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Évaluer l'état nutritionnel et la vulnérabilité

Le bilan nutritionnel: indicateurs des mesures à prendre

Les mesures anthropométriques constituent un excellent indicateur de l´état nutritionnel des groupes et des individus vulnérables. Elles constituent en général la composante centrale des systèmes de surveillance nutritionnelle qui se sont progressivement mis en place au cours des 25 dernières années. Cependant, afin de fournir une panoplie de mesures concrètes, il convient de les compléter avec d'autres types d'information qui révèlent le pourquoi de la sous-alimentation.

L'amélioration de l'état nutritionnel de tous les groupes de population dans tous les pays du monde constitue l'un des objectifs sur lesquels se sont entendus les participants de nombreuses conférences internationales et de nombreux sommets qui se sont tenus au cours des 25 dernières années. Un tel objectif est partagé par l'initiative interinstitutions SICIAV (voir p. iii), qui a vu le jour dans le cadre du Plan d'action du Sommet mondial de l'alimentation de 1996. Il est bien connu qu'une consommation insuffisante de calories (ou sous-alimentation) représente l'une des causes majeures de mauvais état nutritionnel et, dans bien des cas, de mort prématurée. Cependant, il est tout aussi largement admis qu'un mauvais état nutritionnel (ou dénutrition) peut également découler d'autres facteurs, y compris un régime alimentaire insuffisamment varié ou carence en micronutriments critiques, de même que d'une mauvaise santé, qui rend le corps incapable d'absorber ou d'utiliser les calories ou les micronutriments.

Comme on a pu le voir dans des numéros précédents de cette publication, l'évaluation de l'état nutritionnel de l'individu se fait le plus communément par le biais de l'anthropométrie; en d'autres termes, on prend la mesure des paramètres corporels tels que le poids et la taille, lesquels sont ensuite comparés avec les moyennes enregistrées pour des personnes bien nourries du même sexe et appartenant aux mêmes tranches d'âge. Les mesures anthropométriques peuvent être décrites comme des indicateurs de résultat, dans la mesure où elles reflètent (chez une personne) tous les facteurs qui affectent l'état nutritionnel. Il existe des méthodes plus complexes d'établissement du bilan nutritionnel, notamment en ce qui a trait aux carences en vitamines et en minéraux, mais ces méthodes sont généralement d'un emploi plus lourd à l'échelle d'un pays dont les moyens sont limités, notamment dans le domaine médical. Les systèmes ayant pour objet de réunir les données anthropométriques et les autres informations utilisées pour expliquer les différentes situations nutritionnelles ainsi que leur évolution s'appellent les systèmes de surveillance nutritionnelle.

Nous analysons ici les indicateurs d'état nutritionnel le plus communément utilisés, en y incluant leur application dans le cadre de systèmes de surveillance nutritionnelle et de programmes d'amélioration:

L'analyse est appuyée par des exemples spécifiques de réalisations liées à des programmes nationaux ayant appliqué ces indicateurs.

En quoi consistent les indicateurs d'état nutritionnel?

Le tableau 5 résume les indicateurs anthropométriques le plus largement utilisés pour l'évaluation de l'état nutritionnel des enfants et des adultes. Ces indicateurs impliquent tous la mesure directe de la taille et du poids, suivie d'une comparaison avec ce que l'on considère comme normal ou acceptable pour le sexe et l'âge de la personne. La comparaison est tout particulièrement importante pour les enfants âgés de moins de cinq ans, étant donné que les enfants en bonne santé continuent de croître rapidement à cette étape de leur vie. Ces indicateurs comportent en outre un certain nombre d'avantages:

Il existe une grande variété de systèmes de surveillance nutritionnelle. Certains de ces systèmes utilisent des données recueillies par des professionnels de la santé dans des cliniques; d'autres s'appuient sur des informations recueillies par des membres de la communauté, spécialement formés à cet effet. Certains utilisent des méthodes d'échantillonnage conçues de manière à proposer des estimations fiables à l'échelle nationale; tandis que d'autres utilisent des techniques de sondage davantage axées sur la participation et appliquées dans des lieux appelés sites sentinelles, considérés comme particulièrement représentatifs. Les mesures anthropométriques de poids et de taille sont utilisées dans la quasi-totalité des situations, car elles fournissent des informations extrêmement utiles à un coût relativement faible. Cependant, on peut également utiliser toute une gamme d'autres indicateurs, y compris le prix des aliments sur les marchés, les indicateurs concernant la production agricole et les autres moyens d'existence, ainsi que les données relatives à la morbidité et à la mortalité. Les systèmes de surveillance ont en commun le fait que les informations sont recueillies de façon périodique, de manière à pouvoir suivre les évolutions.

Tableau 5. Indicateurs anthropométriques communément utilisés pour des systèmes de surveillance nutritionnelle

Indicateur anthropométrique

Paramètres mesurés

Contextes dans lesquels ils sont utilisés

Enfants

   

Insuffisance pondérale

L'Insuffisance pondérale (faible poids par rapport à l'âge) indique tant une croissance linéaire inadéquate que des disproportions corporelles causées par la dénutrition

L'insuffisance pondérale est l'indicateur le plus communément mesuré par les systèmes de suivi de la croissance

Retard de croissance

Le retard de croissance (faible taille par rapport à l'âge) mesure l'inadéquation de la croissance à long terme liée à la dénutrition chronique

Le retard de croissance est associé à la pauvreté; il peut être évalué dans les situations stables afin de mesurer l'évolution dans le temps

Dépérissement

Le dépérissement ou«maigreur» (faible poids par rapport à la taille) est le résultat d'une dénutrition aiguë

Le dépérissement est l'indicateur le plus communément utilisé lors des enquêtes de nutrition conduites en situation de crise

Adultes

   

Indice de masse corporelle1

La «maigreur» (faible poids par rapport à la taille) est le résultat d'une dénutrition

L'IMC est l'indicateur utilisé pour évaluer l'état nutritionnel des adultes. Il revêt une importance particulière lorsque les adultes risquent d'être aussi vulnérables, voire plus vulnérables que les enfants à la dénutrition, par exemple en situation de crise

Faible poids à la naissancet2

Les nourrissons sont également mesurés, mais cet indicateur est associé à la mauvaise alimentation des mères

Le faible poids à la naissance est un indicateur utile dans les situations stables, car il peut alors être utilisé pour mesurer l'évolution de la malnutrition maternelle. Cet indicateur est particulièrement important dans les pays d'Asie, où la dénutrition maternelle est répandue

Personnes âgées

   

Indice de masse corporelle

La «maigreur» (faible poids par rapport à la taille) est le résultat d'une dénutrition

Bien que l'utilisation de l'IMC pour l'évaluation de la dénutrition des personnes âgées soulève des problèmes, cet indice reste très utile en situation d'urgence

1 L’IMC a été traité dans L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde 2000, p. 10-12.
2 Contrairement aux autres indicateurs, le poids à la naissance n’est mesuré qu’une seule fois.

Les méthodes utilisées à l'échelon national

Les gouvernements nationaux ainsi que leurs partenaires internationaux de développement doivent pouvoir s'appuyer sur des bilans nutritionnels d'envergure nationale, de manière à disposer d'un tableau comparatif des résultats obtenus par les diverses régions et à prévoir une allocation correspondante des ressources, de même que pour déterminer quels progrès ont été accomplis dans la lutte contre la dénutrition.

Les indicateurs anthropométriques sont incorporés à deux types fondamentaux de systèmes de surveillance utilisés au niveau national: ceux basés sur des sondages répétés s'appuyant sur de larges échantillons; et ceux basés sur la collecte de statistiques par les services sociaux ou par les services de santé.

Les enquêtes répétées sur grande échelle. Ces enquêtes visent à produire, à l'échelle nationale, des moyennes représentatives au plan statistique. À cette fin, les conditions de santé et les paramètres socioéconomiques connexes sont évalués parallèlement au bilan nutritionnel, afin de former la base d'une amélioration de la planification et de l'évaluation des programmes d'investissement sectoriel. Dans les pays pauvres et dont la capacité institutionnelle ainsi que les ressources budgétaires sont limitées, les organismes internationaux fournissent souvent une assistance aux gouvernements dans la conduite de ces enquêtes. S'agissant des domaines de la nutrition et de la santé, deux initiatives de ce type ont été entreprises en collaboration à l'échelle internationale: il s'agit du Demographic and Health Survey parrainé par la l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et du programme d'Enquête en grappes à indicateurs multiples, bénéficiant du parrainage du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF). Dans le domaine socioéconomique, l'état nutritionnel des membres des ménages est parfois enregistré en plus d'autres indicateurs, par exemple dans le cas du Programme de mesure des niveaux de vie parrainé par la Banque mondiale dans un grand nombre de pays. Les indicateurs anthropométriques applicables à un certain nombre de pays présentés dans L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde 1999 étaient extraits de ce type d'enquête nationale. La dernière compilation de ces ensembles nationaux de données est disponible sur le site Internet de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), à l'adresse: www.who.int/nutgrowthdb/.

Les statistiques recueillies par les administrations ou liées aux prestations. Il arrive souvent que des données concernant les indicateurs anthropométriques soient recueillies dans les cliniques ou dans les écoles. À titre d'exemple, les nourrissons que l'on amène dans les cliniques y sont pesés et mesurés dans le cadre du suivi de routine de la croissance (voir ci-après), ou encore lorsqu'ils viennent pour des traitements spécifiques ou des vaccinations. Ces données sont souvent acheminées vers la capitale nationale en vue d'un traitement et d'une utilisation ultérieurs. Dans le même ordre d'idées, les systèmes éducatifs nationaux peuvent exiger que l'on enregistre l'âge, la taille et le poids de tous les écoliers et étudiants. À l'évidence, lorsque l'utilisation des services de santé structurés restent extrêmement sélective, ou lorsque seule une minorité d'enfants est scolarisée, l'image qui résulte du bilan nutritionnel national risque d'être gravement déformée. Cependant, lorsque la grande majorité de la population a recours à ces services de base, alors les statistiques ainsi établies, lorsqu'elles sont recueillies et analysées avec soin, peuvent fournir une image utile - comme l'illustrent, dans l'encadré, les cas du Costa Rica et du Panama.

Costa Rica et Panama: utilisation de données de recensement scolaire pour le suivi des progrès accomplis

Le Costa Rica a effectué son premier recensement scolaire en 1979, et achevé le cinquième en 1989. Selon les données recueillies, le retard de la croissance avait reculé de 45 pour cent en 1985. On considère que ce recul constitue un indicateur valable des améliorations apportées à la qualité de vie et de la réduction de l'insécurité alimentaire au Costa Rica durant la période concernée. Les résultats obtenus au Costa Rica s'opposent à ceux du Panama, où les mesures effectuées par le biais du recensement scolaire font état d'une augmentation de 19 à 24 pour cent des retards de croissance entre 1985 et 1988. On considère que cette évolution traduit la crise sociopolitique ainsi que les flux migratoires internes en direction des villes durant cette période.


Source: Bulletin alimentation et nutrition, 1991.

Méthodes utilisées au niveau communautaire ou local

Des mesures directes sont prises pour évaluer l'état nutritionnel des populations, même lorsque ces mesures s'intègrent dans un programme national. Nous mettrons ici l'accent sur deux méthodes qui utilisent les indicateurs anthropométriques parallèlement à d'autres indicateurs.

Les enquêtes répétitives sur petite échelle. Les micro-enquêtes présentant un contenu très varié et s'appuyant sur une approche adaptable peuvent être utilisées au niveau communautaire ou local, tant pour définir les dimensions initiales d'un problème que pour suivre les progrès accomplis à mesure que des ressources sont allouées pour le résoudre (voir encadré sur l'Éthiopie). Pour de telles enquêtes, on utilise de façon constante des indicateurs normalisés de l'état nutritionnel ainsi que la collecte d'informations supplémentaires, qui contribuent à éclairer tant les causes immédiates au mauvais état alimentaire que les racines du phénomène de pauvreté qui en constituent la source.

Éthiopie: des microenquêtes à répétition aident à cibler l'aide alimentaire et à en évaluer l'impact


Suite à trois modestes récoltes successives dans la zone du nord Omo en Éthiopie, Concern Worldwide a effectué une enquête nutritionnelle dans cette région en avril 2000. L'incidence du dépérissement a été évaluée à 25,6 pour cent, dont 4,3 pour cent de cas graves. Pour faire face à la situation, Concern a apporté une aide thérapeutique associée à une alimentation complémentaire dirigée vers des groupes vulnérables, parallèlement à une ration générale. Étant donné que les provisions de semences avaient été consommées, Concern a procédé également à la distribution de semences de denrées alimentaires de base, dont le teff, la patate douce, le blé, le maïs et les haricots. Les résultats de l'enquête, outre qu'ils ont mis en relief la nécessité aiguë d'une intervention dans des régions spécifiques, ont apporté à Concern les informations démontrant la nécessité d'accorder une attention urgente à l'ensemble de la région de Wolayita, de sorte que la région a obtenu un statut prioritaire pour les distributions d'aliments du PAM.

Une deuxième enquête a été entreprise trois mois plus tard, révélant une amélioration spectaculaire de la situation nutritionnelle, avec une incidence de 6,4 pour cent du dépérissement et de 1 pour cent seulement de dépérissement grave. Une troisième enquête, effectuée au mois d'octobre, devait indiquer que le niveau de dénutrition s'était stabilisé, avec une incidence de 7,2 pour cent du dépérissement et de 1 pour cent du dépérissement grave. Cette amélioration fut attribuée en grande partie aux interventions. La stabilisation de la dénutrition, ainsi que l'arrivée imminente d'une nouvelle récolte, permirent à Concern d'éliminer progressivement la ration générale. Quant au programme d'alimentation thérapeutique, il fut également interrompu en octobre, tandis que l'alimentation complémentaire fut maintenue le temps de permettre au nombre important de bénéficiaires d'atteindre le poids préfixé.


Source: Concern Worldwide, Éthiopie.

Le suivi de la croissance. Il s'agit du suivi continu de la croissance des enfants - représentée en général par le poids et la taille en fonction de l'âge. Le suivi de la croissance peut être effectué par des professionnels dans des cliniques relevant du service national de santé, ou, dans les villages, par des membres de la communauté formés à cet effet. Son principal objectif consiste à évaluer l'état nutritionnel des enfants pris individuellement et à mobiliser les ressources locales afin d'appuyer les activités liées à la nutrition. Les familles dont les enfants sont en situation précaire peuvent recevoir un complément alimentaire et/ou des conseils en matière de nutrition. En règle générale, les enfants sont examinés une fois par mois.

Bangladesh: améliorer la qualité du suivi de croissance centré sur la communauté


Au Bangladesh, le Programme national de nutrition comprend un système de suivi visant à appuyer le processus décisionnel. Ce système utilise des données «montantes», à savoir aux différents niveaux administratifs (village, syndicat et upzila), avant que les données ne soient agrégées au niveau national. Les données concernant la mesure mensuelle du poids en fonction de l'âge des enfants jusqu'à l'âge de 24 mois, ainsi que du gain de poids des femmes enceintes, sont recueillies par les Agents communautaires de promotion de la nutrition, en l'occurrence des femmes appartenant à la communauté et formées par des ONG sous contrat, opérant sous la supervision d'agents communautaires chargés de la nutrition. L'objet de ces données est de déclencher une réponse appropriée à chacun des échelons administratifs. À titre d'exemple, les villages présentant un taux supérieur à 5 pour cent d'enfants souffrant de dénutrition grave sont désignés pour l'application de mesures spéciales de suivi de la part de l'agent communautaire ou gouvernemental compétent, afin de s'assurer que les mesures appropriées soient prises. Le suivi spécial concerne également les villages pour lesquels le suivi de la croissance couvre moins de 80 pour cent de la population, ou pour lesquels moins de 90 pour cent des enfants et des femmes admissibles aux compléments alimentaires reçoivent de telles rations. Les données relatives à la nutrition sont également utilisées pour évaluer l'efficacité des données de programme. À titre d'exemple, il est possible d'évaluer l'incidence d'un complément alimentaire administré quotidiennement (équivalant à 600 kcal) spécialement destiné aux femmes enceintes présentant un faible indice de masse corporelle (IMC). Il a ainsi été démontré que les femmes ayant reçu ce complément ont réalisé un meilleur gain de poids durant leur grossesse et que leurs nourrissons avaient un poids supérieur à celui de femmes présentant un IMC plus élevé et appartenant à une catégorie supérieure de revenu. Comme on l'observe souvent dans ce genre d'initiative, la fiabilité des données avait soulevé quelques doutes. Les difficultés allaient du mauvais fonctionnement mécanique des balances aux inexactitudes de lecture et d'enregistrement, avec même, dans certains cas, une présentation intentionnellement erronée des données par les travailleurs communautaires qui souhaitaient faire apparaître leurs résultats sous un jour avantageux. Désormais conscients de ces problèmes, les Administrateurs de programme mettent actuellement en œuvre des vérifications de qualité qui comprennent une répétition du pesage le lendemain, l'amélioration de la qualité et de la fiabilité des balances, et le renforcement de la supervision de soutien des Promotrices communautaires de la nutrition.


Source: J.Shoham, F.Watson et C.Dolan, 2001. The use of nutrition indicators in surveillance systems. Overseas Development Institute, Londres, Royaume-Uni.

Par le passé, le suivi de la croissance se faisait sortout dans des cliniques, si bien que les mères étaient souvent obligées de faire la queue et de perdre ainsi le temps qu'elles auraient pu consacrer à d'autres tâches. Aujourd'hui, grâce aux nouveaux types de balances à enregistrement direct, le suivi de la croissance peut se faire dans d'autres lieux de la communauté, et pas seulement dans les cliniques. Les nouvelles balances sont plus solides et peuvent être placées dans un espace central et public du village, comme l'école ou la mairie. En outre, elles sont directement reliées au tableau de croissance, ce qui facilite l'incorporation des données (voir figure 6). En outre, les agents sanitaires des collectivités sont bien placés pour s'assurer que les mères et les enfants les plus désavantagés les utilisent effectivement.

La méthode du suivi de croissance en milieu communautaire a trouvé un large soutien auprès de l'UNICEF, des ONG internationales et, plus récemment, des programmes de nutrition financés par la Banque mondiale. Un des éléments importants de cette démarche est le fait qu'elle invite les communautés à agir sur la base des informations nutritionnelles qu'elles ont elles-mêmes recueillies et interprétées. Cette approche peut donner d'excellents résultats lorsque les agents de promotion de la nutrition à l'échelle communautaire sont bien formés et dotés de ressources adéquates. Elle est aussi supérieure à l'approche centrée sur la clinique pour ce qui est d'assurer une couverture complète de la population des moins de cinq ans. L'encadré consacré au Bangladesh décrit un système de suivi de la croissance sur grande échelle à implantation communautaire et met en relief l'importance d'une gestion efficace d'un tel système.

Figure 6. La balance à enregistrement direct

Source: M. Meegan, D. Morley et R. Brown. 1994. Dans Transactions of the Royal Society of Tropical Medicine and Hygiene, 88: 635-637.

Ces exemples d'utilisation d'indicateurs nutritionnels montrent que s'il existe une volonté politique et des ressources suffisantes, les communautés locales - œuvrant de concert avec les structures gouvernementales décentralisées - peuvent s'attaquer efficacement aux causes immédiates du mauvais état nutritionnel des groupes vulnérables (notamment la consommation insuffisante d'énergie, ou les infections qui réduisent la prise de nourriture et son absorption). Reste à déterminer comment ces mêmes groupes peuvent aller plus loin et s'attaquer aux causes sous-jacentes de l'insécurité alimentaire. On s'entend de manière générale pour dire que cette étape ultérieure nécessite que l'on entreprenne, au niveau local, d'examiner la viabilité et la durabilité des systèmes communautaires d'existence dominants (voir à ce propos la section suivante consacrée à l'établissement des profils de vulnérabilité au Guatemala).

Rwanda: le suivi de l'efficacité des interventions en situation de crise


Alors que des centaines de milliers de réfugiés Hutu fuyaient le Rwanda par suite du génocide de 1994, quatre camps de réfugiés furent créés au Zaïre oriental (à présent, République démocratique du Congo). Les enquêtes nutritionnelles effectuées dans les camps au mois d'août permirent de constater un phénomène de dénutrition (dépérissement) chez 17 à 23 pour cent des enfants âgés de moins de cinq ans. En réponse à cette situation, on procéda à la distribution d'une ration générale de 2 100 kcal par personne et par jour, qui aurait dû suffire à rétablir un bon état nutritionnel. Or, les sondages à répétition effectués en octobre révélèrent que des niveaux inacceptables de dépérissement persistaient dans deux de ces camps.

Les raisons de cet état de fait apparurent clairement lorsque furent recueillies des données supplémentaires par le biais du suivi du panier de la ménagère, données qui documentaient la remise effective de rations d'aide alimentaire au niveau du ménage. Il fut ainsi révélé que, dans les deux camps, 32 et 29 pour cent des familles respectivement recevaient moins de 1 000 kcal par personne et par jour. Cette distribution peu équitable était directement corrélée au phénomène de dénutrition, les ménages ayant à leur tête une femme se trouvant les plus mal lotis.

Ces observations portèrent à conclure qu'il fallait changer la méthode de distribution des rations. Compte tenu de l'afflux massif et rapide de réfugiés, les organismes internationaux s'étaient appuyés sur les structures administratives locales qui existaient dans le Rwanda d'origine pour faciliter la distribution de la nourriture. Elles avaient ainsi distribué la nourriture aux chefs des communautés, qui étaient ensuite chargés d'allouer les rations aux ménages. Or, les chefs des communautés avaient favorisé certains ménages par rapport à d'autres, en général pour des motifs politiques. Les données concernant le panier de la ménagère, utilisées parallèlement à celles découlant de l'enquête à répétition, aidèrent les organismes internationaux à plaider en faveur d'un autre système de distribution, canalisant la nourriture vers des groupes plus restreints de ménages, et même vers des ménages pris individuellement. Une fois ces changements effectués, les résultats des enquêtes à répétition des mois de décembre et janvier indiquèrent que le niveau de dépérissement était tombé, pour se stabiliser ensuite à des niveaux acceptables (2,5 à 5 pour cent).


Source: J. Shoham, F. O'Reilly et J. Wallace. 2001. Humanitarian crisis and conflict: food assistamce and nutritional security issue. Dans Clay et O. Stokke, éds. Food and human security, chap 6. Frank Cass, Londres.

La surveillance nutritionnelle en situation de crise

En règle générale, on utilise les mêmes méthodes d'anthropométrie nutritionnelle pour les cas d'urgence que pour les situations de routine. Cependant, on insiste davantage, dans les situations de crise, sur l'utilisation du dépérissement (faible poids par rapport à la taille) en tant qu'indicateur, étant donné que les problèmes aigus d'accès à la nourriture qui surgissent souvent dans de telles situations peuvent entraîner une perte rapide de poids. Par ailleurs, compte tenu des complications de type logistique et sécuritaire qui accompagnent généralement la situation de crise, on observe parallèlement des différences très marquées quant aux méthodes de mise en œuvre de la surveillance nutritionnelle. En outre, les acteurs eux-mêmes peuvent différer: en effet, lorsque les services gouvernementaux sont partiellement ou totalement paralysés et qu'ils ne peuvent intervenir pour fournir une assistance - le plus souvent par suite d'une guerre civile - ce sont les agences spécialisées dans l'aide internationale plutôt que les programmes nationaux qui doivent assumer l'essentiel du travail de secours.

Un grand nombre d'organisations de secours ont adopté comme ligne directrice que la fourniture de couvertures et d'alimentation ciblée se déclenche lorsque le dépérissement dépasse 20 pour cent. Il est fréquent, en temps de crise, que le manque de ressources et de temps rende impossible l'utilisation des indicateurs anthropométriques normalisés ainsi que l'examen approfondi de la population plus vulnérable. Dans de telles circonstances, il faut recourir à d'autres indicateurs, moins précis mais d'utilisation plus rapide - tels que le tour de bras - tout en continuant d'appliquer une démarche suffisamment fiable d'échantillonnage afin de couvrir les groupes de populations accessibles.

Il est également possible, toujours en situation de crise, d'utiliser des indicateurs non anthropométriques pour réaliser la surveillance nutritionnelle. L'encadré consacré au Rwanda illustre la façon dont des informations complémentaires, concernant une population de réfugiés, ont permis de déceler des inégalités et de responsabiliser un système de distribution alimentaire.

Des pistes pour atteindre la sécurité alimentaire: les options concernant les pauvres au Guatemala

La pauvreté est l'un des éléments déterminants de l'insécurité alimentaire. Il est essentiel, dans un premier temps, de se renseigner sur les systèmes d'existence des catégories pauvres en vue d'identifier les options offertes pour améliorer leur sort. L'établissement de profils des groupes vulnérables est une démarche utile dans ce sens, comme l'illustre l'expérience du Guatemala.

Au Sommet mondial de l'alimentation qui s'est tenu à Rome en 1996, les dirigeants réunis ont identifié trois questions clés auxquelles il convient de répondre afin d'orienter l'action:

La méthode d'établissement des profils de groupes vulnérables a été élaborée par la FAO pour aider les pays à trouver les réponses à ces questions. Cette méthode, décrite en détail dans L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde 2000, part de l'hypothèse que les personnes vulnérables à l'insécurité alimentaire appartiennent à des groupes de population plus larges, qui se trouvent exposés à différents facteurs de vulnérabilité, tels que la faiblesse du revenu, l'insécurité du régime foncier ou la détérioration des ressources naturelles. Une fois identifiés les groupes vulnérables homogènes ainsi que leurs caractéristiques, il est possible de déterminer, au sein de chaque groupe, quels sont les sujets vulnérables à l'insécurité alimentaire, où ils se trouvent et pourquoi ils sont vulnérables à l'insécurité alimentaire. Il est également possible d'identifier les options qui s'offrent aux différents groupes, afin d'améliorer leurs revenus et d'autres aspects de leurs conditions de vie contribuant à la sécurité alimentaire.

Cette section présente des informations tirées d'un ensemble de profils établis à partir de groupes vulnérables du Guatemala, ainsi que des suggestions de nouvelles démarches propres à faire sortir ces personnes de leur situation de vulnérabilité et à les conduire vers un avenir meilleur.

Les groupes vulnérables

Au Guatemala, la vulnérabilité et l'insécurité alimentaire sont, de façon prédominante, des phénomènes ruraux. La population est composée aux trois quarts environ de ruraux, dont près des deux tiers sont exposés à l'insécurité alimentaire ou en sont victimes. Dans les régions urbaines et périurbaines, la proportion des personnes vulnérables, de l'ordre de 10 pour cent, se compose en grande partie de nouveaux migrants ruraux à la recherche d'une vie meilleure.

La figure 7 indique les six groupes vulnérables identifiés au Guatemala, ainsi que la proportion de la population nationale appartenant à chacun de ces groupes. Quatre d'entre eux se composent de petits exploitants agricoles, qui se distinguent les uns des autres à partir des différences de contexte agroécologique et de schémas de migration en tant que main-d'œuvre agricole. Ces quatre groupes, ainsi que les pêcheurs artisanaux des côtes atlantique et pacifique, constituent 45 pour cent de la population nationale. Le reste, soit 2,5 pour cent de la population classée comme vulnérable, est représenté par les travailleurs temporaires de Guatemala et de sa banlieue.

Chacun des groupes vulnérables occupe une région géographique spécifique et présente des conditions agroécologiques, des modes de production et des structures sociales ayant également leur spécificité. Les cartes (figures 8, 9 et 10) indiquent les régions concernées, ainsi que leur densité de population et la morphologie du terrain. Les caractéristiques de chacune des régions, si elles contribuent à la vulnérabilité des groupes, offrent également des points d'appui en vue d'une amélioration.

Figure 7. Part des groupes vulnérables dans la population nationale

Le contexte national

Sur la base d'un recensement de 1994, la population du Guatemala se situait, au milieu des années 90, aux alentours de 8 millions. Selon des données récemment publiées, ce nombre pourrait dépasser aujourd'hui 11 millions. Outre la croissance naturelle rapide de la population, à savoir 2,5 pour cent par an au cours de la période 1981-1994, un nombre important d'habitants qui avaient fui en direction des pays voisins pour échapper à la guerre civile sont aujourd'hui de retour, notamment depuis la signature des accords de paix en 1996.

Une proportion élevée de la population (42,8 pour cent) est composée de groupes indigènes. Ces derniers prédominent dans la région montagneuse de l'ouest, où ils représentent près de 70 cent de la population. Toutefois, on trouve dans presque toutes les régions du pays des poches de populations indigènes, qui cultivent le maïs sur de petites parcelles, exécutent des travaux artisanaux ou proposent leurs services comme travailleurs manuels.

Figure 8. Régions géographiques où vivent des groupes vulnérables

Figure 9. Densité démographique des régions géographiques

Les migrations saisonnières des petits agriculteurs louant leurs services dans les grandes plantations représentent, de longue date, un système d'existence caractéristique de nombreux pauvres des campagnes guatémaltèques. On assiste aujourd'hui à d'autres mouvements de population de grande envergure qui repoussent la frontière agricole, souvent dans des conditions n'offrant pas de durabilité. Outre ceux qui obtiennent des terres par le biais des programmes officiels de réinstallation, de nombreuses personnes déplacées par les conflits s'efforcent aujourd'hui de retourner dans leur zone d'origine ou de trouver de nouvelles terres à mettre en valeur de façon autonome. Quant à ceux qui ont été marginalisés économiquement et qui n'ont pas d'autre solution, ils abattent des arbres et défrichent de nouvelles terres pour y cultiver le maïs, principalement sur les hauts plateaux ainsi que dans la forêt tropicale septentrionale du Petén.

La culture du maïs est une activité importante au plan culturel comme au plan économique. En effet, pour les populations indigènes de l'ensemble de l'Amérique centrale, le maïs représente la régénération et la vie nouvelle. La plupart des hommes attachent une grande importance à leurs fonctions de «maïziculteurs» et se donnent beaucoup de mal pour trouver une petite parcelle sur laquelle cultiver un peu de maïs, quelles que soient les autres activités leur servant à assurer la subsistance de leur famille.

Figure 10. Morphologie des régions géographiques

En règle générale, le maïs se cultive sur de très petites parcelles (minifundia), tandis que l'agriculture commerciale se pratique dans de grandes plantations ou propriétés (latifundia). Le régime foncier des latifundia est sans ambiguïté, tandis que les petits exploitants agricoles sont rarement propriétaires de leurs terres. Même ceux qui se sont vu accorder des titres fonciers n'ont pas la garantie de voir ces derniers honorés dans les tribunaux. On trouve, dans les terres communales, de nombreuses petites parcelles qui sont gérées soit en vertu du droit coutumier, soit par les autorités municipales. Les petits exploitants agricoles peuvent se voir accorder des droits d'utilisation sur des terres communales traditionnelles, ou encore les louer à la municipalité, voire se mettre tout simplement à défricher des terres incultes. Certains d'entre eux appliquent le métayage sur des terres appartenant à une grande propriété.

Dans les campagnes, l'analphabétisme atteint une moyenne de 60 pour cent parmi les hommes et près de 80 pour cent chez les femmes. Ce phénomène reflète une différence marquée de rôle entre les deux sexes, la femmes se voyant assigner celui de «l'assistance silencieuse».

Les profils

Les pages suivantes présentent un profil des groupes vulnérables auxquels appartiennent les populations victimes de l'insécurité alimentaire au Guatemala. Au sein de chaque groupe, on peut distinguer des sous-groupes homogènes, dont certains sont plus exposés que d'autres à l'insécurité alimentaire (voir figure 11). Ces profils fournissent des informations concernant le contexte géographique, les systèmes d'existence dominants et les principales difficultés que doivent affronter ces groupes et sous-groupes. Les ensembles de caractéristiques ainsi constitués permettent d'identifier les voies à emprunter pour améliorer les conditions de vie et la sécurité alimentaire de chaque sous-groupe.

Figure 11. Continuum de l'insécurité alimentaire et de la vulnérabilité au sein de chaque groupe vulnérable

Les petits exploitants agricoles dans les terres de transition de l'est

Le contexte géographique. Les terres de transition de l'est occupent le bassin versant du fleuve Motagua. Entre 500 et 1500 m d'altitude, là où vivent la plupart des petits exploitants agricoles, le climat est chaud et sec, avec des sécheresses fréquentes, et les sols sont très pauvres.

L'agriculture intensive tournée vers l'exportation (bananes, café et horticulture) se pratique dans de grandes propriétés qui occupent les pentes inférieures ainsi que le fond des vallées, avec un accès facile à l'Atlantique. L'industrie de la construction se développe à la faveur de l'expansion des villes de la région.

Les systèmes d'existence des populations vulnérables. Les petits exploitants agricoles cultivent le maïs et les haricots pour leur consommation domestique, en y ajoutant la culture de fruits et légumes écoulés sur les marchés locaux; par ailleurs, ils se proposent comme main-d'œuvre dans les grandes propriétés. Compte tenu de l'exiguïté des parcelles, de la faiblesse des rendements et des salaires extrêmement bas qui rétribuent la main-d'œuvre agricole, il est fréquent que ces agriculteurs ne produisent ou ne gagnent pas suffisamment pour satisfaire leurs besoins les plus élémentaires.

Dix pour cent d'entre eux appartiennent à des familles n'ayant que très peu ou pas de terres en propre, et qui cultivent des terres communales ou pratiquent le métayage à des altitudes dépassant 1 500 m (sous-groupe A). Soixante-cinq pour cent d'entre eux appartiennent à des familles possédant moins de 0,25 ha (4 manzanas) de terre, situés à des altitudes inférieures à 1 500 m (sous-groupe B). Vingt-cinq pour cent d'entre eux appartiennent à des familles dépourvues de terres, qui pratiquent la migration saisonnière et louent les terres dans des vallées ou dans la région septentrionale, pour y cultiver le maïs (sous-groupe C).

Les options. Une bonne partie de la région est occupée par de grandes propriétés, si bien que la plupart des petits exploitants agricoles ont du mal à trouver accès à des terres supplémentaires. Ceux appartenant au sous-groupe A ont, pour l'essentiel, les mêmes options que ceux situés dans les zones occidentales (voir section page suivante). Les agriculteurs du sous-groupe B ont les options suivantes:

Afin de tirer parti de ces options, les agriculteurs doivent pouvoir accéder aux services de vulgarisation, aux semences et aux plants améliorés, de même qu'à de meilleurs services d'information sur le marché et de crédit. Il leur faut également renforcer leur pouvoir de négociation, éventuellement en constituant des associations d'agriculteurs.

Les familles appartenant au sous-groupe C peuvent chercher à obtenir, pour leurs membres les plus jeunes, une formation professionnelle leur permettant de répondre à la demande de main-d'œuvre semi-qualifiée dont ont besoin les industries d'agroexportation, ou encore à la demande de menuisiers, sculpteurs sur bois, forgerons et mécaniciens, outre les possibilités d'emplois domestiques.

Les petits agriculteurs des basses-terres et des hautes-terres du nord

Contexte géographique. Les basses-terres du nord consistent en une forêt tropicale en grande partie vierge, située à une altitude de 0 à 500 m, qui couvre près de la moitié du territoire national; la population y est clairsemée et l'élevage extensif y constitue la principale activité productive. Quant aux hautes-terres septentrionales, elles forment un périmètre forestier beaucoup plus modeste, situé à une hauteur de 500 à 2 000 m, sur la frange méridionale de la région.

On assiste actuellement au retour d'un grand nombre de personnes déplacées de l'intérieur et qui se sont trouvées marginalisées économiquement, de même que de personnes faisant retour dans leur foyer après le conflit. Par ailleurs, de nombreuses familles sans terre en provenance des terres de transition de l'est migrent également vers le nord de la région pour y cultiver le maïs pendant de brèves périodes.

Les systèmes d'existence des catégories vulnérables. Les nouveaux colons ainsi que les migrants saisonniers pratiquent la culture sur brûlis pendant une année ou deux avant de se déplacer à nouveau. Compte tenu de la fragilité de l'environnement, qui se caractérise par des pentes raides sujettes à érosion dans les parties supérieures, et par une faible fertilité des sols dans les zones de forêts tropicales défrichées, la durabilité de l'exploitation agricole est précaire. En outre, la progression rapide de la frontière agricole menace ce qui reste de forêts, ainsi que la biodiversité et les écosystèmes dont elles forment le support. Les migrants appliquent des techniques de culture apprises dans leurs régions d'origine et qui ne correspondent pas nécessairement au nouvel environnement, outre le fait qu'ils abattent les arbres pour les vendre comme bois d'œuvre. Par ailleurs, l'absence quasi totale de régime foncier reconnu encourage les agriculteurs à surexploiter la base de ressources pour se déplacer ensuite vers d'autres terres.

Vingt pour cent des habitants de la région appartiennent à des familles sans terre, aujourd'hui installées de façon temporaire dans les basses terres ou dans les hautes-terres (sous-groupe A). Quatre-vingt pour cent d'entre eux appartiennent à des familles détenant de petits lopins et qui en ont revendiqué la propriété, mais sans obtenir de titre légal. De nombreuses familles des deux sous-groupes s'efforcent d'envoyer au moins un des hommes de la famille vers la capitale, ou encore au Mexique ou aux États-Unis, pour y trouver du travail (sous-groupe B).

Les options. La présence de sites archéologiques maya de grande importance, conjuguée à la beauté naturelle et à la biodiversité de la forêt tropicale, sont autant d'éléments favorables au développement d'une industrie pivot de l'écotourisme, liée à la création de zones de conservation protégées. Il faut, pour cela:

Afin de générer un revenu supplémentaire, on pourrait dispenser une formation à la «conservation par l'utilisation» des ressources forestières, ce qui bénéficierait de façon immédiate aux petits agriculteurs des deux sous-groupes.

Les petits agriculteurs des terres volcaniques de l'ouest, des terres de transition et des hautes terres

L'environnement géographique. Les terres volcaniques, les terres de transition et les hautes-terres de l'ouest constituent l'altiplano du Guatemala. L'altitude y varie de 500 à 4 000 m, les routes y sont rares et les services sociaux rudimentaires. La région est densément peuplée, avec des taux très élevés de déboisement et, en conséquence, une érosion des sols dans les zones les plus escarpées.

Les systèmes d'existence des catégories vulnérables. Les zones les plus élevées de l'altiplano sont principalement habitées par les populations indigènes qui cultivent, chaque année, une ou deux récoltes de maïs et de haricots durant la saison humide, avant de migrer pour aller travailler dans les plantations de canne à sucre et de café du sud pendant le reste de l'année. En outre, pour se procurer un revenu supplémentaire, ces indigènes abattent des arbres et vendent le bois d'œuvre, ou encore, dans certains endroits, ils cultivent également le blé, la pomme de terre et les légumes. Quant aux familles qui n'ont pas d'autres possibilités, elles migrent vers le nord. Comme dans d'autres régions, nombre d'entre elles s'efforcent d'envoyer au moins un membre de leur famille au Mexique ou aux États-Unis. Dans les régions moins élevées, l'agriculture est plus diversifiée et offre davantage de possibilités de participation au marché.

Les habitants de la région appartiennent, pour 54 pour cent d'entre eux, à des familles n'ayant que peu ou pas de terres - de toute façon situées dans des zones marginales et sur des pentes très raides (sous-groupe A). Dix-neuf pour cent d'entre eux appartiennent à des familles possédant moins de 4 000 m2 (1 à 10 cuerdas) sur des pentes moins marquées (sous-groupe B). Compte tenu du taux élevé d'analphabétisme, des très mauvaises conditions de logement, d'hygiène et de soins, auxquels s'ajoutent les habitudes culturelles, la tendance au maintien du système d'existence basé sur le maïs est très répandue dans ces deux sous-groupes, dont les membres se méfient des organisations officielles, notamment depuis la période du conflit. Cependant, les dirigeants des associations d'indigènes sont influents et les ONG sont fortement représentées dans de nombreuses régions.

Vingt-deux pour cent des membres de ces groupes appartiennent à des familles possédant entre 4 000 et 6 000 m2 (10 à 15 cuerdas) et ayant la possibilité de pratiquer certaines cultures destinées au marché (sous-groupe C). Cinq pour cent d'entre eux appartiennent à des familles se livrant à des activités agricoles diverses dans les vallées et possédant les qualifications requises pour trouver un emploi dans le secteur, aujourd'hui en expansion, des services de protection de l'environnement (sous-groupe D).

Les options. Aucun système d'agroforesterie n'a encore été élaboré en vue d'une adaptation aux altitudes supérieures à 1 500 m - il est donc urgent de combler cette lacune. On pourrait également prendre immédiatement les mesures suivantes afin d'améliorer la qualité de vie des populations de ces hautes-terres:

L'eau pure des sources montagneuses représente également une ressource naturelle importante de l'altiplano, et on pourrait l'exploiter par les moyens suivants:

Les petits agriculteurs implantés dans les plaines côtières du sud

Le contexte géographique. Les plaines littorales de la région sud de la côte Pacifique, situées à une altitude de 0 à 500 m, présentent généralement des sols de qualité et un terrain plat, avec quelques collines ondulantes. Le réseau routier y est bon, ainsi que l'accès par la mer aux marchés du Mexique et de l'Amérique centrale.

L'agriculture est dominée par les grandes exploitations et les ranchs qui produisent pour l'exportation, principalement la canne à sucre, la banane et le bétail dans les plaines, et le café sur les collines. Dans l'ensemble de la région, les petits agriculteurs cultivent des terres marginales vulnérables aux inondations, ces dernières causant fréquemment des pertes substantielles de récolte, notamment de maïs.

La demande de main-d'œuvre agricole a chuté de façon brutale du fait de la contraction du marché du café et de la mécanisation des plantations de canne à sucre. En outre, les petits agriculteurs locaux qui louent leur force de travail sont exposés à la concurrence acharnée des migrants provenant de l'altiplano.

Des indigènes ayant fait retour dans leurs terres après la guerre civile ont été réinstallés dans des communautés organisées dans le cadre du programme «patrimoine culturel mixte». En dépit des bonnes possibilités qui s'offrent d'élargir l'éventail de leurs cultures, nombre d'entre eux préfèrent cultiver le maïs. L'accès à la terre et aux services gouvernementaux suscite de fréquents conflits, à l'échelon local, entre les agriculteurs installés et les rapatriés de fraîche date.

Les zones de mangroves qui occupent la côte et qui constituaient auparavant une source importante de bois d'œuvre font l'objet d'une surexploitation croissante.

Les systèmes d'existence des populations vulnérables. Cinquante-huit pour cent des habitants de cette région appartiennent à des familles sans terre et sont principalement tributaires, pour leur subsistance, du louage de leur force de travail, même si certains d'entre eux louent également des terres pour cultiver le maïs. Ces populations migrent parfois vers la capitale ou vers des plantations de café et de banane des départements voisins, voire au Mexique ou aux États-Unis à la recherche de travail (sous-groupe A). Vingt et un pour cent appartiennent à des familles possédant entre un seizième et un quart d'hectare (1 à 4 manzanas) de terre médiocre, où ils produisent du maïs pour leur propre consommation, quittant leur communauté pendant de brèves périodes pour travailler dans les grandes fermes (sous-groupe B). En outre, 21 pour cent appartiennent à des familles possédant entre un seizième et un quart d'hectare (1 à 4 manzanas) de bonne terre servant à cultiver le maïs et d'autres cultures vendues sur les marchés; en général au moins un membre de la famille se propose de temps à autre comme ouvrier agricole à l'échelon local. Ces familles sont en grande partie composées de personnes réinstallées après avoir quitté le pays (sous-groupe C).

Les options. Les petits agriculteurs appartenant au sous-groupe A pourraient tirer parti d'un programme d'amélioration de l'élevage en vue de générer du revenu. Un tel programme devrait être axé sur l'élevage des petits animaux - volaille, porcins et chèvres.

Les options s'offrant aux petits agriculteurs des sous-groupes B et C sont les suivantes:

Les communautés de pêcheurs artisanaux sur les côtes atlantique et pacifique

L'environnement géographique. Les pêcheurs artisanaux du littoral atlantique vivent dans des conditions d'isolement physique dû au fait que leurs implantations sont situées sur une bande de sable qui divise l'océan des marécages. Leur habitat est extrêmement pauvre, avec une absence totale de services de base tels qu'une eau salubre, des services sanitaires et médicaux, l'électricité, le gaz et les transports. En outre, il n'existe pas de groupes organisés ni de coopératives.

La base de ressources halieutiques offertes par l'Atlantique est en déclin, en raison du nombre croissant de pêcheurs et de l'extraction intensive du plancton manjua dont se nourrissent les poissons. Les pêcheries artisanales des mangroves orientales de la région font à présent partie d'une réserve naturelle. Compte tenu des restrictions qui frappent leur droit d'exploiter les aliments sauvages dans les réserves de mangroves ainsi que de la difficulté d'accès aux terres cultivables, les familles de pêcheurs vivent de façon quasi exclusive du poisson capturé, et elles ne possèdent que rarement des poulets ou des cochons.

Sur la côte pacifique, les communautés de pêcheurs artisanaux coexistent avec l'agriculture fixe et avec les flottes de la pêche industrielle. On trouve, dans le Pacifique, différentes espèces de poissons à haute valeur marchande, et l'infrastructure de commercialisation y est bien développée. Les pêcheurs artisanaux, qui utilisent des embarcations équipées de petits moteurs, sont désavantagés par rapport à leurs homologues industriels, non seulement du point de vue de l'équipement mais également du fait que leur accès aux services et aux marchés est plus limité.

Les systèmes d'existence des groupes vulnérables. Dans la plupart des communautés de pêcheurs artisanaux, quelques-uns des membres les moins démunis de ces communautés sont propriétaires des embarcations et des filets, tandis que la plupart des hommes travaillent comme membres d'équipage et reçoivent une partie de la capture pour leur consommation et la vente locale. Quant aux femmes, elles sont responsables de la transformation et de la vente du poisson sur le marché local, ou - sur la côte pacifique - aux commerçants.

Vingt-cinq pour cent des familles de pêcheurs artisanaux appartiennent à des communautés isolées n'ayant pas accès aux terres. Ces familles habitent sur la côte atlantique, principalement dans les mangroves de l'est, mais également au nord du Rio Dulce (sous-groupe A). Les hommes appartenant à ce sous-groupe pêchent, à l'aide de filets, dans des pirogues monoxyles et sans moteur, tandis que les enfants en bas âge vont chercher les crevettes dans les marécages, et la capture est consommée ou vendue localement. Les 75 pour cent restants appartiennent aux communautés dispersées le long de la côte pacifique, qui ont accès à de petites surfaces de terres productives et peuvent travailler, de façon saisonnière, dans les ranchs et les grandes propriétés (sous-groupe B). Une bonne partie des embarcations tenues par ce sous-groupe sont motorisées, et une proportion substantielle de la capture est vendue dans des marchés relativement importants le long de la côte.

Les options. L'adoption de programmes ciblés en fonction des besoins spécifiques des communautés de pêcheurs artisanaux de la côte pacifique (sous-groupe B) pourrait les aider à se moderniser, notamment si l'on applique à cette fin les mesures suivantes:

S'agissant des communautés de pêcheurs artisanaux de la côte atlantique (sous-groupe A), on pourrait viser à:

Les travailleurs temporaires dans les quartiers pauvres de la ville de Guatemala et de sa banlieue

L'environnement géographique. Les travailleurs temporaires de la ville de Guatemala doivent vivre dans un contexte marqué par l'instabilité et le risque. Bien qu'ils aient migré depuis d'autres régions afin d'améliorer leurs conditions de vie, ils sont très souvent sans emploi régulier. Les taudis et les quartiers pauvres où ils trouvent à s'héberger sont insalubres et sujets à des inondations fréquentes. Les dispositifs de protection sociale y sont inexistants, à l'exception de certains programmes d'aide alimentaire spécialement ciblés, ou des activités déployées par les organisations religieuses.

Le degré d'insécurité alimentaire de ces travailleurs sans emploi régulier reflète en général la durée de leur séjour en zone urbaine ou périurbaine. En effet, avec le temps, leur situation s'améliore généralement ainsi que la qualité de leur logement, leur statut à l'égard de la propriété, leur niveau de revenu et de stabilité ainsi que l'accès aux moyens sociaux et humains. Cependant, ils demeurent vulnérables tant que leur situation reste incertaine en matière d'emploi.

Les systèmes d'existence des groupes vulnérables. Tous les membres de la famille travaillent, y compris les enfants. Cependant, le revenu familial, qui a pour origine un éventail d'activités diverses et marginales, demeure extrêmement faible et précaire, et sert presque entièrement à payer le loyer et la nourriture. Les enfants, souvent abandonnés et sans soins, sont particulièrement vulnérables à l'insécurité alimentaire, aux maladies et à l'exploitation peu scrupuleuse.

Neuf pour cent des personnes constituant ce sous-groupe appartiennent à des familles dirigées par des femmes à la progéniture nombreuse et souvent obtenue avec des pères différents. Ces personnes, qui vivent généralement dans des taudis récemment formés, sont considérées comme irresponsables, voire peu recommandables. Elles doivent non seulement subir la précarité du revenu mais font également l'objet d'une discrimination sociale doublée d'ostracisme, ce qui ne manque pas d'aggraver les handicaps dont souffrent les enfants. La plupart de ces familles sont extrêmement pauvres et souffrent d'une insécurité alimentaire chronique (sous-groupe A).

Soixante-neuf pour cent des membres de cette catégorie appartiennent à des familles dont un membre, à titre de travailleur temporaire, loue un lopin de terre ou un petit logement rudimentaire dans des quartiers pauvres créés de plus longue date. Les hommes parviennent à obtenir un revenu qui reste toutefois irrégulier et qui se perd bien souvent dans l'alcool et dans la drogue (sous-groupe B).

Vingt-deux pour cent de ces personnes appartiennent à des familles dont au moins un membre se consacre à une activité rémunérée plus ou moins régulière, généralement dans des quartiers pauvres, mais s'appuyant sur un cadre et sur un mode de vie familiaux offrant une plus grande stabilité. Cependant, la qualité de la nourriture risque d'être sacrifiée en faveur de l'achat d'une maison à crédit ou du financement de l'éducation des enfants (sous-groupe C).

Les options. L'ouverture de crèches donnerait aux femmes la possibilité de travailler plus régulièrement et bénéficierait directement aux enfants vulnérables des sous-groupes A et B.

Les femmes et les jeunes de tous les sous-groupes pourraient bénéficier des mesures suivantes:

Les atteintes récentes à la sécurité alimentaire

Dans de nombreux pays en développement, les sécheresses, les inondations, les cyclones, les températures extrêmes, les tremblements de terre ou encore les conflits continuent de menacer les progrès sur la voie de la sécurité alimentaire.

Ces pays, qui subissent la majeure partie des catastrophes naturelles dont notre planète est le théâtre, en souffrent de façon disproportionnée du fait qu'ils ne sont pas en mesure de s'y préparer mais aussi de reconstituer leurs moyens d'existence au lendemain des désastres. Leurs gouvernements, déjà aux abois au plan économique, doivent détourner une partie de leurs maigres ressources pour atténuer les effets des sécheresses, des inondations ou des tremblements de terre, portant atteinte aux efforts entrepris à long terme pour améliorer la sécurité alimentaire et stimuler le progrès économique. Lorsque les conflits humains viennent s'ajouter aux souffrances causées par les catastrophes naturelles, les progrès que cherche à accomplir l'humanité pour se libérer de la faim s'en trouvent doublement entravés.

Entre octobre 1999 et juin 2001, 22 pays ont été touchés par la sécheresse, 17 ont subi des inondations et des ouragans, 14 ont été pris dans la tourmente des troubles civils ou de la guerre, deux ont été frappés par des tremblements de terre et trois ont enduré des hivers exceptionnellement rigoureux. Chaque catastrophe laisse un sillage caractéristique de dégâts, chaque situation exige une réponse différente; mais, trop souvent, les mesures adoptées face aux crises sont insuffisantes et tardives.

Les conditions caractéristiques de la sécheresse s'établissent de manière progressive, ce qui permet de prédire plus facilement les difficultés qui en découleront; or, même dans ce cas, les alertes rapides ne garantissent pas nécessairement une action concertée et opportune à l'échelle internationale. Les inondations, les cyclones, les tempêtes extrêmes et, par dessus tout, les tremblements de terre mettent les populations affectées à la merci de réactions internationales spontanées. Dans le meilleur des cas, les climats inhospitaliers sont sources de difficultés; mais, lorsqu'on en arrive à des températures extrêmes et imprévues, les résultats peuvent être presque aussi catastrophiques que pour les autres désastres, et les économies déjà fragiles en sont encore affaiblies. Bien que, durant la période étudiée, les nouveaux cas de guerre civile ou de guerre aient été relativement peu nombreux, la résurgence de conflits civils qui se poursuivent de longue date continue de déplacer des millions de personnes à lérieur des pays, mais aussi de disperser des centaines de milliers de réfugiés par-delà les frontières, malgré le déploiement de forces internationales de soutien de la paix.

Afrique

Une sécheresse aiguë, commencée en 1999 et qui s'est poursuivie en 2000, a dévasté les cultures et le bétail dans l'ensemble de l'Afrique orientale, laissant des millions de personnes avec un besoin désespéré d'une assistance alimentaire. En Éthiopie et au Kenya, où les pertes en bétail ont été très importantes, des personnes sont mortes de faim, tandis qu'en Érythrée, en Somalie, au Soudan, en Ouganda et en République-Unie de Tanzanie, la sécheresse a également laissé des marques profondes.

Malgré les alertes rapides données par le SMIAR de la FAO, la réaction de la communauté internationale à la crise alimentaire qui s'annonçait a mis du temps à s'organiser, et la famine généralisée n'a été évitée que de justesse. En janvier 2001, les Nations Unies ont lancé un appel interinstitutions pour un montant de 353 millions de dollars EU afin d'aider les pays de la corne de l'Afrique à se remettre des effets de la sécheresse; toutefois, en avril 2001, les donateurs demeuraient encore réticents. Selon un coordonnateur de l'aide humanitaire des Nations Unies au niveau régional, la réaction concernant le Kenya, l'un des pays les plus durement touchés, n'avait permis d'obtenir, à cette date, que 3 pour cent du montant demandé.

En Afrique australe, les inondations sans précédent qui se sont produites en février et mars 2000 ont frappé le Mozambique central et méridional, endommageant gravement ou détruisant l'infrastructure et entraînant des pertes étendues de cultures et de bétail. Là encore, l'assistance internationale a été lente à se mettre en place, mais elle devait ensuite gagner en élan, évitant au pays une catastrophe de grande envergure. Bien que le Mozambique soit l'un des pays les plus pauvres du monde, il a accompli des progrès économiques constants depuis la fin de la guerre civile, en 1992. Si une assistance internationale substantielle n'est pas accordée, les progrès économiques modestes des années récentes seront perdus, il y aura peut-être même régression et les espoirs de parvenir aux objectifs fixés par le Sommet mondial de l'alimentation de 1996 s'évanouiront.

Au début de l'année 2000, deux cyclones d'importance majeure et une tempête tropicale se sont abattus sur Madagascar, entraînant de graves inondations, des pertes de vie et le déplacement de plus de 10 000 personnes, sans compter les dégâts étendus à l'infrastructure du pays. Dans l'ensemble, 1,14 million d'hectares de récoltes ont été touchés et l'on estime à 200 000 ha la superficie détruite par les inondations. Outre les pertes conséquentes subies par les cultures vivrières, les cultures d'exportation de premier plan telles que le café, la vanille et le clou de girofle ont été gravement endommagées. Madagascar, comme le Mozambique, est un pays pauvre qui avait réussi, ces dernières années, à accomplir quelques progrès suite aux réformes économiques.

Complétant le cycle des catastrophes, les conflits armés et en particulier les guerres civiles prolongées, avec leur cortège de souffrances, ont continué d'être le lot de millions de personnes en Afrique. En Sierra Leone, malgré le déploiement d'une force de maintien de la paix des Nations Unies, on assiste encore à des déplacements de populations rurales. Jusqu'à 1,2 million de personnes déplacées dans les secteurs contrôlés par les rebelles étaient inaccessibles aux organismes humanitaires vers la fin de 2000, et leur état nutritionnel et sanitaire suscite de graves préoccupations. La Sierra Leone, du fait de la perturbation ininterrompue de ses activités de production vivrière, a été pendant un certain temps étroitement tributaire de l'aide alimentaire internationale.

En Angola, l'aggravation d'une guerre civile qui dure depuis 25 ans a entraîné le déplacement de plus de 2,7 millions de personnes, dont la plupart souffrent de malnutrition et de maladies. Une situation analogue prévaut en République démocratique du Congo où, selon les statistiques des Nations Unies, au moins un tiers de la population, soit 16 millions de personnes, souffrent de malnutrition, en grande partie du fait des constants déplacements de populations. Ailleurs, en Afrique subsaharienne, les combats se poursuivent au Burundi, au Libéria, en Ouganda et au Soudan.

Figure 12. Pays récemment touchés par des catastrophes naturelles et provoquées par l'homme

Les mines terrestres sont devenues une menace grave pour la vie dans les communautés rurales, en temps de conflit mais également une fois la paix revenue. Ainsi, en Érythrée, une grande part des personnes ayant quitté les meilleures terres agricoles du pays pour fuir la guerre et se réfugier en Éthiopie voisine (1,5 million), répugnent à réintégrer leur foyer par crainte du danger mortel que représentent les mines.

Asie

En Asie centrale, un total de 4 millions de personnes vivant dans les pays les plus durement touchés par la sécheresse - l'Arménie, la Géorgie et le Tadjikistan - ont aujourd'hui besoin d'une assistance. La sécheresse a également affecté la Jordanie, l'Iraq et la République arabe syrienne pendant deux années consécutives, et les petits exploitants agricoles et les éleveurs, particulièrement éprouvés, nécessitent une aide alimentaire d'urgence.

En Afghanistan, la sécheresse a décimé les cultures ainsi que le bétail dans l'ensemble du pays, et l'on a signalé des décès dus à la famine. La situation a été encore aggravée par l'intensification d'une guerre civile qui sévit depuis longtemps de même que par un hiver extrêmement rigoureux, au cours duquel on a vu des populations se déplacer en masse depuis les régions rurales en direction des villes et à travers les frontières, à la recherche de nourriture et d'hébergement. Les températures glaciales ont même fait des victimes, notamment dans les régions occidentale et septentrionale.

En République islamique d'Iran, la sécheresse qui a sévi en 2000 a été le prolongement de l'une des sécheresses les plus aiguës depuis une trentaine d'années, et elle a gravement touché 18 des 28 provinces du pays. Le pays a dû importer près de 7 millions de tonnes de blé en 1999/2000, ce qui fait de lui l'un des principaux importateurs de blé du monde. Au Pakistan, la sécheresse a dévasté les cultures de la province occidentale du Balouchistan et de la province méridionale du Sindh. En Inde, qui a connu la pire des sécheresses en un siècle dans l'État du Gujarat, plus de 18 000 villages ont subi une grave pénurie d'eau. Parmi les autres États touchés, citons le Rajasthan, le Madhya Pradesh et l'Andhra Pradesh.

Le Bangladesh, le Cambodge, la Chine, l'Inde, le Népal, la République démocratique populaire lao, la Thaïlande et le Viet Nam ont été au nombre des pays frappés par des catastrophes diverses, inondations, cyclones, tempêtes tropicales et tremblements de terre. Au Cambodge, autre pays figurant parmi les plus pauvres du monde, les inondations les plus graves enregistrées depuis 40 ans ont entraîné plusieurs centaines de morts et la destruction sur grande échelle des cultures, de l'infrastructure, des biens ainsi que des lignes de communication. En Inde, pays le plus gravement touché, de violentes inondations ont dévasté les États d'Himachal Pradesh, de Bihar, du Bengale-Occidental et d'Assam. Toujours en Inde, un tremblement de terre a fait des dizaines de milliers de morts dans l'État de Gujarat.

En Mongolie, par suite des deux hivers consécutifs extrêmement rigoureux de 1999/00 et 2000/01, avec des températures tombant à -50 °C, plus de 10 pour cent du cheptel national, soit 3,6 millions de têtes de bétail, ont été perdus. Plus d'un tiers de la population du pays, principalement des pasteurs nomades, est entièrement tributaire du bétail pour son mode de vie et sa subsistance économique. C'est pourquoi une proportion importante de la population s'est trouvée appauvrie et gravement exposée à l'insécurité alimentaire, et cette situation est vouée à se prolonger pendant plusieurs années, jusqu'à ce que les troupeaux soient complètement reconstitués.

En République populaire démocratique de Corée, les températures enregistrées en janvier 2001 étaient les plus basses depuis 50 ans; elles ont exacerbé la situation précaire de la population, déjà affaiblie par des années de pénurie alimentaire, d'électricité et de carburant de chauffage, ainsi que par la carence de services de santé.

Amérique latine

En Amérique centrale, la production agricole a été gravement affectée par une série de catastrophes naturelles, dont une sécheresse prolongée, l'ouragan Keith et des tremblements de terre. El Salavador a subi, en janvier et février 2001, une succession de tremblements de terre qui ont entraîné la mort de plus de 1 000 personnes et causé des dégâts étendus aux logements et à l'infrastructure de communication. Bien que les principales cultures vivrières aient déjà été récoltées, le secteur vital du café a été gravement touché.

Nombre de personnes affectées par les catastrophes


On estime que, dans l'ensemble de la planète, le nombre de personnes affectées par des pénuries alimentaires liées à des catastrophes est passé de 52 millions en octobre 1999 à 62 millions en octobre 2000 et à 60 millions en avril 2001.


En Amérique du Sud, les pluies violentes et la sécheresse ont contraint le Gouvernement bolivien à déclarer la majeure partie du pays zone sinistrée en février 2001, et à lancer à la communauté internationale un appel à l'aide alimentaire.

La nécessité d'adopter des stratégies à long terme

Les modèles prévisionnels concernant les changements climatiques confirment que les phénomènes de sécheresse et d'inondation sont destinés à croître en incidence et en intensité et à s'étendre géographiquement. Comme cela a été montré plus haut, certains des pays le plus gravement touchés figurent parmi les plus pauvres du monde.

L'octroi d'une assistance internationale en temps opportun est souvent de nature à éviter la famine généralisée et à atténuer les conséquences économiques les plus graves. Il faut également, au-delà du secours d'urgence, accorder une assistance supplémentaire en vue du redressement et de la reconstruction. Toutefois, si de tels désastres sont destinés à s'intensifier, comme le pense la communauté scientifique internationale, il deviendra essentiel d'adopter des stratégies à long terme afin d'aider les pays à s'y adapter rapidement et, à moyen et à long termes, de renverser la tendance au réchauffement de la planète. Outre la réduction des gaz à effet de serre, les mesures préventives qui s'imposent sont le reboisement, la conservation des sols et des eaux (au niveau des bassins versants) et les cultures résistantes à la sécheresse. Il importe également d'adopter des dispositifs de protection pour les régions le plus durement touchées, parallèlement à des réseaux d'alerte solides.

Le VIH/SIDA: une crise sans équivalent

Alors que l'épidémie de VIH/SIDA reste essentiellement perçue et traitée comme un problème de santé, pour des millions de ménages comme pour des communautés et des régions entières ravagées par la maladie et la mort, l'accès à la nourriture est devenu une priorité de premier plan.

Selon les estimations actuelles, près de 36 millions d'habitants de notre planète sont infectés par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), et 95 pour cent d'entre eux vivent dans des pays en développement. Si l'on admet que chaque cas de VIH influence directement la vie de quatre autres personnes, on peut dire que 150 millions de personnes au moins sont d'ores et déjà affectées directement par la maladie. Au cours de l'année 2000, 5,3 millions de personnes ont été nouvellement infectées par le VIH, et près de 3 millions de personnes sont mortes par suite de l'acquisition du syndrome de l'immunodéficience (SIDA). Tragédie du sort, la maladie continue de se diffuser. L'Inde et l'Afrique du Sud, qui comptent chacune plus de 4 millions de personnes infectées, détiennent les populations les plus importantes de malades du SIDA. À l'échelon régional, c'est en Afrique subsaharienne que la maladie prend les proportions les plus graves, avec plus de 25 millions de personnes atteintes de VIH/SIDA. Par suite de facteurs biologiques et sociaux, les femmes sont plus vulnérables que les hommes, notamment au cours de l'adolescence et de la jeunesse. Dans de nombreux endroits, les taux d'infection au VIH sont trois à cinq fois plus élevés parmi les jeunes femmes que parmi les hommes jeunes.

Figure 13. Nombre estimatif de personnes atteintes du VIH/SIDA dans le monde, 1999

L'épidémie progresse à une vitesse effrayante. L'Afrique australe, où elle est la plus répandue, donne un avant-goût de ce qui attend d'autres régions si l'on ne prend pas des mesures préventives efficaces. Ainsi, au Botswana, alors que moins de 1 pour cent de la population adulte était infectée en 1984, après une ascension en flèche, le taux d'infection avait atteint 35 pour cent en 2000.

En règle générale, la maladie frappe les membres les plus productifs de la société, avec des effets critiques pour l'agriculture de même que pour les autres aspects de la vie sociale et économique.

Les riches aussi bien que les pauvres peuvent y succomber, mais les pauvres sont plus vulnérables à ses effets, car le VIH/SIDA prolonge et aggrave la pauvreté avec le temps, dépouillant les ménages de leurs moyens et ponctionnant le capital humain et social. Parée de telles caractéristiques, la maladie sape simultanément la production alimentaire et les conditions économiques d'accès à la nourriture, ce qui porte un double coup à la sécurité alimentaire.

L'incidence sur la sécurité alimentaire et la nutrition

Les effets sur la sécurité alimentaire et sur la nutrition se font sentir:

... Au niveau du ménage. De façon classique, dès que le premier adulte tombe malade, commence une spirale de déclin pour le bien-être de la famille affectée par le VIH/SIDA. La capacité de travail tournée vers la production et la transformation des aliments se trouve amoindrie, alors même qu'il faut augmenter le temps et les moyens à consacrer à la santé, avec de nouvelles conséquences négatives sur les activités touchant à la nourriture. Les enfants sont parfois forcés d'abandonner l'école pour apporter une aide devenue nécessaire au ménage, qui ne peut plus se permettre d'acquitter les frais de scolarité. Lorsque le premier adulte meurt, il faut compter avec les dépenses supplémentaires pour les funérailles et la capacité productive du ménage se trouve amputée. En outre, les us et coutumes risquent d'aggraver encore les difficultés de la famille, par exemple lorsque la femme survivante n'est pas en mesure de maintenir l'accès aux terres de son mari décédé. L'inégalité entre les sexes, élément moteur de la propagation du SIDA, peut également aggraver les difficultés et les privations que connaissent les femmes dans les sociétés affectées par le SIDA.

Au cours de l'étape suivante, le partenaire du premier adulte touché tombe souvent malade à son tour, si bien que les problèmes s'intensifient et s'accumulent, tandis que s'accélère la spirale de déclin.

Ainsi, le ménage peut se trouver à court d'argent; souvent, il risque de s'endetter et de se voir forcé de vendre le bétail ainsi que d'autres ressources productives. C'est l'entrée dans la misère. Les systèmes traditionnels de soutien mutuel s'épuisent, et la famille proche n'est plus en mesure de pourvoir aux besoins des enfants devenus orphelins. En fin de cycle, le ménage se réduit à des personnes âgées et à des enfants frappés par la pauvreté.

Pour une personne pauvre infectée par le VIH/SIDA, la malnutrition et la maladie constituent un cercle vicieux. En effet, lorsque le régime alimentaire est inadéquat, on voit augmenter le risque d'infections secondaires et s'accélérer la progression du VIH/SIDA. Il s'ensuit une détérioration supplémentaire de la situation nutritionnelle.

En revanche, lorsque le régime alimentaire est plus sain et plus équilibré, comme c'est le cas généralement pour les personnes plus aisées, l'organisme résiste mieux à la maladie et l'on peut maintenir une certaine qualité de vie. En outre, après infection par le VIH, l'apparition du SIDA et des infections secondaires se trouve retardée chez les individus jouissant d'une situation nutritionnelle satisfaisante.

... Au niveau communautaire. Le VIH/SIDA peut affecter l'agriculture et la production alimentaire de plusieurs manières au niveau communautaire. En premier lieu, et de façon plus manifeste, c'est la force de travail qui paie le tribut. Selon les estimations de la FAO, dans les 25 pays d'Afrique les plus affectés, 7 millions de travailleurs agricoles sont morts du SIDA depuis 1985, et il faut s'attendre à 16 millions de morts supplémentaires pour les deux prochaines décennies. La force de travail devrait ainsi subir un déclin de 10 à 26 pour cent dans les 10 pays touchés par les épidémies les plus graves.

L'agriculture commerciale est touchée tout aussi durement que les petites exploitations de subsistance, étant donné que les travailleurs migrants sont particulièrement exposés à l'infection, et la main-d'œuvre essentielle à l'arrachage des mauvaises herbes et aux récoltes risque de se raréfier. La morbidité ainsi que la mortalité des employés alourdissent les coûts sociaux et sanitaires de l'entreprise, qui risque en outre de perdre des travailleurs qualifiés et expérimentés. Le déclin de la productivité et de la compétitivité peut également entraîner une réduction des possibilités d'emploi ainsi que de graves effets de répercussion pour les autres entreprises locales, telles que les fournisseurs d'intrants.

Figure 14. Progression du VIH/SIDA en Afrique, 1984-1999

Tout comme les producteurs et les transformateurs, les institutions qui leur servent de soutien sont également affectées. Ainsi, les services de recherche et de vulgarisation agricole, de même que ceux tournés vers la santé et l'éducation, se trouvent perturbés lorsque certains de leurs agents tombent malades et décèdent. En outre, le personnel restant doit prodiguer des soins aux membres malades des familles touchées, assister aux funérailles et observer les périodes de deuil prescrites, ce qui réduit encore le temps consacré au travail.

Lorsqu'un grand nombre de familles appartenant à la communauté sont affectées par le VIH/SIDA, les mécanismes traditionnels de sécurité permettant de veiller sur les orphelins, les personnes âgées, les infirmes et les nécessiteux sont submergés et risquent de s'effondrer complètement. Il ne reste plus de temps ni d'argent à consacrer aux organisations communautaires. En outre, la disparition d'un grand nombre d'adultes actifs affecte les mécanismes de transmission des connaissances, des valeurs et des croyances entre les générations. Le savoir-faire agricole se dissipe, car les enfants ne peuvent plus observer leurs parents au travail. Au Kenya, par exemple, on estime que 7 pour cent seulement des ménages dirigés par des orphelins ont une connaissance adéquate des pratiques agricoles. Toutes ces difficultés risquent d'infliger des dommages durables à la capacité de production et d'acquisition de nourriture au niveau communautaire.

... Au niveau national. Alors que s'étendent les effets au niveau des ménages et au niveau local, la vie de l'ensemble du pays en est affectée. Le pays se trouve privé de dirigeants importants et de professionnels hautement qualifiés. Dans les pays où la maladie fait rage, un grand nombre de ministères du gouvernement central ne peuvent plus fournir les services prévus. La surcharge qui en résulte pour les budgets de santé du gouvernement détourne les fonds initiaux destinés aux investissements productifs, tels que les services agricoles, dont les intrants et le crédit.

On voit alors décliner les approvisionnements alimentaires à l'échelle nationale, ce qui entraîne une augmentation du prix des denrées dont les principales victimes sont les catégories pauvres. L'effondrement des entreprises commerciales peut, à son tour, miner la capacité d'exportation du pays, source de devises étrangères et de création d'emplois, avec un impact supplémentaire sur l'accès à la nourriture pour les pauvres.

Une action urgente s'impose

Le VIH/SIDA représente un défi redoutable à l'échelle humanitaire comme au plan du développement. Or, l'expérience de nombreux pays démontre que l'on peut faire face à ce défi et qu'il est possible d'endiguer l'épidémie. À titre d'exemple, en Ouganda l'infection a atteint son intensité maximale au cours des années 90 et l'on estimait que 15 pour cent de la population était affectée.

La dernière chance


Mulenga a grandi dans une petite localité rurale de Zambie. Son père y tenait un petit commerce de distribution d'intrants aux agriculteurs des villages voisins, et sa mère travaillait comme infirmière dans l'hôpital du district. Les parents de Mulenga n'étaient pas mariés, mais ils vivaient ensemble depuis quelques années. Lorsque sa mère fut mutée dans un hôpital situé à plusieurs centaines de kilomètres de là, des tensions ont commencé à apparaître dans leur relation et, après un certain temps, ils se séparèrent et commencèrent à avoir, chacun de leur côté, une série de liaisons passagères. Cela se passait à la fin des années 80, alors que l'on n'entendait pas encore parler du VIH. Mulenga était alors une fillette et, après le départ de sa mère, elle continua d'habiter avec son père, qui s'occupait d'elle du mieux qu'il pouvait.

Mulenga était intelligente et s'en sortait bien à l'école. Lorsqu'elle atteignit environ 13 ans, son père, grâce aux maigres revenus qu'il tirait de son petit commerce, réussit à l'envoyer à l'école secondaire. C'est à cette époque que sa santé commença à se détériorer, qu'il se mit à maigrir et à tomber souvent malade. De son côté, la mère de Mulenga ne se portait pas bien non plus depuis quelque temps, mais Mulenga n'était pas à même de lui rendre visite régulièrement car le voyage était trop cher pour elle. Son père étant désormais incapable de travailler, il leur devint de plus en plus difficile de joindre les deux bouts et, bientôt, ils ne purent plus se permettre de payer les frais de scolarité. Peu de temps après son quatorzième anniversaire, Mulenga reçut un message lui annonçant la mort de sa mère. La nouvelle fut pour elle un déchirement, de même que pour son père; effondré, il se mit à boire le peu d'argent qu'il leur restait, pour tenter d'oublier. Il s'était rendu compte, depuis longtemps déjà, qu'il était atteint du même mal que la mère de Mulenga.

Un an à peine après la mort de sa mère, Mulenga vit également son père mourir du SIDA. L'alcool avait précipité le déclin de sa santé, il avait perdu l'appétit, son cas ne cessait d'empirer, et Mulenga l'amenait régulièrement à l'hôpital. Comme il ne pouvait plus travailler, il avait dû fermer son échoppe et vendre le bâtiment.

Mulenga était seule à présent. À l'âge de 15 ans, considérée comme adulte selon les normes locales, elle était censée pourvoir à ses propres besoins. Les proches de son père étaient repartis après l'enterrement en emportant toutes ses possessions. Il ne lui restait donc plus rien, sauf la promesse de pouvoir séjourner pendant un certain temps dans une petite cabane située dans l'arrière-cour d'un des amis de son père. Elle devait, jour après jour, trouver de quoi survivre. Lorsque son père était tombé malade et avait dû rester alité, elle avait complètement cessé d'aller à l'école pour pouvoir s'occuper de lui. Afin de s'en sortir, elle faisait toutes sortes de petits travaux, mais son manque d'instruction l'empêchait de dénicher des emplois valables, et elle allait donc de maison en maison pour proposer ses services. Certains hommes lui proposaient d'aller prendre un verre et elle acceptait, espérant se mettre bien avec eux et trouver ainsi un travail. Cependant, jeune et inexpérimentée, après avoir bu un verre elle se laissait convaincre de passer la nuit avec eux. Elle était informée du risque de contracter le VIH, mais elle avait perdu tout espoir et se sentait impuissante à modifier son sort, n'entrevoyant aucune autre façon de subsister.

Les temps étaient durs pour tout le monde et lorsque Mulenga comprit qu'elle n'avait que peu de chances de trouver un emploi régulier, elle commença à sortir avec les voyageurs de passage, qu'elle rencontrait le soir dans les bars. Passant la nuit avec eux, elle en retirait juste de quoi survivre. Les filles plus âgées lui avaient dit s'être rendues dans la capitale où l'on pouvait gagner beaucoup mieux. Cependant, elle s'apercevait bien que, même si elles étaient revenues avec un pécule, elles n'avaient pas bonne mine.

À la recherche d'une lueur d'espoir, Mulenga se joignit à un groupe de jeunes récemment constitué et qui bénéficiait de l'appui d'une organisation de développement implantée localement. Lors des réunions hebdomadaires, les membres du groupe racontaient leur vie, leurs tribulations et leurs espoirs. C'est là que Mulenga entendit d'autres jeunes raconter des histoires semblables à la sienne, avec les mêmes difficultés, et qu'elle comprit que d'autres possibilités de s'en sortir s'offraient à elle. Elle décida donc de s'inscrire dans un cours de formation offert aux membres du groupe et, une fois diplômée, elle présenta une demande de prêt afin de rouvrir le commerce de son père. Après la fermeture de la boutique, les agriculteurs des villages environnants devaient se rendre à la ville la moins éloignée pour se procurer les intrants dont ils avaient besoin, ce qui leur coûtait plus cher et exigeait du temps. Certains, face à cette difficulté, avaient même abandonné leur parcelle. Ainsi, grâce à ce groupe d'aide aux jeunes, Mulenga avait perçu la possibilité de tenter une nouvelle fois sa chance.


Dix ans plus tard, les niveaux d'infection avaient diminué de moitié grâce à l'adoption d'une stratégie de prévention appuyée par un engagement politique rigoureux et bénéficiant de la participation très large des intéressés. De façon analogue, les taux dprojetés en Thaïlande pour 2000 sont tombés à 0,9 million, relativement au niveau de 1,4 million projeté en 1994. Un tel succès démontre que la société n'est pas impuissante à renverser le courant de l'épidémie et que certains pays peuvent transmettre des enseignements utiles quant aux démarches et aux solutions efficaces. Il convient, pour affronter l'épidémie, d'adopter une démarche intégrée qui associe la prévention et l'atténuation du phénomène:

Quelles sont les informations utiles pour combattre l'insécurité alimentaire liée au VIH/SIDA?


Afin de combattre l'insécurité alimentaire associée au VIH/SIDA, il est nécessaire de bien comprendre les deux facteurs qui contribuent à la propagation de la maladie et de ses répercussions. Afin d'orienter les décisions sur le point de savoir où, quand et comment intervenir pour réussir à atteindre ces deux objectifs étroitement liés, il est essentiel de déterminer:

  • les schémas de pénétration de la maladie dans les communautés affectées;
  • les groupes les plus exposés à l'infection;
  • l'impact sur la situation nutritionnelle et sur les conditions de vie des populations;
  • quels sont les types d'intervention réalisables et présentant un coût supportable.

S'agissant des familles, le VIH/SIDA a un impact immédiat sur la santé et sur la situation nutritionnelle de la personne infectée. À un deuxième stade, le ménage concerné perd une partie de sa capacité de production et d'achat de nourriture, du fait de la réduction de sa force de travail ou de son revenu, assortie d'une exigence accrue en matière de soins de santé et de soutien d'ordre social.

Évaluer la propagation de l'épidémie. Afin de comprendre l'ampleur prise par l'épidémie dans les communautés affectées, il faut disposer d'informations sur sa propagation, et les professionnels de la santé jouent incontestablement, dans ce domaine, un rôle de premier plan. En effet, tant les services de santé officiels que les systèmes traditionnels de soins communautaires peuvent constituer de bonnes sources d'information sur les indicateurs clés de présence du SIDA, notamment par le biais des taux de fréquentation des services de santé par des patients porteurs du virus, que des taux de mortalité et de morbidité liés aux troubles connexes tels que dépérissement, diarrhée, tuberculose et pneumonie.

Identifier les groupes les plus exposés à l'infection. Il est important, lorsqu'on s'attache à élaborer les mesures de lutte contre l'épidémie, d'avoir une bonne connaissance de l'épidémiologie sociale de la maladie. Les responsables communautaires et leurs partenaires doivent comprendie le rôle joué par les groupes à risque tels que: i) les travailleurs migrants qui passent de longues périodes loin de leur foyer et de leur famille; ii) les travailleurs et les touristes qui voyagent de façon intensive; iii) les jeunes filles et les jeunes femmes dépourvues de moyens suffisants d'existence; et iv) les prostituées ainsi que leurs clients. Compte tenu de l'importance évidente du volet susmentionné lié au statut respectif des hommes et des femmes, il est essentiel de disposer également d'informations concernant la situation de ces dernières et leur capacité d'accès aux ressources économiques, à l'information et aux services gynécologiques. Parallèlement, la lutte contre l'épidémie nécessite également que l'on aborde franchement des problèmes délicats tels que les attitudes et les pratiques sexuelles, y compris, entre autres, l'utilisation de préservatifs.

Analyser et surveiller l'incidence de la maladie sur la nutrition et sur les moyens d'existence. L'impact de l'épidémie est fonction de la manière dont les communautés et les ménages affectés assurent leurs moyens d'existence, et des stratégies qu'ils appliquent pour faire face aux aspects du VIH/SIDA touchant à l'activité économique et à la santé. Afin de suivre la situation, il faudra disposer d'informations sur: i) les systèmes et mécanismes d'existence, notamment en ce qui concerne les problèmes de la main-d'œuvre et de la productivité agricole; ii) la capacité des institutions gouvernementales et autres institutions locales, y compris les ONG et les guérisseurs traditionnels, de fournir les services; iii) l'évolution démographique (taux de dépendance et la répartition hommes/femmes); et iv) facteurs susmentionnés intégrés à la dynamique de groupes spécifiques en termes de communauté ou de moyens d'existence. Des évaluations participatives pourraient cerner les répercussions sur la disponibilité alimentaire et l'accès à la nourriture, les revenus, les pratiques en matière de santé et de nutrition et, enfin, la situation nutritionnelle. Par ailleurs, les systèmes d'information communautaire sur l'alimentation et la nutrition peuvent servir de tremplin pour des campagnes de sensibilisation et pour la planification, le ciblage, le suivi et l'évaluation des interventions. On veillera à se procurer des informations supplémentaires pour évaluer et suivre l'effet cumulatif des divers facteurs sur les approvisionnements alimentaires et sur l'activité économique aux niveaux local et national.

Des interventions réalisables et rentables. Le suivi et l'évaluation des interventions liées au VIH/SIDA sont primordiaux, et les intervenants, quel que soit leur niveau doivent veiller à se faire communiquer les résultats obtenus, de manière à prendre des décisions dûment fondées quant au choix, souvent cruel, qu'il convient d'effectuer entre, d'une part, assurer un secours humanitaire aux malades et aux mourants et, d'autre part, consacrer les moyens disponibles à la lutte contre la maladie et à la protection des survivants. Les besoins en information sur l'épidémie de VIH/SIDA doivent être centrés sur les interventions visant à endiguer sa propagation et à atténuer les conséquences négatives pour ses victimes. Les systèmes d'information devront s'intégrer aux services existants pour les renforcer, et on veillera à impliquer les intéressés à tous les niveaux. Il convient également de perfectionner les systèmes actuels de surveillance de l'alimentation et de la nutrition afin de mieux évaluer les conséquences du VIH/SIDA sur la sécurité alimentaire. Toutefois, compte tenu du lourd fardeau que cette crise fait peser sur de nombreux gouvernements, une assistance extérieure sera souvent nécessaire.


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