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DEUXIÈME PARTIE: COMMUNICATIONS PRÉSENTÉES PAR LES PARTICIPANTS


COMMUNICATION I: LA GESTION DE LA CAPACITÉ AU SÉNÉGAL: SITUATION ACTUELLE, CONTRAINTES ET PERSPECTIVES[1]

par Monsieur Modou Thiam

1. INTRODUCTION

Le présent document a pour objectif de présenter les aspects liés à la gestion des capacités de pêches dans les pêcheries sénégalaises à la lumière des normes et principes du Plan d’Action international pour la gestion des capacité de pêche (PAI Capacité). Le document décrit les différents mécanismes, instruments et mesures, jusqu’ici mis en œuvre au Sénégal, pour la mesure, le suivi et la gestion de la capacité de pêche.

Des perspectives à court terme sont dégagées, ainsi que des pistes de réflexion, pour la mise en œuvre d’un Plan national d’Action de gestion de la capacité de pêche. Elles prennent en considération les contraintes actuelles et les options stratégiques de la nouvelle politique de développement durable de la pêche.

Pour certaines pêcheries spécifiques, des actions à prendre dans le cadre d’une stratégie sous-régionale sont préconisées pour améliorer l’efficacité de la gestion de la capacité de pêche.

2. CONTEXTE

2.1 Contexte national

Le contexte national est marqué par une surexploitation des principales ressources halieutiques exploitées, qui se traduit par une stagnation, voire un fléchissement de la production globale, cela malgré la capacité de pêche artisanale et industrielle très élevée. Les principales conséquences de cette dégradation sont:

Parallèlement, les flottes artisanales et industrielles ainsi que les entreprises de pêche continuent de bénéficier de régimes d’incitations fiscales, économiques et/ou douanières qui favorisent le maintien voire l’accroissement de la capacité de pêche.

2.2 Contexte sous-régional

Les flottes sénégalaises, artisanales et industrielles, opèrent dans les zones économiques exclusives (ZEE) de la sous-région dans le cadre d’accords de pêche bilatéraux fondés sur des régimes de licences. Au Sénégal, l’exploitation porte également sur des stocks partagés.

Ces considérations montrent que la pêche sénégalaise est très intégrée à l’échelle sous-régionale.

Aujourd’hui, de réelles perspectives sont affichées par la Commission Sous-régionale des Pêches (CSRP) de tendre vers un aménagement concerté des ressources et des négociations d’accords d’accès des navires étrangers sur des bases harmonisées. De telles initiatives nécessitent une pleine maîtrise des capacités de pêche actuelles.

2.3 Contexte international

Cet Atelier se tient à un moment où une série d’initiatives a été prise par la Communauté internationale pour améliorer le cadre de la gestion durable des pêches. Le Code de conduite pour une pêche responsable de la FAO et les Plans d’action internationaux initiés sont les éléments les plus récents de ce dispositif.

Le Plan d’action international pour la gestion de la capacité de pêche, dont le présent Atelier doit lancer le processus d’application par les Etats, constitue une composante essentielle.

Le besoin d’un tel cadre découle de l’inadaptation et de l’insuffisance des méthodes de gestion des pêches dans beaucoup de pays mais aussi de la nécessité d’une volonté commune de réduire la capacité de pêche et l’effort de pêche afin de les ramener à des niveaux compatibles avec une utilisation durable des ressources halieutiques.

3. DESCRIPTION DES PÊCHERIES

Les principales pêcheries identifiées au Sénégal, en fonction des types de stocks ciblés, sont les suivantes:

3.1 Les pêcheries démersales côtières

Les ressources exploitées comprennent les espèces démersales et benthiques du plateau continental (crustacés, céphalopodes, poissons). Elles présentent globalement (modélisations plurispécifiques), depuis quelques années, des signes de surexploitation biologique avec des conséquences économiques évidentes sur l’ensemble des segments de la filière.

Compte tenu du caractère multi-spécifique et multi-engin des pêcheries démersales, ainsi que de la diversité des stratégies et tactiques d’exploitation des flottilles, les différentes espèces se trouvent à des niveaux différents d’exploitation, allant de la sous exploitation à la surexploitation.

L’accès à la ressource occasionne des conflits sociaux de plus en plus sévères entre exploitants, tant en pêche artisanale qu’entre la pêche industrielle et la pêche artisanale.

La production reste soutenue, selon des fluctuations interannuelles marquées, par de bonnes pêches de poulpe, de crevettes, de seiches et/ou de brotules.

L’exploitation des ressources démersales est le fait d’une importante flottille piroguière artisanale (l’essentiel des 11 à 12 000 unités) utilisant divers types d’engins de pêche et d’une flottille industrielle essentiellement chalutière tant nationale qu’étrangère.

La flotte industrielle est passée de 136 unités en 1991 à 174 en 2001. La flotte artisanale, bien que restée relativement stable pendant cette période, a enregistré de nombreuses innovations technologiques en ce qui concerne la diversification des engins de pêche ainsi que l’apparition de nouvelles pratiques de pêche comme la mixité des engins à bord des embarcations.

3.2 Les pêcheries démersales profondes

Les ressources démersales profondes (crevettes, merlus et autres espèces accessoires) sont exploitées sur le talus continental par des flottilles industrielles (43 unités en 2001), tant nationales qu’étrangères.

L’observation du principe de précaution suggère un maintien de l’effort de pêche à son niveau actuel dans l’attente d’une actualisation des évaluations des ces stocks.

3.3 Les pêcheries pélagiques côtières

Les ressources exploitées concernent principalement les sardinelles (environ 80 des captures), les chinchards et les maquereaux.

Elles connaissent d’importantes fluctuations saisonnières et interannuelles de biomasses, liées à la variabilité du recrutement, en relation avec les facteurs environnementaux (upwelling) saisonniers.

Leur caractéristique principale est leur migration à grande échelle, de la Mauritanie au nord de la Guinée-Bissau.

Ces ressources sont exploitées par les flottilles artisanales équipées de sennes tournantes ou de filets maillants encerclants. La flottille industrielle spécialisée comprend des senneurs et des chalutiers pélagiques ciblant, plus au large des côtes, la fraction adulte des stocks.

3.4 Les pêcheries pélagiques hauturières

Les ressources pélagiques hauturières comprennent les thons (albacore, listao, patudo) et les petits thonidés et espèces voisines (thonine, bonite, maquereau-bonite, voilier, marlin et espadon).

Sur le plateau continental, ces espèces sont exploitées par les flottilles artisanales et les embarcations de la pêche sportive. Plus au large, elles font l’objet de captures accessoires par les navires industriels à l’exception des palangriers spécialisés qui ciblent l’espadon.

La pêche des thons tropicaux (albacore, listao, patudo), espèces hautement migratoires, est le fait d’une flotte nationale et étrangère de canneurs basés à Dakar et d’une flotte étrangère composée de senneurs et de palangriers à grand rayon d’action.

Leur potentiel local est très variable puisque dépendant de l’état global d’exploitation dans la zone de distribution. Les facteurs environnementaux jouent également sur la fraction de biomasse présente saisonnièrement dans la ZEE sénégalaise ainsi que sur la durée de la saison de pêche.

A l’échelle de l’Atlantique, ces stocks sont pleinement exploités voire surexploités. Les stocks d’espadon et de voiliers apparaissent pleinement exploités.

4. MESURE, ÉVALUATION ET GESTION DE LA CAPACITÉ DE PÊCHE

4.1 Définition des concepts et implication en matière de mesure

Les consultations techniques sur la mesure de la capacité de pêche, organisées aux Etats Unis puis au Mexique en 1998 et en 1999 par la FAO, ont permis de s’entendre sur la définition des concepts. Les concepts sous mentionnés se réfèrent à la capacité de production.

La capacité de pêche est définie comme étant la quantité maximale de poisson, sur une période donnée (année, saison), qui peut être produite par une flottille si elle est pleinement utilisée, compte tenu de la biomasse et de la structure par âge du stock halieutique et de l’état actuel de la technologie.

La capacité de pêche désigne ainsi l’aptitude d’un navire ou d’une flottille à capturer le poisson.

Vu cette définition, il semble nécessaire de prendre en considération les paramètres suivants dans l’évaluation de la capacité de pêche:

La capacité de pêche cible est la quantité maximale de poissons, sur une période donnée (année, saison), qui peut être produite par une flottille pleinement utilisée, tout en respectant les objectifs de gestion halieutique destinés à assurer le caractère durable des pêcheries.

La capacité relative est la différence entre la capacité de pêche actuelle et la capacité de pêche cible. Cette différence traduit une sous-capacité ou une surcapacité.

Il convient d’ajouter que la capacité de pêche cible peut intégrer des données sociales et économiques (si elles sont disponibles) et conduire à une évaluation plus appropriée de la capacité et de la surcapacité économiques.

4.2 Mesures actuelles prises par le Sénégal

La capacité telle que définie dans ce texte correspond plutôt à l’effort de pêche des flottes artisanales et industrielles.

4.3 Mesure et évaluation de la capacité

Disponibilité des données: Le Sénégal dispose d’importantes bases de données pour la mesure de la capacité de pêche artisanale et industrielle (physique ou de production). Dispersées entre différentes structures (Direction de l’océanographie et des pêches maritimes -DOPM-, Direction de la protection et de la surveillance des pêches -DPSP-, Cellule d’études et de planification -CEP-, Centre de recherches océanographiques de Dakar - Thiaroye -CRODT), elles permettent de générer, selon les besoins de chaque structure, des indicateurs clés de mesure et de suivi de la capacité de pêche.

Pour la pêche industrielle, plusieurs indicateurs sont disponibles: tonnage de jauge brute, puissance motrice, dimensions, capacités de cales, nombre de navires, temps passé en mer, capacité de cales, capacité de congélation, etc.

Pour la pêche artisanale, des recensements saisonniers permettent d’apprécier la capacité de pêche sur le territoire national, avec comme principaux indicateurs: le nombre de pirogues par type d’engins, la puissance des moteurs, l’effectif des équipages par type de pêche, le nombre de pêcheurs, etc.

Toutefois, la variabilité des paramètres, aux niveaux spatial et temporel, montre la complexité de bien mesurer la capacité de pêche (par. 4.1.) dans des pêcheries fondées sur des ressources multispécifiques et multi-engins (pêcheries démersales), sur des ressources instables (pêcheries pélagiques) et sur des ressources hautement migratrices (pêcheries thonières).

4.4 Evaluation et suivi de la capacité de pêche

L’évaluation de l’effort de pêche déployé dans les pêcheries pour les principaux stocks exploités est réalisée grâce à des modèles, analytiques ou globaux, par la recherche (CRODT). Pour les pêcheries démersales, l’effort global standardisé correspondant à la prise maximale équilibrée (PME) est considéré implicitement comme étant un indicateur du seuil supérieur de la capacité de pêche (physique) limite. Les recommandations en matière de régulation de la capacité de pêche découlent de l’état d’exploitation ainsi déterminé et de l’appréciation des principaux indicateurs de la ressource (pêches commerciales et campagnes expérimentales).

Pour les thonidés, le diagnostic des stocks réalisé à l’échelle de l’Atlantique combine plusieurs approches permettant de mesurer la capacité de pêche par la mortalité par pêche en fonction de l’âge à la première capture.

Pour les petits pélagiques côtiers, l’évaluation de l’effort de pêche repose sur différentes approches (modèles globaux intégrant l’environnement marin) et porte sur une modélisation des stocks sur l’ensemble de leur aire de distribution.

La réactualisation des évaluations permet ainsi un suivi de la capacité de pêche sur la base d’un effort de pêche standardisé qui permet des comparaisons inter-annuelles dans chaque pêcherie.

4.5 Mesures de gestion de la capacité de pêche

L’importance de la pêche dans l’économie nationale a très tôt conduit le Sénégal à adopter des mesures de gestion visant l’exploitation durable de ses ressources halieutiques. Ces mesures, traduites dans les législations successives des pêches ou dans des conventions sous-régionales et internationales adoptées, ont pour principal objectif d’ajuster directement ou indirectement la capacité d’exploitation (effort de pêche) au potentiel des ressources halieutiques.

Epousant les options prises successivement en matière de développement des pêches, ces mesures ont revêtu un caractère évolutif en rapport avec la dynamique du système ‘pêche’, passant de simples outils de préservation à des concepts de plus en plus fondés sur la durabilité.

Considérée, dès l’indépendance du Sénégal, comme le moteur du développement de l’économie halieutique, la pêche industrielle a ainsi vite bénéficié d’un régime de limitation de la capacité de pêche après une longue période d’expansion incontrôlée marquée par une généreuse politique d’incitation. Parallèlement, la pêche artisanale, considérée jusqu’à une période récente comme une simple exploitation d’appoint, a enregistré un remarquable développement incontrôlé en assurant plus de 2/3 des captures réalisées dans la ZEE sénégalaise.

Aujourd’hui, différentes mesures techniques et économiques de contrôle contribuent à la gestion de la capacité de pêche (effort):

4.6 Contrôle de l’accès à la ressource

Pour la pêche industrielle, la régulation de l’effort de pêche repose sur un système de licences. La catégorisation des licences a beaucoup évolué avec l’accroissement des connaissances sur les ressources exploitées et sur les stratégies et tactiques de pêche des flottes industrielles, passant de trois options en 1976 à quatre catégories en 1998 réparties en quatorze options définies en fonction des types d’engins et des espèces cibles.

L’examen des demandes de licences de pêche industrielle est confié à une Commission consultative comprenant, outre les services administratifs concernés, l’organisation professionnelle des armateurs et industriels de la pêche. En l’absence de plans d’aménagement définis au préalable, la licence est accordée in fine par le Ministre de la pêche.

Les avis de gestion émanant de la recherche sous forme de recommandations permettent aux décideurs de disposer d’éléments de prise de décision sur les niveaux souhaitables de l’effort de pêche. Le gel de l’effort de pêche artisanal et industriel déployé sur les stocks démersaux côtiers, proposé depuis des années par les techniciens et les professionnels de la pêche, apparaît aujourd’hui comme une mesure nécessaire pour l’ajustement progressif de la capacité de pêche au niveau souhaité des stocks. Bien que non appliquée, la mesure a permis de freiner l’expansion de la flotte chalutière de pêche côtière.

En ce qui concerne la pêche artisanale, le principe du libre accès à la ressource est applicable à l’ensemble des unités de pêche. Toutefois, le Code de la pêche de 1998 introduit une innovation avec le principe de déclaration préalable nécessaire pour l’exercice de la pêche artisanale commerciale. La nouvelle stratégie de développement durable prévoit dans le système d’aménagement en gestation l’instauration d’un permis de pêche pour contrôler l’accès à la ressource.

4.7 Autres mesures de gestion

D’autres mesures techniques complètent les dispositions précédentes:

Des mesures législatives et réglementaires permettent de compléter ce dispositif:

En ce qui concerne les accords d’accès des navires étrangers, le Code stipule que ces instruments doivent être compatibles avec les orientations des plans d’aménagement des pêcheries en vigueur.

Les protocoles d’application des accords de pêche prévoient d’autres dispositions de contrôle indirect de la capacité de pêche:

Par ailleurs, une clause de révision des capacités de pêche octroyées, en fonction de l’état des stocks, est également prévue dans l’accord de base entre le Sénégal et la Communauté européenne (CE).

Les mesures additionnelles concernent l’embarquement des observateurs sénégalais à bord des navires.

5. CONTRAINTES ACTUELLES LIÉES À LA MESURE, À L’ÉVALUATION ET À LA GESTION DE LA CAPACITÉ DE PÊCHE

Les principales contraintes relevées dans le domaine de la mesure, l’évaluation et la gestion de la capacité de pêche sont les suivantes:

6. PERSPECTIVES

A court terme, il apparaît nécessaire, dans le cadre de la préparation d’un Plan national de gestion de la capacité de pêche:

La stratégie de développement et le Plan d’action à moyen terme (2001-2007) prévoient comme axe prioritaire de la stratégie de gestion durable la mise en place d’un système d’aménagement et de gestion de la capacité de pêche. Son objectif principal sera la mise en adéquation de la capacité de pêche, vraisemblablement excédentaire dans certaines pêcheries, et le potentiel des ressources. Un tel système pourrait nécessiter une amélioration de la définition de nouvelles unités de gestion de la pêche.

Le suivi, l’évaluation et la gestion de la capacité auront ainsi, à moyen terme, comme principaux piliers:

7. CONCLUSION

Le Sénégal dispose de l’essentiel des données et des structures compétentes pour préparer un Plan d’action de gestion de la capacité. Il apparaît nécessaire de développer la coopération sous-régionale pour un meilleur suivi de la capacité de pêche (stocks partagés, mobilité des flottes artisanales, des navires industriels nationaux et étrangers (accord CE).

Le renforcement des capacités en matière d’évaluation de la capacité de pêche (formation méthodologique, logistique appropriée) demeure cependant un besoin urgent pour accompagner le processus.


[1] Communication préparée par M. Modou Thiam, Biologiste des pêches, Ministère de la pêche, Dakar, Sénégal.
[2] Institut de technologie alimentaire.

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