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III. MOYENS D'AMELIORATION DE L'APTITUDE FROMAGERE DU LAIT DE DROMADAIRE

3.1 Sélection d'un lait de bonne qualité

Pour réaliser la fabrication fromagère dans de bonnes conditions, le lait doit répondre à un certain nombre de critères de qualités physico-chimique et microbienne. Ces exigences, qui possèdent un caractère général applicable à tous les types de laits destinés à la consommation humaine, ont été largement détaillées dans des publications spécialisées; le lecteur pourra s'y référer utilement pour obtenir de plus complètes informations sur le contrôle de la qualité, les méthodes de collecte et de conservation du lait (Ramet, 1985; Scott, 1986; Robinson, 1990; Weber, 1985; Lambert, 1988; IDF, 1990).

Nous nous bornerons à ne rappeler ici, que les points d'intérêt majeur :

3.1.1 Elimination des laits anormaux

Le lait doit être obtenu uniquement à partir d'animaux sains. Le lait provenant de femelles malades (mammite-brucellose) contient des bactéries risquant d'être dangereuses pour la santé du consommateur; il renferme souvent par ailleurs des traces d'antibiotiques lorsque les animaux sont traités à l'aide de ces médicaments, leur effet peut persister dans le lait et gêner en particulier le développement des bactéries lactiques lors de la transformation ultérieure en produits laitiers fermentés et en particulier en fromages.

Les laits colostraux secrétés en début de lactation possèdent une composition spécifique (pauvreté en caséine - teneur élevée en minéraux) qui les rend impropres à la transformation en fromage. Ils ne doivent pas être mélangés au lait de fabrication pendant les 1 à 2 semaines suivant la mise bas.

Les laits de dromadaire provenant d'animaux subissant un stress hydrique important se caractérisent par une très faible teneur en matière sèche; ils sont peu aptes à la transformation en fromage et doivent si possible être utilisés en mélange à des laits de dromadaire et/ou d'autres espèces ayant une meilleure aptitude fromagère.

3.1.2 Maîtrise de la qualité microbienne

Les vecteurs potentiels de contamination du lait sont nombreux et variés: animaux malpropres, mamelles souillées, vaisselle laitière contaminée, vêtements et mains du trayeurs sales, récipients de collecte et de stockage du lait mal nettoyés et désinfectés. L'observation de pratiques hygiéniques est donc indispensable pour optimiser la qualité du lait et par voie de conséquence celle des produits laitiers dérivés.

Les règles à observer pour obtenir un lait de bonne qualité microbienne sont les suivantes :

Les surfaces qui entrent en contact avec le lait et ses dérivés doivent être nettoyées, puis désinfectées efficacement. Par sa composition, le lait constitue un substrat très favorable au développement microbien. Il convient d'insister et de rappeler le caractère très rapide de toute prolifération bactérienne: la durée de multiplication des germes est de l'ordre de 20–30 minutes en moyenne lorsque les conditions de milieu sont optimales (T : 25–35° C, pH : 6,65, humidité > 85 pour cent).

Idéalement, les règles générales à appliquer pour les opérations manuelles de nettoyage et de désinfection sont les suivantes:

II convient de souligner que:

3.2 Préparation du lait

3.2.1 Traitement thermique

Le lait cru renferme toujours une population de micro-organismes dont l'importance et la variété dépendent principalement de l'état sanitaire de l'animal, des conditions hygiéniques observées lors de la traite, de la collecte du lait, de la durée et de la température de conservation. (Ramet, 1985; I.D.F., 1990). Dans cet ensemble, plusieurs catégories de germes sont redoutés dans la mesure où ils peuvent transmettre des maladies à l'homme (germes pathogènes) ou provoquer au plan technique des accidents de fabrication (germes producteurs de gaz à germes protéolytiques et lipolytiques). Selon leur gravité, ces accidents se manifestent en perturbant le cycle de fabrication, en provoquant l'apparition de défauts organoleptiques dans le fromage (gonflements, textures indésirables, saveur amère ou rance) ou conduisent à l'obligation de détruire le produit fini.

Le lait cru renferme également une proportion variable de bactéries lactiques dont la présence est souhaitable pour la transformation en fromage, car elles sont responsables de l'acidification qui est recherchée pour assurer l'égouttage et la protection acide du coagulum.

Cette acidification naturelle du lait est toutefois très variable en vitesse et en intensité car elle est sous la dépendance de plusieurs facteurs qui ne sont pas constants dans le temps; de ce fait, ces fabrications se caractérisent par leur irrégularité tant au niveau du procédé que de la qualité des fromages obtenus. Le traitement thermique préalable du lait apparaît, là aussi, utile pour niveler cette hétérogénéité; il implique par contre de pratiquer ultérieurement un ajout dirigé en bactéries lactiques qui est effectué avant la phase de coagulation sous forme de ferments lactiques. Par ses conséquences hygiéniques et techniques très favorables, l'usage d'un traitement thermique préalable du lait de dromadaire peut donc apparître souhaitable.

Des essais réalisés dans le Sud de la Tunisie (Ramet, 1987) ont montré que des conditions de chauffage égales ou supérieures à celles d'une thermisation (62°C - 1 minute) permettaient d'assurer une stabilisation microbienne du lait de dromadaire et d'éviter les gonflements accidentels du coagulum (tableau 11). En revanche, les résultats indiquent que l'aptitude à la coagulation et à l'égouttage est altérée lorsque le chauffage est pratiqué dans des conditions plus sévères. On note, en particulier, une prolongation des temps de floculation, une diminution de la fermeté du gel ainsi qu'un accroissement de sa friabilité. Des évolutions analogues ont été mises en évidence après chauffage du lait de vache; elles sont dues à plusieurs modifications chimiques importantes; le retard à la coagulation s'explique par une formation d'un complexe entre caséine Kappa et β-lactoglobuline ainsi que par une insolubilisation du calcium qui réduit la réactivité à la coagulation enzymatique (Webb et al., 1974; Ramet, 1985).

Une autre conséquence du chauffage est une diminution très importante de l'aptitude à l'égouttage (fig. 9). Ces modifications des propriétés du coagulum résultent principalement de la dénaturation thermique des protéines sériques dont la capacité d'hydratation est fortement accrue; il s'ensuit une fragilisation et une rétention d'eau corrélative plus importantes du coagulum; parallèlement, les pertes en matière sèche dans le lactosérum augmentent légèrement par accumulation de fines particules de caillé engendrées par la friabilité du gel (tableau 11).

Au vu de ces résultants, il apparaît nécessaire, pour éviter de réduire l'aptitude à la coagulation et à l'égouttage du lait de dromadaire, de moduler le traitement thermique en fonction de l'extrait sec final souhaité dans le fromage à la fin de l'égouttage. Le lait destiné à la fabrication de fromage humide pourra être chauffé selon un barème correspondant à une pasteurisation basse, soit entre 72 et 75° C - 15–30 secondes, alors que pour les fromages plus secs de types pâtes molles, pâtes pressées et pâtes dures, il conviendra de pratiquer une simple thermisation, soit 62° C - 1 minute.

Il y a lieu de souligner que ces conclusions résultent d'observations faites en traitant un lait produit en période très chaude (juin-juillet 1987) par des animaux tenus en élevage extensif traditionnel sur des parcours naturels et comportant un seul abreuvement tous les 8–10 jours; par suite de ce stress hydrique, le taux de matière sèche totale (9,4 pour cent) dont 2,7 pour cent de matière grasse, était particulièrement bas et de ce fait peu adapté à la fabrication fromagère. Les recommandations du traitement thermique précisées ci-dessus peuvent donc vraisemblablement être corrigées à la hausse pour des laits présentant une matière sèche supérieure; dans ces conditions, il apparaîtrait possible, comme cela se pratique avec le lait de vache, d'améliorer le rendement fromager par récupération des protéines sériques dénaturées sans pour autant induire la formation de gels tardifs, friables et trop hydratés. Des expérimentations complémentaires sont nécessaires pour préciser l'adéquation du traitement thermique de la matière première avec les autres contraintes de la fabrication fromagère, en particulier celles attachées aux exigences de rendement et de qualité organoleptique des produits finis.

Exemple d'application:

On possède 100 litres de lait acide à 30° D dont on veut amener l'acidité à 16° D. Sachant que 1° D est égal à 0,1 g d'acide lactique/litre, il faudra pour neutraliser les 100 litres de lait acide:

(30° - 16°) × 100 l = 1 400° D = 140 g d'acide lactique

La quantité de soude nécessaire sera:

3.2.2 Correction de la teneur en matière grasse

La composition macroscopique d'un fromage est définie le plus souvent par sa teneur en matière sèche totale ou extrait sec, et par sa teneur en matière grasse.

La première est définie par le poids du résidu sec obtenu après évaporation totale de l'eau contenue dans 100 g de fromage. La seconde est mesurée en particulier par la méthode butyrométrique (Fox, 1987; Lambert, 1988) et s'exprime en pourcentage de poids sec du fromage. Ainsi par exemple un produit dont l'extrait sec total (E.S.T.) et la matière grasse (M.G.) sont chacun de 50 pour cent présente en réalité une teneur en M.G. de 25 g pour 100 g de fromage.

En pratique, pour les fromages de composition définie, il y a lieu d'ajuster exactement ces caractéristiques pour leur conférer des propriétés organoleptiques aussi régulières que possible, mais également de les rendre conformes aux normes réglementaires lorsqu'une législation existe.

L'ajustement de la teneur en M.G. se fait en réglant la teneur en M.G. du lait avant coagulation; l'ajustement de la teneur en matière sèche est obtenu ultérieurement en maîtrisant les différents facteurs qui régulent l'égouttage et l'affinage du coagulum (Ramet, 1985; Robinson, 1990).

La standardisation du lait de fromagerie consiste à régler la teneur en matière grasse du lait de fabrication de façon à ajuster celle du fromage. Dans la plupart des cas, la matière grasse du lait frais est trop élevée pour obtenir des fromages ayant une teneur en matière grasse moyenne, d'où la nécessité d'écrémer partiellement la matière première.

Cette opération peut être réalisée soit en continu par écrémage partiel du lait par voie centrifuge ou par voie manuelle (Lambert, 1988; Robinson, 1990), soit en discontinu par mélange en cuve de lait entier et de lait écrémé.

La détermination de la teneur en matière grasse du lait standardisé est obtenue par le calcul en appliquant la formule:

M.G.L.S. : Matière grasse de lait standardisé (g/l)
M.G.F. : Matière grasse du fromage (% extrait sec total)
E.S.D.F. : Extrait sec dégraissé fromage (% extrait sec total)
G. : Coefficient G correspond à l'extrait sec dégraissé récupéré dans le fromage par litre de lait transformé
M.G.P. : Matière grasse perdue dans le lactosérum et non récupérée dans le fromage (g/l)

Exemple

Soit à standardiser 100 litres de lait en vue de la fabrication de fromage à 30 pour cent G/S à partir de lait de dromadaire, titrant 27 g/l de M.G., coefficient G: 25 M.G.P. : 8g/l

Le mode opératoire à suivre comprend les étapes ci-après:

3.2.3 Correction de la teneur en matière sèche

Un des points critiques de la transformation du lait de dromadaire en fromage provient de son extrait sec relativement bas et des particularités de sa composition en caséine et en calcium. D'un point de vue pratique, il est possible d'envisager plusieurs traitements de correction qui peuvent être utilisés isolément ou simultanément lors de la préparation des laits de fromagerie.

Augmentation de la concentration en caséine

Différentes voies sont applicables pour accroître la concentration relative du lait en caséine; il en résulte une plus grande densité micellaire qui a pour effet principal de réduire les temps de floculation et d'améliorer les propriétés rhéologiques des gels formés.

Concentration par évaporation

Une première alternative consiste à réaliser une concentration de la matière sèche totale du lait de dromadaire par évaporation de l'eau; la température utilisée doit être douce 45° - 60° C pour éviter les incidences négatives d'un chauffage excessif sur la coagulation et la synérèse (voir paragraphe précédent). Cette opération peut être pratiquée au plan artisanal en récipient ouvert de petite capacité ou au plan industriel par évaporation sous vide. Compte tenu du coût énergétique de l'opération, il semble raisonnable de limiter le taux de concentration à 15–20 pour cent de matière sèche.

Concentration par ultrafiltration

Une méthode plus sophistiquée pourrait faire appel à l'ultrafiltration. Cette technique permet de concentrer uniquement la phase protéique; par analogie à la pratique industrielle largement répandue pour le lait de vache, un ajustement à un taux protéique de 3,6–3,8 pour cent pourrait être adéquat. Il n'existe toutefois à ce jour aucune donnée publiée faisant état d'expérimentation pour le lait de dromadaire. Il y a lieu de souligner que les procédés par ultrafiltration restent délicats à utiliser; ils nécessitent en particulier le respect de normes de nettoyage et de désinfection très rigoureuses, une sécurité absolue dans l'alimentation en fluides et un personnel technique hautement qualifié. Par ailleurs, les équipments disponibles sur le marché ont pour la plupart des capacités de traitement élevées. Ces diverses raisons font que cette technique ne peut être réservée qu'à des unités importantes de traitement du lait établies en sites industriels.

Ajout de poudre de lait

Le renforcement de l'extrait sec du lait de dromadaire à l'aide de poudre de lait permet de raffermir considérablement le gel et de le travailler dans des conditions correctes (Ramet, 1987); un ajout de l'ordre de 4 à 8 pour cent apparaît suffisant pour améliorer la transformation en fromage sans pour autant modifier sensiblement la qualité organoleptique du produit fini, et accroître le coût de production. Le choix d'une poudre présentant une bonne qualité fromagère est nécessaire; en ce sens, les poudres séchées à basse et moyenne températures (low - medium heat) sont les plus adaptées.

Une autre solution intéressante pourrait consister à utiliser des poudres de rétentats de lait obtenues par ultrafiltration et déshydratation, pour ajuster le taux protéique à 3,6–3,8 pour cent. Cette technique apparaît difficilement applicable en raison de son coût élevé.

A moins de disposer d'une poudre de lait de dromadaire, l'utilisation de poudre de lait d'autres espèces animales les plus disponibles sur le marché, peut poser un problème réglementaire relatif à une appellation "fromage au lait de dromadaire".

Ajout de lait liquide d'autres espèces animales

Dans l'aire de distribution géographique du dromadaire, les troupeaux de chèvres, de brebis, voire de zébus et buffles sont fréquents. Le lait de ces animaux possède, en raison de sa composition en caséine et en calcium, une bonne aptitude fromagère; leur mélange peut être envisagé pour améliorer la fromageabilité du lait de dromadaire.

Une expérimentation conduite en Arabie saoudite (Ramet, 1990) a montré que la supplémentation du lait de dromadaire par du lait de brebis dans une proportion de 10 à 50 pour cent a des conséquences extrêmement positives sur la coagulation et l'égouttage:

L'ensemble des effets favorables constatés au cours de la coagulation et de l'égouttage s'expliquent par une meilleure structuration du coagulum consécutive à l'apport par le lait de brebis d'un extrait sec important (18,9 pour cent) composé de constituants réputés hautement coagulables (IDF, 1986).

II convient de remarquer que, même en cas de disponibilité réduite de lait de brebis, son mélange au lait de dromadaire apporte des bénéfices considérables pour la transformation du lait de dromadaire en fromage. La simplicité du procédé le rend très facilement applicable pour les fabrications familiales et artisanales.

3.2.4 Correction des équilibres salins

Apport d'un sel de calcium

On sait que la présence de calcium ionisé est indispensable à l'accomplissement de la phase secondaire de la coagulation qui conduit, après protéolyse spécifique de la caséine Kappa par l'enzyme coagulante, à l'agrégation des micelles pour former un réseau constituant le coagulum (Webb et al., 1984; Ramet, 1985). En raison de l'existence dans le lait de dromadaire d'un équilibre salin particulier, l'ajout d'un sel de calcium apporté sous forme de chlorure ou de phosphate monocalcique entraîne un raccourcissement très marqué des temps de coagulation et renforce la fermeté des gels (Ramet, 1985; 1987; 1990). L'action bénéfique de ces sels est liée, d'une part à un abaissement de pH (fig. 15) qui favorise l'activité enzymatique de la protéase coagulante, d'autre part, à l'enrichissement du milieu en ions calciques qui créent des pontages renforçant la cohésion et la réticulation intermicellaire (fig. 16). Comparativement au lait de vache, l'activation observée est de 15 à 20 pour cent supérieure selon la concentration; le phosphate de calcium est, par ailleurs, plus efficace que le chlorure de calcium (Ramet, 1985).

Au plan de la pratique fromagère, il convient de limiter l'ajout de sels de calcium à une concentration de 10 à 15 g pour 100 litres de lait, ce qui entraîne une réduction du temps de coagulation de 20 à 25 pour cent (fig. 17), par rapport à un lait non supplémenté (Ramet, 1985, 1987, 1990; Farah et Bachmann, 1987).

Pour permettre une répartition homogène du sel de calcium dans toute la masse du lait et pour assurer la modification souhaitée de l'équilibre salin, il est nécessaire d'ajouter le sel de calcium, au minimum 30 minutes avant l'apport de l'enzyme coagulante. Dans le cas contraire, l'ajoute de sels de calcium a peu d'influence sur le temps de floculation. (Mohamed et al., 1990)

Lorsqu'un chauffage du lait est assuré en début de fabrication pour améliorer la qualité des produits, il convient d'effectuer l'apport des sels de calcium après traitement thermique et refroidissement du lait à la température de coagulation; dans le cas contraire, les sels de calcium ajoutés seraient insolubilisés et perdraient leur efficacité.

Des taux en sels de calcium supérieurs au seuil précité, provoquent fréquemment l'apparition de goût amer dans le fromage (Ramet, 1987). Il convient également de n'utiliser que des sels purifiés de qualité alimentaire; Le chlorure de calcium est disponible sur le marché sous forme sèche (poudre - granulés) ou liquide (concentré à 510 g/l); son coût est faible. Le phosphate monocalcique est plus rare et son prix supérieur; il se présente sous forme pulvérulente.

Apport de chlorure de sodium

Le salage du lait à l'aide de chlorure de sodium est parfois utilisé pour protéger le milieu des altérations par voie microbienne; le taux de sel nécessaire pour abaisser suffisamment l'activité de l'eau et interdire la prolifération des germes est de l'ordre de 4 à 6 pour cent (Ramet, 1985).

L'effet du chlorure de sodium sur l'aptitude à la coagulation est différent selon la concentration utilisée; pour des teneurs très faibles comprises entre O et 0,3 pour cent, on note une faible activation de la coagulation, d'environ 15 pour cent, à l'aide de la présure de veau et de la pepsine bovine. Lorsque les taux de sels sont plus élevés, les temps de coagulation augmentent; ils deviennent supérieurs aux temps témoins observés sur le lait non salé lorsque le salage dépasse 0,6 pour cent (Ramet et al., 1982; Ramet et El-Mayda, 1984). L'incidence favorable du chlorure de sodium, constantée pour les faibles teneurs en sel, paraît être liée à l'effet activateur induit par effet pH et par la force ionique sur l'activité enzymatique. Aux concentrations supérieures; les rôle dissociant du sodium sur les protéines micellaires et sur l'enzyme coagulante devient dominant et contribue à retarder la formation du gel. Selon la nature de l'enzyme coagulante employée, l'effet du chlorure de sodium sur la coagulation du lait de vache n'est pas identique (Hamdy et Edelsten, 1970; Ramet et El Mayda, 1984). On retrouve un phénomène similaire pour le lait de dromadaire; la pepsine bovine apparaît moins sensible que la présure de veau, à la présence de sel dans le milieu, notamment aux concentrations élevées (fig. 18).

Les propriétés rhéologiques des sels formés sont également modifiées par la présence de sel; l'évolution est parallèle à celle des temps de floculation. Aux faibles teneurs en chlorure de sodium de 0 à 0,3 pour cent, la fermeté est améliorée et la friabilité réduite; au-delà, l'effet est inversé, il se traduit par une chute de fermeté et un accroissement de friabilité qui par ailleurs est plus marqué avec la présure de veau qu'avec la pepsine bovine (Ramet, 1990).

Ces observations permettent de conclure qu'un salage faible du lait au taux de 0,3 pour cent peut être préconisé pour améliorer la coagulation du lait de dromadaire. Il apparaît toutefois que ce traitement doit être utilisé avec discernement et être réservé à la production de fromage à humidité élevée, le chlorure de sodium accroît en effet la rétention d'eau dans le coagulum en cours d'égouttage et ne permet pas d'obtenir des fromages à taux de matière sèche élevés (Ramet et al., 1982; Ramet et El Mayda, 1984; Ramet, 1985). Il faut noter que le lactosérum issu de ces fabrications est lui-même salé à environ 3 g/l, ce qui ne semble pas devoir limiter ses valorisations potentielles.

3.3 Conduite de la coagulation

3.3.1 Choix de l'enzyme coagulante

Plusieurs expérimentations menées en Arabie saoudite (Ramet, 1985; 1990) et en Tunisie (Ramet 1987) ont permis de montrer que l'affinité des différentes préparations coagulantes disponibles sur le marché pour coaguler le lait de dromadaire n'était pas identique (fig.2). Parmi celles-ci, la pepsine bovine a été identifiée comme la plus apte à la coagulation; la présure de veau et l'enzyme coagulante de Mucor miehei présentent une aptitude à la coagulation un peu inférieure, mais acceptable. D'autres observations (Gast et al., 1989; Yagil, 1982; El Abassy, 1987; El Batawy et al., 1987) apparaissent confirmer le statut privilégié des pepsines pour coaguler le lait de dromadaire.

Une des caractéristiques communes à toutes les pepsines est d'être plus actives en milieu acide que la chymosine et la présure; l'activité coagulante décroît fortement au-dessus de pH 6,3; au pH du lait frais (6,65–6,75), la coagulation n'apparaît pas. Une évolution comparable a été mesurée dans le lait de dromadaire (fig. 19); les résultats indiquent que pour bénéficier au mieux de l'effet pH, il y a bien lieu d'acidifier le lait avant coagulation jusqu'à pH 6,2–6,4. Toutefois cette pratique ne peut pas être utilisée pour tous les types de fromages, car l'acidification entraîne une déminéralisation corrélative des micelles qui induit une friabilité accrue du gel et une baisse de l'aptitude à l'égouttage. De ce fait, seuls les laits destinés à la fabrication de fromages à pâtes fraîches, à pâtes molles pourraient être traités dans les conditions précitées. Pour les pâtes pressées, il conviendra de limiter l'acidification à des pH supérieurs et en fonction du taux de matière sèche recherché dans le fromage, soit 6,4–6,5 pour les pâtes pressées non cuites et 6,5–6,6 pour les pâtes pressées cuites.

Une réserve souvent exprimée, relative à l'utilisation de la pepsine, est qu'elle possède une activité protéolytique générale non négligeable qui peut se manifester dans les fromages par la libération de peptides amers; l'accident dépend de la quantité d'enzyme coagulante résiduelle retenue dans le fromage; il est favorisé lorsque le pH du fromage est inférieur à 5,2 et lorsque le potentiel enzymatique protéolytique apporté par la micro flore sauvage implantée dans le fromage est restreint. On sait également que les peptides amers proviennent principalement de l'hydrolyse de la caséine β qui est fortement représentée dans le lait de dromadaire. Il n'existe actuellement aucune connaissance précise sur ces interactions qui pourraient constituer une limite à l'usage de la pepsine pour produire des fromages au lait de dromadaire.

La présure de veau et la protéase de Mucor miehei ne présentent pas ces inconvénients et pourraient donc, malgré leur affinité inférieure à coaguler le lait de dromadaire, être préférées à la pepsine.

3.3.2 Ajustement du pH de coagulation

Toutes les enzymes coagulantes de fromagerie sont des protéases à caractère acide dont l'activité optimale est généralement proche de pH 5,5 (Ramet, 1984). Le lait frais de dromadaire possède, d'après différentes sources bibliographiques, un pH pouvant, selon ses origines très diverses, varier dans une fourchette assez large comprise entre pH 6,55 et 6,85; ces valeurs ne sont pas très favorables à une bonne activité coagulante, d'où l'intérêt en pratique d'acidifier légèrement le lait au moment de l'emprésurage.

La figure 19 montre en particulier qu'en acidifiant le lait de dromadaire de pH 6,66 à pH 6,40, on diminue le temps de coagulation par la présure de 28 pour cent et de 70 pour cent pour la pepsine.

Plusieurs techniques peuvent être proposées pour réaliser cet ajustement dirigé du pH:

Une variante de la méthode peut être obtenue en incorporant au lait un lactosérum très acide titrant 1,2 à 1,8 pour cent d'acide lactique provenant d'une culture antérieure de bactéries lactiques sur du lait ou du lactosérum. Avant ajout au lait, les bactéries lactiques sont détruites par pasteurisation à 72–75° C pendant une minute, pour éviter leur prolifération dans le lait de fabrication. Cette méthode peut être avantageusement utilisée lorsque l'acide lactique n'est pas disponible sur le marché local; elle présente toutefois l'inconvénient de provoquer une dilution du lait. Son usage est donc limité à des abaissements minimes du pH.

On peut également citer pour mémoire deux méthodes proposées récemment dans les pays industrialisés. La première réalise une acidification par de l'acide gluconique. Cet acide est libéré progressivement dans le lait par hydrolyse spontanée en présence d'eau de glucono-delta-lactone - ou GDL - . La seconde utilise une injection de gaz carbonique dans le lait; ce gaz étant très soluble dans l'eau, l'ajustement du pH est quasi instantané.

Il faut rappeler que toute acidification entraîne une déminéralisation de la caséine qui conduit lors de la coagulation à une friabilisation du gel et à une diminution de l'aptitude à l'égouttage. L'ajustement du pH doit être conduit de manière définie dans des limites strictes pour chaque type de fromage (voir Monographies par. 4.2).

En Somalie, la consommation de lait de dromadaire est assurée dans des récipients frottés avec du charbon de bois; cette pratique pourrait induire par diffusion d'acides organiques dans le lait, une baisse de pH de 0,1–0,2 unité favorable à la diminution du temps de coagulation (Mohamed, 1990).

3.3.3 Augmentation de la température de coagulation

La température optimum d'activité des enzymes coagulantes se situe pour la plupart au voisinage de 40–45° C; au-dessus de cette valeur, se produit une dénaturation progressive de l'enzyme qui devient complète vers 65° C (Ramet, 1984).

Dans la gamme de température 25–40° C, il existe une relation quasi linéaire entre température et activité coagulante. Ainsi, à l'aide de présure, le temps de coagulation du lait de vache est réduit d'environ 70 pour cent; pour le lait de dromadaire, la diminution est de l'ordre de 50 pour cent (Farah et Bachmann, 1987).

Pratiquement, il est donc possible d'exploiter cette propriété pour réduire les temps de coagulation. L'amplitude de l'ajustement possible est déterminée par trois contraintes:

Au vu de ces différentes considérations, la correction de température admissible est en général assez étroite et comprise entre +3 et +5° C.

3.3.4 Augmentation de la concentration en enzyme coagulante

Pour la plupart des enzymes coagulantes, il existe une relation pseudolinéaire entre le temps de coagulation et l'inverse de la concentration en enzyme; un doublement de la dose d'enzyme réduit de moitié le temps de floculation (Ramet, 1985).

En pratique, l'application de cette règle doit rester très limitée car elle bouleverse l'équilibre précis qui existe dans une fabrication donnée entre caractère acide et caractère enzymatique. De plus, un surdosage d'enzyme coagulante conduit fréquemment à une texture granuleuse de la pâte, à un affinage plus rapide avec apparition d'amertume due à l'accumulation de peptides amers.

En raison de l'aptitude réduite à la coagulation du lait de dromadaire qui nécessite de majorer la dose de coagulant pour obtenir des délais de fabrication comparables à ceux observés pour le lait de vache, il n'apparaît pas judicieux de surdoser une nouvelle fois le milieu en enzyme coagulante.

3.4 Conduite de l'égouttage

3.4.1 Modalités

La caractéristique essentielle de l'égouttage est qu'il reste, même si les méthodes de correction précitées pour améliorer la coagulation sont appliquées, conditionné par la fragilité relative des gels. De ce fait, les différents traitements mécaniques intervenant en début d'égouttage doivent être appliqués avec grande précaution de manière à éviter tout bris incontrôlé du gel. Pour cela, le tranchage doit être fait d'une manière très douce, sur un coagulum suffisamment raffermi pour éviter sa pulvérisation en fines particules.

Pour les fromages à pâte molle et à pâte pressée, il y a lieu, pour obtenir un grain plus ferme au moulage, qui ne se brisera pas au contact des supports d'égouttage (toiles, moules, palteaux), d'accroître le degré de tranchage par rapport aux normes existantes pour les fromages homologues au lait de vache (Ramet, 1985), puis de prolonger la durée de l'égouttage statique en cuve; il se produit alors un raffermissement important du gel consécutif à l'augmentation du taux de matière sèche lié à la séparation du lactosérum.

Pour les fromages présentant un caractère acide et une humidité élevée, supérieure à 65 pour cent, le moulage direct en moules est très délicat en raison des pertes très importantes de caillé pouvant se produire par les trous des moules; il est alors préférable de réaliser un pré-égouttage en sacs textiles qui assurent une rétention et une filtration efficace du caillé; la mise en moules du caillé partiellement égoutté peut alors être effectuée sans pertes excessives.

Cette adaptation des modalités de début d'égouttage s'avère surtout nécessaire lorsque le lait traité est pauvre en matière sèche et est en particulier collecté en saison chaude auprès d'animaux rarement abreuvés (Yagil et Etzion, 1980; Ramet, 1987; 1991).

La synérèse des coagulums de lait de dromadaire est rapide, comparativement à celle des gels du lait de vache; la forte teneur en eau du lait et la capacité d'hydratation limitée de la caséine sont vraisemblablement responsables de ce phénomène.

Différents procédés énoncés précédemment pour corriger l'aptitude à la coagulation (traitement thermique, enrichissement en protéines) ont pour effet d'accroître l'hydratation du gel et de ralentir son égouttage.

3.4.2 Rendements fromagers

Les rendements fromagers obtenus avec le lait de dromadaire se caractérisent par un taux de recouvrement très faible de l'ordre de 30 pour cent dans le fromage, de la matière sèche du lait mis en oeuvre. L'analyse comparée des résultats obtenus lors de fabrications homologues de fromages à pâtes pressées non cuites (tableau 13), montre qu'après thermisation préalable du lait, ajout de chlorure de calcium et adaptation des paramètres d'égouttage dans les conditions précitées, le taux de recouvrement de matière sèche était sensiblement amélioré; le gain observé peut être estimé à environ 2 pour cent en traitant un lait très pauvre en matière sèche (9,4 pour cent) et à près de 10 pour cent avec un lait plus riche en extrait sec (10,2 pour cent). La perte en matière grasse dans le lactosérum est très sensiblement réduite de 1,3 à 0,63 pour cent. (Ramet, 1987; Ramet et Kamoun, 1988).

3.5 Conduite de l'affinage

3.5.1 Modalités

Les données relatives à la caractérisation de l'affinage des fromages au lait de dromadaire sont très rares; il n'existe en particulier aucune information sur l'évolution dans le temps des principaux facteurs liés au substrat (pH, activité de l'eau) qui régulent les équilibres microbiens et l'activité du potentiel enzymatique responsables de la protéolyse et de la lipolyse (Ramet, 1985).

Seules quelques observations d'ordre général faites lors de fabrications expérimentales sont disponibles (Ramet, 1987; Ramet et Kamoun, 1988; Mohamed et al., 1990; Ramet, 1990).

L'évolution apparente des fromages a été jugée satisfaisante pour les différentes catégories de fromages; pour les fromages à pâte molle de type Camembert et comportant une moisissure superficielle de Penicillium camembertii, la croissance du mycelium s'est faite dans les délais habituels et de manière homogène. Pour les fromages plus humides correspondant au type “chèvre”, aucune différence visible n'a été également relevée; il en est de même pour les fromages de type pâte persillée caractérisés par le développement interne de la moisissure bleue Penicillium roquefortii.

Pour les fromages à pâte pressée non cuite de type Baby Gouda et de type Gibneh, l'évolution a été, elle aussi, relevée conforme au comportement habituel de ces produits en phase d'affinage.

Pour l'ensemble des fromages, une perte de poids assez accentuée a été notée; celle-ci résulte d'une évaporation de l'eau plus intense que celle observée pour les fromages au lait de vache; il est difficile de préciser si cette perte est consécutive à des fluctuations d'hygrométrie dans les enceintes d'affinage ou à un moindre degré de liaison de l'eau contenue dans la pâte du fromage due au caractère moins hydrophile de la caséine du lait de dromadaire.

3.5.2 Caractéristiques organoleptiques

Au plan organoleptique, les analyses sensorielles pratiquées à différents moments de l'affinage ont révélé une qualité globalement satisfaisante des produits fabriqués:

Pour les fromages à humidité plus faible de type chèvre, de type pâte pressée non cuite et de type pâte persillée, quelques dégustateurs ont noté une texture légèrement rugueuse qui peut s'expliquer par la faible teneur en matière grasse de la pâte et par le dessèchement plus accentué.

D'une mainère très ponctuelle, certains lots de fromage à pâte pressée non cuite présentent en bouche lors de la mastication une texture collante et graisseuse voisine de celle mentionnée précédemment (cf. par. 2.4.2) pour le beurre de lait de dromadaire. L'origine du défaut n'a pas été déterminée (Ramet et Kamoun, 1988; Ramet, 1990).

Une amertume momentanée en début d'affinage et d'intensité faible à modérée a été trouvée pour des fromages à pâte pressée non cuite; elle a été attribuée à l'utilisation de doses élevées de chlorure de calcium destiné à faciliter la coagulation (Ramet, 1987), ainsi qu'à une acidification excessive en cours d'égouttage déterminant un pH bas favorable à l'accumulation de peptides amers (Ramet et Kamoun, 1988; Kamoun et Bergaoui, 1989).

La saveur amère et légérement salée présentée par certains lots de lait provenant d'animaux élevés en évlage extensif traditionnel n'est plus détectable dans les fromages correspondants (Ramet, 1987); il n'est pas déterminé si les substances responsables sont hydrosolubles et éliminées avec le lactosérum ou si leur goût est masqué par les autres composants du fromage.

En Somalie, le lait est recueilli dans des récipients désinfectés à l'aide de charbon de bois (Ramet, 1989); cette pratique communique au lait une saveur fumée et une couleur très légèrement grise; ces caractéristiques donnent au fromage de type GRANA, une saveur typique et une couleur sombre originale (Mohamed et al., 1990).


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