Page PrécédenteTable des MatièresPage Suivante

Chapitre 4
Considérations stratégiques

Etudes économiques et analyse de la politique des interventions en gestion du sol

Une grande partie de la recherche axée sur la politique ayant pour sujet la productivité des sols a un contenu économique significatif, ou pourrait tirer bénéfice de l'analyse économique pour aider à la conception et à l'évaluation de la politique. Par exemple, les actions pour améliorer l'accès des agriculteurs aux intrants augmentant la productivité du sol incluent : une réduction du coût des intrants, un investissement dans les infrastructures, des programmes de crédit pour encourager l'investissement sur l'exploitation, et des arrangements d'assurance-récolte basés sur les conditions climatiques variables (Reardon et al., 1997). D'autres actions demandent une analyse économique, telle que des analyses de : facteurs de risque qui empêchent l'utilisation d'intrants, schémas de production d'engrais ou de phosphate naturel, accès amélioré aux ressources hors exploitation agricole pour financer des investissements dans l'exploitation, ainsi que l'analyse de la rentabilité des diverses techniques de conservation des sols.

Beaucoup d'actions économiques impliquent d'établir des incitations appropriées pour la gestion améliorée du sol au niveau de l'exploitation. La figure 4 dépeint le processus décisionnel complexe que les agriculteurs pourraient employer en ce qui concerne la gestion du sol. Un tel modèle est approprié quand sont développées des politiques affectant la gestion du sol au niveau de l'exploitation. Cependant, les décisions sur les améliorations de productivité du sol exigent une compréhension claire des buts recherchés en matière de productivité du sol. Comparées à l'approche conventionnelle de l'érosion du sol axée sur la structure, les idées récentes adoptent une approche intégrative et participative. Les incitations à investir dans les structures des exploitations agricoles sont différentes de celles destinées à augmenter la culture de couverture et la matière organique. D'ailleurs, les politiques qui génèrent ces incitations seront elles aussi différentes. Par exemple, la première approche exige le recours au crédit pour financer les structures nécessaires sur l'exploitation, alors que la dernière tire plus d'avantages des améliorations de la vulgarisation et des programmes de formation d'agriculteur à agriculteur (Evans et al., 1999). Un mélange de ces deux approches pourrait être la solution la plus appropriée. Par exemple, l'investissement dans des chars à bœufs, du matériel de traction animale ou dans certaines structures, telles que les billons cloisonnés, peut être compatible avec l'augmentation de la couverture du sol ou de la matière organique. Les analyses financières et économiques peuvent aider à s'assurer qu'un juste mélange des politiques est offert aux agriculteurs.

Un endroit essentiel pour de telles analyses est représenté par les subventions sur les engrais minéraux. Depuis l'arrivée de l'ajustement structurel, les importantes subventions sur les engrais ont pratiquement disparu de l'ASS. Cependant, un appel réapparaît pour repenser leur suppression qui risque d'être controversé (Matlon et Adesina, 1997; Reardon et al., 1997; Evans et al., 1999; FAO, 1999). Hormis les soucis budgétaires d'un programme important de subvention, la difficulté se situe dans le rapport entre les engrais minéraux et d'autres intrants tels que la matière organique. Comme les agriculteurs perçoivent ces deux intrants comme des produits pouvant se substituer l'un à l'autre, concevoir une subvention pertinente est un défi. Si l'engrais devient relativement meilleur marché, les agriculteurs peuvent choisir d'en appliquer des quantités plus élevées au détriment d'autres intrants. De même, les subventions sur les engrais azotés réduisent l'intérêt pour la fixation biologique de l'azote (FBA). Négliger la matière organique du sol (MOS) risque d'avoir comme résultat de la subvention, une réduction de la durabilité du système de culture, plutôt qu'une augmentation. Concevoir des politiques pour augmenter la qualité et la quantité de la MOS est un plus grand défi, étant donné l'approvisionnement potentiel limité en MOS dans les systèmes de culture en Afrique. Cependant, l'utilisation accrue d'engrais entraîne de plus grands rendements des cultures et de plus grandes quantités de résidus de culture, et cela aide à augmenter la MOS. Une subvention idéale associerait une aide en engrais avec une action sur la MOS et éviterait les plus mauvais pièges des précédentes subventions aux engrais.

Encadré 3: Évaluation des subventions aux engrais et du reboisement pour améliorer la productivité du sol en Ethiopie

En Ethiopie, la dégradation des zones forestières a réduit la fertilité, et comme les approvisionnements en bois de chauffage sont devenus difficiles, les habitants ruraux se sont tournés vers la bouse pour la cuisson des aliments. Ceci détourne les engrais organiques de l'entretien de la fertilité du sol. Les programmes dont le but est d'améliorer l'approvisionnement en bois de chauffage créent une incitation au niveau de l'exploitation pour réorienter la bouse vers la restauration de la fertilité du sol et ces programmes concurrencent donc l'importation d'engrais dans une certaine mesure. La question est "quel est l'itinéraire pouvant entraîner les meilleurs avantages économiques nets ?" L'analyse de rentabilité des solutions de rechange exige l'évaluation des coûts d'utilisation des engrais minéraux importés et la comparaison de ces derniers avec le coût de remplacement d'une tonne d'engrais minéral importé par une quantité équivalente (en termes d'éléments nutritifs) de fumier. Dans le cas de l'engrais minéral, les évaluations du coût économique d'importation, de distribution et de vente au détail du DAP se situent entre 665 et 836 Br/t en 1992, selon la localisation dans le pays.

Les engrais organiques exigent une approche plus indirecte qui tient compte des fonctions jumelles que le fumier remplit dans le système de production domestique. Comme le fumier n'a pas de prix, sa valeur peut être dérivée de sa fonction (énergie et engrais) comme produit de remplacement du bois de chauffage produit à partir de forêts plantées. Une telle approche mesure les coûts d'opportunité d'abandonner le fumier comme carburant pour l'utiliser comme engrais. L'estimation de la valeur fertilisante du fumier s'est fondée sur un certain nombre d'hypothèses. L'économie des coûts d'opportunité due à l'utilisation du fumier comme engrais plutôt que comme énergie peut s'exprimer comme une valeur en terme de quantité de DAP que ce fumier peut remplacer. Ce calcul donne une valeur du fumier de 331 à 778 Br/t de DAP, selon le taux d'escompte utilisé. Ainsi, selon l'endroit et le taux d'escompte considérés, la promotion de la production de bois de chauffage pourrait libérer le fumier pour une utilisation en tant qu'engrais, et ceci peut être préférable à l'importation d'engrais minéral.

Source: FAO, 1992.

La discussion sur les subventions aux engrais fait partie de la question plus large du développement de politiques appropriées de gestion du sol. Dans la théorie, les subventions aux engrais sont préférables au soutien général des prix du fait d'une réponse mieux ciblée. Le soutien des prix encourage une gamme de réponses de la production, y compris l'expansion dans des zones marginales sensibles. Néanmoins, quelques analyses suggèrent que la manipulation limitée des prix peut être un outil potentiellement utile (Encadré 3). Une étude démontre que les droits d'entrée sur les fruits importés en Indonésie pourraient avoir l'effet bénéfique d'encourager l'investissement en agroforesterie pour tirer profit des prix domestiques plus élevés des fruits, tout en ayant également un impact salutaire sur la productivité du sol (Izac, 1994; Barbier, 1990). Dans certains cas, des ajustements plus larges de la politique macro-économique peuvent être préférables à des politiques sectorielles plus ciblées. En revanche, les subventions aux engrais risquent d'être plus efficaces, et sur de plus longues périodes, que les arrangements "nourriture contre travail" qui appuient les travaux de conservation du sol, bien que les deux approches visent différents problèmes de dégradation des sols (Vrije Universiteit d'Amsterdam, 1996). Des analyses économiques plus nombreuses concernant ces types de choix de politique seraient utiles. L'analyse présentée dans l'encadré 3 aide à mettre en valeur les compromis controversés de cette politique.

Incitations au niveau de la communauté

Une réponse au niveau de la communauté à un problème de dégradation exige des incitations favorables à ce niveau. Divers projets ont institué de telles incitations mais les occasions d'utiliser cette forme d'assistance exigent davantage de recherche (Izac, 1994; White et Runge, 1994; Izac, 1997). Les analyses financières et économiques sont indispensables pour établir le pouvoir d'attraction de l'action collective, car cela peut dépendre des avantages nets perçus par le participant individuel. Ces avantages nets mettent en balance la contribution apportée par des individus à l'effort commun avec leur part des bénéfices en résultant (Olson, 1965; Wade, 1987; Ostrom, 1990; Tang, 1992; Bardhan, 1993; Seabright, 1993).

Transferts internationaux

Les différentes nations ne tiendront pas compte des avantages mondiaux provenant de l'aide à la gestion des sols à moins qu'elles puissent récupérer une part de ces avantages. Les transferts internationaux peuvent fournir à certains pays les incitations supplémentaires permettant de consacrer plus de ressources à la productivité des sols. L'établissement des avantages de la gestion des sols aux niveaux local, national et mondial est une première étape dans le traitement de ce problème. L'analyse économique peut alors déterminer la taille appropriée des transferts internationaux permettant de compenser les avantages mondiaux des améliorations de productivité des sols. Cet argument est apparu tout récemment dans les cercles de la politique internationale (Pagiola, 1999a; Scherr, 1999). Le Fonds pour l'environnement mondial (FEM, plus connu dans sa forme anglaise : GEF = Global Environment Facility) est un mécanisme qui fournit aux pays le financement des augmentations de coûts encourues en s'attaquant à un problème de dégradation des sols d'importance mondiale. Pour être habilités à recevoir l'aide du GEF, les projets de gestion des terres en vue d'une séquestration du carbone dans les sols agricoles doivent le faire pour moins de 10 $EU/tonne de carbone séquestré, vu que ceci représente une évaluation des dommages évités. De plus, le mécanisme de développement propre fournit des moyens pour financer des transferts basés sur le changement climatique d'après le protocole de Kyoto. Un point clef pour que les agriculteurs puissent obtenir des crédits de CO2 est l'établissement de méthodes de vérification sûres et la présence d'intermédiaires. Des analyses plus sophistiquées examinent les moyens d'amener des transferts internationaux au niveau de l'exploitation et de considérer des paiements directs aussi bien que des crédits de carbone basés sur le marché (Pagiola, 1999a; Aylward, 1999).

FIGURE 5

Dégradation du sol, seuils critiques et norme minimum de sécurité

Source: Perrings et Pearce, 1994.

Normes minima de sécurité

La figure 5 montre une situation dans laquelle le lien entre la productivité du sol et les dommages mondiaux est incertain et où des seuils de dommages potentiels existent.

Dans un tel cas, une détérioration relativement mineure dans la productivité du sol peut avoir comme conséquence des événements catastrophiques (par exemple famine, déplacement d'éco-réfugiés). Un tel risque fournit une incitation à la communauté internationale pour appliquer le principe de précaution sous forme de norme minimum de sécurité (NMS), agissant de préférence en avance plutôt que plus tard afin d'empêcher un tel événement. Les coûts en résultant peuvent être considérés comme une sorte de prime d'assurance (Izac, 1994; Perrings et Pearce, 1994). Les analyses économiques peuvent estimer les coûts d'opportunité pour l'adoption de la NMS. Cependant, les incertitudes impliquées peuvent limiter leur utilité dans l'établissement d'une norme adéquate.

Productivité du sol et indicateurs de durabilité

L'analyse économique peut aider au développement d'indicateurs décrivant l'évolution dans le temps de la productivité des sols ou présentant son état en termes comparables à d'autres priorités de la politique, ceci exigeant habituellement la quantification en termes monétaires. De tels indicateurs construits au niveau macro-économique peuvent faciliter la réinterprétation des principales mesures macro-économiques telles que le rapport PNN/PNB qui ignorent l'épuisement du capital naturel. Il y a également un besoin d'indicateurs de durabilité à caractère plus général pour l'utilisation aux niveaux de l'exploitation, de la communauté et du bassin versant. Une variété d'indicateurs est utile pour attirer l'attention des décideurs et favoriser la gestion améliorée des sols à tous les niveaux.

Au niveau du village et de l'exploitation, les débats portent sur l'évaluation de la durabilité de systèmes de production spécifiques et, par déduction, la durabilité de la gestion du sol dans un système de production donné (Izac et Swift, 1994; Tisdell, 1996). La plupart du temps, traiter ce sujet commence en définissant ce que signifie la durabilité dans un sens opérationnel. Les concepts tels que le revenu durable font l'objet de diverses interprétations au sein d'un ménage, d'un village ou au niveau régional ou national. Des progrès ont été réalisés en développant des indicateurs appropriés pour accompagner les définitions résultant de ces interprétations afin d'essayer de relier la dégradation du sol au niveau de l'exploitation avec sa prise en compte au niveau national. Un des indicateurs liés au sol est le budget ou l'équilibre en éléments nutritifs des sols (Figure 2). Cependant, bien que ce soit un outil utile pour évaluer les changements de l'état de la productivité de sol, il est soumis à la critique pour diverses raisons et c'est un indicateur strictement physique sans contenu économique (Scoones et Toulmin, 1998). Sa plus grande utilisation pourrait être dans un cadre plus large considérant d'autres facteurs.

Les tentatives d'intégrer les changements de productivité du sol dans le système des comptes nationaux grâce à la comptabilité verte sont d'un intérêt capital au niveau de la planification macro-économique. Le Système de comptabilité intégrée environnementale et économique des Nations Unies est une initiative dans ce sens. En tant que capital naturel, le sol a les qualités des autres formes de capital car le désinvestissement peut diminuer sa productivité et l'investissement peut l'augmenter. En accord avec le traitement standard de l'investissement au niveau macro-économique, la comptabilité verte fait des ajustements afin que le désinvestissement ou l'investissement en capital naturel du sol contribue à une diminution (désinvestissement) ou à une augmentation (investissement) du bien-être économique mesuré, comme indiqué par le rapport PNN/PNB (Peskin, 1984 et 1989; Ahmed et al., 1989; Perrings et al., 1989; Repetto et al., 1989; Markandya et Perrings, 1991).

D'autres approches d'indicateur national incluent les calculs par la Banque mondiale des taux véritables d'épargne. Ceux-ci ajustent l'épargne domestique nette aux changements de la valeur des stocks de ressources et des dommages de la pollution (Hamilton et Clemens, 1999). Les efforts initiaux pour les pays de l'ASS n'incluent pas l'épuisement des ressources du sol mais cela pourrait être intégré avec des données appropriées. L'indicateur de Pearce-Atkinson est un indicateur plus formel de durabilité qui incorpore des éléments de l'idée véritable d'épargne. Le tableau 11 fournit une illustration de son utilisation. Pour obtenir une mesure de l'épargne nette, cet indicateur soustrait du taux de l'épargne, les taux de dépréciation du capital manufacturé et du capital naturel par rapport au PNB. Là où ce calcul est positif, alors l'économie est durable. Pour les pays du tableau 11, la dégradation du sol représente une part significative de la dépréciation du capital naturel. Le Zimbabwe semble être sur une voie durable mais la plupart des pays connaissent des niveaux significatifs de dépréciation du capital naturel. Les indicateurs de ce type peuvent mettre en valeur la perte de richesse nationale résultant de la dégradation du sol.

Les sciences économiques et les techniques prometteuses de gestion du sol

L'analyse économique peut aider à sélectionner et à évaluer les systèmes de production et les techniques de gestion du sol prometteurs. Pour la sélection, les analyses économiques sont des préliminaires et évaluent si une mesure spécifique est susceptible de fournir des incitations financières attrayantes au niveau de l'exploitation, ou des avantages économiques nets adéquats au niveau national. Etudier en même temps un groupe d'activités peut fournir une meilleure indication du pouvoir d'attraction relatif de chacune d'elles. Pour refléter entièrement les opportunités des ménages en concurrence, de telles analyses peuvent inclure des stratégies de culture alternatives ou un emploi hors exploitation. Les évaluations a posteriori des techniques établies fournissent des informations au sujet du succès ou de l'échec en termes financiers d'activités de gestion du sol locales ou autres. Cette information est importante pour prendre des décisions afin de vulgariser, modifier ou abandonner des techniques locales ou des programmes existants. Ces évaluations devraient faire partie d'une plus large étude examinant les questions financières de concert avec d'autres contraintes dans le système de production.

Les techniques prometteuses de gestion du sol ont quelques similitudes avec des technologies standard d'augmentation de la production, mais elles diffèrent également à bien des égards. Certaines techniques peuvent atteindre les deux objectifs, proposant une démarche "win-win" (Reardon et Vosti, 1997). D'autres activités, telles que l'application d'engrais minéraux, peuvent entrer dans plusieurs catégories, dépendant du taux d'application et de la possibilité qu'a cette activité d'affecter d'autres procédures de gestion du sol (par exemple gestion de la MOS). Une façon de classer les technologies agricoles est de considérer leurs caractéristiques de production et de conservation :

Ainsi, les évaluations économiques des améliorations de gestion du sol doivent identifier les différences inhérentes entre les technologies axées sur la conservation et les technologies purement destinées à l'augmentation de la production. Par exemple, les retours sur les investissements de conservation prennent souvent plus longtemps pour devenir manifestes et sont plus risqués en conséquence. La synchronisation et la difficulté des travaux de conservation ou des apports de capital peuvent travailler contre les investissements de conservation. Il peut y avoir un plus grand besoin d'action collective pour la conservation des sols, et les investissements de conservation peuvent exiger plus d'entretien chaque année. En outre, la perspective à plus long terme exigée des investissements de conservation présuppose un cadre institutionnel adéquat, facteur qui est moins important pour des améliorations par augmentation de production à court terme. Il y a un certain nombre de zones prometteuses pour le développement de technologies ou de systèmes de culture ayant des avantages significatifs pour la productivité du sol. Le tableau 12 présente quelques directions prometteuses pour les technologies en faveur du sorgho et du mil dans diverses régions agroclimatiques de l'ASS.

Beaucoup d'améliorations possibles de productivité du sol se concentrent sur les principes que les agriculteurs devraient adopter dans le contexte de leurs systèmes de culture courant (tableau 6). Par exemple, une étude du système de la gomme arabique (Acacia senegal) au Soudan examine les études économiques pour améliorer ce système de gestion existant qui a des effets positifs sur l'environnement que les agriculteurs ne prennent pas pleinement en compte (Barbier, 1992). Des incitations convenablement conçues peuvent favoriser de tels systèmes et décourager les systèmes concurrents moins durables (par exemple arachide ou sésame). De même, les politiques peuvent encourager des changements mineurs des pratiques agronomiques qui ont des impacts bénéfiques sur la productivité du sol, ou stimuler le développement des techniques locales pour la gestion du sol. L'analyse économique peut aider en déterminant les retours nets relatifs pour chacune de ces modifications des systèmes de culture (tableau 1).

Les analyses économiques peuvent être plus utiles si elles considèrent les coûts d'opportunité auxquels font face les agriculteurs souhaitant améliorer la productivité de leur sol. La plupart des modifications des pratiques de l'exploitation exigent des intrants en capital ou en travail. Ainsi, les études doivent analyser les utilisations alternatives des ressources limitées du ménage, sur l'exploitation ou en dehors. L'analyse des contraintes existant sur les pratiques améliorées est un élément à ajouter, en particulier quand celles-ci ont une dimension financière (par exemple disponibilité du crédit). L'intégration des contraintes dans l'analyse exige une connaissance des aspects économiques sensu largo du comportement du ménage. Ceux-ci peuvent inclure les migrations saisonnières, le choix des intrants pour les cultures de subsistance ou de rente, la configuration des pics de demande de travail, etc.

Les sciences économiques et la productivité du sol dans le déroulement d'un projet

Techniques d'estimation hors marché

L'application de techniques d'évaluation hors marché pour les problèmes de conservation des sols est très répandue. Une revue récente (Enters, 1998) de 13 études sur les sciences économiques de la conservation des sols a trouvé seulement deux techniques d'évaluation : le coût de remplacement et le changement des techniques de productivité. Quelques auteurs ajouteraient la méthode d'évaluation hédonistique. Cette approche dérive une valeur pour la productivité du sol dans une parcelle donnée en tant que résidu de l'analyse statistique de transactions immobilières ou de renseignements sur la location (pas habituellement disponible dans un pays en voie de développement). Un autre exemple implique le calcul d'une valeur d'équivalence (Encadré 3) qui combine des éléments de deux techniques de remplacement de prix du marché : substitution directe et indirecte.

Comme les activités du projet impliquant la gestion du sol s'élargissent pour inclure des analyses de politique et des examens de prise de décision au niveau des ménages par rapport à la gestion du sol, l'utilisation des techniques d'évaluation hors marché peut augmenter. Une possibilité est l'utilisation des dépenses préventives ou curatives. Ceci prend en considération les mesures gouvernementales destinées à éviter les effets de l'érosion du sol, ou celles prises par les ménages pour devancer ou atténuer les effets de la diminution de la productivité du sol de leur exploitation. Il existe également un potentiel pour des techniques de marché hypothétiques ou construites. Ces enquêtes d'utilisation pour déterminer la bonne volonté des individus pour payer des améliorations environnementales ou leur bonne volonté pour recevoir une compensation pour des dommages environnementaux qui leur sont imposés. Quelques études réussies d'évaluation contingente suggèrent que ces techniques peuvent également être adaptées aux conditions des pays en voie de développement (Whittington et al., 1990). Des approches plus sophistiquées, telles que le modélisation du ménage agricole, peuvent placer les décisions concernant la productivité du sol dans un cadre plus large d'allocation de ressources au niveau de l'exploitation. Ces approches peuvent produire des valeurs théoriquement plus défendables pour les ressources non évaluées telles que la productivité du sol.

L'épuisement du sol dans l'analyse de projet

Dans la terminologie économique, l'épuisement du capital naturel du sol constitue un coût de culture non durable, en plus des coûts de production normaux. Cet élément de surcoût est un coût d'usage car il tire de la ressource en question des gains à court terme mais aux dépens des revenus futurs. Des coûts d'usage non comptabilisés ont comme résultats des bénéfices nets gonflés et un taux de rendement exagéré pour des projets qui surexploitent les ressources. Cela peut polariser l'investissement vers des projets qui épuisent le capital naturel (Daly, 1996).

Dans ce cas-là, les avantages économiques nets des prévisions budgétaires pour une culture ou une exploitation devraient être diminués des coûts d'usage. D'ailleurs, quand on établit les prix appropriés des produits qu'un projet doit fournir de manière durable, comme le bois de chauffage ou les fruits provenant de l'agroforesterie, le prix économique devrait inclure les effets d'épuisement du capital naturel que les prix du marché local ne prennent pas en compte. Comme l'approvisionnement concurrent en bois de chauffage ou en fruits provient souvent de terres en accès libre, les prix du marché local ignorent cette considération et, en conséquence, ils sont trop bas. Une mesure économique correcte devrait ajouter le coût d'usage au prix du marché local, avec les coûts environnementaux externes et autres modifications. Cette correction augmente le prix appliqué au bois de chauffage et aux fruits et améliore la viabilité économique de l'intervention de l'agroforesterie.

Deux techniques généralement utilisées pour calculer le coût d'usage pour l'épuisement des stocks de ressources naturelles sont la méthode du prix net et la méthode du coût d'usage marginal. La première est utile quand l'analyse exige la déduction des coûts d'usage au niveau du projet ou au niveau national. La dernière méthodologie est plus appropriée pour la validation des prix économiques ou virtuels des productions du projet. L'encadré 4 donne un exemple de l'application de la méthode de coût d'usage marginal aux ressources forestières au Népal. Avec peu de modifications, il est possible d'appliquer la même approche à la productivité du sol.

Encadré 4 : Calcul d'une prime d'exploitation pour l'usage du bois de chauffage au Népal

La technique du coût d'usage marginal peut estimer une prime simple d'épuisement en mesurant le coût d'usage de l'épuisement d'une ressource naturelle (Pearce et Markandya, 1989). Cet exemple simplifié concerne les réserves de forêts au Népal. Il suppose que la surexploitation continue jusqu'à ce que toute la biomasse boisée accessible soit épuisée, au moment où le pays devra utiliser du bois de chauffage issu de plantations. Un coût d'usage apparaît parce que la surexploitation du capital naturel (exploitation supérieure à la croissance annuelle de biomasse boisée) réduit l'approvisionnement en bois pour l'avenir. Ceci a tôt ou tard pour conséquence une augmentation rapide des prix et l'introduction d'un approvisionnement en énergie alternative. Si l'on assume qu'une tonne de bois de chauffage non consommée aujourd'hui pourrait plutôt être consommée au dernier moment avant l'introduction d'une source énergétique alternative, alors sa valeur (son prix) à ce moment-là serait égale au coût du bois fourni par la plantation. En consommant le capital naturel maintenant à un prix artificiellement bas et en ne le conservant pas jusqu' au dernier moment possible, quand les prix seront beaucoup plus élevés, une perte se produit. Cette perte est égale à la valeur actuelle du prix le plus élevé ayant cours au moment où les approvisionnements par les plantations accèderont au marché diminué du prix actuel.

Le calcul nécessite des valeurs pour le prix économique actuel du bois de chauffage, le coût économique de la source d'énergie alternative, la cadence de disparition de la forêt, le temps jusqu'à l'épuisement de tous les approvisionnements normaux accessibles de bois de chauffage à cette cadence, et le taux d'escompte. Le prix économique du bois de chauffage pour 1997 est de 485 Rs /t, alors qu'un coût économique des approvisionnements par les plantations est d'environ 3 500 Rs /t. Le déficit actuel demande - offre de bois de chauffage est d'environ 6 600 000 t/an, censés représenter la surexploitation actuelle et projetée des réserves de biomasse boisée. Un auteur cite les réserves accessibles de forêt en croissance (tiges, branchages et feuilles) à environ 100 000 000 t. En considérant une cadence de surexploitation de 6 600 000 t/an, alors la biomasse boisée normale durera environ 15 ans aux cadences actuelles. Enfin, le taux d'escompte est placé à 12 pour cent.

La prise en compte du coût de la source d'énergie alternative à partir de l'hypothétique date de son introduction, soit 15 années, donne une valeur d'environ 640 Rs /t. Ainsi, une tonne de bois de chauffage non consommée aujourd'hui mais conservée jusqu'à ce que toutes les fournitures naturelles soient épuisées et que les prix aient monté juste assez pour induire la fourniture par les plantations, a une valeur actuelle qui est 155 Rs au dessus de la valeur économique du bois de chauffage en ce moment. Ce montant constitue une évaluation du coût d'usage pour la surexploitation des forêts naturelles pour le bois de chauffage au Népal.

Source: Banque mondiale, 1999.

FIGURE 6

Courbe de compensation et technologies de gestion de la terre au Nigeria. Taux de retour financier par rapport aux augmentations de main d'œuvre.

Légende : 1. Culture en couloirs 2. Foresterie 3. Talus enfourragés 4. Billonnage 5. Culture en bandes 6. Ceintures boisées 7. Lignes de pierres 8. Lignes de Vetiveria 9. Terrasses empierrées 10. Fanya juu bunds

Source: Knowler, données non publiées.

 

FIGURE 7

Courbe de compensation et technologies de gestion de la terre au Nigeria. Taux de retour financier par rapport aux pertes de surface cultivée.

Source: Knowler, donnéaes non publiées.

Les techniques étendues d'évaluation des projets et analyses complémentaires

L'utilisation d'un plus grand nombre de techniques d'évaluation hors marché et l'incorporation de l'épuisement du capital naturel dans les analyses économiques représentent des améliorations dans un cadre standard « coût -bénéfice ». Cependant, d'autres cadres d'évaluation de projet existent et tiennent leur promesse pour l'évaluation des projets ou des technologies impliquant la gestion du sol. Ils incluent l'analyse multicritères (AMC) (Voogd, 1985; Romero et Rehman, 1987; Petry, 1990; de Graaff, 1993; Paruccini, 1994), l'analyse de rentabilité (coût / efficience), l'analyse de décision, l'évaluation d'impact sur l'environnement et les méthodes participatives. L'AMC démontre que les décideurs du gouvernement et les petits exploitants ont beaucoup d'objectifs en tête quand ils décident respectivement de la viabilité d'un projet agricole et des procédures de gestion au niveau de l'exploitation. Ceci diffère de l'objectif d'efficacité économique plus limité de l'analyse coût - bénéfice (ACB). L'AMC encourage également la participation en nécessitant une consultation des communautés et des décideurs afin d'établir une priorité parmi les objectifs ou pour pondérer les objectifs en concurrence. Cependant, quelques auteurs arguent du fait qu'elle est trop complexe, que la méthodologie peut être incompréhensible pour les participants et qu'elle peut ne pas offrir beaucoup d'avantage par rapport à l'ACB traditionnelle. Si des AMC sont utilisées, les éléments subjectifs du procédé devraient être aussi transparents que possible avec un minimum d'aspects mathématiques et quantitatifs.

Les figures 6 et 7 et le tableau 13 présentent des applications simples des AMC pour la gestion des sols en Afrique de l'Ouest. L'analyse qualitative dans le tableau 13 applique quatre critères représentant différents objectifs des petits exploitants, dont l'un est la rentabilité financière. Cette technique simple tient compte d'une évaluation beaucoup plus large, mettant en valeur des imperfections ou des avantages des différentes technologies qui peuvent ne pas être évidents dans une analyse purement financière. Les figures 6 et 7 présentent une technique quantitative plus sophistiquée d'AMC, pour évaluer certaines des technologies citées dans le tableau 13. Elles emploient l'approche « courbe de compensation » pour évaluer les compensations entre la rentabilité financière et un autre critère. Cette technique permet à l'analyste d'éliminer les choix dominés ou inférieurs (Meier et Munasinghe, 1994). Sur les figures 6 et 7, seules trois technologies ne sont dominées par aucune autre dans chaque exemple. Des exemples plus sophistiqués d'AMC et de gestion du sol incluent une approche mixte quantitative/qualitative appliquée à un projet de contrôle des sédiments au Maroc. Dans cet exemple, la protection du bassin versant est bien plus onéreuse que les travaux de dragage ou d'hydraulique dans les réservoirs mais a un bien meilleur score sur des critères de durabilité et de justice (van Pelt, 1993).

 

Top Of PageTable des MatièresPage Suivante