Table des matières Page suivante


1. INTRODUCTION

1.1 Généralités sur les “petits plans d'eau”

Le poisson constitue en Afrique la principale source de protéines d'origine animale, notamment dans certaines régions où les grandes endémies limitent le développement de l'élevage. Alors que les pêches maritimes fournissent environ 3, 12 t, les pêches continentales africaines ont produit en 1989 (statistiques FAO) 1,87 t de poisson. Ces chiffres proviennent des données officielles et des évaluations de captures réalisées dans les grands lacs, les réservoirs hydroélectriques et les fleuves principaux alimentant les marchés importants de l'intérieur du continent.

Il existe par ailleurs un grand nombre de plans d'eau et de rivières de moindre importance, dans lesquels les populations voisines pratiquent la pêche et dont les captures alimentent les riverains, le plus souvent sans passer par un circuit commercial. Peu ou pas de statistiques existent à ce sujet; pourtant, il y aurait en Afrique plus de 20 000 de ces petits plans d'eau (PPE) de moins de 10 km2 (Anderson, 1987) et près de 13 millions de km de ruisseaux et rivières non répertoriés dans les statistiques de pêche continentale (Welcomme, 1989). De plus, leur production pourrait se situer entre 1 et 3 t (Bernacsek, 1984). Ces données expliquent l'intérêt porté depuis quelques années à des ressources importantes et le plus souvent sous-exploitées au moyen de méthodes traditionnelles, tandis que la plupart des grandes pêcheries présentent des signes de surexploitation par suite de la généralisation de l'usage de méthodes et d'équipement performants souvent associés au non-respect des règlements visant à protéger les stocks halieutiques. De plus, on assiste fréquemment à la désorganisation de ces grandes pêcheries sur un plan socio-économique par suite des sécheresses successives survenues dans la région (migrations de pêcheurs professionnels, reconversion d'agriculteurs/éleveurs vers la pêche de subsistance).

Le but de ce travail est de passer en revue des différents types de PPE rencontrés en Afrique francophone et d'expliquer les diverses méthodes de gestion que l'on y trouve; ensuite, à la lumière de quelques exemples concrets tirés de la bibliographie, de communications informelles d'experts de terrain et de l'expérience personnelle de l'auteur, nous tenterons de dégager les éléments de gestion qui permettent d'obtenir de bons résultats dans leur exploitation. Enfin, nous décrirons les éléments qui pourraient être transférés dans d'autres régions et y apporter des améliorations au bénéfice des populations locales. L'auteur tient ici à remercier pour les diverses informations transmises, M. Vincke, le Professeur J.C. Micha et son équipe, J.P. Platteau, J. Lazard, C. Breuil, M. Maes, ainsi que les documentalistes de la bibliothèque de la Division des pêches de la FAO à Rome.

Les pays plus particulièrement concernés par cette étude sont: le Bénin, le Burkina Faso, le Burundi, le Cameroun, la République centreafricaine, le Congo, la Côte d'Ivoire, le Gabon, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Guinée équatoriale, Madagascar, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Ruanda, le Sénégal, le Togo, et le Zaïre.

Ces pays présentent de grandes disparités dans leurs climat, relief et population; cependant, ils possèdent tous des ensembles aquatiques dont la gestion pourrait être améliorée.

1.2. Définition des “Petits Plans d'Eau” (PPE)

Dans cette étude, nous nous intéresserons principalement au niveau de gestion des PPE. Cependant, la dénomination “Petit Plan d'Eau” (“Small Water Body” en anglais: SWB) est suffisamment générale pour qu'il soit nécessaire de la définir avec plus de précision. Nous éliminerons dès à présent de notre sujet, les lagunes côtières qui sont habituellement traitées avec les pêches maritimes.

Pour Anderson (1987), et d'après les discussions du CPCA (Lusaka, 1985), les PPE sont de petits réservoirs et lacs de moins de 10 km2 (soit 1 000 hectares), ou encore de petits étangs, canaux, canaux d'irrigation, ainsi que de petites plaines d'inondation ou des marécages temporaires. Les PPE, d'après ces auteurs, comprennent également les petites rivières et ruisseaux de moins de 100 km de longueur.

D'après Zhiwen Song (1980), les “Petits réservoirs” (“Small-scale reservoirs”) sont des plans d'eau de moins de 10 ha (soit 1 km2) et les “étangs” (“ponds”) ont une capacité inférieure à 100 000 m3; ces données ont été établies d'après des aménagements réalisés en République populaire de Chine, ce qui fait dire à Roger Palm (1987) que dans un contexte africain, un “petit plan d'eau communautaire” (“community SWB”) a une superficie inférieure à 10 hectares.

La diversité de ces définitions montre que la dimension est un critère insuffisant de distinction. Nous introduirons donc, outre la superficie qui est “petite” sans plus de précision, le mode d'exploitation. C'est ainsi que les grandes zones de pêche telles que le delta intérieur du fleuve Niger (Mali), le barrage/réservoir de Kossou (Côte d'Ivoire) ne sont pas considérés comme des PPE, même si certains marécages ou plaines d'inondation isolés, dépendant de ces ensembles, peuvent répondre à la définition de PPE par leur taille. Ces grandes pêcheries et leurs dépendances font généralement l'objet d'une gestion organisée avec relevés statistiques de la production, réseau de commercialisation des captures bien établi, services d'approvisionnement des pêcheurs en équipement.

A l'opposé, nous éliminons des PPE, les étangs de pisciculture intensive car il s'agit d'aménagements agricoles exploités par des paysans et non pas gérés par des pêcheurs. Le cas des barrages construits exclusivement pour la pratique de la pisciculture extensive est plus difficile à déterminer. Nous n'en parlerons pas dans le cadre de cette étude car les problèmes de gestion des PPE communautaires destinés à la pisciculture a déjà été traité par Roger Palm (1987).

La distinction entre pisciculture extensive et pêche peut parfois être délicate à établir; c'est ainsi que les plans d'eau dans lesquels on aménage des acadjas, technique de pisciculture extensive, sont exploités par des pêcheurs. Le vocabulaire peut d'ailleurs prêter à confusion; ainsi, les termes de “pisciculture extensive” peuvent s'appliquer à des méthodes de “gestion intensive”.

Les grands réservoirs hydroélectriques dans lesquels des alevins ont été déversés sont classés dans certains pays parmi les exploitations de pisciculture extensive alors qu'il s'agit d'introduction d'espèces nouvelles destinées à occuper des niches écologiques vides d'un nouveau plan d'eau et qui se fixent définitivement dans leur nouveau milieu; là encore, une fois les nouvelles populations halieutiques établies, leur exploitation relève uniquement de la pêche.

Par contre, certains grands barrages récents présentent un type d'exploitation n'ayant pas encore atteint un seuil d'équilibre et s'apparentent par la gestion, à des PPE.

Nous définirons donc les “petits plans d'eau” comme étant des milieux aquatiques de dimensions modérées, dont les ressources sont gérées suivant des méthodes intermédiaires entre celles qui prévalent dans les grands lacs et fleuves et celles utilisées dans les exploitations de pisciculture. De plus, les captures sont surtout consommées par les populations riveraines.

1.3. Différents types de Petits Plans d'Eau

Une distinction fondamentale doit être faite parmi les PPE, suivant qu'ils sont naturels ou artificiels. Cela a en effet des implications écologiques et humaines qui influent de façon fondamentale sur la gestion de leurs ressources.

1.3.1. PPE naturels:

Ces milieux aquatiques, permanents ou temporaires, se trouvent sous des climats très variés, depuis les climats équatoriaux jusqu'aux climats sahéliens. Il peut s'agir de ruisseaux plus ou moins ramifiés courant sous la forêt humide et s'étalant sur une plaine d'inondation plus ou moins vaste au cours de la saison des pluies. En zone de savane, ces PPE sont des cours d'eaux en général temporaires, bordés d'une forêt galerie plus ou moins dense et haute.

Dans cette catégorie, nous placerons aussi les petits lacs et les marécages dont la périphérie est encombrée de végétation dense, limitant l'accès à l'eau, surtout en saison des pluies. Les zones les moins profondes sont généralement couvertes par un herbier aquatique ayant tendance à s'étendre de plus en plus. Les variations de niveau de ces PPE sont souvent importantes, principalement sous climat sahélien; en effet, l'alimentation en eau s'effectue pendant la saison des pluies (juillet à septembre). Ensuite, la plupart des cours d'eau s'assèchent. L'évaporation atteint de 1 à 2 cm par jour, ce qui représente 1,5 à 3 m au cours de la saison sèche; la plupart des PPE qui ne sont pas alimentés par un cours d'eau permanent ou par un affleurement de nappe phréatique disparaissent donc complètement pendant une partie de l'année et sont remplacés par une végétation herbacée ou de buissons.

Les PPE naturels ont généralement à leur périphérie une population plus dense que dans le reste de la région concernée. En effet, ils constituent des pôles recherchés pour l'implantation de villages: leur eau va être utilisée par les habitants pour couvrir l'ensemble de leurs besoins, ainsi que ceux de leur bétail et éventuellement pour irriguer leurs cultures vivrières. En outre, ils vont fournir des poissons pour la consommation locale et des végétaux pour le bétail dans la zone de marnage.

1.3.2. Les PPE artificiels:

Il s'agit principalement de réservoirs créés pour stocker de l'eau dans les zones où la saison sèche est bien marquée, c'est-à-dire dans les régions de savane à climat soudano-sahélien. Les chutes de pluie, de l'ordre de 700 à 1 000 mm en 5 ou 6 mois, permettent la croissance d'une épaisse couverture herbacée; les points d'eau naturels, nombreux durant toute la saison des pluies et l'absence de mouches tsé-tsé vecteurs de la trypanosomiase, font que ces régions sont particulièrement favorables à l'élevage extensif. Cependant, la plupart des points d'eau tarissent pendant la saison sèche, ce qui limite notablement les parcours pastoraux et laissent inutilisées de grandes surfaces de pâturages sur lesquels l'herbe sèche se conserve jusqu'au retour des pluies qui provoque alors sa dégradation rapide et son remplacement par de nouvelles pousses.

Afin de permettre l'utilisation de ces pâturages au cours de la saison sèche, de nombreuses retenues ont été aménagées dans la zone sahélienne d'Afrique de l'Ouest.

Une importante végétation peut s'établir autour de ces réservoirs et recouvrir progressivement la plus grande partie de la zone découverte par la diminution du niveau de l'eau. Cependant le passage plus ou moins fréquent de troupeaux fait qu'en général, le sol est mis à nu sur le pourtour de la retenue par suite du piétinement des animaux; dans certains cas où l'entretien du barrage n'est pas assuré, le bétail peut circuler sur la digue elle-même, détruire la végétation de protection et provoquer l'érosion du barrage lors des prochaines pluies.

Ces retenues agro-pastorales sont aménagées le long des parcours de bétail, très souvent dans des zones où la densité de population est très faible. De plus, les habitants éventuels sont des éleveurs ou parfois des paysans, mais n'ont de toutes façons aucune tradition de gestion d'un plan d'eau. Parmi les PPE artificiels, nous retiendrons ceux qui persistent après la réalisation d'un grand chantier; ainsi, la construction des routes provoque la création imprévue de réservoirs, soit qu'un remblai ferme une vallée, soit qu'une carrière désaffectée laisse en pleine nature un trou plus ou moins profond et étendu. Dans les deux cas, souvent à la suite d'initiatives privées ou des villages voisins, la construction d'équipements simples tels que vanne ou canal d'alimentation, permet d'obtenir à bon compte des plans d'eau dont l'aménagement et l'utilisation n'avaient pas été prévus à l'avance mais qui peuvent devenir par la suite un pôle de peuplement et de développement.

1.4. Institutions responsables des PPE.

1.4.1. Juridiction traditionnelle et moderne.

Dans la plupart des pays d'Afrique, les administrations coloniales, puis les gouvernements établis après les indépendances, ont mis en place le principe de la domanialité publique de la plupart des ressources naturelles. Les ressources en eau font partie du domaine publique de l'Etat, le corollaire étant que le droit de pêche appartient aussi à l'Etat. Le principe qui a justifié l'intervention de l'Etat est que toute ressource soumise à un régime d'exploitation de libre accès, conduit inévitablement à la dilapidation de cette ressource. Toutefois, ces mesures n'ont pas empêché la survivance de droits d'usage traditionnels régis par des pratiques coutumières. Au niveau des villages, le chef traditionnel est souvent le seul à exercer une autorité sur la population; les fonctionnaires des diverses administrations et de la police passent par lui, tout au moins protocolairement, lorsqu'ils ont à traiter des affaires du village.

Soulignons que pour les religions animistes, les lacs et les cours d'eau ont une grande importance, de même que certaines forêts. Ce n'est pas le cas avec les religions introduites, christianisme et islam. Cela explique en partie l'emprise des chefs traditionnels sur la gestion des PPE.

Dans le cas le plus général, les PPE sont sous la juridiction des chefs traditionnels de la région où ils se trouvent. Ce système fonctionne de façon satisfaisante lorsque la communauté riveraine est homogène, par exemple en majorité paysanne: c'est souvent les cas pour les PPE naturels. Le PPE sert à la fourniture de l'eau domestique que les femmes vont puiser à un point aménagé à cet usage et transportent elles-mêmes. Si le campement ou le village est d'une certaine importance ou situé à quelque distance, un service de transport de l'eau peut être organisé. Un ou plusieurs autres points d'accès à l'eau sont aménagés pour le lavage du linge et pour le bain. Il existe aussi un point réservé pour abreuver le bétail élevé au village. Tout autour du PPE, des cultures vivrières sont établies sur des parcelles attribuées par le chef des terres. Ces cultures peuvent être arrosées au moyen de seaux remplis au marigot et transportés par les cultivateurs, le plus souvent des femmes.

Si le PPE renferme du poisson, il peut être exploité par quelques villageois pratiquant la pêche comme activité secondaire, lorsque le travail agricole leur en laisse le temps. Le nombre de pêcheurs est fixé par les chefs du village qui parfois reçoivent des pêcheurs une gratification en nature. Les engins de capture utilisés sont en général simples: éperviers, nasses, hameçons, parfois filets maillants posés à partir d'une pirogue. Souvent, les enfants pratiquent la pêche récréative avec des lignes et des hameçons, ce qui leur permet de procurer du poisson pour la famille ou même de le vendre. Il arrive que des pêches collectives soient organisées par les femmes du village; cela se produit généralement au cours de la saison sèche lorsque le niveau de l'eau devient suffisamment bas pour que des flaques résiduelles maintiennent des poissons captifs. Après avoir abaissé le plus possible le niveau de l'eau par vidange au moyen de récipients, la capture s'effectue au moyen de paniers ou d'épuisettes sans manche. Dans d'autres cas, les femmes aménagent des diguettes dans les mares ou les ruisseaux pour orienter la circulation des poissons vers des nasses.

Ce schéma se complique si par exemple des éleveurs, généralement d'une ethnie différente de celle des villageois, veulent un accès à l'eau pour leurs troupeaux. Les chefs du village doivent déterminer un lieu de passage du bétail, acceptable par les cultivateurs. Le problème devient plus délicat encore si le PPE renferme suffisamment de poisson pour permettre la présence de pêcheurs professionnels. Ceux-ci sont généralement des “étrangers”; les chefs du village doivent déterminer le nombre de pêcheurs acceptable pour gérer le PPE, leur concéder un lieu de campement, et négocier le montant de la “taxe d'utilisation” du PPE.

De plus en plus, les administrations chargées de la pêche veulent participer à la gestion des PPE. Il s'agit en fait pour elles, de recenser les pêcheurs afin de faire payer des permis de pêche et des taxes sur les captures. Il est fréquent, dans ce cas, de voir les responsables locaux organiser des réunions où ils présentent aux fonctionnaires des pêches, les pêcheurs officiellement reconnus comme tels et devant donc payer un permis et la taxe sur le poisson.

La réalité sur le terrain peut être tout à fait différente, le nombre de pêcheurs autorisés par les chefs locaux étant souvent bien supérieur au chiffre officiellement transmis aux autorités légales. Tout le monde y trouve son compte à court terme, sauf le stock halieutique qui se trouve rapidement surexploité.

Dans le cas des PPE artificiels, les problèmes de gestion sont totalement différents, car il n'existe aucune tradition de gestion de l'eau. Les barrages agro-pastoraux étant généralement aménagés sur des parcours de bétail sur des territoires généralement réservés à l'élevage, la première difficulté peut provenir d'agriculteurs désireux de s'établir à proximité du réservoir afin de pratiquer des cultures irriguées. Ce genre de problème peut se régler entre les personnes concernées auprès des chefs traditionnels qui sont normalement d'une ethnie d'éleveurs; ou bien, la question est débattue entre les fonctionnaires des services de l'élevage et de l'agriculture. La solution à ces problèmes varie d'une région à l'autre, mais en général, l'administration responsable de l'aménagement du barrage impose ses vues. Souvent, les PPE artificiels sont alimentés par les eaux de ruissellement au moment des pluies et ne renferment donc pas de poissons issus du milieu naturel. Les utilisateurs habituels des réservoirs, les éleveurs, ne sont pas des pêcheurs ni des consommateurs de poisson frais. Il appartient aux responsables de l'aménagement du barrage d'informer les utilisateurs des possibilités d'introduction de poisson dans la retenue. Par la suite, lorsqu'une retenue artificielle aura été alevinée et que les poissons atteignent une taille satisfaisante, il faudra faire appel à des pêcheurs professionnels: cela pourra être organisé par les services administratifs compétents ou par les utilisateurs du barrage, ou mieux, par les deux ensemble.

1.4.2. Compétence du personnel responsable de la gestion

La gestion des PPE peut poser des problèmes difficiles à résoudre; le chef traditionnel est parfaitement qualifié pour traiter des petits problèmes de la vie courante touchant à son ethnie. Par contre lorsqu'il s'agit de problèmes techniques liés à des aménagements nouveaux, il doit être fait appel aux fonctionnaires des administrations spécialisées.

Les Eaux et Forêts (et Chasses) sont généralement responsables des pêches continentales; ses fonctionnaires reçoivent en principe une formation pour la gestion des ressources halieutiques. Malheureusement, étant aussi chargés de la répression (braconnage, abattage illégal d'arbres), peu de villageois font appel à eux pour demander des conseils techniques. Cette situation négative, plus ou moins marquée d'un pays à l'autre, persistera tant que la vulgarisation et la répression ne seront pas confiées à des corps différents. La police et la gendarmerie devraient être responsables de la répression, laissant les actions techniques (techniques de pêche, protection du milieu, boisements) à la charge des agents des Eaux et Forêts. Les PPE constituent le principal point d'approvisionnement en eau des riverains. Plusieurs administrations, outre les Eaux et Forêts, peuvent prétendre agir à ce sujet: Développement rural en cas d'aménagement d'une station de pompage ou de pistes d'accès; le Ministère de la santé peut intervenir en cas de contamination de l'eau; ses fonctionnaires sont chargés d'informer la population sur les risques encourus ainsi que de coordonner les actions de lutte contre les maladies; il leur arrive parfois d'interdire l'accès à l'eau de la population.

Les services de l'agriculture et ceux de l'élevage, qui dépendent souvent de ministères différents, sont également concernés par l'utilisation de l'eau du PPE. L'existence de tous ces services techniques devrait permettre aux riverains de bénéficier d'informations utiles et complémentaires. Or, on constate que ce n'est pas le cas; le manque de moyens logistiques et matériels retarde souvent l'action des techniciens. Les riverains qui font appel à eux doivent souvent se cotiser pour financer le déplacement des fonctionnaires. De plus, les interventions préconisées par les divers services peuvent être incompatibles entre elles: par exemple, épandage de pesticides préconisés par les responsables de l'agriculture et de la santé dangereux pour le bétail et les poissons; ou encore, installation d'une pompe destinée à l'irrigation alors que la quantité d'eau disponible est tout juste suffisante pour couvrir les besoins domestiques de la population.

Le rôle du chef du village peut alors être déterminant pour coordonner les différentes actions proposées. Ce rôle peut être tenu par la coopérative lorsqu'elle existe. Le fait important qui ressort de ces exemples est que pour résoudre un problème de gestion intéressant une population, même restreinte, il faut tenir compte de tous les facteurs en présence et la décision finale doit venir de l'ensemble des intéressés ou tout au moins de leurs représentants. La prise de décision ainsi que son acceptation par tous est facilitée lorsqu'il existe un leader incontesté.

1.4.3. Financement du fonctionnement et du développement

Les PPE naturels, dans leur grande majorité, ne bénéficient que d'aménagements très sommaires permettant aux riverains et au bétail d'avoir accès à l'eau. Les utilisateurs eux-mêmes en sont les instigateurs et en assurent l'entretien, en particulier le défrichage lorsque le chemin est envahi par l'herbe et les ronces. Quand des charrettes et des véhicules doivent avoir accès à l'eau, les riverains se regroupent pour obtenir l'usage d'un engin de terrassement (“grader”). Ce genre de service s'obtient en général lorsqu'il y a un chantier à proximité.

Compte tenu de ses ressources limitées, ce sont pratiquement les seules actions à la portée de la population sans aide extérieure. Il faut également se rendre compte que l'aménagement d'un PPE en lui-même n'incite pas les développeurs des ministères techniques à agir, car les retombées potentielles sont limitées. Par contre, l'aménagement d'un PPE est parfois possible lorsqu'il fait partie d'un projet de développement intégré, comprenant cultures vivrières, petits élevages, pêche, santé publique, etc. De nombreuses “Organisations non gouvernementales” (ONG) exécutent de tels projets, ce qui permet aux riverains de bénéficier de financements extérieurs et d'assistance technique.

L'existence d'un projet présente en outre l'avantage de faciliter la coordination des interventions des diverses administrations concernées; le projet peut mettre en place une structure de gestion au niveau de la population concernée et former les membres les plus actifs de façon à favoriser l'émergence d'une autorité “technique”, complémentaire et non pas concurrente des chefs traditionnels (qui doivent, dans la mesure du possible, être associés à la prise de décisions importantes). Cette autorité peut jouer un rôle important de coordination et de suivi des actions entreprises par les diverses administrations.

Il devient alors possible de préparer un programme de gestion du PPE dans lequel on tient compte de toutes les actions possibles; ce programme sert d'orientation à toutes les actions entreprises. En ce qui concerne la pêche, l'existence d'un tel programme peut permettre de définir le nombre de pêcheurs autorisés à travailler, le type d'engins à utiliser, mais il est rare que les données disponibles permettent d'établir un plan de pêche véritable; la tradition a dans ce cas force de loi.

D'une manière générale, les PPE naturels ne sont pas considérés comme des ensembles productifs par eux-mêmes mais constituent l'un des éléments essentiels du cadre de vie de la population riveraine. Leur aménagement ne peut se concevoir que dans un ensemble intégré comprenant tous les aspects essentiels des activités des habitants; la gestion de la pêche ne fait pas exception. Les décisions concernant l'utilisation du PPE doivent être prises en accord avec tous les utilisateurs. Etant donné la faible production halieutique de la majorité des PPE, des aménagements visant à l'améliorer ne pourront se réaliser que dans le cadre de projets intégrés prenant en considération toutes les utilisations possibles.

Dans ces conditions, il est possible d'envisager l'obtention d'un financement extérieur. Cependant, l'échec de nombreux projets de développement basés sur l'introduction de coopératives, montre qu'il faut être très prudent lorsqu'on veut associer le système d'entraide traditionnelle à un système économique “moderne” (Bourdieu, 1980; Platteau, 1982).


Début de page Page suivante