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PREMIERE PARTIE - APERÇU GENERAL


I. CADRE INTERNATIONAL: PRINCIPAUX INSTRUMENTS

Dans bien des cas, les massifs montagneux s’étalent sur le territoire de plusieurs Etats ou constituent des frontières nationales. De ce fait, les problèmes afférant à leur gestion sont souvent, par nature, d'ordre transnational et leur solution passe, en conséquence, par une coopération à l’échelon mondial ou régional. Pourtant, exception faite de la convention alpine, cette situation n'a pas conduit à l'adoption de dispositifs juridiquement contraignants, mondiaux ou régionaux, propres à la montagne.

1.1. Droit conventionnel

1.1.1. Absence d’une convention mondiale spécifique à la montagne

Si aucun traité mondial traitant des écosystèmes montagneux n'a été conclu jusqu'ici, c'est en partie parce qu'il existe de nombreuses conventions qui, bien que ne portant pas directement sur la montagne comme telle, concernent les populations et les ressources des zones montagneuses. Par exemple, la convention sur la lutte contre la désertification reconnaît, dans son préambule, les effets de la désertification sur les régions arides d'Afrique, d'Asie centrale et de Transcaucasie renfermant des écosystèmes montagneux. La convention sur la diversité biologique, qui vise à promouvoir la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité et le partage équitable des avantages qui dérivent de l’utilisation de ses ressources génétiques, est aussi pertinente dans la mesure où les écosystèmes de montagne sont souvent le siège d’une importante biodiversité. On peut songer également à la convention-cadre sur les changements climatiques, dont le préambule souligne la vulnérabilité particulière des écosystèmes de montagne fragiles au changement climatique. D’autres conventions plus anciennes intéressent aussi les montagnes, telle la convention sur le patrimoine mondial de 1972 - en ce que de nombreux sites naturels figurant sur sa Liste du patrimoine mondial sont des zones de montagne - et la convention africaine de 1968 sur la conservation de la nature et des ressources naturelles - qui traite de thèmes propres à la montagne, comme l’érosion des sols liée au développement agricole et à l’aménagement du territoire. Toutefois, la contribution de ces conventions au développement durable des montagnes se limite aux aspects particuliers dont elles traitent.

Outre ces dispositions conventionnelles touchant à la montagne, quelques principes généraux du droit international de l’environnement sont également applicables aux écosystèmes montagneux. L’un d’entre eux est l’obligation qu’ont les Etats de gérer leurs ressources naturelles de façon à ne pas “porter atteinte à l’environnement d’autres Etats ou de zones situées au-delà des limites de leur juridiction nationale” (principe 2 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement). Un autre de ces principes est le devoir des Etats “de coopérer dans un esprit de partenariat mondial” (principe 7 de la Déclaration de Rio), qui peut s’appliquer à l’aménagement des chaînes de montagne partagées par deux ou plusieurs Etats. D’une manière plus générale, le principe de durabilité peut être fondamental pour la gestion des écosystèmes de montagne. Bien que non défini avec précision dans ce contexte, il implique l’utilisation rationnelle et équitable des ressources de la montagne sur les plans environnemental, économique, social et culturel, en tenant dûment compte des intérêts des générations présentes et futures (Fodella et Pineschi, 2000).

1.1.2. Un accord régional propre à la montagne: La convention alpine

Le seul instrument juridiquement contraignant portant spécifiquement sur une chaîne montagneuse a été adopté au niveau régional. Il s’agit de la convention sur la protection des Alpes, adoptée à Salzburg (Autriche) en 1991 et entrée en vigueur en 1995. A ses signataires initiaux - Autriche, France, Communauté européenne, Allemagne, Italie, Liechtenstein et Suisse - se sont joints ensuite la Slovénie (1993) et Monaco (1994). En 1999, les neuf parties avaient toutes ratifié la convention.

La convention prévoit la protection et l’aménagement durable des Alpes dans leur intégralité, en tant qu’écosystème régional uniforme. Les parties conviennent d’instituer une politique globale à cette fin et, dans le respect des principes de prévention, de précaution et du pollueur-payeur, de collaborer dans des domaines d’intérêt commun, dont l’agriculture, les forêts, l’aménagement du territoire, la protection des paysages, la culture et la population, les activités récréatives et la lutte contre la pollution atmosphérique

La convention est conçue comme un accord-cadre, ses dispositions de base étant énoncées en termes généraux et devant être précisées par des protocoles additionnels pour assurer leur mise en œuvre effective. Neuf protocoles ont ainsi été conclus jusqu’à présent: (i) en 1994, trois protocoles ont été signés à Chambéry (France) en matière d’agriculture de montagne, de protection de la nature et de conservation des paysages, d’aménagement du territoire et de développement durable; (ii) en 1996, deux protocoles ont été signés à Brdo (République tchèque) en matière de forêts de montagne et de tourisme; (iii) en 1998, deux protocoles ont été signés à Bled (Slovénie) en matière de conservation des sols et d’énergie; enfin (iv) en 2000, deux protocoles ont été signés à Lucerne (Suisse) en matière de transport et de règlement des différends.

Certains de ces protocoles, en particulier celui relatif aux transports, ont fait l’objet de négociations difficiles. En outre, quatre autres protocoles sont prévus par la convention mais n’ont pas encore été adoptés: ils devraient traiter de la population et la culture, de l’eau, de la qualité de l’air et de la gestion des déchets.

Bien que les protocoles existants aient été signés par la plupart des parties, lors de la rédaction de cette étude, seul le Liechtenstein les avait ratifiés. Toutefois, l’Autriche et l’Allemagne étaient sur le point de les ratifier et d’autres parties s’apprêtaient à le faire. Les protocoles pourraient donc entrer en vigueur avant la fin de 2002 puisque, d'après la convention, ils deviennent effectifs trois mois après leur ratification par trois parties.

1.1.3. Autres projets d’accords régionaux

La convention alpine est considérée comme un modèle à suivre pour l'élaboration d’accords relatifs aux montagnes dans d’autres régions du monde. Des conventions similaires concernant certaines chaînes de montagne sont à différents stades de préparation ou de conception, en ce qui concerne notamment:

Dans le cadre du Conseil de l’Europe (CE), un projet de convention européenne des régions de montagne, traitant de la plupart des questions d’aménagement et de protection des montagnes, a été mis au point en 2000, en s’inspirant d’un précédent projet de charte européenne des régions de montagne. La convention en gestation entend renforcer le développement socio-économique des zones de montagne en vue de satisfaire les besoins des populations locales, tout en assurant la protection de l’environnement, de façon harmonieuse. Le projet de convention a été récemment examiné par le Comité des ministres du CE, mais il n’a pas encore été adopté.

1.2. Instruments non contraignants

Les instruments non contraignants, tels les déclarations, résolutions, plans d’action et codes de conduite, généralement conçus et adoptés au sein de conférences et forums internationaux, ont été fréquemment utilisés au cours des dernières décennies pour promouvoir des processus normatifs qui ont finalement conduit à l'adoption d'accords juridiquement contraignants. Plusieurs d'entre eux portent sur les populations et les écosystèmes de montagne, comme le chapitre 13 d'Action 21 et divers autres documents post-Rio, dont certains sont brièvement décrits ci-après.

1.2.1. Une plateforme mondiale pour la montagne: Le chapitre 13 d’Action 21

“Gestion des écosystèmes fragiles: mise en valeur durable des montagnes”, tel est le titre du chapitre consacré aux montagnes dans le cadre d'Action 21 adopté en 1992 par la Conférence de Rio sur l’environnement et le développement. En l'adoptant au plus haut niveau politique à travers un vaste forum mondial qui a réuni pas moins de 180 pays membres de l'ONU, la communauté internationale a, pour la première fois, clairement et formellement, montré l'intérêt qu'elle porte aux montagnes du monde, réservoirs vitaux de ressources naturelles et humaines, qui doivent être sauvegardées, restaurées et valorisées.

Le chapitre 13 est un instrument politique orienté vers l'action aux niveaux national et international. Parmi les principaux domaines relatifs aux montagnes où des interventions sont requises, le chapitre énonce le développement rural, la sécurité alimentaire, l'eau potable, la diversité biologique, les forêts, les changements climatiques, la culture, les savoirs traditionnels et le tourisme. Tout programme visant à assurer le développement durable des montagnes devrait inclure: (i) la sensibilisation des populations de montagne et le soutien aux efforts visant à inverser la tendance à la dégradation de leur milieu; (ii) la création de communes montagnardes efficaces et la constitution de réseaux des institutions de montagne aux niveaux national, régional et mondial.

En évaluant les progrès accomplis depuis la CNUED dans la mise en oeuvre du chapitre 13, la Commission du développement durable a, en 2001, conclu que le niveau de développement économique dans la plupart des régions montagneuses du monde “demeure inacceptablement bas”. Toutefois, elle a également constaté que des résultats notables avaient été obtenus, en particulier en ce qui concerne la création de mécanismes novateurs de promotion de la coopération intersectorielle, ainsi que l’adoption d’approches permettant d’harmoniser les besoins de développement avec les exigences environnementales.

1.2.2. Le projet de charte mondiale pour les populations de montagne

Dans la déclaration finale du Forum mondial de la montagne, qui s’est tenu à Paris et à Chambéry (France) en juin 2000, plus de 800 participants venant de 70 pays montagneux ont approuvé un projet de charte mondiale destiné à exprimer les besoins et les aspirations des populations de montagne (World Mountain Forum, 2000a et 2000b). Selon le document, trois conditions sont essentielles pour satisfaire aux besoins des communautés montagnardes: (i) assurer à ces populations une place au sein de la société, sans pour autant leur faire perdre leur identité; (ii) leur donner la capacité de soutenir la concurrence économique, tout en modifiant à leur avantage les termes des échanges commerciaux; (iii) leur permettre de maîtriser leur environnement et le développement de leurs ressources naturelles, en les gérant suivant leurs besoins propres et ceux de la communauté nationale et mondiale.

Le projet de charte prévoit la création d’une organisation mondiale qui porterait le nom de “Montagnes de la terre”, qui jouerait le rôle de porte-parole des populations concernées et comprendrait parmi ses membres des communes, des associations et des groupes représentant les habitants des montagnes. Parallèlement à cette organisation, un mécanisme financier pourrait être institué, éventuellement sous forme de fondation, pour mobiliser les ressources nécessaires au renforcement de la coopération et des partenariats entre les régions et les pays montagneux.

Le projet de charte est actuellement en cours d’examen et de révision en vue de son adoption par la deuxième Réunion mondiale des populations de montagne, qui se tiendra à Quito (Equateur) en septembre 2002. Il a déjà fait l’objet d’un remaniement en mai 2002, grâce à la contribution d’une nouvelle organisation non gouvernementale, l’Association mondiale des populations de montagne. Il est prévu qu'il soit à nouveau examiné et amendé lors de six réunions régionales avant sa mise au point définitive lors de la réunion de Quito.

1.2.3. Autres instruments non contraignants: Quelques exemples

Sur la lancée de la Conférence de Rio, de multiples instruments non contraignants relatifs aux écosystèmes montagneux, s'inspirant souvent du chapitre 13 d’Action 21, ont été élaborés dans le cadre d'instances gouvernementales et non gouvernementales dans diverses régions du monde. En voici quelques-uns:

II. LEGISLATION NATIONALE: TRAITS SAILLANTS

Les instruments internationaux évoqués ci-dessus traduisent le souci commun des Etats de protéger et de mettre en valeur les écosystèmes montagneux importants aux niveaux régional et sous-régional. Dans la mesure où de nombreuses zones de montagne sont transfrontalières, il est souvent nécessaire, pour les pays concernés, d'élaborer des accords visant à articuler et formaliser leurs objectifs politiques communs. En pratique, toutefois, les actions concrètes de conservation et de valorisation des montagnes se réalisent essentiellement à l'échelon des pays et par le biais des lois nationales.

La législation ayant trait aux montagnes est encore à l'état embryonnaire. Jusqu’à présent, une douzaine de pays seulement ont doté leurs montagnes de lois spécifiques, exhaustives ou partielles, dont Cuba, la France, la Géorgie, la Grèce, l'Italie, la Suisse et l'Ukraine. D'autres Etats, comme la Fédération de Russie (y compris la Sibérie), le Kirghizistan, le Maroc et la Roumanie, s'apprêtent aussi à élaborer ou à édicter des lois similaires. En Bulgarie, un projet de loi relatif aux zones de montagne, rédigé en 1993, est en voie d'adoption.

En outre, dans certains pays, des lois relatives à la montagne ont été édictées au niveau sub-national. C'est ainsi le cas de la République d'Ossétie-Alanie du Nord (Fédération de Russie), avec sa loi du 30 décembre 1998 sur les territoires de montagne. En Italie, la majorité des régions montagneuses disposent de lois concernant la montagne, pour la plupart adoptées entre 1996 et 2000. Les principaux exemples de lois nationales et sub-nationales sont énumérés en Annexe.

L'analyse des dispositifs nationaux relatifs à la montagne fait ressortir un certain nombre de points de convergence, notamment au regard de leurs objectifs et leur portée, des cadres institutionnels qu'ils mettent en place, ainsi que des politiques économiques, sociales et environnementales qu'ils reflètent. Ces diverses questions sont examinées ci-dessous, par l'illustration les points saillants qui se dégagent des lois nationales propres à la montagne. Dans la deuxième partie de l'ouvrage, des études de cas passent en revue, de façon plus détaillée, quelques-unes de ces législations.

2.1. Objectifs et portée

2.1.1. Objectifs des lois

Les zones de montagne ont des caractéristiques communes, à la fois naturelles, économiques et sociales, en particulier l'isolement géographique, des conditions rigoureuses du point de vue climatique et environnemental, des écosystèmes fragiles, la marginalisation politique et, très souvent, la pauvreté. Le droit de la montagne s’efforce donc de remédier à ces problèmes.

Promouvoir la protection et le développement durable des zones de montagne est le but premier de la plupart des lois régissant la montagne. Cet objectif général est ensuite adapté aux contextes nationaux, en mettant l'accent sur telle question ou telle autre. Par exemple, la loi française 85-30 de 1985 définit une politique de développement, d'aménagement et de protection des régions montagneuses visant à “permettre aux populations locales et à leurs élus d’acquérir les moyens et la maîtrise de leur développement en vue d'établir, dans le respect de leur identité culturelle montagnarde, la parité des revenus et des conditions de vie entre la montagne et les autres régions” (art. 1).

Le respect de l’identité culturelle des communautés de montagne figure parmi les objectifs de plusieurs lois. Dans la mesure où les lois tiennent compte des contextes locaux et répondent aux besoins particuliers des habitants et des zones de montagne, elles sont mieux à même de remplir un rôle régulateur efficace. Par exemple, la loi géorgienne de 1999 se fixe pour objectif de satisfaire les besoins actuels et futurs des populations de montagne.

La loi de 1998 de la République russe d’Ossétie-Alanie du Nord tend à trouver un équilibre entre la nécessité d’asseoir les fondations sociales, économiques et juridiques du développement des zones montagneuses et le souci de sauvegarder et d’utiliser rationnellement leurs ressources naturelles. De même, loi ukrainienne de 1995 sur les établissements de montagne a pour finalité, à la fois, d’améliorer les conditions de vie des montagnards et de promouvoir le développement socio-économique de ces établissements. Enfin, l’un des buts de la loi suisse de 1997 sur l’aide aux investissements est d'encourager le développement durable des régions de montagne moyennant l’allocation de fonds pour la réalisation des infrastructures.

2.1.2. Portée des lois: Délimitation des montagnes

Afin de cerner leur champ d'application, les lois examinées donnent habituellement une définition des montagnes. Etant donné la grande diversité des zones montagneuses, il n’est ni possible ni souhaitable de concevoir une définition trop détaillée des montagnes, qui puisse être universellement acceptable et applicable. En pratique, les législateurs prennent en compte divers éléments pour définir les montagnes et déterminer leurs contours, notamment des caractéristiques naturelles (altitude, topographie, climat, végétation) et des facteurs humains (sécurité alimentaire, opportunités et obstacles relatifs à l’utilisation des terres, interactions entre montagnes et plaines).

De tous les critères de définition utilisés actuellement, l’altitude (critère hypsométrique) est le plus significatif, car à certaines altitudes les conditions de vie deviennent beaucoup plus difficiles et précaires que dans les plaines. Aussi est-ce souvent le facteur altitude qui rend nécessaire l’adoption de lois spécifiques. D’autres conditions particulières sont généralement ajoutées au critère hypsométrique pour mieux cerner les zones de montagne. Par exemple, la loi géorgienne définit les montagnes en fonction de l’altitude (au moins 1 500 mètres au-dessus du niveau de la mer), mais elle étend la notion de montagne aux régions qui, bien qu'ayant une altitude inférieure à 1 000 mètres (parfois même 800 mètres), réunissent des conditions particulières en termes de déclivité, localisation géographique, caractéristiques environnementales, économiques et ethniques, qualité du sol et des terres agricoles, paramètres démographiques et tendances migratoires. De même, la loi ukrainienne définit les établissements de montagne suivant le critère hypsométrique (400 mètres au-dessus du niveau de la mer), mais aussi compte tenu de la rareté des terres arables (moins de 0,15 ha de terres arables, ou 0,60 ha de terres agricoles, par habitant) et des conditions climatiques (hiver froid et long, été frais et court, fortes précipitations, inondations, etc.). Les textes bulgare et suisse utilisent également des critères similaires pour la délimitation des régions de montagne.

D’autres lois présentent certaines particularités. Par exemple, la loi française définit les zones de montagne par référence aux critères habituels (altitude, pente, handicaps), mais les paramètres d’altitude diffèrent suivant que lesdites zones se trouvent sur le continent ou sont situées outremer. De plus, la loi désigne nommément les massifs montagneux du pays. Quant à la loi russe d’Ossétie-Alanie du Nord, outre la définition des zones de montagne comme étant des espaces où les activités humaines quotidiennes sont influencées par des conditions environnementales, telles l’altitude, le relief et le climat, elle établit explicitement les limites des zones en question. En Pologne, selon le projet de loi sur le développement économique des zones de montagne, rédigé en 2001 mais non encore formellement adopté, trois régions sont constitutives de montagnes: celles de Karpaty, Sudety et Oewiêtokrzyskie. En outre, le ministre compétent peut assujettir à la loi les circonscriptions et les fermes dont la moitié de la superficie est située à 350 mètres au-dessus du niveau de la mer ou dont l’inclinaison dépasse neuf degrés, ainsi que celles situées à une altitude comprise entre 250 et 300 mètres et dont la déclivité oscille entre six et neuf degrés (Fatiga, 2002).

2.1.3. Complémentarité avec les lois connexes

Les lois portant spécifiquement sur les montagnes doivent être élaborées et appliquées en tenant compte de leurs interrelations, très étroites, avec les législations régissant les secteurs connexes. Ainsi, leur application doit être bien coordonnée avec celle des lois relatives notamment à l’agriculture, l’environnement, l’aménagement du territoire, l’eau, l’exploitation minière, les forêts et les aires protégées.

Certaines lois contiennent des dispositions explicites en la matière. Par exemple, la loi montagne d’Ossétie-Alanie du Nord précise dans divers articles qu’elle doit être appliquée en conformité avec d’autres lois apparentées, tant de la Fédération de Russie que de la République même. La loi suisse de 1997 dispose de son côté que les aides financières qu'elle octroie n’excluent pas la possibilité d'accorder d’autres types de prestations financières au titre d’autres lois.

2.2. Mécanismes institutionnels

Les cadres institutionnels conçus pour l’application des lois relatives à la montagne varient en fonction des spécificités de chaque pays, notamment en termes de systèmes administratifs, de moyens financiers et de conditions économiques, sociales et autres. En général, deux approches sont suivies: l’une consiste à mettre en place des organes ad hoc pour répondre aux besoins particuliers des régions de montagne; l’autre se limite à utiliser de façon optimale les institutions déjà existantes, en ajustant éventuellement leur compétence ou leur composition.

2.2.1. Institutions propres aux montagnes

Les institutions spécialement compétentes à l'égard des montagnes comprennent les structures gouvernementales, dotées de fonctions politiques ou administratives, ainsi les organisations non gouvernementales (ONG), qui appuient les efforts des pouvoirs publics et favorisent la protection et le développement des zones de montagne.

(a) Structures gouvernementales

Tenant compte des caractéristiques et des besoins spécifiques des zones de montagne, plusieurs pays ont créé des institutions spécialisées en tant qu’organes, uniques ou principaux, chargés des montagnes, leur attribuant des compétences diverses en matière d’appui, de conseil, de coordination et/ou de gestion.

La France illustre bien cette approche. La loi de 1985 a institué des organes consultatifs ad hoc pour le développement et la protection des régions de montagne: le Conseil national de la montagne au niveau central et des comités de massif pour chacun des sept massifs montagneux du pays. Le Premier ministre préside le Conseil national lequel, par le biais de sa commission permanente, coordonne l’action gouvernementale dans les zones de montagne. Les comités de massifs, qui ont été mis en place par les décrets 85-995 à 85-1001 et sont présidés par les préfets, fixent les objectifs et définissent les actions de développement des massifs. Les comités peuvent en outre proposer de modifier les limites des massifs et ils doivent aussi être consultés sur de telles propositions émanant d’autres autorités. De surcroît, la loi prévoit la participation des communautés locales aux processus décisionnels moyennant l'audition des personnes intéressées par le Conseil national ou par sa commission (décret 85-994).

Des organes spécialisés à l’échelon central et local sont également envisagés par le projet de loi bulgare, dont le préambule souligne la nécessité de décentraliser les pouvoirs et les responsabilités. Il prévoit la création d’un Conseil national des régions de montagne chargé de superviser et coordonner des actions entreprises par l’Etat et par les communes de montagne. En Ossétie-Alanie du Nord, la loi montagne prévoit la création d’une structure spécifique, mais elle se contente de renvoyer aux règlements d'application pour en déterminer le mandat et la composition.

Le cadre institutionnel italien est aussi marqué par le souci de décentralisation. Afin d’encourager la participation de la population locale aux prises de décisions, les lois 1102 (1971) et 142 (1990) ont institué les “communautés montagnardes” en tant qu'organes locaux autonomes spécifiquement chargés de promouvoir le développement des zones montagneuses. Dans chaque région, les communautés montagnardes sont établies et délimitées par le biais de la législation régionale.

(b) Organisations non gouvernementales

Les Etats font de plus en plus intervenir les ONG et d'autres entités de la société civile dans les processus normatifs. Ces organisations regroupent en général des acteurs divers et sont souvent hautement spécialisées. Elles sont de ce fait mieux à même d’appréhender et de satisfaire les besoins locaux et peuvent ainsi contribuer notablement à l'élaboration et la mise en œuvre des stratégies et des plans nationaux.

Par exemple, l’Union géorgienne des activistes de la montagne, créée en 1999, a participé à la rédaction de la loi géorgienne sur la montagne. Aujourd’hui, elle contribue au développement socio-économique des zones montagneuses du pays et apporte son soutien à l’application et l’amélioration de la législation relative aux régions de montagne.

En Suisse également, les ONG jouent un rôle important en matière de développement des montagnes. Le Groupement suisse pour les régions de montagne, créé en 1943, s’occupe notamment du développement durable des ressources de montagne, de la protection des écosystèmes de montagne et de la promotion de l'égalité de traitement des zones de montagne et de plaine. En outre, depuis sa création en 1952, l’association Aide suisse aux montagnards a aidé les régions montagneuses du pays de diverses manières. Concentrant ses efforts sur l’amélioration du potentiel économique et des conditions de vie en zone de montagne, elle s’efforce de freiner l’exode des montagnards en soutenant l’agriculture de montagne et en encourageant l’aide mutuelle entre les agriculteurs de montagne. Ses activités comprennent des initiatives visant à améliorer les conditions de logement et de travail, à dispenser des formations et octroyer des crédits aux jeunes agriculteurs, à fournir des aides sociales aux gens dans le besoin et à améliorer les infrastructures.

2.2.2. Institutions non spécifiques aux montagnes

Au-delà de ces quelques exemples, la plupart des pays ne disposent pas de structures publiques s’occupant spécialement des montagnes, si bien que les responsabilités institutionnelles relatives au développement des montagnes sont fréquemment partagées entre différents départements ministériels, en particulier ceux chargés de l’agriculture, du développement rural, de l’environnement, de l'aménagement du territoire, des ressources hydrauliques et du tourisme. Ainsi, au Burundi, selon le code forestier de 1985, le principal organisme compétent est le service forestier, au double niveau central et local. De même, en Ouganda, il n'existe pas d’organisme chargé de la gestion des montagnes: des dispositions traitant des montagnes sont contenues dans la loi relative à l’environnement de 1995, et les mesures de protection des régions de montagne relèvent principalement de l’Autorité nationale de gestion de l’environnement, des comités de district de l’environnement et des comités locaux de l’environnement.

Par ailleurs, certains pays ont adopté des mécanismes de concertation permettant aux organes centraux et locaux chargés des montagnes de collaborer en la matière. C’est par exemple le cas de la Suisse, Etat fédéral dans lequel les compétences dans ce domaine sont partagées entre la Confédération et les cantons. La loi de 1997 sur l’aide aux investissements dans les régions de montagne fixe leurs attributions respectives à cet égard, disposant que les cantons sont chargés de la mise en œuvre de la loi, tandis que la Confédération en contrôle l’application; que les financements sont accordés par la Confédération, alors que les cantons déterminent les montants des prêts à allouer.

2.3. Développement économique

Les conditions difficiles souvent caractéristiques des zones de montagne ont conduit les législateurs à concevoir des instruments économiques permettant de répondre aux objectifs de développement de ces régions. La plupart des lois montagne prévoient de tels instruments: création de fonds spéciaux de la montagne et encouragements à l’investissement en zone de montagne, plus particulièrement en matière d’agriculture, de tourisme et de production locale.

2.3.1. Fonds de la montagne

Certains pays ont mis en place des fonds spéciaux en faveur de la montagne destinés à stimuler les investissements et le développement dans les régions montagneuses, dont les ressources sont destinées à fournir des subventions diverses, des crédits d’investissement, des financements pour la recherche, etc. Par exemple, la loi suisse de 1997 a créé, au niveau fédéral, un fonds spécial servant à financer les aides aux investissements, notamment par l’octroi de prêts pour le développement des infrastructures en zone de montagne. Le fonds est alimenté par des contributions de la Confédération et des cantons, ainsi que par le remboursement des prêts et les intérêts des placements.

En Italie, un fonds national pour la montagne a été institué par la loi 97 de 1994; il est alimenté par des apports de l’Union européenne, de l’Etat et des régions. Des financements sont alloués aux régions et aux provinces autonomes qui, à leur tour, peuvent créer leurs propres fonds régionaux pour la montagne. En Géorgie, la loi prévoit la création d’un fonds spécial pour les zones montagneuses, dont les ressources sont constituées par des dons, les recettes d’exploitation des ressources locales, les redevances de location des pâturages, etc. Le projet de loi bulgare envisage aussi la création d’un fonds spécial pour le développement des régions de montagne, dont les ressources permettront d’accorder des subventions, des crédits d’investissement, des financements pour la recherche, etc.

2.3.2. Agriculture de montagne

L'agriculture de montagne revêt une grande importance pour les populations qui en dépendent. Non seulement elle subvient directement à leurs besoins alimentaires, mais elle contribue aussi à la création d'emplois et au développement économique. D'où la place de choix qu'elle occupe dans diverses lois sur les montagnes. En France, l’agriculture est reconnue d’intérêt général dans la mesure où elle constitue une activité fondamentale des montagnards (article 18 de la loi de 1985, intégré dans l’article L113-1 du code rural). En Géorgie, les industries agroalimentaires, notamment l’élevage, la production fruitière, l’horticulture et l’aquaculture, apparaissent dans la loi comme un pilier du développement socio-économique des régions de montagne.

En Suisse, les textes généraux relatifs au développement agricole (loi fédérale sur l'agriculture et ordonnance de 1998 sur les paiements directs versés dans l'agriculture) contiennent diverses incitations à l'agriculture de montagne. Par exemple, en vertu de la loi sur l’agriculture, des aides financières sont accordées en faveur des cultures réalisées sur les terrains en pente (art. 75). En Bulgarie, le projet de loi prévoit une assistance financière, de la part du gouvernement central et des administrations locales, au bénéfice des programmes de promotion de l’agriculture et de l’élevage de montagne aux niveaux national, régional et local.

Par ailleurs, la politique agricole commune de l’Union européenne comporte des mesures d’incitation à l’agriculture de montagne. La directive 268 de 1975, désormais abrogée, avait institué des aides financières au profit de l’agriculture de montagne, en particulier des indemnités pour compenser les handicaps naturels permanents. Le règlement 1257 de 1999, qui régit actuellement le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, prévoit des mesures de soutien au profit des “zones favorisées”, qui incluent expressément les régions de montagne. Le règlement dispose que les agriculteurs de montagne remplissant certaines conditions peuvent bénéficier d'indemnités compensatoires.

2.3.3. Tourisme de montagne

L’attrait grandissant des zones de montagne à des fins touristiques y favorise l’accroissement des activités récréatives, ainsi que le développement de résidences, d’aménagements et d’infrastructures, dont les retombées socio-économiques positives s’accompagnent aussi d’atteintes au milieu naturel et culturel des écosystèmes montagneux. Afin d'y porter remède, les législateurs assujettissent le tourisme de montagne à certaines restrictions. En France, la loi de 1985 consacre un chapitre entier à l'encadrement des aménagements touristiques et à l'organisation des services de remontées mécaniques et des pistes, qui doivent être réalisées sous la supervision des communes. Toute nouvelle opération doit faire l'objet de contrats entre les promoteurs et les communes, ce qui permet d'exercer un certain contrôle sur le développement du tourisme.

En Géorgie, où le tourisme constitue l’un des secteurs prioritaires du développement socio-économique du pays, la loi prévoit des aides aux investissements et des prêts bonifiés destinés à promouvoir un tourisme de montagne qui soit respectueux des monuments historiques et des sites naturels. La loi ukrainienne envisage également l'octroi de subventions et de prêts au profit du développement touristique dans les régions de montagne.

En Suisse, la loi du canton de Vaud de 1995 prévoit des prêts bonifiés de l’Etat pour la construction d’installations d’hébergement pour les touristes. Au Vietnam, la politique de développement socio-économique dans les zones des hauts plateaux (décision 184 de 1998) vise à promouvoir le tourisme tant par l’amélioration des aménagements existants que par la création de nouveaux centres touristiques, et ce notamment dans le but d’attirer davantage de touristes étrangers.

2.3.4. Produits locaux

Les communautés de montagne ont beaucoup de difficulté à être compétitives sur le marché, en particulier du fait des coûts élevés de production, de la disponibilité limitée de crédits et des possibilités inégales ou défavorables d’accès aux marchés. En revanche, les écosystèmes et les cultures de montagne sont souvent favorables à la fabrication de produits de bonne qualité, surtout les denrées alimentaires et les objets artisanaux, dont la vente procure des revenus substantiels aux communautés montagnardes. L’étiquetage de ces produits est de plus en plus utilisé pour promouvoir leur commercialisation.

Certaines lois traitent particulièrement des produits locaux, notamment de l’artisanat, provenant des zones de montagne. En France, en vertu de la loi 85-30, un label spécial est conféré à ces produits pour certifier leur qualité et promouvoir ainsi la production locale; l'octroi du label «montagne» est soumis aux conditions fixées par le décret 1231 de 2000. En Italie également, un label similaire est décerné aux produits issus des zones montagneuses dans les termes de la loi 97 de 1994. En Suisse aussi, selon la loi du canton de Vaud, l’Etat garantit la qualité et l’authenticité des produits du canton au moyen d’appellations d’origine et d’indications géographiques.

Outre l’étiquetage, les produits locaux de montagne peuvent bénéficier d’avantages économiques. Par exemple, la loi géorgienne encourage l’artisanat local par l’octroi de prêts préférentiels. De même, selon la loi ukrainienne, l’Etat doit payer plus cher les produits agricoles provenant des zones de montagne.

2.4. Politiques sociales

Les caractéristiques climatiques et géographiques des montagnes peuvent conduire à l’isolement et à la pauvreté de leurs habitants, ainsi qu’à la précarité de leurs conditions de vie. C’est pourquoi les législateurs s’efforcent d’offrir un meilleur cadre de vie aux communautés montagnardes. La loi d’Ossétie-Alanie du Nord, par exemple, souligne que les populations de montagne doivent jouir des mêmes avantages socio-économiques que les habitants des plaines. Dans ce domaine, les législateurs optent en général pour des mesures favorisant le développement des infrastructures et le renforcement des services publics dans les zones de montagne.

2.4.1. Développement des infrastructures et des communications

Compte tenu de leur configuration, les montagnes constituent souvent des barrières à la communication. L’isolement des populations montagnardes est fréquemment dû à l’inexistence ou l’insuffisance des moyens de communication - d’où les mesures palliatives mises en place par les législateurs à cet égard. Ainsi, la loi suisse de 1997 sur l’aide aux investissements prévoit l’octroi de prêts pour les projets de développement des infrastructures de montagne. Pour en bénéficier, les projets doivent permettre d'améliorer le niveau de vie, le potentiel économique ou la compétitivité industrielle de la région.

En vertu de la loi ukrainienne, des subventions et des prêts peuvent être accordés pour le développement des transports publics, des routes et des télécommunications, tandis que la loi géorgienne prescrit, à des fins similaires, une modification des normes de construction des routes en montagne. Le projet de loi bulgare, pour sa part, encourage la construction et l’utilisation d’infrastructures techniques et sociales dans les régions montagneuses. En France, la loi de 1985 prévoit d’améliorer les techniques de diffusion radio-télévisuelle dans les zones de montagne. En Italie, selon la loi de 1994, les services publics des communautés de montagne doivent ouvrir des bureaux d’information pour pallier le manque de communication et ils doivent donner aux habitants de leur ressort libre accès aux informations non confidentielles disponibles.

Le développement des infrastructures est également abordé par les politiques vietnamiennes pertinentes. La décision gouvernementale 184 de 1998 met l’accent sur le rôle de l’Etat en matière de développement des infrastructures dans les zones de montagne. La décision du Politburo du 27 novembre 1989 souligne aussi la nécessité de développer les infrastructures, en particulier le réseau routier dans les zones de haute montagne et dans les régions isolées et reculées.

2.4.2. Promotion de la culture et de l’éducation

Dans le domaine de la culture et de l’éducation, les besoins des habitants de montagne vont de la réduction de l’analphabétisme à la formation professionnelle, en passant par l’intégration des politiques de recherche, de conservation et de développement. Les communautés montagnardes possèdent une connaissance inégalable de leur environnement. Toutefois, elles doivent disposer des moyens de fructifier et de transmettre ces connaissances à l’aide d’outils adéquats, notamment une formation appropriée et des aides financières (Mountain Agenda, 1997).

La loi d’Ossétie-Alanie du Nord dispose dans ce sens que les habitants de montagne ont un droit prioritaire d’utilisation des ressources naturelles de leur zone; elle prescrit aussi l’octroi de financements publics pour la recherche scientifique et les activités pédagogiques dans ces régions. La loi ukrainienne prévoit quant à elle des prêts et subventions de l’Etat en faveur des systèmes de santé et d’éducation dans les zones montagneuses. En France, selon la loi de 1985, les programmes scolaires et universitaires doivent être conçus en fonction des conditions particulières, à la fois environnementales, économiques et sociales, des massifs de montagne.

En Géorgie, la loi ne traite pas expressément de l’éducation et de la formation. Cependant, après son entrée en vigueur en 1999, la loi sur l’éducation a été amendée pour prendre en compte les besoins spécifiques des régions de montagne, en précisant que l’enseignement primaire et secondaire doit y être assuré gratuitement et que l’Etat doit se charger de la gestion et du financement des écoles en zone de montagne.

2.4.3. Amélioration du niveau de vie

Les lois relatives aux montagnes visent par ailleurs à améliorer les conditions de vie dans les zones montagneuses. Ainsi, certaines lois traitent des relations entre les populations des montagnes et des plaines. D’une manière générale, les habitants de la plaine ont une qualité de vie supérieure à celle des communautés montagnardes. En outre, plaines et montagnes sont d’habitude économiquement interdépendantes; par exemple, les montagnes approvisionnent les plaines en produits issus des ressources naturelles, pendant que les plaines contribuent au développement du tourisme de montagne. Lorsque les équilibres socio-écologiques sont perturbés, les relations montagne-plaine en sont affectées, avec le plus souvent des effets défavorables sur les populations de montagne (Mountain Agenda, 1997).

Aussi les législateurs s’efforcent-ils de réduire l’écart entre les niveaux de vie des zones de plaine et de montagne. Au Vietnam, par exemple, la décision 184 reconnaît l’existence d’inégalités entre les populations des montagnes et des plaines et vise l’amélioration des conditions de vie dans les régions montagneuses et reculées, notamment en y réduisant le taux de chômage et en y développant les établissements humains. De même, la loi française régissant la montagne se fixe explicitement pour objectif d’atteindre une parité de conditions de vie entre les zones montagneuses et les autres régions du pays.

En outre, les lois sur la montagne accordent généralement aux montagnards des droits prioritaires et des privilèges en fonction de leur résidence. La loi ukrainienne, par exemple, confère des privilèges spéciaux aux ressortissants des établissements de montagne, tels que de meilleures conditions de travail et de rémunération ou des pensions supérieures de 20 pour cent à la moyenne nationale. La loi d’Ossétie-Alanie du Nord octroie aussi, comme indiqué ci-dessus, des privilèges aux communautés de montagne, y compris des droits prioritaires pour l’utilisation des ressources naturelles et la récolte du bois.

Dans le même ordre d’idées, certaines lois édictent des mesures spécifiques tendant à limiter l’exode des zones montagneuses. Tel est le cas en Italie, où la loi 97 de 1994 habilite les régions à accorder des incitations financières aux personnes qui choisissent de rester ou de s’établir dans une région de montagne.

En revanche, les législateurs n’abordent pas toujours certains problèmes sociaux importants. Par exemple, aucune des lois examinées ne traite spécifiquement des questions de genre. Il s’agit là d’une lacune, car si les femmes s’acquittent de la plupart des tâches liées à la production agricole et alimentaire en montagne, dans les faits elles se heurtent, bien plus que les hommes, à de sérieux obstacles pour ce qui est de l’accès à la terre et à d’autres biens, à l’éducation, aux services sociaux, au crédit et à la technologie (Mountain Agenda, 1997).

2.5. Protection de l’environnement

Les zones de montagne renferment des écosystèmes riches en biodiversité, qui abritent souvent des espèces rares de faune et de flore. En même temps, elles comptent parmi les régions biogéographiques les plus susceptibles de dégradation environnementale. Aussi leur protection devrait-elle constituer un volet important de la législation relative aux montagnes. En pratique, néanmoins, les mesures de préservation des écosystèmes montagneux se trouvent plutôt dans des lois connexes (sur l’environnement, les forêts, l’eau, le sol, l’aménagement du territoire), même si les lois montagne comportent elles aussi quelques dispositions générales de portée environnementale, qui traitent notamment de la protection des forêts, des sols et de l’eau.

2.5.1. Sauvegarde des forêts

Le terme «multifonctionnalité» est souvent utilisé à propos des forêts de montagne, en raison des fonctions qu’elles remplissent pour le captage et le stockage de l’eau et pour la protection contre les risques naturels, ainsi que du fait de leur contribution aux moyens d’existence des communautés locales, qui y puisent les ressources ligneuses et non ligneuses dont elles ont besoin. De surcroît, outre la biodiversité qu’elles renferment, les forêts de montagne sont également un élément important du paysage.

Dans les pays où il n’existe pas de loi propre à la montagne, la législation forestière comporte généralement des dispositions applicables aux forêts de montagne. C’est le cas, par exemple, du Burundi, de la Chine, du Népal et de l’Ouganda. En revanche, la loi italienne sur la montagne de 1994 contient des dispositions spécifiques sur la gestion des forêts de montagne. Aux termes de celles-ci, les communautés montagnardes doivent promouvoir l’aménagement forestier moyennant des conventions passées entre propriétaires forestiers et elles peuvent aussi, à cette fin, susciter la constitution d’associations forestières. En vertu du projet de loi bulgare, les autorités forestières locales doivent fixer des quotas de coupe et elles peuvent bénéficier d’aides financières pour entreprendre des activités de boisement et de reboisement.

2.5.2. Lutte contre l’érosion

Les lois montagne contiennent parfois des dispositions relatives à la lutte contre l’érosion des sols. Par exemple, selon le projet de loi bulgare, les programmes de promotion de l’agriculture de montagne doivent comprendre des mesures particulières sur la fertilité des sols et l’érosion. La loi italienne 1102 de 1971 habilite les régions, les communautés de montagne et les communes à recourir à l’expropriation des terres requises pour les besoins de la lutte contre l’érosion des sols et de la protection de l’environnement dans les régions de montagne.

Dans d’autres pays, des dispositions anti-érosion, applicables aux montagnes, sont contenues dans des lois plus générales traitant de l’environnement ou des ressources naturelles. Par exemple, le code forestier burundais de 1985 édicte des règles sur la conservation et la remise en état des sols dans les zones montagneuses. D’après la loi ougandaise sur l’environnement de 1995, les comités de district de l’environnement doivent recenser les régions collinaires et montagneuses écologiquement sensibles; à cet effet, les zones menacées d’érosion sont considérées comme sensibles du point de vue écologique.

2.5.3. Conservation des eaux

Les montagnes regorgent d’eau douce, aussi bien sous forme de glace et de neige que dans les lacs et réservoirs, jouant ainsi un rôle crucial dans l’approvisionnement en eau. Toutefois, les dispositions juridiques visant spécialement la protection et la gestion durable des ressources hydrauliques en montagne restent rares. Par exemple, au Vietnam, les instructions du Premier ministre sur les politiques et méthodes de développement socio-économique soutenu dans les zones de montagne de 1993 prescrivent la consolidation ou la construction de petits réseaux d’irrigation et prévoient des subventions de l’Etat pour l’alimentation en eau des zones montagneuses.

Selon la loi d’Ossétie-Alanie du Nord, les eaux douces et minérales peuvent être utilisées à des fins commerciales conformément à la législation en vigueur et moyennant paiement d’une redevance. En revanche, leur utilisation domestique est gratuite pour les communautés de montagne. Le projet de loi bulgare prévoit pour sa part une réduction des taxes de fourniture d’eau au profit des populations de la montagne.

CONCLUSION

Après dix ans de mise en oeuvre du chapitre 13 d’Action 21, rares sont encore les pays qui disposent d’instruments juridiques propres aux montagnes. Si l’on excepte un accord régional, la convention alpine, qui représente un effort notable de collaboration entre Etats partageant un système montagneux, il n’existe aucun autre accord juridiquement contraignant, à l’échelle mondiale ou régionale, qui traite spécifiquement des zones de montagne.

La plupart des pays ne se sont pas non plus dotés de lois montagne, se contentant de recourir aux lois existantes partiellement applicables aux régions montagneuses pour assurer la protection et le développement de celles-ci. Toutefois, certains pays comme la France, la Géorgie, l’Italie, la Suisse et l’Ukraine, ont adopté des instruments juridiques propres à la montagne, et quelques autres pays sont en train de suivre la même voie. Ces évolutions convergentes semblent indiquer qu’on s’achemine, dans les années à venir, vers un effort de création législative accrue axé sur la montagne.

Les législations nationales déjà en place traitent en général de problèmes similaires communs aux zones montagneuses. C’est pourquoi leur contenu est assez semblable et se caractérise notamment par les traits suivants:

Bien que globalement prometteuses en termes de gestion durable des montagnes, de telles lois présentent néanmoins certaines lacunes et devraient refléter de façon plus complète les intérêts particuliers des écosystèmes montagneux et des populations de montagne. Par exemple, elles devraient favoriser une participation renforcée des communautés montagnardes aux processus décisionnels les concernant, une meilleure coordination des lois afférentes aux montagnes, ainsi que la mise en place de mécanismes institutionnels mieux adaptés aux exigences de leur développement harmonieux.

D’une façon plus générale, les cadres juridiques régissant la montagne devraient, pour plus d’efficacité:

Ces cadres juridiques devraient en outre être fondés sur - et soutenus par - des politiques et des stratégies nationales intégrées de gestion durable des écosystèmes de montagne. Ils devraient aussi, au besoin, être complétés par des accords régionaux, telle la convention alpine, qui organisent la collaboration transfrontière entre pays ayant en commun des chaînes montagneuses.

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ANNEXE

Principales lois spécifiques aux montagnes

Pays

Textes juridiques propres aux montagnes

Bulgarie

· Projet de loi relatif au développement des régions montagneuses (1993)

Cuba

· Décret 197 du 17 janvier 1995 relatif aux commissions du Plan Turquino-Manati

France

· Loi 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne

· Loi 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l'aménagement et le développement du territoire

· Loi 99-533 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi 95-115

· Décret 85-994 du 20 septembre 1985 relatif à la composition et au fonctionnement du Conseil national de la montagne

· Décrets 85-995 à 85-1001 du 20 septembre 1985 relatifs à la composition et au fonctionnement des comités des sept massifs de France (Massif Central, Alpes du Nord, Alpes du Sud, Corse, Pyrénées, Jura, Vosges)

· Décret 2000-1231 du 15 décembre 2000 relatif à l'utilisation du terme«montagne»

Géorgie

· Loi du 8 juin 1999 relative au développement socioéconomique et culturel des régions de montagne

Grèce

· Loi 1892/90 encourageant l'économie et le développement des régions de montagne amendée par la loi 2234/94

Italie

· Loi 991 du 25 juillet 1952 relative aux bois, forêts et territoires de montagne

· Loi 1102 du 3 décembre 1971 portant de nouvelles normes pour le développement de la montagne (modifiée par la loi 142/1990)

· Loi 97 du 31 janvier 1994 portant nouvelles dispositions pour les zones de montagne

· Lois des régions (Abruzzes, Basilicate, Calabre, Frioul-Vénétie Julienne, Latium, Ligurie, Lombardie, Marches, Molise, Piémont, Toscane et Ombrie)

· Loi de la province autonome de Bolzano

Fédération de Russie Suisse

· Loi du 30 décembre 1998 relative au développement des régions de montagne de la République d'Ossétie-Alanie du Nord

· Loi fédérale du 21 mars 1997 sur l'aide aux investissements dans les régions de montagne

· Ordonnance du 7 décembre 1998 sur le cadastre de la production agricole et la délimitation des zones

Ukraine

· Loi de 1995 sur le statut des établissements humains de montagne


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