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Partie I
Les causes de la malnutrition

Chapitre 1

La nutrition et les problèmes alimentaires dans une perspective mondiale

Nous, Ministres et Plénipotentiaires représentant 159 Etats, déclarons notre détermination à éliminer la faim et à réduire toutes les formes de malnutrition. La faim et la malnutrition sont inacceptables dans un monde qui dispose à la fois des connaissances et des ressources voulues pour mettre fin à cette catastrophe humaine.

Tels sont les mots d'ouverture de la Déclaration mondiale sur la nutrition adoptée lors de la Conférence internationale sur la nutrition (CIN) organisée conjointement par la FAO et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à Rome en décembre 1992. Cette importante conférence (photo 1) a examiné la situation nutritionnelle dans le monde et a défini les conditions pour améliorer sensiblement une situation inacceptable pour l'humanité. Atteindre les objectifs de la CIN est possible. Une grande partie du travail devra être accomplie par les populations elles-mêmes, mais une coopération internationale et pluridisciplinaire est également essentielle.

Ce livre est destiné à favoriser cette marche vers la réalisation des objectifs nobles de la CIN. Il dresse un panorama complet des problèmes alimentaires, de leur nature, de leurs causes et des moyens d'y remédier. Un bref examen mettant en lumière les questions de l'alimentation et de la nutrition au niveau mondial contribuera à faire ressortir leurs aspects les plus importants.

La déclaration de la CIN poursuit en ces termes:

1. Nous reconnaissons qu'il existe dans l'ensemble du monde assez de nourriture pour tous; le principal problème est celui des conditions d'accès à cette nourriture qui ne sont pas équitables. Au nom du droit à un niveau de vie décent, et notamment à une alimentation suffisante, énoncé dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, nous nous engageons à agir en commun pour que le droit d'être à l'abri de la faim devienne une réalité. Nous prenons le ferme engagement d'œuvrer ensemble pour le bien-être nutritionnel durable de tous dans un monde en paix, juste et écologiquement sûr.

2. Malgré l'amélioration sensible, dans le monde entier, de l'espérance de vie, de l'alphabétisation des adultes et de l'état nutritionnel, nous considérons tous avec la plus profonde inquiétude le fait inacceptable que près de 780 millions d'habitants des pays en développement - soit 20 pour cent de leur population - n'ont toujours pas les moyens de se procurer chaque jour la ration alimentaire de base indispensable à leur bien-être nutritionnel.

3. Nous déplorons particulièrement la prévalence élevée et le nombre toujours plus grand d'enfants de moins de 5 ans atteints de malnutrition, en Afrique, en Asie, en Amérique latine et dans les Caraïbes. En outre, plus de 2 milliards de personnes, surtout des femmes et des enfants, présentent une carence en un ou plusieurs micronutriments. Il y a encore des enfants qui naissent avec une arriération mentale par suite d'une carence en iode; d'autres enfants perdent la vue et meurent du fait d'une carence en vitamine A; et un nombre considérable de femmes et d'enfants souffrent d'une carence en fer. Des centaines de millions de personnes souffrent de maladies transmissibles et non transmissibles provoquées par des aliments et de l'eau contaminés. En même temps, des maladies chroniques non transmissibles liées à une alimentation excessive ou déséquilibrée sont une cause fréquente de décès prématurés dans les pays développés comme dans les pays en développement.

L'ÉTENDUE DU PROBLÈME

La malnutrition protéino-énergétique (MPE), la carence en vitamine A, les troubles de la carence en iode et les anémies nutritionnelles - provenant principalement d'une carence en fer ou de pertes de fer - sont les problèmes nutritionnels les plus courants et les plus importants rencontrés dans presque tous les pays d'Asie, d'Afrique, d'Amérique latine et du Proche-Orient.

L'étude Nutrition et développement: une évaluation d'ensemble, préparée par la FAO et l'OMS pour la CIN, a passé en revue toutes les informations disponibles alors sur la prévalence de la faim et de la malnutrition et les a estimées au niveau mondial. Les estimations concernant les populations souffrant de sous-alimentation chronique ont été réactualisées par la FAO pour les besoins de la sixième Enquête mondiale sur l'alimentation et en préparation du Sommet mondial de l'alimentation (tableau 1); les estimations sur les carences en iode, en vitamine A et en fer ont été, elles, mises à jour en 1995 par l'OMS (tableau 2). Les chiffres montrent que, dans les pays en développement, une personne sur cinq souffre de sous-alimentation chronique, 192 millions d'enfants souffrent de MPE, et plus de 2 milliards de personnes présentent des carences en micronutriments. En outre, des maladies non transmissibles liées à l'alimentation telles que l'obésité, les maladies cardiovasculaires, les accidents cérébraux, le diabète ou certains cancers existent ou commencent à devenir des problèmes de santé publique dans de nombreux pays en développement.

Malgré ces tendances et ces chiffres alarmants, la prévalence des problèmes nutritionnels a reculé, et de nombreux pays ont remarquablement réussi à réduire la faim et la malnutrition. Dans les pays en développement pris dans leur ensemble, le nombre absolu de personnes souffrant de sous-alimentation chronique a régulièrement diminué depuis le début des années 70. Entre 1969 et 1971, on comptait près de 893 millions de personnes chroniquement sous-alimentées, contre 809 millions entre 1990 et 1992, et le pourcentage est passé de 35 à 20 pour cent de la population de ces pays. Le pari actuel, réalisable, est de construire sur cette avancée et d'en accélérer le rythme.

TABLEAU 1

Prévalence de la sous-alimentation chronique dans les régions en développement

Région

Pourcentage de la population

Nombre (millions)

1969-

1979-

1990-

1969-

1979-

1990-

1971

1981

1992

1971

1981

1992

Amérique latine et Caraïbes

18

13

14

51

46

61

Proche-Orient et Afrique du Nord

25

10

10

44

24

32

Afrique subsaharienne

36

39

41

96

140

204

Asie de l'Est et du Sud-Est

41

27

16

468

371

262

Asie du Sud

33

33

22

233

297

250

Afrique continentale

34

33

34

116

148

211

Régions en développement

35

27

20

893

878

809

 

TABLEAU 2

Population à risque et population souffrant de carences en micronutriments (millions)

Région1

Carence en iode

Carence en vitamine A

Carence en fer ou anémie

 

A risque

Atteints (goitre)

A risque2

Atteints (xérophtalmie)

 

Afrique

181

86

31

1,0

206

Amériques

168

63

14

0,1

94

Asie du Sud-Est

486

176

123

1,7

616

Europe

141

97

B

B

27

Méditerranée orientale

173

93

18

0,2

149

Pacifique occidental3

423

141

42

0,1

1 058

Total

1 572

655

228

3,1

2 150

1 Régions OMS.

2 Enfants d'âge préscolaire seulement.

3 Y Compris la Chine.

Les données de la FAO et de l'OMS indiquent qu'entre 1980 et 1990 la situation nutritionnelle s'est améliorée en Asie et en Amérique latine, mais détériorée en Afrique subsaharienne. Bien que la prévalence d'enfants présentant une insuffisance pondérale soit restée pratiquement inchangée en Afrique subsaharienne durant cette décennie, passant de 29 à 30 pour cent, les taux de prévalence y sont bien meilleurs qu'en Asie du Sud, où, en 1990, environ 59 pour cent des enfants, soit presque deux fois plus qu'en Afrique, présentaient une insuffisance pondérale (tableau 3). Toujours en 1990, on comptait cinq fois plus d'enfants en insuffisance pondérale en Asie du Sud (101 millions) qu'en Afrique subsaharienne (19,9 millions).

TABLEAU 3

Prévalence de l'insuffisance pondérale chez les enfants de moins de 5 ans, par région

Région

Insuffisance pondérale en pourcentage

Insuffisance pondérale en nombre (millions)

 

1980

1985

1990

1980

1985

1990

Afrique subsaharienne

28,9

29,9

29,9

19,9

24,1

28,2

Proche-Orient/Afrique du Nord

17,2

15,1

13,4

5,0

5,0

4,8

Asie du Sud

63,7

61,1

58,5

89,9

100,1

101,2

Asie du Sud-Est

39,1

34,7

31,3

22,8

21,7

19,9

Chine

23,8

21,3

21,8

20,5

21,1

23,6

Amérique centrale/Caraïbes

17,7

15,2

15,4

3,1

2,8

3,0

Amérique latine

9,3

8,2

7,7

3,1

2,9

2,8

Monde (pourcentage moyen et total)

37,8

36,1

34,3

164

178

184

Source: UN ACC/SCN, 1992a.

1 L'insuffisance pondérale est définie comme le rapport poids/âge à moins de 2 écarts types de la moyenne.

De nombreuses statistiques recensent les personnes souffrant d'une carence manifeste, mais plus rares sont celles qui identifient les populations à risque. Or, en nutrition, comme en santé publique, les personnes présentant un risque de malnutrition sont celles auxquelles il faut accorder le plus d'attention. La prévention devient plus facile à mettre en œuvre et à rentabiliser si les groupes à risque et les causes de la malnutrition sont clairement identifiés.

L'un des aspects le plus dramatique de la situation nutritionnelle dans le monde est l'étendue de la famine, de la faim et de l'inanition. Bien que de grands progrès aient été faits pour écarter la famine, en particulier en Asie, ces fléaux persistent partout dans le monde. Ils sont généralement attribués à la sécheresse ou d'autres catastrophes naturelles, alors que la guerre, les troubles civils et l'instabilité politique en sont autrement plus responsables. Depuis le milieu des années 90, la faim et la malnutrition dues à des conflits civils posent de sérieux problèmes dans de nombreuses régions, en Europe (ex-Yougoslavie), en Asie (Afghanistan), au Proche-Orient (Iraq), et surtout en Afrique. Souvent, la tragédie que sont les guerres civiles touche non seulement les pays en crise, mais également ceux qui offrent l'hospitalité aux réfugiés fuyant leur pays dans la terreur. En 1994, la République-Unie de Tanzanie a accueilli environ 500000 réfugiés en provenance du Rwanda, entrés pour la plupart en moins d'une semaine. La population de cette région pauvre en ressources, qui a accueilli les réfugiés du mieux qu'elle pouvait, a plus que doublé. Cet afflux a provoqué une pression énorme sur les ressources locales, et il a fallu recourir à l'aide internationale pour prévenir une aggravation des problèmes de nutrition et de santé tant dans la population locale que parmi les réfugiés.

AMÉLIORATION NUTRITIONNELLE: NATURE ET ÉVOLUTION

Les données provenant du monde entier montrent que les causes de la plupart des problèmes nutritionnels n'ont guère changé durant ces 50 dernières années. La pauvreté, l'ignorance et la maladie, combinées à des réserves alimentaires inadéquates et à un environnement insalubre, ainsi que la pression et la discrimination sociales, favorisent la malnutrition. Toutefois, ce qui a énormément changé est la stratégie mise en place pour combattre la malnutrition. A peu près tous les 10 ans, on voit apparaître une nouvelle panacée ou une solution miracle censément capable de réduire le problème de la malnutrition en moins de 10 ans.

Dans les années 50 et 60, le kwashiorkor et les carences en protéines étaient considérés comme des problèmes majeurs. Des remèdes miracle, tels que le concentré protéique de poisson, la protéine d'organismes unicellulaires ou l'enrichissement en acides aminés, ainsi que la production accrue d'aliments riches en protéines d'origine animale, étaient proposés pour lutter contre la malnutrition dans les régions tropicales et subtropicales.

A la fin des années 60 et dans les années 70, le terme "malnutrition protéino-énergétique" est entré dans le jargon. Augmenter l'apport énergétique et protéique chez les enfants était la solution adoptée, et des centres de récupération nutritionnelle et des programmes de nutrition appliquée furent présentés comme étant des stratégies gagnantes.

Avec la Conférence mondiale de l'alimentation de 1974 commença la décennie de la macro-analyse: la planification de la nutrition d'abord, puis la surveillance nutritionnelle étaient parmi les stratégies dominantes pour les pays le plus touchés. Les économistes commencèrent à l'emporter sur les nutritionnistes et les pédiatres dans la conception de nouvelles politiques, débattant longuement de la sécurité alimentaire nationale, et des institutions comme la Banque mondiale mirent l'accent sur l'importance de l'augmentation des revenus.

En 1985, Le Fonds monétaire international commença à pousser les programmes d'ajustement structurel, et l'OMS et le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) réinventèrent les programmes de nutrition appliquée qu'ils rebaptisèrent "programmes mixtes de soutien nutritionnel". Au début des années 90, les micronutriments reléguèrent au second plan la MPE lorsque les nutritionnistes, les organisations internationales et les universités tentèrent l'utilisation de remèdes miracle pour maîtriser les carences en vitamine A, l'anémie et la carence en iode. Les micronutriments n'ont pas fini de faire parler d'eux, et il est probable que des sommes importantes seront encore versées par la Banque mondiale et l'Agency for International Development des Etats-Unis d'Amérique (USAID), entre autres, pour résoudre le problème de la "faim insoupçonnée". Cet effort répond en partie aux objectifs fixés par le Sommet mondial pour l'enfant de 1989 et la Conférence internationale sur la nutrition de 1992, qui étaient de faire disparaître avant la fin du siècle l'avitaminose A et les troubles de la carence en iode.

Pour améliorer la nutrition, il faut augmenter les financements. Cependant, on risque de voir les ressources disponibles, qui sont limitées, détournées vers la mise au point de nouveaux remèdes miracle tenant lieu de stratégies pour résoudre le problème des carences en micronutriments. Les fonds seront alors insuffisants pour traiter les causes profondes de la malnutrition. Ces solutions remédient aux causes immédiates du problème, mais elles n'ont pas d'effet durable.

Il est reconnu que des stratégies de développement inadaptées contribuent également au maintien des causes fondamentales de la faim dans de nombreux pays. Des réformes politiques, des programmes de développement et des politiques macroéconomiques appropriés sont préconisés par beaucoup d'économistes pour améliorer la nutrition. La CIN a également insisté sur le fait que les pays en développement doivent s'assurer que ces politiques et programmes sont conçus de manière à inclure des objectifs d'amélioration nutritionnelle. De plus, dans les pays à faibles revenus et à déficit vivrier, où vivent la plupart des personnes souffrant de malnutrition, la croissance économique et la lutte contre la pauvreté doivent être basées sur un meilleur développement des ressources agricoles et sur l'amélioration des disponibilités alimentaires. Cette approche doit promouvoir un développement durable, créer des emplois et améliorer l'accès à la nourriture pour les pauvres. Des échanges commerciaux libres et équitables sont évidemment importants pour stimuler la croissance économique, et les prix des produits agricoles, primaires et transformés, doivent être en adéquation pour assurer un développement durable. Les producteurs doivent recevoir un juste prix en échange de leurs produits, de leur travail et de l'utilisation des ressources.

Il faut admettre qu'un transfert et une application inadaptés de technologie ou certains volets de projets de développement ont parfois des conséquences négatives sur la santé et la nutrition dans les pays pauvres. Il est important que ces effets secondaires indésirables soient rapidement identifiés et que des mesures soient prises pour les prévenir ou en atténuer les effets. Mieux vaut, sans doute, renforcer, lors de la préparation d'un projet, les volets qui apporteront un maximum de bénéfices nutritionnels.

On assiste également à une plus grande prise de conscience du fait que les populations concernées doivent être davantage associées dans la recherche de solutions à leurs problèmes. On réalise également que les causes de la malnutrition et les couches de la société touchées varient selon les endroits. Les populations devraient pouvoir soulever les problèmes en rapport avec leur situation, aux niveaux national, local ou même familial, et prendre conscience de la nature plurisectorielle du problème de la malnutrition. Elles pourront alors, en concertation avec des personnes de différentes disciplines, suggérer des actions pouvant être engagées à différents niveaux. Depuis 10 ans, on a beaucoup écrit sur la participation de la population locale aux décisions concernant le développement et les programmes. La sagesse innée des paysans en matière d'agriculture et de tout autre sujet lié au développement, tels que la santé ou la nutrition, a finalement été largement reconnue.

On reconnaît également l'influence que peuvent avoir les actions et politiques nationales et internationales sur l'état nutritionnel des populations rurales et de celles des bidonvilles des pays en développement. L'Etat fixe les taxes, contrôle les prix, dirige les institutions nationales et surveille le système juridique. Tous ces éléments ont une influence sur les institutions formelles ou informelles de la société. Et ces institutions, à leur tour, influent de manière évidente sur les causes de la malnutrition. Ainsi, la présence ou l'absence, la pertinence et la qualité d'institutions formelles locales telles que les services de conseils agricoles, les centres de santé, les écoles primaires et les centres communautaires jouent un rôle crucial dans les domaines liés à la nutrition. Des institutions moins formelles jouent également un rôle dans l'alimentation, la santé et les soins: la famille en premier lieu, mais aussi les cercles d'amis, les groupes d'appartenance religieuse et les associations, sportives ou autres.

Affirmer que la malnutrition n'est pas seulement un problème de nutrition n'est pas nouveau, mais l'importance que l'on attache à l'alimentation, à la santé et aux soins est, elle, récente. Il est primordial que ce concept continue de progresser régulièrement, plutôt que d'en inventer de nouveaux, en quête de nouvelles modes ou de financements. Pour une approche saine, il faut réévaluer le travail à accomplir dans les 10 ans à venir. Les anciennes stratégies qui avaient une base solide et se sont montrées performantes doivent être conservées et soutenues. De nouvelles politiques ne devraient être mises en place que si cela s'avère nécessaire. Cette approche, qui demande discipline et flexibilité, est possible, et elle s'est montrée efficace.

UN CADRE POUR LES CAUSES DE LA MALNUTRITION

La malnutrition ou un état physique indésirable ou une maladie liés à la nutrition peuvent être causés par une alimentation excessive ou au contraire insuffisante, ou par un régime déséquilibré ne contenant pas tous les nutriments nécessaires à un bon état nutritionnel. Dans ce livre, on a restreint le terme de "malnutrition"à la sous-alimentation ou insuffisance des apports en énergie, en protéines et en micronutriments nécessaires à la satisfaction des besoins de base de l'organisme pour son entretien, sa croissance et son développement.

Un préalable essentiel à la prévention de la malnutrition dans une communauté est qu'elle dispose d'assez de nourriture pour subvenir aux besoins nutritifs de tous. Pour qu'il y ait des disponibilités alimentaires suffisantes, il faut obligatoirement une production alimentaire adéquate ou bien des fonds suffisants aux niveaux national, local ou familial pour pouvoir acheter suffisamment de nourriture. La disponibilité de nourriture n'est cependant qu'un aspect du problème. On reconnaît aujourd'hui que la malnutrition n'est que le symptôme d'un malaise plus profond dans la société.

Un apport alimentaire inadéquat et les maladies, en particulier les infections, sont les causes immédiates de la malnutrition. Il est évident que chacun doit manger une quantité adéquate de nourriture saine et de bonne qualité tout au long de l'année pour satisfaire tous les besoins nutritionnels nécessaires à une bonne condition physique, au travail et à la détente, ainsi qu'à la croissance et au développement des enfants. De même manière, chacun doit pouvoir digérer, absorber et assimiler les aliments et les nutriments de façon efficace. De mauvais régimes alimentaires et certaines maladies sont souvent le résultat d'une insécurité alimentaire au niveau des ménages, de soins et de pratiques alimentaires inappropriés ainsi que de soins de santé inadaptés. L'équilibre entre ces trois facteurs contribuera à une bonne nutrition.

D'autres facteurs peuvent également contribuer au manque de ressources ou à leur insuffisance dans les familles touchées. Chaque communauté rurale ou société dispose de certaines ressources naturelles et humaines et d'un certain potentiel de production. De nombreux facteurs déterminent la qualité et la quantité de nourriture qui sera produite, et la façon dont elle sera consommée et par qui. L'utilisation des ressources est affectée non seulement par des contraintes économiques, sociales, politiques, techniques, écologiques et culturelles, mais aussi par le manque d'outils ou de formation à leur usage, ou bien par le manque de connaissances, de compétences ou d'aptitudes. Le contexte culturel joue un rôle important dans l'utilisation des ressources et dans la création et le maintien des institutions, surtout au niveau local.

La malnutrition peut se révéler un problème de santé, et les professionnels de la santé peuvent fournir certaines réponses; mais ils ne pourront pas, à eux seuls, résoudre le problème. On demande aux agriculteurs et souvent aux professionnels de l'agriculture d'assurer une production alimentaire qui soit suffisante et appropriée. On demande aux éducateurs, qu'ils soient du secteur formel ou informel, d'aider les populations, en particulier les femmes, à assurer une bonne nutrition. Combattre la malnutrition exige souvent la contribution de professionnels de l'économie, du développement social, de la politique, du gouvernement, du mouvement ouvrier et de bien d'autres domaines.

PROMOTION ET PROTECTION DU BIEN-ÊTRE NUTRITIONNEL: L'APPROCHE DE LA CIN

La Conférence internationale sur la nutrition a défini neuf domaines communs d'action afin de promouvoir et protéger le bien-être nutritionnel des populations:

Le fait de les regrouper par thèmes facilite la compréhension des problèmes nutritionnels par les différents secteurs et permet une approche plus axée sur la recherche de solutions. En adoptant cette approche thématique, on s'assure que chaque facette du problème est prise en considération, ce qui devrait permettre à chaque secteur ou à chaque institution de travailler au mieux. Ces aspects sont détaillés dans la partie V.

LES SIX "P"

Si, au lieu d'une perspective purement sectorielle, on adopte une perspective multisectorielle et pluridisciplinaire, les causes de la malnutrition apparaissent sous un jour différent, et on peut rechercher, plus que par le passé, des solutions d'envergure. Les causes de la malnutrition et le domaine d'expertise à mettre en jeu varient, certes, selon les circonstances. Néanmoins, six facteurs de malnutrition sont particulièrement importants, même si aucun d'eux n'est à lui seul la cause de la malnutrition, ni le seul secteur à être concerné par les stratégies nutritionnelles. Ces six facteurs - les six "P"- sont:

Production

La production alimentaire provient essentiellement de l'agriculture. La plupart des pays ont un ministère de l'agriculture et un personnel agricole diversifié, dont la contribution en matière de nutrition est très importante. Mais une production nationale agricole et alimentaire adéquate ne garantit pas obligatoirement un bon état nutritionnel pour tous. L'agriculture a connu un essor remarquable ces 40 dernières années (voir chapitre 2). Des variétés à haut rendement pour les céréales de base (riz, blé et maïs) ont été mises au point avec succès, et les rendements ont énormément progressé. Pourtant, des pays autosuffisants en denrées de base ont encore une prévalence de malnutrition très élevée. Les agriculteurs et les ministères de l'agriculture ont un rôle vital à jouer dans l'amélioration de l'état nutritionnel, mais ils ne peuvent gagner cette bataille sans l'intervention d'autres ministères et d'autres compétences. Des facteurs tels que l'innocuité des aliments, les pertes de denrées alimentaires et l'entreposage influent également sur les disponibilités alimentaires Il faut prendre en compte la demande alimentaire autant que la production alimentaire.

Préservation (conservation)

Malgré des progrès remarquables en matière de production alimentaire au niveau mondial, environ la moitié des habitants des pays en développement n'ont pas accès à une disponibilité alimentaire adéquate. En effet, une partie non négligeable des aliments produits est perdue avant d'être consommée. On estime qu'environ 25 pour cent du grain produit est perdu pour cause de traitement inadéquat après récolte, de détérioration et d'infestation par les parasites. Les denrées rapidement périssables telles que les fruits, les légumes et les racines subiraient des pertes de l'ordre de 50 pour cent. Environ 10 pour cent des aliments se perdent à la cuisine. Il faut donc s'assurer que des mesures de prévention des pertes durant la récolte, le transport, l'entreposage, la transformation et la conservation soient intégrées dans les programmes mis en place pour prévenir la malnutrition et améliorer l'accès à la nourriture des populations des pays en développement. La transformation peut également ajouter une valeur non seulement nutritionnelle mais aussi économique aux aliments. Des mesures adéquates concernant l'approvisionnement en aliments sains et de bonne qualité doivent aussi être prises.

Population

La question démographique et la relation entre fertilité, planification familiale et nutrition sont traitées au chapitre 5. La quantité d'aliments disponibles par personne dans une famille, un district ou un pays est la quantité de nourriture produite ou achetée divisée par le nombre de personnes qui y ont accès. Une famille de huit personnes qui produit et achète la même quantité de nourriture qu'une famille de quatre personnes dispose de moins de nourriture par personne. Toutefois, dans les familles de producteurs, plus la famille est nombreuse, plus la productivité familiale peut être importante.

Dans certains pays, le problème démographique est considéré comme un problème majeur, et la surpopulation, la taille des familles et l'espacement des naissances sont considérés comme des facteurs déterminants de malnutrition. Les démographes étudient la population, et de nombreux pays ont une structure gouvernementale, souvent au sein du ministère de la santé, responsable de la planification familiale. L'espacement des naissances est une priorité. Mais, tout comme en production, il serait naïf de croire qu'un contrôle des naissances ou une planification familiale réussie résoudront, à eux seuls, les problèmes de faim et de malnutrition dans un pays.

Pauvreté

On dit souvent que n'est autre que la pauvreté la cause profonde de la malnutrition. Il est vrai que, dans la majorité des pays, c'est surtout, voire uniquement, chez les pauvres que l'on trouve des enfants souffrant de MPE grave ou modérée ou présentant des signes évidents de carence en vitamine A. Mais ce n'est pas vrai des anémies nutritionnelles et des troubles de la carence en iode.

Les économistes chargés d'étudier la pauvreté et les revenus proposent des solutions d'ordre économique aux problèmes de pauvreté qui sont liés à la malnutrition. La plupart des gouvernements disposent d'un groupe d'économistes travaillant au ministère des finances, parfois au ministère de la planification économique.

L'expérience de nombreux pays en développement montre qu'une réduction importante de la pauvreté a un impact significatif sur les taux de MPE dans la plupart des pays et des communautés. Les efforts déployés pour réduire la pauvreté, augmenter les revenus, diminuer le prix des aliments et redistribuer les richesses, ainsi que bien d'autres politiques économiques, peuvent avoir des effets majeurs sur la nutrition. Mais tout comme les agronomes et les démographes ne peuvent pas à eux seuls régler les problèmes nutritionnels d'une région ou d'un pays, les actions économiques n'en viendront pas non plus à bout à elles seules. Dans certains cas, l'augmentation des revenus n'a pas réduit de façon importante la malnutrition et encore moins entraîné son éradication.

La pauvreté se manifeste de plusieurs manières: ce sont des ménages aux revenus insuffisants, mais aussi des communautés ou des pays pauvres, qui n'ont pas de quoi construire et financer des écoles et des programmes de formation, ni d'améliorer les système de distribution d'eau et d'assainissement, ni de fournir les services sociaux et de santé nécessaires.

Politique

Tous les pays ont un mécanisme chargé de concevoir et de mettre en œuvre des politiques de développement. Les systèmes varient d'un pays à l'autre mais, partout, l'agriculture, la santé, l'éducation et l'économie, en particulier, influencent fortement le bien-être des personnes, y compris leur état nutritionnel. Des gouvernements prennent leurs obligations au sérieux, et quand ils garantissent le droit d'être à l'abri du besoin, ils garantissent aussi le droit d'être à l'abri de la faim, l'accès à des services sanitaires, le droit au logement, et ainsi de suite. Ces conditions dépendent également des ressources du pays. L'idéologie aussi peut avoir une influence significative sur la malnutrition, grâce à des actions que les gouvernements peuvent prendre pour assurer un certain niveau d'équité. Equité ne veut pas dire égalité, mais signifie simplement un accès raisonnable, ou relativement juste, des populations à des ressources vitales telles que le logement, l'éducation, l'alimentation et les soins de santé. Des politiques visant à améliorer l'accès des femmes aux ressources pour générer des revenus, pour l'éducation et pour les soins de santé amélioreraient sensiblement le bien-être nutritionnel de toute la famille.

Pathologie

La physiologie a trait au fonctionnement normal du corps, de ses organes et des cellules. La pathologie, elle, a trait au dysfonctionnement et à la maladie. Dans le monde, la malnutrition est bien souvent causée non seulement par le manque de nourriture mais aussi par la maladie.

La relation entre malnutrition et infection a été largement étudiée et documentée. Il n'y a pas de doute que des infections telles que la diarrhée, les maladies respiratoires, les parasites intestinaux, la rougeole et le sida (syndrome d'immunodéficience acquise) sont des causes importantes de malnutrition (voir chapitre 3). Certaines maladies non infectieuses, telles que divers syndromes de mauvaise absorption (l'organisme n'assimile pas correctement les nutriments), de nombreux cancers et certaines maladies psychologiques, peuvent également être à l'origine de malnutrition.

Les ministères de la santé et les professionnels de la santé des secteurs public et privé sont responsables du traitement des maladies mais aussi de la santé publique et de la prévention. Dans de nombreux pays, les politiques en matière de nutrition sont du ressort du ministère de la santé, qui, souvent, a la tutelle des instituts nationaux de nutrition. Il est évident que les mesures sanitaires de prévention des maladies, en particulier des infections, ainsi que les actions pour fournir les soins et les traitements médicaux, contribuent énormément à réduire de la malnutrition dans un pays ou une communauté. Toutefois, les mesures sanitaires n'ont jamais pu, à elles seules, éradiquer la malnutrition.

Une perspective pluridisciplinaire

Cette discussion autour des six facteurs "P", à savoir la production, les procédés de transformation, la population, la pauvreté, la politique et la pathologie permet d'illustrer la complexité à la fois des causes fondamentales de la malnutrition et des solutions qu'on peut y apporter. Elle montre bien que les agronomes, les industriels, les démographes, les économistes, les politiciens et le personnel de santé ont tous un rôle important à jouer dans la lutte contre la malnutrition. Par ailleurs, il apparaît clairement qu'un seul ministère ou qu'un seul groupe de professionnels ne peut à lui seul éliminer la faim et la malnutrition dans la société. Les nutritionnistes et les spécialistes des sciences des aliments, entre autres, travaillent dans tous ces domaines, et, dans une stratégie nationale d'alimentation et de nutrition qui fonctionne correctement, ils collaboreront avec des professionnels de toutes les disciplines concernées. Pour atteindre l'objectif d'une bonne nutrition, il peut aussi être nécessaire de faire appel à des experts dans les domaines de l'anthropologie, de la sociologie et du développement communautaire. Par ailleurs, cela exige un bon système de transport et de commercialisation. Il y aurait également un avantage énorme à tirer profit d'un système éducatif qui offre l'école à tous, aux femmes en particulier, et qui garantisse les meilleurs niveaux d'alphabétisation. Il peut également être nécessaire d'associer de nombreux autres acteurs. Les stratégies nutritionnelles ne peuvent être que plurisectorielles, ce qui peut présenter des difficultés au niveau national, plus qu'au niveau local ou communautaire. La participation de la communauté, aidée par des agents de différents secteurs tels que l'agriculture, la santé, l'éducation et le développement communautaire pour ne citer que les plus importants, sera nécessaire pour répondre à l'objectif d'une bonne nutrition pour tous. Les chapitres de ce livre ont été conçus pour permettre aux personnes des différentes disciplines de comprendre la complexité du problème de la nutrition, mais aussi de voir que diverses actions relativement simples peuvent contribuer à améliorer la nutrition.

PHOTO 1

Le pape Jean-Paul II prononce le discours d'ouverture de la Conférence internationale sur la nutrition

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