produit qui est obtenu directement par le procédé protégé, c’est-à-dire l’étendue de la protection conférée aux termes de l’Accord. L’Article 28.1(b) prévoit l’octroi d’une protection par le biais du procédé pour les produits obtenus «directement» grâce au procédé breveté. L’emploi du terme «directement» plutôt que «produits obtenus» donne à penser que cette protection ne s’applique qu’au résultat immédiat du procédé breveté, soit la cellule modifiée. Du moment que le procédé protégé ne comprend pas la régénération de la totalité de la plante à partir, par exemple, d’une cellule modifiée obtenue par un procédé protégé, la protection par le biais du procédé ne s’étend pas non plus à l’ensemble de la plante mais seulement à la cellule qui est le dernier stade où interviennent les techniques microbiologiques. Les objets d’une concession obligatoire de brevet sont donc les cellules, les lignées cellulaires ou les séquences génétiques obtenues par des techniques microbiologiques.

Les brevets conférés aux procédés visent en premier lieu à protéger ces derniers; étendre cette protection à toute plante qui contient la cellule protégée équivaudrait à introduire par la petite porte un brevet pour les cellules végétales. S’il s’agissait de cette protection, elle aurait été régulée, par exemple, en définissant les micro-organismes comme étant formés de cellules. Obtenir des brevets pour les produits par le biais de la protection du procédé serait approprié si cette protection était l’objet de la législation. Cependant, la règle formulée à l’Article 27.3(b) paraît plutôt l’opposé: les Membres pourront exclure les végétaux de la brevetabilité. L’extension de brevets par le truchement des procédés serait donc, non seulement une approche par la petite porte, mais aussi une extension de l’exception au détriment de la règle générale. Le fait qu’une telle approche ne soit pas étayée par le texte de l’Article 27 signifie sans doute que l’Accord n’étend pas obligatoirement cette forme de protection au matériel végétal obtenu par autoreproduction de la plante.

Ce même cas s’applique aux procédés non biologiques que l’on peut décrire comme ayant un caractère technique. Il n’existe pas de ligne de démarcation nette entre les procédés non biologiques et les procédés microbiologiques. D’une manière générale, toute méthode de génie génétique peut être considérée comme «non biologique», notamment les procédés dont le produit n’aurait pu être obtenu naturellement, mais non pas, partant, les méthodes de sélection conventionnelles.

4.3.5 Les variétés végétales

L’Article 27.3(b) prévoit que les Membres pourront exclure les végétaux et les animaux de la protection conférée par les DPI. Cependant, il existe une exception: les Membres sont obligés de fournir une protection à une catégorie spécifique, à savoir les variétés végétales, soit par des brevets conformément à l’Accord soit par un système sui generis, soit par une combinaison de ces deux moyens.

L’absence de définition commune

Les complications naissent du manque de classification des variétés végétales en races ou espèces. Alors que les pays hautement industrialisés favoriseront une interprétation plus large afin d’étendre la protection octroyée aux produits biotechnologiques, ceux qui dont l’économie repose sur des pratiques agricoles traditionnelles chercheront, au contraire, à restreindre cette interprétation pour promouvoir la disponibilité illimitée des espèces végétales. La tâche principale consiste donc à s’accorder sur une définition commune de ce qu’est une «variété végétale» afin de permettre aux Membres une mise en œuvre harmonieuse des dispositions de l’Accord.

Dans le secteur agricole, une nouvelle variété végétale est normalement reconnue par sa distinction, son uniformité et sa stabilité. Ces variétés sont le fruit de techniques de sélection classiques qui consistent à croiser des variétés ou des races interconnectées. Cependant, lorsqu’une plante est modifiée par un gène d’une espèce totalement étrangère, la plante transgénique stable est distinctement différente de la plante d’origine et exprime uniformément la nouvelle caractéristique. Définir ces plantes transgéniques comme «nouvelles variétés» fait l’objet de débats animés.

Si ces végétaux génétiquement modifiés sont considérés comme de nouvelles variétés, ils auront un jour droit à une protection soit par des brevets soit par un autre système. Etant donné la facilité avec laquelle les codes génétiques contenus dans les êtres vivants peuvent être altérés par les nouvelles méthodes biotechnologiques, les obtenteurs industriels pourront instaurer des monopoles d’information génétique en manipulant des codes génétiques secondaires aux seules fins de la brevetabilité. Il s’agit là d’une politique dangereuse qui pourrait être encouragée en étendant la protection à toute l’information génétique contenue dans un «nouvel» organisme végétal. Les agriculteurs et les obtenteurs traditionnels deviendraient ainsi tributaires des produits biotechnologiques.

Arguments en faveur d’une définition restreinte

C’est pourquoi l’unique solution équitable consistera à limiter la gamme de produits pouvant faire l’objet d’une protection en restreignant l’interprétation de l’expression «variétés végétales» telle qu’elle est utilisée dans l’Accord. Lorsque les principaux intérêts des industries agricoles résident dans la recherche et le développement de caractéristiques végétales attractives au plan commercial, ces résultats seuls devront faire l’objet d’une protection de la propriété intellectuelle. L’octroi sélectif de brevets, limité à une manipulation ou un procédé génétique spécifiques ou à un trait particulier qui en serait le résultat, devrait conférer suffisamment de protection, et éliminerait les effets préjudiciables décrits ci-dessus.

Les Parties contractantes devront donc rechercher une définition du terme «variété végétale» qui aille dans le sens d’une solution de compromis entre la biotechnologie industrielle et les intérêts des agriculteurs traditionnels.

Bibliographie

CNUCED, ONU. 1996. The TRIPS Agreement and Developing Countries. New-York, Genève.

FAO. 1994. Breeders’ Rights legislation in developing countries in the light of the Biodiversity Convention and the GATT, par Burkhart Goebels. Rome.

Leskien, D. et Flitner, M. 1997. “Intellectual Property Rights and Plant Genetic Resources: Options for a «Sui Generis» System”, dans Genetic Resources no 6, p. 19. Editor: Jan Engels. International Plant Genetic Resources Institute (IPGRI), Rome.


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