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VISION GLOBALE DES RÉALISATIONS3

Espace social et économique

Les effets et l'impact du projet sont analysés au regard des deux objectifs de développement qui lui étaient assignés: l'amélioration des conditions de vie des femmes et de leur famille, notamment en termes de sécurité alimentaire, de santé, d'hydraulique et d'allégement des tâches, ainsi que l'acquisition de pouvoirs et de moyens par les femmes (ou empowerment), c'est-à-dire l'augmentation de leur pouvoir économique, de leur capacité organisationnelle et de leur participation aux processus de prise de décision.

La sécurité alimentaire

Afin de garantir la sécurité alimentaire (par le biais de produits destinés à l'autoconsommation et/ou à la commercialisation) et de générer des revenus pour les femmes, le projet a appuyé plusieurs activités dans des secteurs productifs différenciés, partant de la constatation que la sécurité alimentaire se base sur: l'accès à une alimentation suffisante et qualitative; une garantie de subsistance obtenue à travers la participation des femmes au pouvoir économique, organisationnel et social.

Pour ce qui est de l'alimentation, le maraîchage a sans doute contribué a changer la situation nutritionnelle en termes de quantité et de qualité. Cette activité n'était pas connue dans la zone du projet, à cause des limites structurelles qui affligent la région. Pourtant, les résultats des parcelles maraîchères collectives ont tellement motivé les femmes qu'on trouve aujourd'hui, dans tous les villages de la zone où les conditions le permettent, des parcelles cultivées en salades, carottes, tomates, choux, niébé, gombo, patates, calebasses, aubergines, etc. L'activité a connu une croissance constante et a fait tache d'huile dans les villages non encadrés; l'accroissement de la production maraîchère et les améliorations qu'elle a apportées est donc à compter parmi les effets durables du projet.

La productivité s'est accrue grâce à l'introduction d'espèces venant du Sénégal (oignon violet de Galmi, diakhato/aubergine indigène, piments) et de semences sélectionnées, à l'amélioration des techniques culturales, ainsi qu'à la protection des cultures par des clôtures en épineux et par des haies vives dans les jardins. Le passage graduel des parcelles communautaires (sauf quelques-unes maintenues pour les besoins des caisses des groupements) à des parcelles individuelles, dont les revenus sont personnels, a motivé davantage les femmes, qui peuvent ainsi répondre plus aisément aux besoins de la famille, en termes alimentaires et financiers.

Avancées dans le domaine de la sécurité alimentaire
  • accroissement de la production maraîchère (apport en vitamines et diversification du régime alimentaire);
  • hausse de la productivité (par la distribution de semences, l'amélioration des techniques, la protection des cultures);
  • démarrage de la production fruitière (par l'amélioration de la qualité des mangues et l'installation de pépinières);
  • mise en place de banques céréalières des groupements féminins (avec la production des champs collectifs de céréales);
 
  • développement des cultures de contre-saison et de la riziculture (grâce à la construction de retenues d'eau par le projet);
  • augmentation des ressources en poisson (grâce aux barrages construits);
  • accroissement de la production animale (grâce à l'assistance technique et au crédit, surtout pour l'embouche ovine);
  • ouverture de 15 marchés ruraux permettant d'écouler la production;
  • création de boutiques villageoises.

Le maraîchage est un acquis définitif qui a sensiblement amélioré la sécurité alimentaire et la situation économique des femmes, puisque la production dépasse largement le niveau d'autoconsommation et peut être commercialisée.

La production fruitière, dont les résultats ne seront visibles que dans quelques années, n'a pas eu la même envergure. Cependant, l'amélioration de la qualité des mangues sur le marché local se fait déjà sentir et l'introduction de plants greffés grâce à l'installation des pépinières du projet, est un facteur qui contribue nettement à l'amélioration de la qualité des productions et à la continuité de l'action dans le temps.

La zone de Kayes-Nord est très sèche et aride. Le projet a démontré que la situation n'était pas irréversible et que la production fruitière ne sert pas seulement à apporter des éléments nutritifs très rares dans la zone (vitamines) et à créer une source de revenus. En effet, l'arboriculture permet de s'attaquer simultanément au problème de la régénération des ressources environnementales, du reboisement et de l'intensification du droit de propriété du sol. Dès les premières récoltes de fruits, la demande s'est multipliée. Parallèlement, des neems ont été plantés sur les espaces de marché pour donner de l'ombre et l'action de diffusion de foyers améliorés a été poursuivie.

Parcelles maraîchères d'oignons et niébé. Le maraîchage est désormais intégré aux méthodes culturales et occupe une place importante dans les cultures de contre-saison. Au cours du projet, une superficie de 688 ha en maraîchage a été mise en valeur par les femmes des GF.

Les vergers de manguiers et d'autres espèces fruitières (agrumes, bananiers, papayers, etc.) encouragés par le projet dans les différents villages, groupements et concessions familiales et situés dans des endroits favorables (bas-fonds, retenues d'eau) témoignent de la bonne adaptation du manguier à la situation agro-climatologique et du développement possible des variétés greffées. Les vergers fleurissent dans la zone dont le paysage subit une mutation étonnante.

Le développement de l'arboriculture fruitière par les femmes est cependant entravée par des contraintes structurelles liées au droit foncier traditionnel, suivant lequel la terre cultivable est sous le pouvoir des chefs de famille et la plantation des arbres est l'apanage des hommes, les femmes étant seulement autorisées à planter des arbres dans la cour du carré familial. En soutenant cette activité avec les femmes, le projet a commencé à introduire des changements dans le droit coutumier, pour parvenir à une distribution équitable des terres et des moyens de production.

La durabilité de cette action sera possible grâce à la formation dispensée à un certain nombre d'animatrices et responsables des groupements ainsi qu'aux agents d'encadrement du projet. Les groupements féminins et leurs membres étant les bénéficiaires de l'action, le projet s'est assuré que l'achat des plants greffés était d'abord accessible aux femmes. Pour ce faire, un protocole signé par le pépiniériste, la présidente du groupement et le chef de village et d'arrondissement concernés, a formalisé les modalités d'accès des femmes aux plants produits au niveau des pépinières à l'issue du projet.

Toujours dans le cadre de la stratégie de sécurité alimentaire, le projet a soutenu la mise en place de champs collectifs de céréales au niveau de chaque groupement féminin. L'objectif premier était d'approvisionner les banques de céréales des groupements, pour faciliter le ravitaillement, surtout en période de soudure, et/ou la création de revenus collectifs pour la caisse. Les banques céréalières ont toujours existé en tant qu'activité des tons villageois: la nouveauté ici réside dans le fait que leur création a stimulé les groupements à créer leur propre banque de céréales pour être plus indépendants des hommes à cet égard.

D'une campagne à l'autre, la pluviométrie a affecté cette activité qui dépend strictement des productions obtenues: l'insuffisance chronique de production vivrière fait que la banque de céréales, quand elle existe, peut même être utilisée avant terme. Dans les villages où ces banques ont été créées, les bénéfices se sont révélés importants. Les femmes estiment qu'elles gagnent de l'argent et du temps vu qu'elles trouvent sur place ce qu'avant elles devaient chercher à Kayes. De plus, l'ensemble de ces infrastructures a favorisé la stabilisation des populations, ainsi que la création de nouvelles sources de revenus. Toutefois, les potentiels sont encore loin d'être pleinement exploités: s'agissant d'une activité commune et à grande échelle se situant au niveau des groupements féminins et non pas des groupes d'intérêt économique, les femmes ne voient pas toujours l'intérêt direct qu'elles peuvent tirer et doivent être davantage sensibilisées.

Les mauvaises récoltes ont souvent empêché la constitution de stocks de semences locales et la disponibilité de bonnes semences constitue à chaque campagne un problème crucial dans la zone. L'amélioration de la production vivrière est passée par une distribution gratuite de semences hâtives d'arachide, de sorgho, de maïs, de riz et de niébé, afin de vulgariser des variétés adaptées. Même si les quantités distribuées étaient minimes par rapport aux besoins, elles ont permis de reconstituer un stock de semences de meilleure qualité et de faire connaître de nouvelles variétés. Il existe en effet une demande accrue de ces semences, ce qui démontre l'importance d'un système d'approvisionnement basé sur l'accès aux semences de bonne qualité.

La mise en place de crédits pour l'achat de semences hâtives a montré que l'achat se limite aux semences d'arachide et de sorgho, cultures de rente directement commercialisables. En général, les femmes préfèrent acheter les semences à crédit pour leurs parcelles individuelles. En cas de réussite, elles conservent une partie de la production d'arachides comme semences et comme composant pour la production de savon.

Le nombre des parcelles de céréales collectives est en général assez faible, du fait que les productions et les revenus des parcelles collectives servent à alimenter les caisses des groupements, tandis que les revenus des parcelles individuelles assurent la sécurité alimentaire de la famille. A titre d'exemple: au cours de la campagne 1997-98, les parcelles collectives ont intéressé 33 hectares contre 2 712 ha de parcelles individuelles!

Les retenues d'eau construites par le projet ont favorisé le développement des cultures de contre-saison et de la riziculture par les femmes. Les problèmes de tenue des barrages ont freiné en partie cette tendance, mais cette spéculation reste largement favorisée par ces ouvrages.

Dans le sens de la sécurité alimentaire il faut rappeler que les villages qui ont pu bénéficier d'un barrage, disposent aussi d'une grande quantité de poissons, source de protéines précieuses.

La production animale et le petit élevage ont également reçu un appui du projet en termes d'assistance technique et de crédit. L'activité a concerné principalement l'embouche ovine, destinée à la commercialisation à l'occasion des fêtes (Ramadan, Tabaski). Il s'agit d'une activité qui, lorsqu'elle est bien conduite, peut générer des revenus importants; elle est normalement développée par les groupes d'intérêt économique mais, dans certains cas, le groupement féminin s'est associé collectivement à l'entreprise. Les résultats les plus satisfaisants ont été obtenus au niveau des GIE, puisque le nombre des personnes détermine fortement la bonne coordination de l'activité et son efficacité. Le développement de l'aviculture (pintades) n'a été introduit qu'en fin de projet et n'a pas donné de résultats significatifs.

Le développement des activités de production a posé le problème de l'écoulement des produits. C'est ainsi que, suite à une étude effectuée en 1990, 15 marchés ruraux ont été ouverts dans la zone, intéressant l'ensemble des villages du projet, et ont contribué à la dynamisation économique de la zone. Dans les lieux d'emplacement, les villageois ont planté des arbres, installé des latrines et construit des étals. Les vendeurs sont des femmes des villages qui écoulent leur production agricole, ainsi que des commerçants venus de Kayes ou de plus loin encore (Mauritanie) pour vendre des produits de première nécessité, des céréales, du poisson sec, de l'huile, des vêtements, des ustensiles et même du matériel agricole.

Avancées dans le domaine de la santé
  • formation d'accoucheuses traditionnelles et d'hygièno-secouristes;
  • amélioration de la santé des enfants;
  • ouverture de petites pharmacies villageoises;
 
  • formation à une alimentation plus équilibrée;
  • création de points d'eau potable;
  • sensibilisation sur des thèmes liés à la santé et à l'hygiène.

Utilisant les bénéfices des activités communautaires ou les crédits octroyés par le projet, les groupements féminins ont créé des boutiques villageoises. Ces dernières commercialisent les produits de première nécessité (riz, sucre, thé, savon, huile, pétrole, etc.), ce qui évite les déplacements vers Kayes pour s'approvisionner.

"Déjà, nous, les femmes, nous ne marchons plus le dos courbé... les yeux baissés... est venu le temps de marcher droites, de lever le regard..." (chant de la griotte de Lontou)

La santé

Le niveau sanitaire de la population, en particulier celui des enfants, était très bas dans la zone, les centres de santé étant rares et très éloignés des villages. Le projet a donc entrepris des actions d'appui tout en se conformant à la politique gouvernementale dans ce domaine. En collaboration avec les services régionaux de santé, le projet a appuyé la formation d'accoucheuses traditionnelles et d'hygièno-secouristes. Des petites pharmacies villageoises pouvant fournir des médicaments de prévention et de premier secours ont également été ouvertes. Cette action a fait tache d'huile et ses incidences peuvent même être appreciées: en dehors de la zone du projet.

L'introduction de nouvelles cultures a favorisé chez les femmes l'assimilation des principes de base d'une alimentation équilibrée. Auparavant, les repas étaient constitués de céréales, de poisson sec, de lait, de feuilles et de quelques fruits secs. Aujourd'hui, ce régime est complété par des légumes et des fruits frais, entrés définitivement dans la diète journalière et contribuant sensiblement à une amélioration générale de la santé de la population.

La création de points d'eau potable dans presque tous les villages a eu également un impact positif, ainsi que la tenue de «causeries» sur les thèmes de l'hygiène, de l'eau et des habitudes alimentaires.

Grâce à la formation et au recyclage des accoucheuses traditionnelles, on a assisté à une diminution sensible des complications et du taux de mortalité affectant les mères et les enfants durant et après l'accouchement. Ces accoucheuses jouent un rôle non négligeable au niveau du suivi des femmes enceintes et de la consultation prénatale. Elles jouissent d'une bonne réputation dans les villages et sont parmi les femmes les plus dynamiques.

L'amélioration des conditions de travail et l'allégement des tâches

L'introduction des nouvelles activités de production a permis une diversification des tâches des femmes et des filles, mais a en quelque sorte augmenté leur charge de travail. Cela étant, le projet a cherché à faciliter les tâches traditionnellement assumées par les femmes dans le ménage et dans l'agriculture, à diminuer la charge de travail et à libérer du temps pour d'autres engagements. Le problème a été abordé de façon transversale et sous plusieurs points de vue.

Lors des deux premières phases du projet, des crédits pour l'achat d'équipements ont été octroyés aux groupements féminins sous l'égide des autorités villageoises: des motopompes et des moulins à mil ont été ainsi introduits. Il s'est avéré que les motopompes étaient trop onéreuses par rapport à l'exiguïté des ressources. En raison d'une installation incomplète des moulins et d'une formation trop rapide des meuniers, des pannes se sont produites. En même temps, les prêts n'ayant pas été remboursés, le projet n'a plus soutenu cette action. Toutefois, l'introduction des moulins a eu des effets positifs: à ce jour, quasiment tous les villages ont au moins un moulin puisque des privés, y voyant leur intérêt, ont investi dans l'achat de moulins et assurent le service de meunerie. L'allégement des tâches des femmes a eu lieu de façon indirecte.

A la suite des précédentes expériences, l'équipe s'est montrée réticente à accepter de nouvelles demandes de crédits pour les équipements. En ce qui concerne la diffusion d'équipements facilitant le travail (charrettes, charrues, semoirs) et d'outillage agricole (pioches, pelles, brouettes, arrosoirs, etc.), dont non seulement les femmes, mais aussi les jeunes ont un besoin permanent, le projet n'a pas dégagé d'actions décidées, se limitant à recenser les besoins. Il reste beaucoup à faire sur cet aspect car si les surfaces maraîchères ont bel et bien augmenté, l'accès aux moyens de production n'a pas connu d'amélioration suffisante.

Avancées dans les conditions économiques et de travail des femmes
  • diversification des activités de production;
  • diversification des sources de revenu;
  • identification des besoins en moyens de production (équipement et outillage);
  • mise en valeur des terres;
  • mise en valeur des terres.introduction de foyers améliorés et formation à leur fabrication;
  • création de points d'eau (barrages, puits);
  • allégement des tâches.
 
Avancées dans le domaine de l'organisation des femmes
  • organisation de groupements feminins;
  • constitution d'un réseau d'animatrices rurales;
  • reconnaissance juridique des groupements;
  • création de l'Union des groupements féminins de Kayes-Nord pour la continuité du processus.

L'introduction des foyers améliorés, ainsi que la formation de jeunes à leur fabrication, a été assez rapide, les femmes ayant constaté les nombreux avantages de ce type de foyers: construction aisée, disponibilité des matériaux et coûts réduits, gain de temps et d'énergie, diminution des risques d'incendies et des maladies provoquées par la fumée.

La création des points d'eau (puits, forages, barrages) dans presque tous les villages et l'équipement en moyens d'exhaure de certains de ces points, ont aussi été essentiels pour alléger le travail des femmes et surtout des filles. L'importance de leur impact a motivé la population à investir davantage dans ce domaine.

Pouvoir économique

Afin de renforcer le pouvoir économique des femmes, le projet s'est concentré sur l'accès à la terre et aux moyens de production, l'accès au crédit et l'augmentation des revenus des femmes.

L'accès à la terre

Généralement, les terres cultivables sont prêtées aux femmes et aux groupements par les autorités villageoises et les maris. Selon les témoignages recueillis, les hommes ne font aucune difficulté à accorder aux femmes de la terre à cultiver individuellement ou collectivement; cependant les femmes ont du mal à les aménager car, souvent, les terres prêtées ne sont pas les meilleures et elles ne disposent que rarement des moyens pour le labourage. Ces aspects, conjugués à la pénurie d'outillage agricole de base, limitent la préparation de nouveaux champs collectifs et de parcelles maraîchères.

Il importait surtout, dans le cadre du Projet, d'assurer l'accès aux terres valorisées par les barrages. En effet, la construction des barrages a demandé des études préliminaires et la présence des retenues d'eau a impliqué des plans parcellaires des terres valorisées par les retenues, ainsi que la possibilité de cultiver des nouvelles terres ou des terres abandonnées. Suivant ces plans, les autorités villageoises ont été obligées d'attribuer aux groupements des parcelles collectives autour des retenues. Le projet a contribué à la formalisation des accords par le biais des protocoles qui attribuent aux groupements féminins une partie des terres avoisinant les points d'eau.

Ces protocoles d'accord sont particulièrement importants dans une société où les femmes ont accès à la terre mais aucun contrôle sur le domaine foncier. Seul le temps permettra de mesurer la valeur réelle des accords. Toutefois, on peut déjà dire que la discussion relative au contrôle des femmes sur la terre n'est plus un sujet tabou.

L'accès au crédit

Le fonds de roulement mis à la -disposition du projet a permis de mettre en place un système de crédit pour le financement des actions de production des groupements féminins. La disponibilité monétaire pour entreprendre des activités telles que le maraîchage, les banques de céréales, l'embouche, le petit commerce, les pharmacies villageoises, l'artisanat, a représenté un facteur d'émancipation et d'indépendance pour les femmes, ainsi que la possibilité d'apprendre certaines règles économiques.

Foyer amélioré en banco à Serenaty. Le foyer amélioré - en banco ou en métal-fait désormais partie de la trousse de la jeune mariée.

Le manque de données sur les bénéfices générés à partir de l'investissement résultant des crédits ne permet pas de mesurer globalement l'impact de cette action. Néanmoins, les groupes d'intérêt économique féminins qui ont su profiter de l'investissement ont démontré une capacité remarquable et une fiabilité certaine dans la gestion et le remboursement des crédits reçus, en tirant des bénéfices nets allant jusqu'à 30-40%.

En dépit du manque de compétences du projet en matière de crédit et des retards dans la mise en place effective du fonds de roulement, le système a donné de bons résultats, surtout dans la troisième phase. L'analphabétisme et la faiblesse de la formation en gestion ont certainement diminué l'efficacité du système. De plus, la gestion des remboursements a souffert de la série d'aléas politiques et climatiques qui se sont succédé dans le pays et dans la zone de Kayes-Nord dans les dernières années.

L'expérience démontre que les crédits sont un élément essentiel si l'on veut appuyer les femmes du point de vue économique. Dans ce sens, le projet a mis en évidence les difficultés que l'on rencontre dans leur application concrète en milieu rural.

Le volet «fonds de roulement-crédit» nécessiterait à lui seul un projet, à cause des compétences et du suivi continu qu'il demande si l'on veut réellement bâtir les capacités d'entreprise des femmes. Outre l'analphabétisme de la majorité des femmes (90%), nombre de facteurs s'y opposent structurellement: l'isolement par rapport au secteur économique formel, le manque d'habitudes à gérer des fonds propres, la faiblesse des ressources à disposition, les capacités techniques limitées, etc.

L'augmentation des revenus

Les nombreuses activités entreprises par les femmes ont eu des effets incontestables sur l'augmentation et la diversification de leurs revenus. L'amélioration des activités de production agricole et artisanale, la disponibilité de crédits pour financer des activités rentables ont généré des sources de revenus sur lesquelles les femmes comptent déjà pour programmer leurs dépenses et satisfaire à leurs besoins. Il résulte difficile de mesurer l'impact des activités rémunératrices, du fait essentiellement du manque de suivi au sein des GIE et des GF. L'analphabétisme et le manque de formation sont à l'origine de ce manque de suivi.

Certains groupes d'intérêt économique ont une idée très claire de ce qu'ils ont gagné; pour d'autres, il est d'autant plus difficile de l'établir que rien n'a été noté et que certaines activités ont été menées individuellement. Il est difficile d'évaluer l'augmentation du revenu des femmes sur la base de chaque activité; c'est en effet la somme des revenus qu'elles tirent des différentes activités qui leur permet de se créer un budget dont elles peuvent disposer librement.

QUELQUES EXEMPLES D'AUGMENTATION DES REVENUS:
  • La promotion du maraîchage a eu comme effet une augmentation généralisée des revenus. Tout le monde confirme qu'il s'agit d'une activité lucrative. Les caisses et les comptes en banque des groupes féminins et de quelques membres sont alimentés, en grande partie, par les revenus du maraîchage. Les hommes s'y intéressent de plus en plus, ce qui représente un bon indicateur de l'importance économique de l'activité. Les techniques de conservation de l'oignon ont permis une meilleure régulation des quantités et des qualités à vendre sur le marché, et donc une augmentation de revenus allant jusqu'à 300 pour cent pour les groupes les ayant adoptées.
  • D'autres activités rémunératrices ont été soutenues par l'octroi de crédits et cela a permis aux groupes d'intérêt économique (GIE) d'en tirer des bénéfices: le petit commerce «thé/sucre» a connu le plus grand succès car les femmes en tirent un bénéfice immédiat; l'embouche ovine, lorsqu'elle a été bien gérée, a généré des revenus importants. Les banques de céréales procurent également des revenus importants aux groupements féminins tout en comportant peu de risques. La fabrication et la commercialisation du savon traditionnel «cabakourouni» amélioré, ainsi que la teinture des tissus, ont également eu un impact considérable sur les revenus des femmes.
  • La promotion des marchés hebdomadaires a facilité la commercialisation des produits et donc la création de revenus. L'absence de marchés locaux était une contrainte à l'écoulement des productions qui souvent ne justifiaient pas les frais de transport jusqu'à Kayes.

Formation

Les formations ont occupé une place centrale dans le projet; elles se sont adressées aux bénéficiaires et au personnel d'encadrement, et ont été adaptées en fonction de l'évolution des actions et des besoins spécifiques. Les formations techniques ont été dispensées lors des visites de suivi régulières du personnel du projet ou lors de sessions spécifiques qui se tenaient dans des villages ou au siège du projet à Kayes. Le suivi régulier des groupements a permis une vulgarisation-formation sur place et la correction des mauvaises pratiques.

Dans le cadre du projet, les formations techniques concernant la teinture et la savonnerie, ainsi que le maraîchage et l'arboriculture fruitière ont eu essentiellement un impact économique, dans le sens où elles ont amélioré la qualité des produits et la productivité. Elles ont aussi favorisé les échanges entre les groupements et entre les individus et facilité l'organisation des actions. Des journées d'échanges, des voyages d'étude et des rencontres entre groupements ont été organisés périodiquement pour renforcer les expériences et développer les contacts.

L'obstacle de l'analphabétisme et de la variété des langues locales a été surmonté en ayant recours à un ensemble d'outils de communication tels que les diapositives, la vidéo, etc., ainsi que les émissions de radio dans les différentes langues locales. Ces outils ont permis de diffuser des idées et des méthodes nouvelles et ont rendu plus efficace le transfert des connaissances et des techniques.

Les formations en techniques d'animation, destinées aux responsables et aux membres des groupements féminins, représentent un facteur de garantie de la durabilité des actions. A cet égard, l'alphabétisation de toutes les femmes recouvrant une responsabilité dans les groupements féminins aurait été souhaitable, mais cela n'a été possible qu'en partie. Les femmes sont très motivées par la possibilité de s'investir davantage. L'importance de l'alphabétisation a été démontrée, surtout au niveau des GIE: là où les animatrices savent lire et écrire et ont reçu une certaine formation, la gestion de l'activité et le remboursement des prêts, par exemple, se sont faits plus facilement. Là où les femmes savent lire et écrire, des bulletins d'information agricole et des livres de culture générale commencent à circuler...

"Le savoir ne peut pas être retiré..." (une animatrice rurale) Séance d'alphabétisation en bambara à Djingoulou.

Organisation

Renforcement des groupements féminins

Le contexte malien est actuellement caractérisé par la décentralisation des structures administratives, ce qui implique l'émergence de nouveaux acteurs, ainsi que l'auto-organisation de la société civile. Les populations rurales de la zone de Kayes-Nord s'organisent, comme ailleurs dans le pays, au sein d'associations villageoises d'inspiration traditionnelle ou moderne, comme les tons des différentes classes d'âge, les conseils de village, les associations d'émigrés provenant de localités diverses, les associations intervillageoises, etc., autant de groupements qui occupent une place importante dans le tissu social.

Dans ce cadre, les femmes organisées en associations ou groupements féminins juridiquement reconnus occupent une place de choix dans les nouveaux réseaux sociaux installés dans la zone. Habituées à l'entraide qui est une règle fondamentale de la socialisation, elles sont l'expression des nouvelles solidarités et de l'auto-promotion économique, ainsi qu'un des vecteurs stratégiques pour la participation des populations.

En même temps, on assiste à Kayes à l'émergence d'ONG locales et d'associations multiformes qui se proposent d'appuyer la dynamisation des groupes de femmes et de jeunes, et qui travaillent aussi avec la population rurale. Les groupements féminins de Kayes-Nord représentent donc un interlocuteur valable, qu'il s'agisse de la formation ou des activités socio-économiques que ces structures veulent appuyer. Il en est de même pour les organisations paysannes où la présence des femmes a été très faible jusqu'ici et où les groupements féminins les plus actifs, par le biais des animatrices, commencent à être représentés. La voix des femmes rurales commence ainsi à se faire entendre dans les assises paysannes et à être prise en compte par les services techniques d'appui à l'agriculture.

Grâce aux groupements féminins, les relations des villages avec l'extérieur se sont intensifiées. Le fait d'avoir appris à travailler pour des objectifs communs, à discuter de leurs choix, à prendre des responsabilités, à élaborer des programmes à plus à long terme, sont autant d'éléments perçus par les femmes des groupements comme une force dans la société villageoise, où elles sont de plus en plus appelées à donner leur avis et des conseils.

L'indépendance économique relative que les activités de production assurent aux femmes leur permet une certaine liberté de mouvement et de choix qui se répercute en premier lieu sur l'éducation des jeunes filles, poussées à s'organiser à leur tour en groupes. D'autres groupements féminins se renforcent et le nombre des femmes membres augmente. L'appui au réseau des animatrices rurales reste un facteur primordial pour la pérennité de ce processus, tâche qui revient désormais au projet PRODESO et aux différents intervenants qui pourront utiliser ce réseau pour travailler avec les groupements féminins.

Capacités de gestion

Malgrè les progrès accomplis et la variété des activités économiques, il est souhaitable de renforcer les capacités de gestion des GF et des GIE. Les contraintes les plus évidentes sont l'analphabétisme, l'insuffisance de formations, d'outils et de maîtrise. A cela s'ajoute l'enclavement qui empêche le développement des relations, ainsi que le faible dynamisme économique de la zone. En effet, là où ces contraintes sont moins fortes, les GF et les GIE sont arrivés à une bonne gestion de leurs activités. Par ailleurs, les problèmes qui se sont présentés au niveau de la gestion des moulins et des crédits montrent que les technologies ou les crédits ne sont pas de simples outils, mais des éléments de base pour la création, la rentabilité et la durabilité des entreprises.

La constitution des groupements féminins en associations officielles leur a fourni l'occasion de mieux définir leurs objectifs et leurs domaines de travail. Ce processus, qui s'est poursuivi avec l'assistance de l'équipe du projet, a permis de susciter des débats sur l'avenir et l'après-projet. En effet, les femmes doivent désormais prendre en charge les activités et se procurer directement les appuis nécessaires ; elles doivent prouver qu'elles maîtrisent les différents enjeux. La reconnaissance officielle de leur groupement est une étape indispensable pour accéder aux appuis et elle revêt pour les femmes une importance énorme.

Durabilité des acquis

Le lien intrinsèque entre le projet GCP et le projet PRODESO est clairement établi aux yeux des populations. Cette reconnaissance du PRODESO en tant que structure institutionnelle de tutelle est un atout majeur pour la durabilité des acquis du projet puisqu'il restera opérationnel jusqu'à fin 1999 et fort probablement pour trois années supplémentaires. Ainsi les encadreurs - agents de vulgarisation de base demeurent actifs, au moins au niveau des villages-base du PRODESO pour suivre sur place les activités des groupements féminins et des groupes d'intérêt économique.

Il en est de même pour le réseau des animatrices au sein des groupements. Leur fonction entièrement bénévole et indépendante de l'existence d'un projet constitue aujourd'hui un élément de force au sein des villages et une expertise qui recèle un potentiel énorme.

Le choix de mobiliser un personnel d'encadrement quasi-entièrement national, soutenu par l'experte associée, des missions d'appui et des consultants nationaux et internationaux, s'est aussi révélé fécond pour la durabilité des acquis.

La situation qui se profile est potentiellement favorable à la consolidation des groupements féminins et de l'Union des groupements féminins de Kayes-Nord. En tant qu'organisme représentatif de tous les groupements, l'Union devra assurer, d'une part, le lien entre les GF et autres instances de développement et, d'autre part, la poursuite des activités (alphabétisation, formation, approvisionnement en intrants, gestion du fonds de roulement). Parallèlement, elle s'efforcera de parvenir à l'auto-suffisance économique en recherchant les appuis institutionnels, techniques et financiers nécessaires.

Ouverture sur l'extérieur

Renforcement d'un réseau social et du pouvoir de décision

Dans une société où c'est l'homme qui parle et où la femme reste dans l'ombre, un projet avec les femmes ne pouvait pas passer inaperçu. L'approche de l'encadrement visant à donner la parole aux femmes et à les stimuler à s'exprimer a laissé ses traces. Les femmes ont conquis une nouvelle visibilité et ont appris à dire ce qu'elles pensent.

Le prestige des femmes et la reconnaissance de celles-ci par les hommes et par les autorités ont été renforcés par le fait qu'à travers les femmes les villages ont pu bénéficier des avantages du projet. La confiance en soi des femmes s'est donc considérablement accrue: le fait d'être en groupe, d'entreprendre une activité économique et de disposer librement des bénéfices de leur travail, de suivre un cours d'alphabétisation ou de formation, d'entreprendre un voyage d'étude, etc., leur a permis de prendre conscience de leurs capacités. Sans vouloir surestimer l'impact du projet, on peut affirmer qu'il a offert des chances aux femmes d'élargir leur espace de liberté, de façon directe et indirecte.

Les femmes ont le contrôle sur les bénéfices tirés de leur travail. Les hommes le confirment et le soutiennent, considérant l'utilité qu'une femme relativement autonome économiquement peut avoir dans le mariage polygame.

Le rôle du projet a été celui de faciliter et d'aider les groupements féminins à parvenir à des accords et à prendre des décisions sans jamais imposer de choix.

Même si la participation directe aux conseils villageois n'est pas un acquis, toutes les femmes affirment que leur opinion est de plus en plus sollicitée et prise en compte par les hommes et que les représentantes des groupements féminins sont consultées sur les problèmes et les décisions relatives à la vie des villages. Le Conseil du village est encore perçu comme l'organisation des hommes, mais il doit cependant tenir compte des opinions de l'organisation des femmes, à savoir le groupement féminin. La présidente du groupement féminin de Mamacita, aborde avec lucidité la question de la présence éventuelle des femmes dans le Conseil de village avec Marema Toure lors de la mission d'évaluation en 1998:

Présidente groupement : «Nous n'avons jamais pensé qu'il était nécessaire pour les femmes d'être au Conseil du village. Si les hommes se réunissent, ils nous rendent compte et nous faisons pareil après nos réunions... Avec le projet nous avons surtout apprécié la force que nous constituions en ayant amélioré notre organisation... Nous allons maintenant demander à être représentées là où les hommes décident et nous avons bon espoir que cela sera accepté...

M.Toure: Et si on vous répondait que la coutume est contre cela... ou encore, que la religion ne le reconnaît pas?

Présidente groupement : Eh bien, on leur dira que le monde bouge, le village même a changé... Toutes les femmes ici savent que nous faisons beaucoup plus que les hommes pour que les familles marchent.. On répondra qu'il est temps qu'eux aussi changent... De toute façon les hommes sont raisonnables ici et je pense qu'il n'y aura pas de problème... Nous avons notre récépissé et cela prouve que le Commandant de cercle lui-même nous reconnaît, le Gouverneur de Kayes aussi nous reconnaît et il connaît désormais le nom de notre présidente qui est écrit sur le papier...

M.Toure: De ce point de vue, on peut dire que Alpha (le Président du Mali) même vous reconnaît, car votre récépissé sera publié dans le Journal officiel, mais je ne comprends pas ce que vous voulez dire en évoquant le papier et la reconnaissance du Commandant?

Présidente groupement : C'est simple, si Alpha et ses représentants sont capables de nous reconnaître, pourquoi nos hommes, ceux avec qui nous vivons et qui connaissent, mieux que tous, nos capacités, pourquoi refuseraient-ils notre présence au Conseil du village... De toute façon, il y a déjà notre parole, qui va jusqu'au Conseil et, de plus en plus, les hommes appellent les représentantes du GF pour parler de certains problèmes... Nous allons demander une place dans le Conseil et nous discuterons avec eux ... puis nous laisserons cela entre les mains de Dieu ... Si tu laisses ton adresse, on t'écrira pour te dire la suite.... Nous sommes confiantes, nos hommes ne sont pas mauvais...».

3 Cfr: Pour l'approfondissement des différentes activités développées par le projet, on renvoie aux rapports annuels de supervision et aux rapports d'évaluation produits tout au long du projet. (Voir liste documents de référence)

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