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Considérations sur la conservation des ressources génétiques forestières

C. Palmberg-Lerche

Christel Palmberg-Lerche est chef
du Service du développement des
ressources forestières, Division des
ressources forestières, Département
des forêts de la FAO, Rome.

La bonne conservation des ressources génétiques forestières se fonde sur deux principes de base: rien dans la nature n'est statique; et les forêts et les ressources génétiques qu'elles renferment, si elles sont aménagées correctement, sont renouvelables.

Le présent article est adapté d'une intervention faite à l'Institut international des ressources phytogénétiques (IPGRI)/ Cours de formation en matière de conservation et d'aménagement des ressources génétiques forestières en Europe orientale (Autriche) lors d'une réunion organisée en collaboration avec la FAO à Gmunden, Autriche, du 29 avril au 12 mai 2001.

L es gestionnaires forestiers prennent de plus en plus conscience des pré- occupations exprimées par le public et les organes réglementaires quant à la diversité biologique, et ils s'efforcent d'y répondre (FAO, 2002; Libby, 2000). Le présent article met en évidence certaines idées fondamentales, encore que parfois négligées, sur la conservation des ressources génétiques forestières - notamment l'importance de reconnaître non seulement les valeurs de production et d'environnement des forêts, mais aussi le fait que l'intervention humaine dans la nature n'est pas nécessairement préjudiciable.

En fonction de ces idées, l'article analyse certaines des mesures à prendre pour garantir la conservation performante des ressources génétiques forestières, y compris l'établissement de liens étroits entre les activités de conservation entreprises aux niveaux local, national, régional et international; l'aménagement des ressources destinées à être conservées dans différents endroits, sous des conditions environnementales et des régimes sylvicoles variés, et l'importance de mieux sensibiliser, à tous les niveaux, l'opinion publique aux questions relatives aux ressources génétiques, afin de promouvoir des stratégies de conservation améliorées.

NÉCESSITÉ D'UNE VISION ÉQUILIBRÉE

Dans la plupart des sociétés, les forêts et les arbres revêtent une grande valeur émotionnelle et spirituelle. Les écosystèmes qu'elles abritent exercent des fonctions environnementales intrinsèques au niveau de la conservation des sols et de l'eau, de la fourniture d'abris et d'aliments à la faune sauvage et d'un habitat à d'autres espèces, et de la satisfaction des besoins de loisirs, esthétiques et spirituels. En outre, les produits tirés des arbres - bois de feu, bois d'œuvre, fruits, fourrage, résines, gommes, teintures et autres - ont une valeur considérable, aux plans aussi bien économique que social. Ces qualités contrastent avec celles de l'agriculture au sens strict; certes, un champ de blé a une valeur socioéconomique mais ses valeurs environnementales sont secondaires ou nulles.

Il faut une vision équilibrée pour apprécier la valeur des forêts et de leurs fonctions environnementales au même titre que la valeur du bois et des produits non ligneux qui en sont tirés.

Lorsque cette vision équilibrée fait défaut, ou si la question n'est tout simplement pas comprise, il en résulte des heurts et des conflits - comme ceux observables parfois aussi bien chez les décideurs et les représentants des industries forestières, qui se préoccupent de leurs revenus immédiats et du produit final des forêts, que chez certains groupements populaires qui ne tiennent compte que de la valeur environnementale, ou d'une seule valeur environnementale, comme la diversité biologique ou la protection de l'habitat d'une espèce ou d'un groupe d'espèces.

Dans l'aménagement durable des forêts, y compris la conservation de la diversité biologique aux niveaux des écosystèmes, des espèces et des ressources génétiques, les priorités dépendront de jugements de valeur et de l'accent relatif mis sur les différents rôles et fonctions de la forêt. Il est clair que le dialogue et la participation de toutes les parties prenantes et de tous les intéressés sont essentiels à la prise de décisions équilibrées, et pour faire en sorte que les programmes d'action pour la conservation des ressources génétiques soient généralement acceptés et, partant, durables à longue échéance.

L'INTERVENTION HUMAINE N'EST PAS NÉCESSAIREMENT PRÉJUDICIABLE

Dans les débats populaires menés actuellement, il est souvent estimé qu'en définitive aucune menace fondamentale ne pèse sur la diversité. Il est aussi considéré, dans de nombreux cas, que toute intervention de la part de l'homme ne peut être que destructive. Si ce constat était vrai, il faudrait résoudre le problème en bannissant intégralement l'intervention humaine ou en enfermant les utilisations du sol dans des compartiments strictement séparés.

De nombreux mythes existent concernant les forêts. Parmi les plus populaires, qu'il faudrait démythifier dès que possible figurent ceux liés à la croyance que la nature est statique et que l'absence d'intervention humaine assurera le statu quo des écosystèmes; que l'état présent de la diversité est idéal; et que l'action humaine est une menace qui ne peut que réduire, mais jamais contribuer à maintenir ou à renforcer, la diversité génétique (voir Eriksson, Namkoong et Roberds, 1993; Palmberg-Lerche, 1990).

Collecte de matériel pour la conservation des ressources génétiques, Brésil -

L. PROCÓPIO

INTERVENIR DANS L'AMÉNAGEMENT DES RESSOURCES GÉNÉTIQUES

L'aménagement de la diversité biologique aux niveaux de l'écosystème, de l'espèce, de la population, de l'individu et du gène est une tâche à multiples facettes. Les problèmes et les solutions différeront en fonction de variables telles que:

Les solutions varieront encore suivant le type et l'intensité de l'utilisation humaine des ressources et des produits qui en sont tirés.

En dernière analyse, les solutions dépendront des cadres juridiques et administratifs en vigueur, des niveaux d'appui et de stabilité institutionnelle, des capacités institutionnelles d'affronter la tâche d'une manière techniquement valable, économiquement réalisable et socialement acceptable, et des niveaux et de la continuité des crédits nécessaires pour s'acquitter des responsabilités relatives.

Les programmes de gestion et de conservation des ressources génétiques devront se baser sur des informations solides et techniquement et scientifiquement fondées. Cependant, dans le court terme, il ne faudrait pas attendre les dernières réponses scientifiques pour intervenir, mais commencer immédiatement à agir à l'aide des meilleures informations disponibles et du bon sens en matière forestière, en appliquant des stratégies souples aptes à incorporer les nouvelles connaissances à mesure qu'elles se concrétisent.

Les enjeux techniques et scientifiques absorbent souvent la majeure partie de l'attention des experts. Mais pour mieux les définir, on se doit d'informer les responsables des politiques, les décideurs et le grand public des stratégies et des méthodologies disponibles pour affronter les problèmes inhérents à la gestion et à la conservation des ressources génétiques, des priorités et des retombées probables de l'inaction. Une bonne compréhension de ces questions est indispensable pour obtenir à tous les niveaux l'appui nécessaire, y compris celui à la formulation des politiques nationales, condition essentielle pour le soutien des institutions et le financement viable.

CIBLER DIFFÉRENTS NIVEAUX D'ATTENTION

Il n'existe pas de stratégie universelle pour la conservation des ressources génétiques qui soit applicable à toutes les situations. Lorsque l'on planifie les activités dans ce domaine de la gestion, il convient d'examiner et d'évaluer les niveaux d'attention et les mesures à prendre. Les programmes nationaux, fondés sur les besoins nationaux et locaux, sont le fondement de toute intervention dans la gestion des ressources génétiques forestières. Simultanément, ils présentent un grand nombre de limitations. La répartition naturelle de nombreuses essences forestières transcende les frontières politiques. En outre, beaucoup d'espèces et de provenances n'ont qu'une faible utilité actuellement dans leur pays d'origine, alors qu'elles pourraient avoir acquis une importance sociale et économique considérable hors de leurs aires naturelles. La collaboration entre les pays est donc souvent nécessaire pour assurer la complémentarité de l'action aux niveaux régional et international.

Les programmes d'action régionaux et sous-régionaux, tout en s'inspirant des plans nationaux, peuvent à leur tour fournir un point de repère et le retour des informations bénéficiera aux activités nationales en matière de conservation des ressources génétiques. Un accord sur les principes qui déterminent les priorités pour des activités de conservation spécifiques, et un dialogue sur les stratégies et méthodologies possibles, aideront à renforcer l'impact et l'efficacité des activités nationales. L'attention et la collaboration régionales et internationales à ces niveaux représentent souvent un nouvel argument crucial capable de convaincre les décideurs de l'importance de questions et du besoin d'agir au niveau national.

Les programmes d'action sous-régionaux et régionaux peuvent, par la suite, et si les pays le désirent, être inscrits dans un contexte élargi, contribuant à la mise en place d'un cadre d'action global et détaillé (voir Palmberg-Lerche, 1997; Palmberg-Lerche et Hald, 2000; Sigaud, Palmberg-Lerche et Hald, 2000; FAO, 2001).

Les liens et le dialogue entre les différents acteurs est impératif, de même que les considérations et la collaboration intersectorielles et l'appui donné à l'échange d'informations et de compétences à tous les niveaux.

Bien que le soutien à la mise au point des méthodologies et à la recherche relève davantage des niveaux national et local, certains problèmes ne peuvent se résoudre positivement qu'aux échelons régional, écorégional, voire international. Les activités qui transcendent le niveau national contribuent fréquemment à l'exploitation rationnelle de ressources limitées évitant ainsi le gaspillage des doubles emplois.

De même, les principales initiatives en matière d'essais de terrain et de programmes pilotes sont prises aux plans national et local, encore que certains travaux puissent être réalisés au niveau régional. Dans ce cas, le rôle des organisations et institutions internationales devient moins prédominant et concerne l'appui technique plutôt que les opérations.

La mise en œuvre des stratégies de conservation sur le terrain se fait en premier lieu aux niveaux national et local, bien que certaines activités puissent être entreprises à l'échelon régional. Les progrès dépendent de l'engagement pris par les pays, et qui implique la participation des décideurs, du personnel technique et des autres parties prenantes. Les organisations et institutions internationales comme la FAO peuvent stimuler la prise de conscience des besoins, proposer des stratégies et méthodologies et aider à renforcer les capacités - mais elles ne peuvent jamais mettre en œuvre la conservation proprement dite. Il importe que les pays le reconnaissent et formulent leurs plans en conséquence.

Les essais de terrain (ici, un peuplement de sapin douglas, Pseudotsuga menziesii, sur le littoral du Canada) peuvent contribuer à assurer la conservation de populations ex situ -

DÉPARTEMENT DES FORÊTS DE LA FAO/C. HEAMAN

ACCROÎTRE LA PRISE DE CONSCIENCE - POUR DE MEILLEURES STRATÉGIES

Comment les forestiers peuvent-ils renforcer la prise de conscience, à tous les niveaux, de l'importance de la gestion des ressources génétiques, et œuvrer à sa réalisation plus résolument qu'à présent? Il convient de garder à l'esprit les principes suivants:

Il faudra inévitablement recourir à une ample panoplie de stratégies, de moyens et de méthodes et obtenir le concours d'un grand nombre d'institutions qui ont souvent des philosophies, des approches et des buts immédiats totalement différents. Le dialogue permanent est dès lors indispensable.

Il faudra vérifier à intervalles réguliers les progrès réalisés et ajuster l'action en conséquence à l'aide de stratégies et de plans clairvoyants. Les ajustements devront tenir compte des expériences acquises et de notions nouvelles et plus approfondies. Ils devront aussi prévoir l'accroissement progressif de la prise de conscience au niveau politique, qui pourrait se traduire par un surcroît d'appui institutionnel et de ressources.

Pour une action efficace, il est important de reconnaître que les politiques nationales relatives à la diversité biologique des forêts et aux ressources génétiques forestières couvrent une gamme d'activités allant des mesures de conservation pour protéger des espèces et populations rares et en danger, aux règlements régissant la collecte de semences et le transfert d'essences forestières présentant un intérêt socioéconomique, et aux méthodes détaillées d'aménagement du paysage, des écosystèmes et des ressources génétiques forestières. Tous ces domaines d'activité ont un rôle à jouer, et les éléments du puzzle doivent être assemblés pour former une stratégie d'action cohérente et de soutien mutuel en faveur des ressources génétiques forestières.

LES MULTIPLES AIRES DE CONSERVATION DES RESSOURCES GÉNÉTIQUES

L'aménagement d'un jeu approprié d'aires de conservation des ressources, en divers endroits et sous des conditions environnementales et des régimes sylvicoles différents, est sans doute le moyen le plus efficace de conserver la diversité et la variation génétique des arbres forestiers.

Les stratégies que Wilcox (1990; voir aussi Wilcox, 1995) désigne comme une "incorporation de principes de conservation dans une mosaïque d'utilisations possibles des sols" prévoient l'intégration de questions relatives aux ressources génétiques dans la gestion des:

La conservation des ressources génétiques ex situ peut aussi comprendre la conservation de graines, de pollen et de tissus, complétée par du matériel conservé dans des populations d'amélioration (voir la figure).

Gestion des ressources génétiques d'arbres et arbustes forestiers: concept et composantes

CONCLUSIONS

Notre regretté collègue Abdou Salam Ouédraogo, spécialiste principal des ressources génétiques forestières de l'Institut international des ressources phytogénétiques (IPGRI) aimait répéter les mots d'un ministre des forêts de son pays natal, le Burkina Faso, lequel, après avoir participé à un grand nombre des sessions d'un atelier FAO/IPGRI sur les ressources génétiques forestières au milieu des années 90, disait: "Je pensais que la conservation des ressources génétiques forestières était une tâche complexe et serait difficile à comprendre, mais je vois maintenant que cette conservation concerne, en fait, ce que nous faisons tous les jours!"

C'est peut-être le moyen secret d'obtenir de meilleurs niveaux d'attention et d'appui et de mieux relever les défis contenus dans des expressions abstraites comme "prise de conscience politique" et "engagement politique" qui, en définitive, indiquent la disponibilité de lois, de politiques, et d'institutions d'appui et l'engagement à court, moyen et long termes; ce qu'il faut c'est garantir que les parties prenantes et les collaborateurs, à tous les niveaux, comprennent que la conservation est une tâche quotidienne - pas nécessairement complexe ou techniquement difficile, mais essentielle si les pays veulent assurer la durabilité de la foresterie, de l'agriculture et du développement national et local.

Bibliographie


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