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2 LA DURABILITE DES FORÊTS

2.1 Forêts: définition et rôle


La définition de la forêt, selon la FAO, correspond à un couvert arboré de plus de 10% sur au moins un demi-hectare. L'arbre étant défini comme une plante pérenne avec une seule tige (ou plusieurs si elle est recépée) atteignant au moins cinq mètres à maturité.

Les principaux types de forêts tropicales peuvent être regroupés en trois grands groupes avec des caractéristiques écologiques bien différenciées: les forêts denses humides, les forêts sèches et les mangroves (voir Encadré 1 et Figure 3).

Encadré 1: Classification des forêts

Les forêts denses humides

Les forêts denses sempervirentes se situent dans des zones où la pluviométrie annuelle est supérieure à 2,000 mm avec moins de trois mois secs par an. Elles sont caractérisées par une structure complexe, une grande richesse floristique et animale et une prédominance d'essences à bois dur pouvant atteindre 40-50 mètres de hauteur. La canopée reste feuillée toute l'année, chaque arbre ayant un rythme propre de défoliation.

Les forêts denses humides semi-décidues correspondent à une pluviométrie annuelle comprise entre 1,000 et 2,000 mm/an avec moins de six mois secs. Leur structure et leur composition floristique varient beaucoup en fonction de la pluviosité et des sols. Moins riches en espèces animales et végétales que les forêts sempervirentes, elles sont caractérisées par une chute partielle des feuilles en saison sèche. On y note une grande richesse en essences commerciales de valeur à bois tendre (hauteur 40-45 mètres).

Les forêts de montagne poussent à des altitudes supérieures à 1,000 m. Selon le climat, ce sont en général des faciès des forêts denses humides. Les arbres et arbustes sont moins élevés que dans les formations de plaine. Elles sont riches en mousses et lichens épiphytes et espèces ombrophiles.

Les forêts sèches

Les forêts sèches apparaissent avec une pluviométrie annuelle comprise entre 600 et 1,200 mm/an avec moins de 8 mois secs/an. Leur structure est bistrate, avec une strate arborée décidue (hauteur 15-20 mètres) sous laquelle se développe une strate arbustive et graminéenne. Leur protection contre les feux de brousse est essentielle pour assurer leur viabilité. La disparition des ligneux s'accompagne du développement de la strate herbacée. Il existe des formations sèches de montagne.

Les forêts claires se rencontrent dans les régions où la pluviométrie annuelle est comprise entre 300 et 600 mm/an. Ce sont des formations mixtes, ligneuses et herbacées, dont le couvert ligneux est inférieur à 50%. Dégradées, elles cèdent la place aux savanes arborées ou boisées où le couvert arboré dépasse rarement 15%.

Les mangroves

Ce sont des formations sempervirentes côtières poussant en dessous du niveau de la mer. Les espèces végétales, peu nombreuses, doivent supporter l'immersion temporaire en milieu halophile. Cet écosystème particulier offre un potentiel important de production diversifiée (bois, tanin, animaux marins...). Il est fragile, au même titre que les forêts marécageuses, ripicoles ou périodiquement inondées. Ces forêts sont étroitement liées à la dynamique hydrique du milieu qui les caractérise.

Figure 3: Typologie forestière

2.1.1 Contribution à la stabilité de l'environnement

C'est dans son état naturel ou géré de façon durable que l'écosystème forestier peut assumer au mieux ses fonctions de protection et de conservation. Outre le maintien des ressources en eau et du sol, les forêts tropicales ont un rôle non négligeable sur la régulation du climat aussi bien au niveau local que global. Elles abritent plus de 50% des espèces sur terre dont beaucoup sont encore inconnues. Ces forêts constituent ainsi un potentiel inestimable pour les besoins de l'humanité.

2.1.2 Fonctions de production et de société

Une forêt tropicale bien gérée constitue une source durable de produits à valeur commerciale ou d'usage, correspondant aux besoins humains à différentes échelles géographiques comme le bois d'_uvre, les bois à usage domestique, le bois de feu ainsi que les produits forestiers non ligneux (fruits, épices, latex, rotins, fourrages, produits médicamenteux, gibiers...). Outre le fait qu'elle constitue une réserve potentielle de terres fertiles pour l'agriculture, la forêt joue non seulement un rôle important dans la garantie de la sécurité alimentaire des populations humaines et animales, mais aussi un rôle social et culturel inestimable. En effet, les forêts sont le cadre de vie de nombreuses populations locales et appartiennent au patrimoine culturel mondial. Elles contribuent à l'amélioration de la qualité de l'environnement et représentent aussi un enjeu pour la recherche scientifique, l'éducation, ou l'écotourisme.

2.1.3 Trois constatations

· Les forêts tropicales très diversifiées et riches sont d'une grande complexité.

· Elles font l'objet d'un trop grand nombre d'enjeux de ce fait même disparates entre-eux.

· Elles dépassent largement l'échelle de temps de la vie humaine.

2.2 Dynamique des forêts tropicales


Par le passé, les effets du climat sur les grandes tendances des évolutions forestières ont été beaucoup plus importants que ceux de l'homme. La forêt tropicale que l'on croyait relativement stable depuis 10,000 ans a été en réalité affectée par d'intenses modifications: fluctuations de la limite forêt/savane, perturbations des écosystèmes forestiers mises en évidence par les études de paléobotanique/paléohydrologie.

Les sécheresses ont ainsi été à l'origine de leur fragmentation, et des modifications séculaires des écosystèmes forestiers se superposent aux grandes tendances de la dynamique de la végétation (cycles longs). Les derniers siècles sont caractérisés par une reconquête forestière sur les savanes tant en Afrique qu'en Amérique du Sud. Les savanes incluses dans les forêts sont souvent des formes relictuelles de savanes autrefois beaucoup plus étendues.

Il faut aussi noter que depuis 10,000 ans, d'après les études de charbons de bois fossilisés, les incendies de forêt ont été épisodiquement fréquents en Amérique du Sud (Amazonie) mais aussi en Afrique et en Asie. Ce phénomène s'expliquerait en grande partie par de brèves et intenses sécheresses liées à des phénomènes du type "El Niño", couplés à des variations des alizés confirmés par les données paléoclimatiques.

Plus récemment et contrairement aux forêts méditerranéennes, les forêts tropicales n'ont fait, à quelques exceptions près (forêt atlantique du Brésil, Caraïbes, Inde...), que l'objet d'interventions humaines localisées et modérées (agriculture itinérante, cueillette, prélèvement limité de bois précieux...), et ceci jusqu'à la première moitié du vingtième siècle. Ce n'est qu'à partir des années 50 que de profonds bouleversements ont affecté les forêts tropicales, dont les plus importants ont été le passage des sociétés traditionnelles à une économie de profit et l'explosion démographique. Avec les besoins croissants en matériaux de construction, l'augmentation de la production agricole et du besoin en terre de conversion et surtout l'idée reçue d'étendues inépuisables de surfaces boisées, on assiste à une accélération du phénomène de déboisement. Ce n'est qu'à partir des années 70, avec l'émergence des méthodes d'observation spatiale et des possibilités de traitement informatique des données, que les premières constatations du caractère limité des ressources forestières sont apparues. Ce fut l'amorce du changement progressif des concepts en foresterie tropicale. En 1982, le bilan général d'estimation des ressources forestières tropicales publié par la FAO, a souligné la rapidité de consommation des ressources naturelles, et par voie de conséquence, la plupart des actions forestières menées jusqu'alors furent remises en question, notamment les deux chevaux de bataille traditionnels:

· Les plantations à but de production ligneuse, onéreuses et difficiles à conduire, se sont révélées insuffisantes pour freiner ou pour compenser l'exploitation intensive des forêts naturelles.

· Les tentatives d'aménagement des massifs forestiers se sont avérées inopérantes et illusoires. Le manque d'intérêt réel de la part du secteur privé et des pouvoirs publics ainsi que l'inadéquation des mesures prises au niveau local en sont la cause.

2.3 Développements récents et concepts généraux


L'homme n'utilise les ressources de manière durable qu'à partir du moment où il est confronté au fait qu'elles sont limitées. La pénurie apparaît donc comme l'un des facteurs déclenchant une démarche d'aménagement durable des ressources naturelles. De plus, la récente prise de conscience médiatique de la pollution atmosphérique et de la dégradation de la couche d'ozone ont restitué à l'arbre ses vertus de fixateur du carbone atmosphérique et de filtre naturel. Le bois n'est plus considéré uniquement comme un des produits de la forêt parmi tant d'autres. Produits forestiers non ligneux et services divers entrent en complémentarité avec la fonction de production de biomasse spécialisée. L'aménagement est alors perçu comme une utilisation polyvalente de la forêt (voir Encadré 2).

Cette évolution a accompagné l'émergence des concepts clés de développement durable, de biodiversité et le facteur social est aussi devenu un élément-clé de la foresterie (foresterie communautaire, gestion patrimoniale...). La gestion viable des forêts tropicales doit répondre aujourd'hui à plusieurs défis: garantir le fonctionnement des grands cycles écologiques, produire des ressources, fournir des emplois, et surtout participer au développement tant local que national ou régional. A partir de la définition du développement durable adoptée par la Commission Brundtland,1 la gestion durable des forêts est un des outils du développement durable en général.

Encadré 2: Historique

1900-1960 Démarrage de la mise en valeur des forêts tropicales.

Création de services forestiers coloniaux (Afrique et Asie).

Délimitation des domaines forestiers permanents.

Développement des moyens de déplacement.

Développement des technologies forestières (photo-aériennes, moyens de calcul, exploitation...).

Régénération naturelle ou plantation: deux écoles de pensée s'affrontent.

Création de parcs nationaux.

Développement de l'enseignement tropical.

Développement des services de recherches.

1950-2000 Accélération démographique.

Evolutions des tendances et des techniques au cours des dernières décennies

1950-1960 Développement agricole. Pénétration des massifs forestiers. Déforestation. Exploitation industrielle des forêts.

1960-1970 Projets papetiers. Dégradation accélérée des forêts. Développement des plantations intensives après coupe rase avec des exotiques. Restauration de la fertilité. Notion des ressources limitées.

1970-1985 Exploitation industrielle. Bois-énergie. Reboisement industriel. Foresterie communautaire. Prise de conscience environnementale. Communautés locales. Espèces améliorantes. Aménagement multi-usages des forêts naturelles. Déforestation. Agroforesterie. Zones tampons. Aires protégées.

1985-1998 Gestion durable. Changements climatiques. Effet de serre. Incendies de forêts. Biodiversité. Politiques forestières. Espèces locales. Ecocertification. Conflits de droits de propriétés. Rôle des femmes.

Il convient alors d'aborder la notion de "durabilité" dans ses aspects temporels mais aussi économiques, sociaux-culturels et écologiques.

2.3.1 Le temps

Les systèmes biologiques naturels tels que la forêt, soumis à des variations environnementales, évoluent en permanence. La notion de "durabilité" sous-entend une approche analytique dynamique. C'est une forme de développement économique basée sur une exploitation pérenne des ressources renouvelables sans dommage pour l'environnement et les générations à venir. Une gestion durable suppose donc le renouvellement et la pérennité de la ressource exploitée. Il se pose alors en particulier le problème de l'échelle de temps utilisée pour les analyses. Autrement, faute d'éléments de décision solides, c'est le principe de précaution qui s'applique. Négliger les contraintes temporelles a été la cause de nombreuses incompréhensions et de l'échec de nombreux projets de développement. Le temps biologique, physique, financier, économique ou encore le temps historique, ne se définissent pas sous les mêmes termes. Il est nécessaire d'identifier les différentes perceptions du temps pour permettre une communication effective entre tous les intervenants.

2.3.2 L'économie

La diversité de la forêt tropicale implique celle des activités économiques. Avec la raréfaction de la ressource, l'accès aux biens et services forestiers génère une compétition et des conflits d'intérêt de plus en plus importants. Par ailleurs, la forêt est souvent perçue comme ayant une valeur moindre que celle générée par une conversion en terre agricole. L'accès aux biens et services devrait être régulé dans le temps et l'espace. La préservation de la forêt doit être justifiée économiquement aux différents niveaux de la société. La gestion des espaces forestiers ne peut pas se faire indépendamment de celle des espaces agricoles. Tous deux obéissent à la même logique et doivent participer aux mêmes objectifs de développement durable.

2.3.3 Le socio-culturel

Il ne peut y avoir de gestion durable que si les différents acteurs sont pleinement responsabilisés, attentifs à leur propre impact sur les forêts et conscients des enjeux forestiers. Les démarches « top-down » doivent être limitées au profit d'actions de concertation et de conception « bottom-up ». Il faut éduquer, instruire, sensibiliser de telle manière que chaque acteur puisse intégrer les objectifs de gestion durable des forêts dans ses actes. Pour ce faire, il est fondamental de reconnaître les droits et rôles de chaque intervenant ou opérateur. L'instauration d'un dialogue constructif et ouvert est une nécessité pour trouver des solutions adaptées à la complexité des problèmes rencontrés. Les conditions d'hygiène et de confort des acteurs impliqués, que ce soit le personnel d'entreprise ou les communautés, sont des facteurs indispensables de stabilisation des actions menées pour aboutir à une gestion durable.

2.3.4 L'écologie

Les seules forêts tropicales ombrophiles ne couvrent que 7% de la superficie terrestre mais recèlent plus de 50% des espèces vivantes. Elles abritent donc une grande diversité biologique, qui reste souvent encore à découvrir. La valeur à long terme des ressources génétiques forestières n'est pas quantifiable car nous ne connaissons pas actuellement la taxonomie exhaustive de ce qui existe ainsi que les besoins des générations futures. La biodiversité aboutit à une politique purement conservatrice des écosystèmes naturels en tant que banque de gènes alors que le développement durable met l'accent sur la nécessité d'une production soutenue économiquement intéressante. Ces deux notions de conservation et de développement a priori antagonistes ne sont, de fait, pas incompatibles et peuvent être réconciliées par une gestion appropriée.

2.4 Définir les objectifs


Des objectifs d'aménagement (voir Tableau 3) différents peuvent être envisagés dans le cadre de cette gestion forestière durable: production ligneuse, protection des eaux et des sols, paysage en liaison avec une gestion de l'espace (plantations linéaires, parcs arborés...), et maintien de la biodiversité dans une fonction ténue de conservation du connu mais aussi de ce qui reste à connaître. Concevoir ainsi les formations forestières, les place dans le contexte élargi de l'aménagement du territoire.

Tableau 3: Superficies des forêts juridiquement classées par fonction en 1990

Fonction

Asie et Pacifique

(en millions d'ha)

Afrique

(en millions d'ha)

Amérique et Caraïbes

(en millions d'ha)

Total

(en millions d'ha)

Production

151

58

100

309

Protection

44

8

90

142

Conservation

27

18

26

71

TOTAL

222

84

216

522

FAO (1995).

2.4.1 Forêts de production

La gestion forestière tire l'essentiel de ses moyens financiers de la production ligneuse. Il est nécessaire de bien connaître la demande en types et catégories de produits ainsi que son évolution prévisible. Les produits forestiers non ligneux, le gibier, le fourrage (etc.) présentent un intérêt économique et social appréciable à l'échelle locale qu'il ne faut pas sous-estimer. Il faut aussi penser au rôle important que la forêt peut jouer dans la protection des sols, des eaux et de l'atmosphère. De bonnes pratiques sylvicoles peuvent substantiellement accroître la résistance des peuplements forestiers aux aléas des événements climatiques (vents, sécheresses) ou biotiques (feux, pollutions, etc.).

2.4.2 Forêts de protection

Cet objectif est le plus souvent assigné à des forêts dont les rôles principaux sont la protection des sols, le maintien des débits d'eau et les fonctions de régularisation des bassins versants. Ce type d'affectation des terres n'est pas opposé à d'autres types de formations végétales ou d'utilisation des sols (agroforesterie par exemple). La protection des forêts est un corollaire de leur exploitation. Limiter les perturbations biotiques et abiotiques est une des conditions de la durabilité.

Dans l'aménagement des bassins versants, la protection forestière de la partie amont, contribue à limiter les dommages causés en aval par les inondations et la sécheresse. En aval, sur les pentes les plus faibles la conservation du potentiel de fertilité permet de limiter la pression d'exploitation en amont. Cela repose sur une répartition adaptée entre agriculture, élevage, plantations pérennes et forêts naturelles.

2.4.3 Forêts de conservation

Dans les régions tropicales, il existe un grand nombre de types de forêt, et il est important de conserver des échantillons représentatifs de cette diversité. Ce type d'affectation des terres (aires protégées) apparaît souvent comme conflictuelle face à d'autres types d'utilisation des terres. D'une manière élémentaire, la conservation de la biodiversité de la faune et de la flore a donc une valeur économique difficile à évaluer. L'analyse de l'intérêt financier et économique des exploitations et défrichements doit notamment prendre en considération:

· la valeur et la richesse des ressources spécifiques et génétiques menacées;

· les potentialités et les contraintes du terroir utilisé;

· les pressions et contraintes anthropiques.

Cette approche doit être basée sur des actions stabilisatrices du milieu étroitement associées à des actions d'amélioration de la productivité des terroirs.

2.4.4 Forêts de conversion

Les plantations forestières ou de plantes pérennes (hévéa, palmier, cocotier, cacao, café, fruitiers, etc.) permettent de réhabiliter les peuplements et les terrains dégradés. La plus grande attention doit être accordée à l'analyse écologique des sites, au choix du matériel végétal, aux associations symbiotiques, aux problèmes phytosanitaires, aux méthodes et techniques sylvicoles. Compte-tenu de leur productivité, une augmentation importante des plantations forestières permet de satisfaire une demande croissante de produits ligneux, de diminuer la pression sur les écosystèmes forestiers naturels et de fixer les gaz à effet de serre.

1 Dans le Rapport Bruntland (1987), le développement durable est défini comme:

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