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Exploitation durable du rotin sauvage: un concept viable ou un paradoxe écologique?

S.F. Siebert

Stephen Siebert est professeur associé
auprès de l'École forestière de
l'Université du Montana, Missoula,
Montana (États-Unis).

Un examen de la viabilité de l'exploitation aménagée - réalisé à partir d'une étude sur les effets écologiques de l'extraction de cannes au Sulawesi central (Indonésie) - vis-à-vis d'autres pratiques de rechange: le défrichage à des fins d'établissement de cultures de rente et la culture du rotin.

Le rotin, l'un des principaux pro-duits forestiers non ligneux (PFNL) du monde, est l'exemple vivant tant des difficultés et incertitudes auxquelles se heurte l'établissement de niveaux durables d'extraction que de l'impact de l'exploitation. Le rotin est récolté presque exclusivement à partir de populations naturelles et ses cannes font l'objet d'une forte demande commerciale. D'après les statistiques, l'Indonésie fournit 90 pour cent des cannes de rotin commercial du monde (Dransfield et Manokaran, 1994) dont la majorité est récoltée dans des forêts faiblement ou non aménagées (Barr, 2000). L'exploitation du rotin sauvage n'a fait l'objet que d'une surveillance et d'une gestion limitées ou nulles, et l'on ignore pratiquement tout des effets écologiques associés à son extraction.

La campagne en faveur de l'extraction durable des PFNL visait d'une part la conservation des forêts et, de l'autre, le développement économique (Anderson, 1990; Freese, 1997) et cette forme d'exploitation fait désormais partie intégrante des efforts de conservation et d'aménagement des forêts tropicales (CIFOR, 1999). Toutefois, de nombreux écologistes soutiennent que la récolte des PFNL n'est ni écologiquement durable ni économiquement viable (Kramer, van Schaik et Johnson, 1997; Rice, Gullison et Reid, 1997), et que la notion d'extraction durable est un paradoxe écologique (Struhsaker, 1998). Est-il vrai que la récolte durable du rotin sauvage est un paradoxe? Autrement, dans quelles conditions biophysiques, socioéconomiques et institutionnelles cette récolte pourrait-elle être viable?

Plant de Calamus zollingeri adulte poussant dans le Parc national de Lore Lindu au Sulawesi central

- S.F. SIEBERT

Le présent article se propose de documenter un essai mené pour évaluer et surveiller les effets écologiques de l'extraction de cannes dans des forêts primaires, sur la base de cinq ans de recherches continues au Sulawesi central (Indonésie). L'étude porte sur Calamus zollingeri, un rotin commercialement important de grand diamètre qui est utilisé dans la fabrication de meubles. L'article ne tient compte que de deux des multiples effets écologiques directs ou indirects analysés dans l'étude:

En outre, l'article souligne qu'il importe de tenir compte des effets adverses éventuels de la récolte sur d'autres composantes de la flore ou de la faune par rapport à des activités économiques de rechange (conversion des forêts à des cultures de rente annuelles ou pérennes). Enfin, il évalue la viabilité de la gestion de l'exploitation de l'espèce à l'état naturel par rapport à sa culture.

MÉTHODES D'EXPLOITATION ET DE SURVEILLANCE DE CALAMUS ZOLLINGERI

Une étude a été entreprise sur les effets écologiques de l'exploitation, dans le parc national de Lore Lindu au Sulawesi central, des cannes de Calamus zollingeri, une espèce qui abonde dans le parc et ses alentours au-dessous de 1 150 m d'altitude.

C. zollingeri est un rotin robuste et multicaules que l'on trouve dans tout le Sulawesi, les Moluques et d'autres îles de l'Indonésie orientale, et qui produit les principales cannes de grand diamètre utilisées dans l'industrie du meuble (Dransfield et Manokaran, 1994). Pratiquement toutes les cannes de C. zollingeri peuvent être récoltées à partir de populations naturelles et non aménagées dans les forêts primaires. Malgré les interdictions, d'énormes quantités de cannes de C. zollingeri sont récoltées dans le parc national de Lore Lindu, et leur exploitation ne donne aucun signe de ralentissement (observation de l'auteur). Au contraire, vu la demande accrue d'exportation et l'incapacité du Gouvernement indonésien central de frapper d'interdiction la collecte et l'exploitation du rotin, il est fort probable qu'elle s'accélérera.

L'un des enjeux de l'évaluation de la durabilité écologique consiste à déterminer et à établir des protocoles de surveillance pour toute la panoplie des effets biologiques directs et indirects. Le tableau 1 résume les principaux effets directs et indirects associés à l'exploitation de cannes de C. zollingeri au Sulawesi central, et les méthodes adoptées dans l'étude pour les évaluer et les surveiller. Les principaux effets associés à l'exploitation de cannes de rotin comprennent:

TABLEAU 1. Effets potentiels de l'exploitation des cannes de rotin et méthodes de surveillance

Effets potentiels

Méthodes de surveillance

Niveau de l'espèce

 

Survie de la plante

Nouvel échantillonnage de plantes marquées de façon permanente

Structure de la population végétale
Production de cannes
Croissance de la canne

Nouvel échantillonnage de plantes marquées de façon permanente et répétition de l'échantillonnage de transects choisis au hasard

Au niveau de l'écosystème

 

Disponibilité de nutriments

Détermination des nutriments dans le feuillage et les cannes et du volume de cannes extraites par unité de surface

Structure de la forêt
Évolution et composition de la forêt
Piétinement du sous-bois

Surveillance à long terme des parcelles-échantillons

Ressources alimentaires des vertébrés

Echantillonnage bihebdomadaire de plantes marquées

Utilisation par les invertébrés

N'a pas fait partie de cette étude

Autres

 

Transport des cannes (billes de flottage)

Détermination du poids du rotin extrait, des essences utilisées comme billes de flottage, de leur volume et de l'emplacement des arbres abattus.

Chasse

N'a pas fait partie de cette étude

Méthodes

L'emploi de transects dans des zones stratifiées (trois par sous-bassin versant), mesurant chacun 10 x 500 m ou 10 x 1 000 m, établis au hasard perpendiculairement à la courbe de niveau avec un espacement de 500 à 1 000 m, s'est révélé être un moyen rapide, facile et efficace d'évaluer et de surveiller les populations de C. zollingeri. Les transects permettent de déterminer de manière fiable l'abondance et la répartition du rotin et d'autres lianes qui tendent à se grouper en poches ou en touffes (Hegarty et Caballe, 1991).

Les cueilleurs de rotin locaux ont participé activement au projet et aidé à définir des questions pertinentes pour la recherche et des méthodes d'échantillonnage sur le terrain appropriées. Avec l'aide de trois cueilleurs de rotin expérimentés qui prenaient des échantillons sur des segments de 10 m en montée, 500 m par jour en moyenne de transects ont été échantillonnés. Les travailleurs faisant partie du projet ont pris note de l'identité de toutes les espèces de rotin, du nombre de cannes par plante, de la longueur des cannes et des signes de récolte sur une étendue de 5 m de part et d'autre de la ligne du transect. Dans le même temps, des données ont été recueillies le long de chaque transect sur la pente, l'altitude, le régime de lumière, le sol, la hauteur du couvert et les essences forestières dominantes.

Pour surveiller les effets potentiels de l'exploitation sur les plantes individuelles, plus de 100 individus adultes de C. zollingeri rencontrés le long des transects ont été marqués de manière permanente (au moyen de plaquettes ou d'étiquettes métalliques) en 1996, et le nombre de cannes, leur longueur, les signes de récolte et les conditions environnementales ont été enregistrés (comme indiqué ci-dessus). Le présent article résume les données provenant de plantes marquées situées dans des forêts primaires au-dessous de 1 000 m, présentes dans des sites bien drainés et qui n'avaient pas été touchées par les opérations d'abattage (n = 74). En outre, trois parcelles/échantillons permanentes de 1 x 1 m ont été établies autour de chaque plante pour surveiller les effets de la récolte des cannes sur le sous-bois (c'est-à-dire l'ampleur et la persistance du piétinement).

Les plantes marquées et les parcelles relatives ont été échantillonnées à nouveau chaque année pendant quatre ans. Les plantes ont été surveillées deux fois par semaine pendant deux ans pour étudier la phénologie de la floraison et de la fructification et pour détecter des signes de prédation par les oiseaux ou les mammifères. Tout dommage à la végétation forestière le long des transects (branches cassées ou arbres coupés pour récolter les cannes) a été enregistré chaque année et la persistance des dommages a été surveillée pendant quatre ans (chute naturelle ou coupe des arbres, piétinement pendant la récolte des cannes, etc.).

Les teneurs et pertes en nutriments des feuilles et des cannes associées à la récolte ont été évaluées dans des échantillons appariés de feuilles et de cannes (Siebert, 2001). L'impact de l'utilisation de billes pour le transport des cannes au marché a été évalué par l'identification des espèces, du volume et de l'emplacement des arbres abattus pour le flottage le long des cours d'eau sur une période de deux ans.

Pendant toute l'étude, le rotin (y compris les plantes marquées) a été récolté suivant les besoins des cueilleurs locaux. D'une manière générale, les cannes longues (mesurant plus de 20 m) qui pouvaient être facilement extraites de la végétation servant de tuteur étaient préférées et aucune canne inférieure à 10 m n'a été coupée.

Un plant adulte de Calamus zollingeri exhibant de nombreuses pousses végétatives et cannes est marqué par un piquet et une étiquette métallique qui permettront de surveiller les effets possibles de la récolte sur des plants individuels

- S.F. SIEBERT

Effets écologiques de la récolte sur les plantes, les cannes et leur croissance

Pendant le premier échantillonnage en 1996, environ 149 plantes de C. zollingeri comprenant 1 431 cannes dont 66 étaient de longueur exploitable (plus de 10 m) ont été enregistrées par hectare (tableau 2). En 2000, l'étude a fait état d'une moyenne de 143 plantes avec 1 595 cannes et 46 cannes exploitables par hectare dans le même bassin versant. Les populations de C. zollingeri étaient réparties très inégalement; des plantes massives (plus de 20 cannes) dominaient le sous-bois et le couvert le long de certains segments du transect, alors qu'aucune plante de C. zollingeri n'était visible ailleurs. Ces différences se reflètent dans l'ampleur des écarts types observables dans les moyennes figurant au tableau 2 et les expliquent largement.

TABLEAU 2. Différences entre les plantes et les cannes de Calamus zollingeri sur quatre ans (enquête fondée sur des parcelles-échantillons de 100 m2 le long de trois transects choisis au hasard)

Elément surveillé

1996
(n = 205)

2000
(n = 150)

 

Moyenne nombre/ha

Écart-type

Moyenne nombre/ha

Écart-type

Plantes

149

±103

143

±118

Cannes

1 431

±1 402

1 595

±1 437

Cannes exploitables (>10 m)

66

±120

46

±84

C. zollingeri était présente dans des zones bien éclairées (correspondant aux ouvertures du couvert) aussi bien que dans des milieux très ombragés, mais elle était absente des lieux mal drainés ou inondés périodiquement. Aucun signe de mortalité ou de dépérissement terminal n'a été observé, malgré la fréquence de la récolte ou le nombre de cannes coupées. Par exemple, pour les plantes marquées on n'a pas enregistré de cas de mortalité dû à la récolte bien qu'environ 33 pour cent d'entre elles aient été exploitées chaque année et qu'en 2000 les cannes étaient fréquemment coupées dès qu'elles atteignaient 10 m de long.

Chez les plantes de C. zollingeri marquées, le nombre moyen de bourgeons par plante était largement plus élevé en 2000 qu'en 1996 (tableau 3). Cependant, le nombre moyen de cannes exploitables par plante (d'une longueur supérieure à 10 m) était notablement moins élevé en 2000 qu'en 1996, de même que la longueur moyenne des cannes exploitables et leur longueur totale. De fait, en 2000, le nombre de cannes exploitables était inférieur de moitié à celui observé chez les mêmes plantes en 1996. L'impact de la récolte intensive de cannes ressort clairement de la comparaison des longueurs des cannes en 1996 et 2000 (voir figure). C'est ainsi que 37 cannes d'une longueur supérieure à 20 m ont été enregistrées chez les plantes marquées de C. zollingeri en 1996, alors que seules trois cannes dépassant 20 m ont été trouvées chez les mêmes plantes quatre ans plus tard.

TABLEAU 3. Production et croissance de cannes de Calamus zollingeri sur une période de quatre ans chez des plantes marquées (n = 74)

Paramètre

1996

2000

Nombre moyen de cannes/plante

12,4**

15,6**

Nombre moyen de cannes exploitables/plante (cannes >10 m)

1,0*

0,7*

Longueur moyenne de la canne (m)

22,4**

11,4**

Longueur moyenne des cannes exploitables (cannes >10 m) (m)

26,0**

17,3**

Longueur totale des cannes exploitables (toutes les plantes) (m)

1 953

880

** Différence significative à P = 0,005 avec un test t par échantillons appariés.
* Différence significative à P = 0,05 avec un test t par échantillons appariés.

Ces données ont diverses répercussions importantes au plan de l'aménagement du rotin sauvage. Premièrement, la récolte répétée semble stimuler la production de nouvelles cannes. En effet, 3,5 nouvelles cannes par plante en moyenne et environ 4,7 m de croissance ont été observés chez des plantes marquées une année après la récolte. La production de nouveaux bourgeons ou cannes et leur croissance rapide donnent à penser qu'un grand nombre d'entre elles pourraient être encore disponibles à l'avenir. Deuxièmement, la récolte répétée réduit sensiblement la longueur moyenne des cannes, ce qui entraîne une diminution des revenus et oblige les cueilleurs à s'enfoncer plus profondément dans la forêt.

En outre, la coupe de toutes les cannes mûres pourrait empêcher la reproduction sexuée, ce qui du reste a été confirmé par l'absence de floraison et de fructification observée chez les rotins marqués pendant deux ans de surveillance bihebdomadaire. Bien que C. zollingeri se caractérise par une croissance végétative vigoureuse, la multiplication sexuée est importante pour préserver la vigueur et la diversité de l'espèce sur le long terme.

Répartition des longueurs de cannes de Calamus zollingeri sur des plantes marquées en 1996 et 2000

Effets de l'abattage d'arbres à utiliser comme billes de flottage

L'utilisation des cours d'eau pour le transport du rotin, du bois d'œuvre et d'autres produits forestiers est très répandue dans toute l'Asie. L'acheminement du rotin au marché dans la partie méridionale du parc national de Lore Lindu comporte son traînage jusqu'au fleuve Lariang, sa coupe et sa mise en bottes, l'abattage de petits arbres pour construire des radeaux et puis le flottage des bottes le long du cours d'eau pendant deux à 14 jours jusqu'à un point d'accès au bord de la route. L'abattage des arbres serait, d'après les statistiques, une menace grave à la diversité biologique et à la conservation de la forêt dans le parc (BCN, 1996; Schweithelm et al., 1992).

Huit essences forestières ont été utilisées régulièrement pour flotter le rotin (Artocarpus teysmannii, Evodia latifolia, Grewia multiflora, Horsfieldia sp., Macaranga hispida, Macaranga triloba, Pterospermum celebicum et Trema orientalis). Il n'est guère surprenant que les arbres servant au flottage étaient des essences pionnières légères et à croissance rapide. Les billes avaient un diamètre de 25 cm et une longueur de 3 m en moyenne et transportaient normalement une cargaison de bottes de cannes pesant de 50 à 60 kg. Les cannes étaient coupées en tronçons d'une longueur de 4 m avant leur mise en bottes; le nombre de cannes par botte variait en fonction du diamètre de la canne. L'étude a noté une moyenne de 135 tonnes de rotin extraites chaque année du bassin versant (d'octobre 1996 à octobre 1998). Sur la base d'une estimation prudente de 50 kg par botte de rotin, 2 350 billes au total ont été nécessaires chaque année pour flotter les cannes à partir du bassin versant objet de l'étude de cas.

Les billes de flottage étaient coupées exclusivement dans des jachères laissées par la culture itinérante sur brûlis et, dans une moindre mesure, dans les plaines alluviales ripicoles perturbées naturellement le long du fleuve Lariang. Sur la période de quatre ans de l'étude, on n'a observé aucun signe de coupe de billes de flottage dans les forêts primaires de cette partie du parc national de Lore Lindu. D'après les cueilleurs de rotin, ces billes sont rarement prises dans les forêts primaires car on n'y trouve guère des bois légers de la taille voulue et, en outre, les forêts primaires sont situées plus loin du fleuve que les jachères. C'est pourquoi on n'a que très peu de preuves corroborant l'hypothèse selon laquelle l'abattage de petits arbres pionniers pour le flottage des cannes menace les forêts primaires ou la biodiversité dans le parc national de Lore Lindu, du moins dans cette étude de cas.

Dans la région méridionale du Parc national de Lore Lindu, le rotin est transporté sur des radeaux de grumes le long du fleuve Lariang

- S.F. SIEBERT

Le rotin est flotté le long du fleuve jusqu'à un point d'accès routier où il est chargé sur des camions et livré aux usines de transformation

- S.F. SIEBERT

Limites de la recherche

Comme le notent les écologistes (Struhsaker, 1998, par exemple), il est probablement impossible de définir de manière fiable tous les effets écologiques associés à l'extraction des PFNL. Les méthodes de surveillance utilisées dans la présente étude, bien qu'exigeantes en temps et raisonnablement rigoureuses, n'étaient pas exhaustives et n'ont certainement pas permis d'évaluer tous les impacts possibles de la récolte du rotin sauvage. C'est ainsi qu'aucune information n'a été recueillie sur l'utilisation de C. zollingeri par les invertébrés ou sur les activités de chasse des cueilleurs de rotin. Il convient aussi de souligner que la surveillance n'a duré que quatre ans. Une exploitation répétée de toutes les cannes mûres pourrait, à la longue, nuire à la vigueur de la plante ou à la production et à la croissance des cannes. Cette étude ne prouve donc pas que la récolte de cannes de C. zollingeri est écologiquement durable ou qu'elle n'exerce aucune incidence écologiquement nocive. Néanmoins, l'utilisation de méthodes d'échantillonnage aléatoires et répétées sur une période de quatre ans est rigoureuse au plan biométrique (Wong, 2000) et peut servir de base tant à l'évaluation des impacts écologiques qu'à l'application de pratiques d'aménagement adaptatif.

EXPLOITATION OU CULTURE DU ROTIN? LES ENJEUX SOCIAUX, ÉCONOMIQUES ET INSTITUTIONNELS

Même si l'exploitation des rotins sauvages paraît écologiquement viable, il n'en demeure pas moins que les aspects sociopolitiques et institutionnels de l'extraction des cannes et l'épuisement des disponibilités pourraient rendre nécessaire l'établissement de plantations. Certains programmes de grande envergure (tel celui de l'Office de la mise en valeur des forêts du Sabah [SAFODA]), Malaisie) ont montré que les rotins de grand diamètre convenant à la fabrication de meubles peuvent être cultivés dans de grandes plantations, alors que la longue histoire de la culture des rotins de petite ou moyenne taille (Calamus caesius et Calamus tracycoleous) dans des jachères sur brûlis au Kalimantan (Indonésie) (Weinstock, 1983) démontre que les petits exploitants pourraient fort bien cultiver des cannes longues aussi.

En évaluant les possibilités et contraintes de l'exploitation et de la culture du rotin, les décideurs devront tenir compte des questions clés suivantes:

L'exploitation aménagée est-elle réalisable?

Bien qu'elle ait cherché à aménager ses ressources forestières, encore qu'avec un succès limité (Barr, 2000; Peluso, 1996; Sunderlin, 1999), l'Indonésie n'a déployé que peu d'efforts pour réglementer et gérer l'exploitation des cannes de rotin. Dans certaines zones du pays et ailleurs en Asie du Sud-Est, l'exploitation du rotin est un exemple de ce qui peut advenir sous un régime d'extraction à accès libre et non réglementée des ressources. Depuis les années 70, on observe une réduction draconienne des approvisionnements en rotin sauvage due à l'exploitation forestière, à la conversion des forêts à d'autres usages, à la surexploitation et aux incendies de forêt. La récolte sélective du bois d'œuvre pourrait, elle-même, avoir des effets nuisibles sur les ressources en rotin à cause de leur destruction accidentelle pendant l'abattage et le débusquage, et leur collecte généralisée ainsi que celle d'autres PFNL par les exploitants. Certaines espèces primaires de grand diamètre comme Calamus manan, un rotin solitaire qui ne se reproduit pas par multiplication végétative, sont en voie de disparition à l'état naturel (Dransfield et Manokaran, 1994).

Dans cette perspective, la perte de ressources en rotin pourrait simplement refléter les décisions politiques et économiques de l'État et des élites industrielles privées d'ignorer, dans leur hâte d'exploiter le bois d'œuvre ou de transformer les forêts en plantations, les droits de propriété coutumiers de la ressource et les pratiques d'aménagement des forêts appliquées par les minorités ethniques locales. La destruction «légale» du rotin sauvage et cultivé par l'exploitation forestière commerciale et pour l'établissement de plantations agricoles est bien documentée chez les Dayaks du Kalimantan (Fried, 2000; Belsky, 1992) et a entraîné la perte des systèmes traditionnels de production et d'aménagement de cette espèce mis en œuvre pendant des générations. Ces petits systèmes agroforestiers de récolte du rotin propres aux agriculteurs paraissent avoir été économiquement viables, compatibles avec le bien-être économique, social et culturel de la communauté et capables de produire de grandes quantités de cannes de façon fiable et peut-être durable (Mayer, 1989; Dransfield, 1988; Godoy et Feaw, 1988; Weinstock, 1983).

À la lumière de cet historique, l'exploitation aménagée du rotin sauvage est-elle réalisable? Et, dans l'affirmative, par qui et en vertu de quels arrangements de droits de propriété? Partout en Asie du Sud-Est, les résultats paraissent indiquer que les PFNL, y compris les rotins, ont été gérés pendant des siècles avec succès en tant que ressources communautaires par les populations forestières traditionnelles (Lynch et Talbot, 1995; Peluso et Padoch, 1996). En général, l'aménagement de ce type de ressource réussit quand il relève de groupes relativement petits et stables, quand les perspectives d'aménagement et les questions d'accès et de contrôle sont partagées, et quand l'application des dispositions est simple et peu onéreuse (Ostrom, 1990). Cependant, en Indonésie et dans d'autres pays d'Asie du Sud-Est, les systèmes d'aménagement des ressources communautaires du passé ont été abolis ou usurpés par les autorités coloniales et post coloniales (Peluso, 1996), si bien que l'aménagement communautaire du rotin sauvage fait désormais face à d'énormes enjeux institutionnels dans de nombreuses régions.

Coûts économiques et sociaux, et avantages de l'exploitation et de la culture du rotin

Les effets écologiques potentiels associés à l'exploitation des cannes deC. zollingeri devront être examinés à la lumière des autres modes probables d'utilisation des terres. Il est également important de se demander comment les populations résidentes vont préserver leurs moyens de subsistance si l'exploitation du rotin est effectivement interdite. Il est probable que la perte des ressources en rotin accentuera les pressions exercées pour convertir les forêts à l'agriculture. Au Sulawesi central, comme dans la grande majorité du monde tropical, sous l'influence des forces intérieures et internationales du marché, la production de cultures de rente d'exportation comme le palmier à huile, le cacao et le café est très lucrative (Collier, Mountjoy et Nigh, 1994; Sunderlin, 1999). Les effets écologiques potentiels de l'exploitation du rotin apparaissent relativement bénins face à la conversion des forêts à l'agriculture.

Une considération étroite des coûts et bienfaits économiques découlant de l'exploitation du rotin ferait ressortir que les revenus tirés de sa récolte et de sa culture soutiennent mal la comparaison avec ceux tirés de cultures de rente pérennes. En outre, le café et le cacao commencent à donner des rendements quatre et trois ans à peine, respectivement, après leur plantation, alors que le rotin de grand diamètre ne produit normalement des cannes exploitables qu'au bout de 12 à 15 ans. Cependant, il ne faut pas oublier que le rotin reste une source primaire ou secondaire de revenus en espèces pour des dizaines de milliers d'individus vivant dans les forêts de l'Asie du Sud-Est (DeBeer et McDermott, 1989) et représente une importante source de revenus dans des situations d'urgence pour d'autres milliers encore (Siebert et Belsky, 1985). Enfin, la culture du rotin par les petits exploitants, soit dans des jachères sur brûlis, soit en culture dérobée dans les systèmes agroforestiers traditionnels, pourrait assurer d'importants bénéfices socioéconomiques et environnementaux qui sont ignorés dans les analyses succinctes des coûts et bénéfices. Parmi les principaux avantages figurent:


Une plantule de Calamus zollingeri est transplantée dans une exploitation de café; le rotin planté en association avec des cultures de rente fournit des avantages socioéconomiques importants, et lors d'essais sur le terrain, la survie et la croissance des plants ont donné d'excellents résultats

- S.F. SIEBERT

Les agriculteurs et cueilleurs de rotin œuvrant dans la région objet de ce cas d'étude se sont déclarés intéressés à produire du rotin en association avec des cultures de café et de cacao dans des parcelles agroforestières. Les essais au champ menés avec C. zollingeri ont donné des taux de survie de 96 pour cent et une croissance excellente a été obtenue 18 mois après sa transplantation (Siebert, 2000).

Étant donné les revenus relativement faibles tirés de l'exploitation du rotin sauvage et la longue période qui s'écoule avant les premiers rendements de la culture de cannes de grand diamètre, qu'il s'agisse de la production des petits exploitants ou des grandes plantations, il n'est guère probable que des sommes importantes soient investies dans l'aménagement ou la culture du rotin en l'absence de subventions (étatiques, internationales ou non gouvernementales). Taylor et Zabin (2000) soutiennent que l'appui donné à ces formes d'aménagement des ressources communautaires ne devrait pas être considéré comme une subvention, mais plutôt comme un paiement pour les biens et services procurés par les forêts intactes (piégeage du carbone, bassins versants fonctionnels et conservation de la biodiversité). Des financements extérieurs ciblés de ce type pourraient offrir aux petits exploitants et aux cueilleurs de rotin des incitations suffisantes pour cultiver et aménager ce produit.

DÉBAT ET CONCLUSIONS

Des disponibilités décroissantes et la forte demande du marché laissent prévoir que les ressources en rotin, notamment les cannes de grand diamètre, se feront de plus en plus rares. Deux approches générales pourraient être adoptées pour accroître les approvisionnements: l'aménagement des populations naturelles et/ou la culture du rotin dans les petites exploitations ou les plantations. Ces deux stratégies entraînent d'importants enjeux, notamment en ce qui concerne les faibles revenus financiers (calculés étroitement) du rotin par rapport à ceux tirés des cultures de rente. Ces approches pourraient avoir aussi des effets profonds très différents sur divers secteurs de la société, en particulier pour ce qui est de la production dans les petites exploitations vis-à-vis de la culture dans des plantations industrielles.

Qu'il s'agisse de l'aménagement du rotin sauvage ou de sa culture dans les petites exploitations ou les plantations, il faudra tenir compte des facteurs suivants:

Il est probable que tant l'exploitation aménagée du rotin sauvage que sa culture exigeront une assistance financière importante et à long terme, ainsi qu'un soutien technique et commercial. Il est essentiel que l'ampleur et le type d'un tel soutien puissent compléter les capacités institutionnelles des gestionnaires des ressources locales (à savoir, les populations résidentes). Les décideurs devront fournir aux petits exploitants et aux cueilleurs de rotin des incitations économiques adéquates, notamment pour compenser l'attraction des hauts revenus dégagés des cultures de rente pérennes, et mettre en place des institutions de gestion de la ressource et des droits de propriété stables et applicables. Le soutien privé, étatique et international à l'aménagement et à la culture du rotin pourrait être justifié s'il est considéré comme une compensation pour les avantages publics procurés par les forêts naturelles et les divers écosystèmes agricoles, et pour la perte d'anciennes ressources par les gens qui vivent dans les forêts et à leurs alentours. 

Bibliographie


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