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4. MÉTHODES D’ÉTUDE DES CULTURES DE COMMUNAUTÉS DE PETITS PÊCHEURS


Il nous faut une technique efficace de présentation de notre thèse, garante de la crédibilité de la démarche suivie. Dans ces domaines, la légitimité d’une argumentation tient essentiellement à son caractère systématique. Il nous faut donc trouver un mode d’exposition des connaissances acquises qui soit fondé sur le processus suivi pour les obtenir... non en tant que seul mode d’exposition possible.... mais comme un instrument indispensable pour aller au fond des choses et pouvoir les faire évoluer.

Michael A. Agar (1996:13)

Le recours à des méthodes de recherche éprouvées aidera les responsables des pêches à recueillir des informations fiables et probantes sur la culture des communautés de petits pêcheurs tout en procédant correctement d’un point de vue déontologique. Le présent chapitre traite dans un premier temps de la nécessité de méthodes judicieuses et d’approches conformes à des règles déontologiques, avant de passer en revue plusieurs méthodes générales couramment employées dans les recherches en sciences sociales. On trouvera par ailleurs au chapitre suivant la présentation d’une méthode générale remarquable par son efficacité et son exhaustivité, connue sous le nom de méthode d’ «évaluation rapide». La liste des ouvrages de référence suggérés figure à la fin de ces deux chapitres et permettra aux responsables des pêches de se faire une meilleure idée des modalités d’application de telle ou telle approche à l’étude des communautés de petits pêcheurs.

4.1 Qu’est-ce qu’une méthodologie?

De façon simple la définition d’une méthodologie consiste essentiellement à trouver des réponses à la question fondamentale suivante: comment recueillir des informations fiables et probantes sur une pratique ou un comportement particulier observable au sein d’un groupe, d’une communauté ou d’une culture? Cette question en entraîne deux autres étroitement liées: (1) comment peut-on étudier les phénomènes de façon à obtenir des informations exactes et pertinentes; et 2) comment d’autres personnes peuvent-elles savoir ce que les chercheurs veulent dire effectivement lorsqu’ils exposent leurs idées, leurs propositions et leurs théories et doivent-elles les croire?

La première question se rapporte aux techniques à mettre en oeuvre et aux conditions à réunir pour mener à bien les travaux d’approche et les recherches. La collecte d’informations sur les multiples phénomènes susceptibles d’être étudiés doit faire l’objet de techniques et d’outils spéciaux. Il en est ainsi de l’étude des cultures et des comportements humains, qui soulève des problèmes particuliers et comporte des besoins spécifiques quant au choix des méthodes. La plupart des données de base des travaux de sciences sociales proviennent de trois sources: (1) observation directe du comportement humain; (2) écoute et enregistrement de la teneur des propos des personnes étudiées; (3) examen des productions de l’activité humaine, en particulier du contenu des archives, des statistiques et des bibliothèques.

Outre les outils et instruments fondamentaux d’observation et de mesure, un chercheur en sciences sociales doit se référer à plusieurs ensembles de règles de procédure, notamment des concepts et des définitions, permettant de transformer les données recueillies en généralisations sur le sujet considéré. L’activité scientifique s’emploie par ailleurs à établir des liens entre des généralisations limitées, de façon à former des ensembles plus vastes de propositions qui permettent de prévoir et d’expliquer les phénomènes observés. Un ensemble structuré de propositions est connu sous le nom de théorie. La méthodologie désigne les procédures et les règles de transformation au moyen desquelles un chercheur fait progresser les informations recueillies sur cette échelle d’abstraction, dans le but de produire et de structurer un savoir de plus en plus étendu. Il est donc possible de distinguer la notion de «méthodologie» de celle de «techniques de recherche», dans la mesure où ces dernières se rapportent exclusivement en règle générale à la phase concrète de la collecte des données de base. Par contre, la méthodologie désigne la logique suivie lors du choix des techniques d’observation particulières adaptées au sujet considéré, du type d’information recherché, du mode d’évaluation des données et en définitive de la façon de les mettre en rapport avec des théories spécifiques. Aussi la méthodologie employée détermine-t-elle finalement la validité et la fiabilité des conclusions d’un travail de recherche.

4.2 Pourquoi les méthodes ont-elles une importance?

La science halieutique, à l’instar de toutes les autres disciplines, fait l’objet des attentes propres à la «méthode scientifique» communément utilisée pour garantir la validité, la fiabilité et la répétabilité des données recueillies et des informations qui en sont déduites. L’étude des êtres humains qui composent les communautés de petits pêcheurs amène souvent un chercheur à subir l’influence des impressions et des opinions exprimées par tel ou tel; il importe donc de disposer d’un moyen pour faire la part entre ces impressions et ces opinions, et les faits recueillis de façon plus objective.

On peut définir la méthode scientifique comme une tentative visant à mieux comprendre une réaction, un comportement ou un phénomène en procédant comme suit: (1) définir clairement les problèmes, pour que les conclusions dégagées s’appuient sur les connaissances acquises au préalable; (2) obtenir les données ou les informations indispensables à l’étude de ces problèmes; (3) analyser et interpréter ces données conformément à des règles clairement définies; et (4) transmettre les résultats de ces travaux à d’autres personnes. La qualité des mesures détermine la qualité des travaux scientifiques - grâce au processus de vérification de la méthodologie.

Un travail scientifique sérieux doit comporter les éléments suivants pour que ses conclusions soient jugées exactes et fiables, comme pour constituer le point de départ d’explications et d’études plus détaillées:

(1) Le problème étudié ou le but du travail doit être clairement énoncé et ce problème doit se prêter à des travaux de recherche. L’énoncé du problème peut se réduire à celui d’une hypothèse à vérifier, d’un événement à décrire ou tout autre type possible d’objectifs de recherche.

(2) Il est impératif de définir les termes du problème. La définition peut comporter l’identification d’éléments ou d’unités bien connus des chercheurs, la formulation de définitions pratiques (mesures, types d’observations, etc.), ou de définitions préalablement établies. Ces termes doivent se rapporter à des phénomènes observables.

(3) Les procédures ou méthodes d’observation liées à l’étude considérée doivent être indiquées de façon suffisamment détaillée pour permettre au chercheur qui en prend connaissance, d’évaluer la pertinence et l’exactitude des observations réalisées et de comprendre clairement comment reproduire ou répéter l’étude.

(4) L’analyse des observations et des données doit respecter les règles logiques appliquées dans toutes les sciences.

(5) Les étapes (1), (2) et (4) doivent faire l’objet d’une description de façon à pouvoir identifier le type de données susceptibles de contredire les résultats obtenus par le chercheur.

4.3 Validité et fiabilité

L’utilisation de la méthode scientifique donne des résultats satisfaisants qui réduisent les problèmes de crédibilité entachant souvent les recherches en sciences sociales. Les critiques des études consacrées par les chercheurs en sciences sociales aux communautés de pêche, ont souvent mis en cause la «validité» et la «fiabilité» de leurs conclusions..

La «validité» indique le degré selon lequel les observations scientifiques mesurent ou enregistrent effectivement ce qu’elles prétendent mesurer. Par exemple, un chercheur devrait utiliser un thermomètre pour mesurer la température et une règle pour mesurer des longueurs; s’il n’y a aucune modification des instruments utilisés, on devrait s’attendre en principe à ce que les résultats restent identiques à la suite de plusieurs mesures répétées.

L’étude des comportements humains suscite toutefois de nombreuses controverses quant à la validité des observations relatives aux cultures. La nourriture proposée à un invité par exemple, est-elle réellement une mesure des sentiments d’amitié et de l’hospitalité? Les réponses fournies lors d’interviews porte-à-porte sont-elles effectivement représentatives des opinions et des sentiments de l’ensemble de la population? On suppose habituellement qu’il est possible de vérifier la validité de ces données en réunissant des informations complémentaires auprès d’autres sources, et en procédant à leur collecte dans le cadre de séjours prolongés au sein d’une communauté.

La «fiabilité» est étroitement liée à la validité puisqu’elle reflète la répétabilité des observations scientifiques. Autrement dit, le chercheur ou tout autre scientifique peut-il recueillir les mêmes informations en faisant appel aux mêmes techniques et parvenir aux mêmes conclusions? La fiabilité des travaux de recherche en sciences sociales s’est avérée problématique parce-que les méthodes et documents employés, comme le style et le ton des interviewers et les contextes dans lesquels les entrevues ont eu lieu, sont autant de facteurs pouvant conduire à des résultats différents, même lorsque le travail est mené à bien par la même personne. Les chercheurs se sont donc employés à maximiser la validité et la fiabilité dans des situations de terrain en faisant appel à un assortiment de méthodes de recherche. Ainsi, l’usage conjoint d’observations à long terme et d’interviews non structurées et par ailleurs, d’interviews structurées, de questionnaires et d’enquêtes, renforcent la fiabilité et la répétabilité et conduira en définitive à des résultats scientifiques de meilleure qualité.

4.4 Considérations éthiques

Les problèmes méthodologiques mettent sérieusement au défi les chercheurs en sciences sociales, mais, en maintes circonstances, le bien-fondé éthique de leur tâche les met encore plus à l’épreuve. La dimension éthique des travaux de recherche est prise en considération dans nombre de cas à la suite d’un incident ou lorsque les travailleurs de terrain commencent à sentir un certain malaise dans la poursuite de leur travail. A ce stade, l’éthique des méthodes mises en oeuvre risque d’être mise en cause, ou leur rôle à l’intérieur du groupe social étudié, peut être contesté. On risque ensuite de se heurter à une brutale modification des conditions d’accès au terrain, voire à un refus pur et simple. Sans doute les chercheurs considéreront-ils alors que leurs objectifs sont impossibles à atteindre et s’interrogeront peut-être sur les erreurs commises et sur leur origine.

Les préoccupations éthiques des responsables des pêches désireux de consacrer des travaux de recherche aux communautés de petits pêcheurs sont d’autant plus complexes que leur travail est censé avoir un effet concret. Or, la déontologie de l’action est étroitement liée à celle des travaux de recherche, puisque ces derniers peuvent conduite à l’adoption de mesures concrètes comme au choix d’orientations politiques. Quelques notions simples reflètent ainsi les principes de base des travaux de recherche consacrés aux communautés de petits pêcheurs conformément aux règles de déontologie: transparence quant à l’objet des travaux et quant à leur objectif ultime; confidentialité, qui garantit aux participants que leur contribution ne sera pas divulguée sans leur autorisation expresse; participation librement consentie qui garantit une parfaite liberté de participation aux travaux de recherche; et divulgation des risques qui implique une information claire des participants quant aux risques éventuels qu’eux-mêmes ou d’autres membres de la communauté peuvent encourir.

Pour des raisons d’ordre déontologique les recherches consacrées aux mesures concrètes et aux orientations politiques doivent être menées en fonction des intérêts des communautés considérées et de leurs membres, comme en fonction des préoccupations des organismes clients qui les financent. Ainsi, lorsqu’un chercheur pose la question «auprès de qui suis-je responsable?» La réponse doit être manifestement «en dernier ressort, auprès des pêcheurs de la communauté que j’étudie». Cette réponse est une source de problèmes et d’embarras pour les chercheurs dans les rapports avec leurs collègues et leurs supérieurs, raison pour laquelle les considérations déontologiques constituent un aspect d’autant plus délicat des travaux de recherche en sciences sociales.

4.5 Protection de la vie privée

La phase de terrain d’un travail de recherche devra nécessairement lever les obstacles sociaux et les barrières culturelles qui existent souvent entre le chercheur, les «sujets étudiés» et les «informateurs» ou «déclarants». Dans un travail de recherche consacré aux communautés de petits pêcheurs, les sujets étudiés sont potentiellement tous les membres de la communauté considérée, tandis que les déclarants sont des individus particuliers avec lesquels les chercheurs collaborent. La levée des barrières protectrices entre chercheurs, sujets étudiés et informateurs, correspond à un processus dit «d’établissement de rapports». A la faveur de ce processus, on observera une certaine atténuation des tendances de tous les participants à protéger leur personnalité et leurs intérêts individuels.

Sujets étudiés et déclarants reçoivent souvent des garanties d’anonymat, bien que les chercheurs en aient rarement la maîtrise une fois les données recueillies. Tel est particulièrement le cas pour les études appliquées dans le domaine social et culturel quand les données sont transmises à un organisme client, qui ensuite en a le contrôle en dernier ressort. Il est également possible, pour certaines données ou conclusions de travaux, de les associer ou des les affecter à certaines personnes, bien que leurs identités ne soient jamais divulguées. Aussi est-il impératif de coder les données personnelles des déclarants de façon à protéger leurs identités effectives, et de présenter les données et les résultats de manière à empêcher leur attribution à des déclarants particuliers. Les déclarants doivent par ailleurs être informés quant aux limites de la confidentialité garantie et il convient de ne pas leur faire de promesses au-delà des possibilités réalistes dans ce domaine.

4.6 Consentement de plein gré

Le principe du consentement de plein gré exige des chercheurs qu’ils informent parfaitement les déclarants quant aux buts poursuivis, au champs d’investigation et aux répercussions éventuelles de l’étude, s’ils veulent obtenir leur consentement à y participer. Cette participation doit être volontaire, sans aucune menace ou implication éventuelle de mauvaise volonté ou encore de répercussions d’un autre type advenant un refus de participation de déclarants potentiels. Un consentement de plein gré n’exige cependant pas nécessairement d’être donné par écrit. Dans certains cas, le fait que ce consentement soit exprimé oralement est souhaitable.

L’obtention d’un consentement de plein gré exige des chercheurs une collaboration transparente et sans arrière-pensée avec les déclarants potentiels en encourageant leur coopération et leur confiance à l’égard de l’étude. De plus, les déclarants doivent être mis au courant des répercussions possibles de l’étude au sein de leur communauté - tant positives que négatives, même si cela risque d’affecter leur disposition à participer. Enfin, les chercheurs doivent généralement éviter le recours à des moyens dissimulés pour étudier les communautés humaines.

4.7 Utilité

Surtout dans le cadre d’un travail de recherche appliquée, il est essentiel pour les chercheurs d’envisager les implications potentielles de leur façon d’agir et de leur travail au sein de la communauté étudiée. Au cours de la phase de conception, ils doivent en permanence poser les deux questions suivantes: «cette étude aura-t-elle des effets négatifs ou préjudiciables?» et «ce projet bénéficiera-t-il à la communauté?»; aussi, l’obtention à ce stade de la participation des sujets étudiés est-elle souvent une première étape majeure, notamment pour les études susceptibles d’avoir des conséquences pratiques et stratégiques au sein de la communauté. Il incombe en outre aux chercheurs, depuis le début effectif de l’étude jusqu’à sa conclusion, de maintenir un niveau élevé d’engagement en faveur du bien-être général de la collectivité en question.

4.8 Conception des travaux de recherche et méthodes mises en oeuvre

Compte tenu de la complexité des sociétés, des communautés et des cultures humaines, qui faut-il croire ou en qui faut-il avoir confiance? Les données proprement dites, indépendamment de la façon dont elles ont été recueillies, sont-elles suffisamment probantes pour donner des arguments? Bien qu’une théorie convaincante développée dans un document bien écrit puisse influencer certains, pour être scientifiquement probant, l’exposé d’une thèse doit fournir des informations au sujet du chercheur, sur les modalités et les circonstances de la collecte des données et la façon dont elles ont été analysées et interprétées; toujours à cet effet, il doit donc être méthodique, et présenter les moyens mis en oeuvre par les chercheurs pour obtenir leurs résultats.

La conception d’un travail de recherche implique donc l’élaboration d’un plan ou d’une stratégie de principe concernant tous les aspects de la tâche entreprise, notamment un plan étape par étape décrivant le mode de collecte et d’analyse des données utilisées. Il doit en outre définir des principes directeurs permettant d’établir un lien entre les orientations théoriques et les méthodes de collecte et d’analyse des données, de façon à assurer la validité scientifique des résultats. En tant que tel, le travail de recherche intègre les données méthodologiques et analytiques qui contribueront à la crédibilité, la validité, la répétabilité et la plausibilité de toute étude.

La suite de ce chapitre présente les méthodes suivantes couramment utilisées pour procéder à la collecte des données dans le cadre d’un travail de recherche en sciences sociales: observation participante; collaboration avec des déclarants privilégiés; prise de notes sur le terrain; entretiens non structurés et semi-structurés; entretiens structurés; questionnaires et enquêtes; échelles et notations; observation discrète et approches participatives; le cas échéant, l’intérêt particulier ou les inconvénients de leur application à l’étude des communautés de petits pêcheurs sont passés en revue. Les responsables des pêches auront tout intérêt à intégrer, dans la mesure du possible, des combinaisons des méthodes susmentionnées dans ce domaine. Le concours des spécialistes en sciences sociales dotés par ailleurs d’une expertise en matière tant de conception et de méthodologie des travaux de recherche, que d’études sur le terrain, sera sans doute également un précieux apport.

4.9 Observation participante

L’observation participante implique l’immersion progressive des chercheurs au sein des communautés étudiées. Les chercheurs participent aux activités quotidiennes, aux rituels, aux interactions et à différents événements qui se produisent dans la population étudiée, ce qui leur permet de connaître sa culture. Cette approche fait appel à un vaste éventail de techniques de collecte des données, notamment entretiens (structurés, semi-structurés et non structurés), prise de notes sur le terrain, utilisation de listes de contrôle, questionnaires et observation discrète. Dans le cas des communautés de petits pêcheurs, l’observation participante peut s’effectuer en mer lors des activités de pêche, à quai, dans les installations de transformation, de commercialisation et de distribution et dans les ménages, et de fait, pratiquement partout où les sujets étudiés peuvent se trouver.

La collecte relativement non systématique de l’information par observation participante est à la base de toutes les autres méthodes de recherche, comme des méthodes plus perfectionnées examinées ci-après. Les données préliminaires recueillies de cette façon fournissent aux chercheurs les informations et les renseignements nécessaires à l’élaboration des questions posées en entretien, des questionnaires, des tests psychologiques et de différents outils de recherche spécialisés. L’observation participante permet en outre de procéder à d’autres vérifications permettant de contrôler et d’évaluer les informations de terrain et les différentes données obtenues à l’aide de techniques plus spécialisées.

L’observation participante exige beaucoup plus qu’une simple présence sur le terrain et l’enregistrement passif de ce que les gens font et disent. Souvent, après avoir observé un événement ou un comportement particuliers, un chercheur doit prendre connaissance d’autres informations qui ne peuvent être observées directement; selon son cadre de référence personnel, il pensera par conséquent à poser d’autres questions, à établir des liens entre le comportement observé et d’autres types de comportement, aux données à obtenir et à différents éléments à réunir pour compléter ses observations personnelles. Grâce à la structuration des observations, à l’étude systématique des relations envisageables, à une observation méticuleuse et à différentes méthodes, l’observation participante peut être adaptée en vue d’une utilisation scientifique.

Dans des situations comportant une évaluation rapide, l’observation participante consiste généralement à se lancer et à se mettre à récolter des données, sans passer au préalable un temps considérable à établir des rapports. Cela consiste dans nombre de cas à se placer dans une situation de terrain, armé d’une liste de questions à poser et d’une liste de contrôle des données à recueillir. Bien que ce travail de terrain réduit limite le type et la quantité d’informations qui peuvent être recueillies, un chercheur peut accroître son efficacité en étant en partie familiarisé avec la culture et la communauté considérées lorsqu’il aborde la situation sur place. La lecture de toute publication disponible consacrée à cette communauté, les conversations avec les chercheurs qui ont auparavant travaillé dans ce cadre, et enfin, la vérification des données historiques et des données d’état civil, de façon à réunir des données générales préliminaires, peuvent contribuer à ce résultat.

L’observation directe réactive est une extension de l’observation participante. Il s’agit d’une technique dans laquelle le chercheur est directement impliqué dans l’observation du comportement des membres de la communauté, en faisant simultanément tout son possible pour effectuer des mesures ou prendre des notes, ou encore en leur demandant souvent comment ils réagissent à ce qu’il pense des observations réalisées. Cette forme intrusive d’obtention des données s’avère au demeurant très utile pour recueillir des informations spécifiques, notamment lorsqu’il faut les obtenir rapidement. Elle a été mise en oeuvre de façon extrêmement probante pour recueillir des informations précises sur l’efficacité au travail et le niveau d’effort fourni, sur les niveaux de production, les régimes alimentaires, les interactions enseignants-élèves, et les contacts policiers- population civile, pour citer quelques exemples. Elle devrait donc constituer en outre un moyen efficace pour se renseigner rapidement sur ce que les membres des communautés de petits pêcheurs pensent des différentes pratiques envisagées de gestion et de politique. De façon générale, cette forme intensive et difficile de collecte des données exige une interaction constante entre le chercheur et les populations observées et place par conséquent sous tension toutes les parties concernées. Elle s’avère particulièrement efficace lorsqu’il y a eu suffisamment d’interactions préalables entre les chercheurs et les participants pour que la présence des premiers ne distraie, ni ne gêne indûment les seconds.

4.10 Collaboration avec des déclarants privilégiés

Lorsqu’on réalise une enquête par questionnaire, les déclarants sont choisis au hasard, ce qui garantit une représentation des différences d’opinion et de comportements observables dans une communauté. Toutefois, les chercheurs désireux de recueillir des données spécifiques détaillées s’en remettent parfois à des déclarants privilégiés. Par comparaison à l’utilisation de questionnaires ou d’enquêtes - méthodes pouvant comporter l’utilisation d’un vaste échantillon de déclarants - la technique des déclarants privilégiés peut consister à se limiter à un très petit échantillon de membres de la communauté, lequel est par ailleurs étudié de façon plus approfondie. Pour que cette façon de procéder constitue une méthode de terrain efficace, les déclarants privilégiés doivent être fiables, et interrogés sur des sujets qu’ils sont susceptibles de connaître. De plus, il convient de travailler avec plusieurs déclarants privilégiés, puisqu’en règle générale aucun déclarant à lui tout seul ne peut fournir des informations sur tous les aspects de tel ou tel phénomène auquel le chercheur s’intéresse. En principe, les déclarants privilégiés doivent représenter différents horizons, de façon à garantir aux chercheurs l’obtention d’un point de vue le plus large possible, mais leur importance réside essentiellement dans le fait qu’ils apportent une connaissance approfondie d’un phénomène particulier. Autrement dit, les déclarants privilégiés seront généralement choisis davantage sur la base de leurs compétences et des informations spécifiques dont ils disposent que sur leur représentativité par rapport à la communauté.

Les entrevues de déclarants privilégiés constituent une partie importante du travail de recherche sur le terrain. Les bons déclarants sont les personnes avec lesquelles le chercheur peut parler facilement, qui comprennent le type d’informations requis et qui le fourniront aux chercheurs ou sauront où l’obtenir. Ces entrevues sont utilisées au mieux de leurs possibilités lorsqu’elles sont étroitement intégrées à une observation participante; elles sont en outre particulièrement efficaces pour recueillir des informations concernant des pratiques et des comportements culturels qui ont disparu ou qui ont profondément changé au fil du temps.

Par contre, il importe que les chercheurs ne choisissent pas trop rapidement leurs déclarants privilégiés, par exemple, immédiatement après leur arrivée sur le terrain. Dans nombre de cas, les premières personnes à approcher un chercheur risquent d’être des «autochtones marginaux», c’est-à-dire des personnes proscrites d’une façon ou d’une autre, ou du moins imparfaitement acceptées de la communauté; aussi cherchent-elles parfois à améliorer leur statut et à prendre plus d’importance en gagnant la faveur des chercheurs, notamment ceux qui ont apparemment des liens avec les pouvoirs publics. Malheureusement, en cherchant à gagner la faveur des chercheurs, elles risquent de fournir des informations inexactes ou fausses, la majorité de la population pouvant alors hésiter à travailler avec des chercheurs qui se sont associés aux marginaux de la communauté. L’identification et la sélection de bons déclarants privilégiés peut par conséquent prendre un certain temps et il préférable à cet égard d’attendre que le chercheur se soit familiarisé avec la communauté et la culture en question.

4.11 Prise de notes sur le terrain

La prise de notes sur le terrain est une technique fondamentale d’enregistrement de l’information; les notes de ce type incluent les livres de bord quotidiens, les journaux personnels, les descriptions d’événements et les propres notes des chercheurs à ce sujet. En principe, elles doivent être rédigées tous les jours pour éviter la perte de détails importants et doivent être aussi précises que possible de façon réaliste.

L’avènement des techniques modernes a facilité la prise de notes sur le terrain. L’utilisation de magnétophones et d’ordinateurs portables, par exemple, assure une plus grande précision dans l’enregistrement des entrevues par comparaison aux notes manuelles ou à la reconstitution ultérieure ou de mémoire, de paroles ou d’événements, bien après les faits. De plus, la photographie, la vidéo et le cinéma peuvent saisir et retenir une somme de détails beaucoup plus importante par comparaison aux simples notes, fournissant ainsi des informations infiniment précieuses aux chercheurs. Naturellement, les déclarants ne doivent pas être enregistrés, photographiés ou filmés sans autorisation préalable. Toutefois, quel que soit l’intérêt de ces techniques, elles ne doivent pas remplacer entièrement les notes prises sur le terrain, mais être mises en oeuvre conjointement, de façon à acquérir une connaissance plus complète de la communauté.

4.12 Entretiens non structurés et semi-structurés

Les entretiens non structurés constituent la forme la plus répandue d’entretiens utilisée pour recueillir des informations sur une communauté et sa population. Les membres de la communauté sont interrogés de façon formelle tout au long d’une journée ordinaire - à bord de leurs embarcations, dans les champs ou chez eux, en mangeant ou en buvant avec eux, dans la rue ou en tout lieu approprié. En dépit de sa simplicité, ce type d’entretien exige néanmoins un savoir-faire considérable de la part d’un chercheur s’il veut obtenir de bons résultats. Etablir des rapports, réussir à faire parler les déclarants en toute liberté et à obtenir l’information recherchée, savoir terminer l’entretien et s’assurer que l’information est systématiquement effectivement recueillie, quel que soit le caractère informel apparent de l’approche suivie à cet effet, figurent parmi les principales aptitudes dont un chercheur doit savoir faire preuve lorsqu’il utilise cette méthode.

Le contrôle exercé par un chercheur sur une situation d’entretien non structuré peut être classé sur une échelle continue. A une extrémité, figure l’entretien informel, caractérisé par une absence complète de structure ou de contrôle. Le chercheur s’efforce simplement de se remémorer des conversations entendues dans la journée sur le terrain, puis les enregistre tous les soirs. Ces conversations sont habituellement consignées sous forme de notes de terrain au moyen d’un ordinateur portable, ou dictées sur magnétophone. Il s’agit sans doute de la meilleure méthode d’entretien non structuré au début d’une observation participante, lorsque le chercheur commence simplement à se familiariser avec les gens. Ce procédé continuera néanmoins à présenter un intérêt tout au long du travail sur place, pour établir un contact avec de nouveaux déclarants et pour explorer les nouveaux thèmes d’étude qui se dégagent.

Le niveau de contrôle suivant correspond aux entretiens non structurés, menés de façon plus formelle. En règle générale, déclarant et chercheur s’installent spécialement pour procéder à un entretien. Bien que l’interviewer ait un plan précis en tête, celui-ci est extrêmement souple et les réponses du déclarant ne font pratiquement l’objet d’aucune restriction. Ce type d’entretien a pour principe d’amener les gens à parler librement et à s’exprimer dans leurs propres termes, à leur propre rythme. Ils sont généralement utilisés lorsqu’on dispose de beaucoup de temps - par exemple, dans le cadre de travaux de terrain à long terme où les déclarants peuvent être interrogés à plusieurs reprises.

Par contre, lorsqu’un déclarant ne peut être interrogé qu’une seule fois, il peut convenir de procéder à un entretien semi-structuré. Ce type d’entretien repose généralement sur l’utilisation d’une liste écrite de questions et de sujets introduits par le chercheur au cours de l’entretien et traités dans un ordre particulier. L’interviewer conserve certes la souplesse nécessaire pour suivre les pistes ouvertes par le déclarant, mais s’emploie à obtenir par ailleurs certaines informations bien précises; celles-ci sont généralement consignées par écrit sur un imprimé appelé guide d’entretien, suivi par l’interviewer au fur et à mesure du déroulement de l’entrevue; ces guides sont élaborés à partir des informations recueillies lors de précédents entretiens informels et non structurés; l’approche ainsi suivie est souvent particulièrement efficace pour recueillir des informations auprès des élites d’une communauté, comme auprès de ceux qui ont acquis un certain niveau d’instruction, et des fonctionnaires de l’administration publique.

4.13 Entretiens structurés

Les entretiens structurés consistent à soumettre chaque déclarant exactement au même ensemble de stimuli. Les stimuli peuvent être constitués d’un ensemble de questions, d’une liste de noms, d’une série de photographies, d’équipements de pêche, etc. Ces entretiens ont pour principe de contrôler les données de départ qui déclenchent chaque réponse, de façon à pouvoir établir une comparaison fiable des réponses obtenues. Les entretiens structurés permettent donc à un chercheur d’établir des comparaisons d’une personne et d’un groupe à l’autre.

Le schéma d’entretien est une forme d’entretien structuré comportant un ensemble formel de questions, semblables à celles d’un recensement. Les entretiens structurés de ce type jouent d’ordinaire un rôle important afin de vérifier les données recueillies par d’autres moyens et peuvent représenter un élément majeur d’un travail de recherche visant à mieux connaître des communautés particulières. Par exemple, lorsque différents groupes sont présents dans une région il sera important d’obtenir des données démographiques, pour pouvoir en extraire ultérieurement des échantillons stratifiés. Les schémas d’entretien structuré peuvent demander des informations sur la composition des ménages notamment noms, sexe, liens de parenté, liens ethniques, appartenance religieuse, revenus, dates de naissances, niveau d’instruction, problèmes de santé, et activités professionnelles des différents membres du ménage. Evidemment, au sein des communautés de petits pêcheurs, ils peuvent également servir à obtenir des informations sur les méthodes de pêche, le matériel de pêche, les espèces récoltées, les niveaux de capture, ainsi que la participation aux activités auxiliaires.

Le recours aux schémas d’entretien exige généralement une très bonne connaissance de la culture locale et des regroupements sociaux. Aussi, ne doivent-ils être employés qu’après avoir recueillis suffisamment de données à l’aide des techniques d’observation participante et d’entretien informel et non structuré. Utilisés prématurément, les schémas d’entretien risquent sinon de se traduire par une série de questions maladroites ou inappropriées et aussi par des réponses trompeuses.

4.14 Questionnaires et sondages

Le questionnaire est la forme la plus courante d’entretien structuré. Les questionnaires peuvent être remplis par le déclarant lui-même qui les envoie par la poste, ou être distribués et recueillis ultérieurement. Ils peuvent être complétés par téléphone ou en personne. Dans tous les cas, les questions posées sont les mêmes pour tous les déclarants. A l’exception des questionnaires remplis par téléphone, les questionnaires peuvent être distingués des schémas d’entretien dans la mesure où les déclarants répondent aux questions sous la forme indiquée par le chercheur, au lieu que le chercheur enregistre lui-même les informations.

La création d’un questionnaire doit observer un certain nombre de règles, indépendamment du fait qu’il soit complété en personne ou à distance:

(1) Les questions doivent être sans ambiguïté, aussi claires et concises que possible, et utiliser un vocabulaire compréhensible de la part des déclarants, sans néanmoins paraître paternaliste ou condescendant.

(2) Les déclarants doivent avoir des connaissances suffisantes pour fournir des réponses précises aux questions posées. Faute de quoi ils risquent d’être embarrassés et mal à l’aise si, à maintes reprises, ils doivent dire qu’ils n’ont pas de réponse à la question posée.

(3) Le questionnaire doit paraître soigneusement conçu et bien organisé. Il ne doit pas comporter de questions apparemment gratuites et lorsqu’un sujet a été abordé il doit être terminé avant de passer au sujet suivant.

(4) Le chercheur doit se pencher attentivement sur les réponses aux questions conditionnelles ou aux questions de filtrage, en évitant de poser au déclarant des questions que leurs réponses antérieures ont d’ores et déjà éliminées.

(5) Il convient d’utiliser des barèmes de notation clairs pour répondre aux questions de classement tout en donnant au déclarant toute latitude pour établir des distinctions, par exemple en prévoyant 5 réponses possibles et non 3 (par exemple «approuve fermement», «approuve», «neutre», «désapprouve» et «désapprouve fortement», au lieu de «approuve», «neutre» et «désapprouve».

(6) La liste des réponses doit couvrir, dans la mesure du possible, tout l’éventail des réponses envisageables.

(7) Les questions qui ne sont pas embarrassantes peuvent être posées directement, mais celles qui abordent des thèmes plus sensibles doivent être formulées de façon plus indirecte.

(8) Eviter les questions tendancieuses comme celles qui commencent par une formule telle que «est-il selon vous inexact que...»

(9) Eviter des questions qui laissent entendre ou impliquent l’opinion, le sentiment du chercheur, sur certains sujets.

Les questionnaires sont mal conçus lorsque les chercheurs élaborent des séries de questions sans disposer des données générales appropriées: d’où une série de questions mal formulées et de choix de réponses peu clairs. Il importe par conséquent pour le chercheur d’avoir une bonne connaissance pratique de la communauté avant de concevoir des questionnaires. Les questions doivent porter tout d’abord sur des aspects plus généraux, puis passer à des demandes de renseignements spécifiques plus détaillés. De manière analogue, les demandes de renseignements à caractère plus privé ou délicat doivent être précédées de demandes portant sur des aspects plus généraux. Seules doivent figurer les questions concernant l’étude entreprise, mais en cas de doute, il est préférable de demander trop d’informations plutôt que pas assez. Enfin, à moins que le chercheur possède d’ores et déjà une vaste expérience en matière de rédaction de questionnaires dans la communauté considérée, il est indiqué d’effectuer un essai auprès d’un nombre restreint de déclarants, permettant ensuite d’introduire les modifications appropriées.

4.15 Échelles d’estimation

Un questionnaire à échelle graduée permet d’attribuer des unités d’analyse à des catégories d’une variable ou d’un concept, généralement au moyen d’une valeur numérique. Les questions peuvent impliquer des considérations touchant à l’âge, au sexe, au bonheur, à la satisfaction professionnelle et aux préférences en matière de loisir, pour n’en citer que quelques-unes. Presque tous les aspects culturels peuvent être analysés au moyen d’une échelle graduée.

Lorsque les informations demandées deviennent plus abstraites, passant de questions simples sur l’âge et le sexe à des notions plus complexes comme la satisfaction professionnelle, la classe sociale ou le statut socioéconomique, la mesure doit utiliser un instrument complexe comportant plusieurs indicateurs. Ces mesures complexes ou composites sont appelées des échelles. Pour mesurer le statut socioéconomique, on associe communément des mesures du revenu, du niveau d’instruction et du prestige professionnel, du point de vue des déclarants. Aucune de ces mesures prises individuellement ne traduit la complexité du statut socioéconomique, mais une fois combinées elles en donnent une image plus complète. En fait, les mesures complexes sont utilisées lorsqu’un indicateur unique ne fournit pas suffisamment d’informations.

L’index cumulatif constitue le type le plus courant de mesure complexe. Il regroupe plusieurs questions ou notions, toutes dotées du même poids. Les examens à choix multiples sont un exemple d’utilisation d’un index cumulatif. Leur principe réside dans le fait qu’aucune question ne peut mesurer la connaissance acquise par un étudiant du contenu d’un programme; aussi, pose-t-on plutôt à ce dernier un assez grand nombre de questions sur ledit contenu. A chaque question correspond une valeur en points, attribuée à chaque réponse correcte. Ainsi, lorsqu’il y a 60 questions qui valent chacune 1 point, et si l’étudiant obtient 45 bonnes réponses, l’index cumulatif de réussite du test par étudiant est de 45 ou encore 75 pour cent. Néanmoins, le simple fait de réunir une série d’éléments pour constituer un index ne garantira aucunement la pertinence de la mesure composite obtenue.

Par comparaison à un index cumulatif, les mesures réalisées au moyen d’une échelle de Guttman s’emploient à identifier certaines structures de réponses. Autrement dit, elles vérifient l’existence de corrélations conditionnelles: par exemple, si la caractéristique B est présente, alors A l’est nécessairement, et si C est présente, alors A et B doivent l’être également. Cette approche repose sur la théorie selon laquelle les attributs culturels sont acquis dans un certain ordre et présentent une certaine structure. Evidemment, il ne s’agit pas d’un système parfait et il y aura toujours des erreurs dans les données, dues habituellement à l’expression d’un autre comportement culturel, par exemple la volonté de revenir à des valeurs plus traditionnelles. Néanmoins, des échelles de Guttman bien conçues permettent de se faire une très bonne idée des comportements propres à une communauté ou une culture particulière.

La forme la plus répandue d’échelle est l’échelle de Likert. Il s’agit essentiellement d’une échelle sur 5 points communément utilisée dans les questionnaires et particulièrement adaptée à la mesure de l’état d’esprit individuel des gens - leurs attitudes, leurs émotions, leurs orientations - c’est-à-dire de variables multidimensionnelles. Pour créer une échelle de Likert il faut tout d’abord établir une liste des positions potentielles de l’échelle de notation correspondant à un concept, puis déterminer les sous-ensembles mesurant les différents aspects. La création d’une échelle de Likert doit suivre plusieurs étapes:

(1) Identifier et mesurer la variable mesurée, par exemple la satisfaction professionnelle. Les travaux menés à bien auparavant au sein de la communauté permettent généralement de réaliser cette opération initiale.

(2) Etablir une longue liste de questions et d’énoncés indicateurs, susceptibles de fournir des informations sur la variable. Là encore, cette étape s’appuie sur les étapes précédentes, sur une lecture approfondie des publications pertinentes ou sur des entretiens avec des déclarants privilégiés.

(3) Des idées indicatrices peuvent également être recueillies en interrogeant un vaste échantillon de la communauté sur les caractéristiques qu’ils associent à la variable considérée.

(4) Ne pas fixer les positions extrêmes des rubriques indicatrices. Laisser les déclarants proposer eux-mêmes le domaine de variation des émotions concernant le sujet considéré.

(5) Etablir l’échelle en observant les mêmes règles que pour l’élaboration d’un questionnaire.

(6) Déterminer le nombre de catégories de réponses. La plupart des échelles de Likert comportent un nombre impair de réponses possibles, les réponses intermédiaires correspondant généralement aux personnes sans opinion.

(7) Tester l’échelle sur un échantillon de déclarants.

(8) Réaliser une analyse par rubrique afin d’identifier les rubriques qui constituent une échelle unidimensionnelle de la variable mesurée.

(9) Réaliser l’étude complète et procéder à une analyse par rubrique pour vérifier si l’échelle établie convient. Si tel est le cas, vérifier l’existence de liens entre les graduations de l’échelle et les autres variables concernant la population étudiée.

La méthode sémantique différentielle d’analyse par échelle graduée est une autre méthode permettant à un chercheur d’analyser le mode d’interprétation des sujets étudiés vis-à-vis de choses telles que les objets inanimés, les objets animés, les comportements ou les concepts immatériels. Mais, contrairement à l’échelle de Likert, la méthode sémantique différentielle vérifie les opinions des sujets étudiés en leur présentant un item ou un concept-cible, tel que le foyer, le mariage, l’inceste et établit ensuite une liste d’adjectifs associés au concept-cible. Les déclarants sont ensuite invités à noter leur opinion concernant la rubrique-cible sur une échelle allant de 1 à 7, au moyen de groupes d’adjectifs, tels que bon-mauvais, actif-passif, beau-laid, etc., suivant le type de cibles.

4.16 Observation discrète

L’observation discrète désigne toutes les méthodes d’étude du comportement lorsque les sujets considérés ignorent qu’ils sont observés. Certaines méthodes d’observation discrète soulèvent des questions éthiques que les chercheurs doivent résoudre avant de les utiliser. On trouvera ci-dessous la description de certaines méthodes courantes d’observation discrète:

(1) Étude des traces de comportement; ce type d’études analyse les traces laissées par les actions et les comportements humains. Il comporte l’examen de détritus, de traces d’usure sur les carrelages afin de déterminer la pièce la plus usée exposée dans un musée, et la durée de vie moyenne d’une automobile en Amérique, notamment. On peut obtenir ainsi beaucoup d’informations quantifiables et comparables d’un groupe à l’autre et dans le temps. Des questions d’éthique se posent toutefois dans ce contexte en cas de découverte d’informations personnelles, par exemple dans l’étude par analyse des détritus. Néanmoins, à condition de prendre des précautions adéquates, elle peut constituer un précieux outil de recherche.

(2) Étude des archives; cette méthode implique d’ordinaire l’étude des documents publics concernant les naissances, les mariages, les décès, les délits, les migrations, les statistiques économiques et différents facteurs. En tant que méthode véritablement discrète, elle peut aboutir à des informations très précieuses, en particulier au sujet de l’évolution dans le temps des caractéristiques culturelles. Les archives posent néanmoins le problème suivant: elles risquent de contenir de nombreuses erreurs, ce qui altère la fiabilité des données qui en sont extraites, en particulier lorsque le mode de collecte des informations de départ est indéterminé.

(3) Analyse de contenu; ce type d’études inclut l’analyse de toutes sortes de documents écrits en tant que source de données qualitatives, qu’il s’agisse de fictions ou non, de contes populaires, d’articles de journaux, de publicités, de films, de vidéos, de photographies ou de chansons. Il est possible de les étudier en s’attachant à toute variable susceptible d’être mise en corrélation ou interprétée en fonction d’informations historiques ou ethnographiques. Les problèmes inhérents à cette technique concernent généralement les bases de données proprement dites. En fait, l’information contenue dans les documents écrits n’est pas forcément une image précise ou fidèle de la communauté ou de la culture étudiée.

(4) Observation déguisée; selon cette méthode d’observation le chercheur fait semblant de s’associer à un groupe et procède ensuite à son observation et à l’enregistrement du comportement de ses membres sans leur dire qu’ils sont observés. Il s’agit sans doute de la forme la plus extrême de l’observation participante et dont l’efficacité exige la capacité pour le chercheur de subir une intégration physique, linguistique et culturelle au sein du groupe étudié. Evidemment, cette méthode pose de nombreuses questions déontologiques, notamment d’immixtion dans la vie privée et d’accord de plein gré.

4.17 Approches participatives

Les méthodes de recherche dites «participatives» sont souvent évoquées sous le nom de méthodes de «participation populaire» et «d’évaluation rurale participative» (ou PRA, Participatory rural appraisal) (voir Chambers 1994a, 1994b et 1994c). En fait, ces approches préconisent des niveaux élevés de participation et de collaboration entre les chercheurs (par exemple, des responsables des pêches) et les sujets étudiés (les membres des communautés de pêche), à tous les stades d’un projet de recherche. Elles confèrent en outre aux intéressés des niveaux élevés de contrôle quant à la conception, à la conduite, à l’interprétation et à l’utilisation ultérieure du travail de recherche.

En dernier ressort, ces méthodes peuvent contribuer largement à une rapide amélioration des rapports entre les responsables des pêches et les pêcheurs; au mieux, elles peuvent constituer un moyen efficace pour promouvoir une meilleure gestion tout en renforçant le bien-être des communautés de petits pêcheurs. Les lecteurs sont invités à examiner les annexes figurant à la fin du présent rapport, dans lesquelles ils trouveront une description des approches participatives en matière de recherche, de gestion et de développement, qui ont été à l’origine d’une amélioration de la gestion des pêches et d’un renforcement des communautés de petits pêcheurs: Annexe 10.1, (Akimichi); 10.2 (Ben-Yami), 10.3 (Freeman et 10.5 (Stoffle).

Les approches participatives sont complexes et impliquent généralement une interaction permanente entre chercheurs et sujets d’étude, au cours de périodes de temps relativement longues. De fait, dans certains cas, le travail de recherche n’est jamais terminé et implique en réalité la poursuite des efforts déployés par les chercheurs et par les sujets étudiés pour trouver des solutions à différents problèmes grâce à une adaptation continue de ces mêmes solutions, sur la base de l’expérience progressivement accumulée. Les étapes particulières à prévoir sont donc très variables en fonction de la communauté ou des communautés considérées et des principaux problèmes à résoudre, mais en règle générale, elles impliquent peu ou prou les phases suivantes:

(1) Les chercheurs (les responsables des pêches) et les sujets étudiés (par exemple, les membres de communautés de petits pêcheurs) font connaissance et s’informent de leurs préoccupations respectives. Cette phase peut être riche d’enseignements sur le plan culturel, du point de vue de tous les participants, dans la mesure où ils sont issus d’horizons culturels très différents. Il faut impérativement insister dès le début sur la nécessité de coopérer et de parvenir en définitive à un accord.

(2) Les principaux participants sont identifiés parmi les chercheurs et les sujets étudiés désireux d’assumer des responsabilités, afin de travailler ensemble et de trouver aux problèmes précédemment rencontrés des solutions satisfaisantes pour la plupart des intéressés.

(3) Des solutions sont suggérées face aux préoccupations respectives des divers participants. Différents moyens sont également proposés pour évaluer l’efficacité potentielle de ces solutions. Ces questions sont examinées aussi souvent et de façon aussi détaillée qu’il le faut, pour amener les participants à un accord quant aux mesures à prendre.

(4) Différentes solutions sont essayées à une échelle expérimentale, et leur efficacité est évaluée.

(5) En s’appuyant sur la somme d’expériences acquises au préalable, les participants modifient les solutions expérimentées, continuent à travailler ensemble dans un esprit de coopération et poursuivent par ailleurs l’examen des étapes (1) à (4) ci-dessus.

4.18 Ouvrages de référence recommandés concernant les méthodes d’étude des cultures des communautés de petits pêcheurs

Agar, Michael A. 1996. AAA (American Anthropological Association) Newsletter. Janvier.

Bernard, H. Russell (dir. publ.) 1998. Handbook of methods in cultural anthropology. Walnut Creek, California: AltaMira Press.

Bernard, H. Russell. 1994. Research methods in anthropology: qualitative and quantitative approaches. Thousand Oaks, California: Sage Publications.

Brim, John A. et David H. Spain. 1974. Research design in anthropology: paradigms and pragmatics in the testing of hypotheses. New York: Holt, Rinehart and Winston.

Chambers, Robert. 1994a. “The Origins and Practice of Participatory Rural Appraisal.” World Development 22 (7): 953-969.

Chambers, Robert. 1994b. “Participatory Rural Appraisal (PRA): Analysis of Experience.” World Development 22 (9): 1253-1268.

Chambers, Robert. 1994c. “Participatory Rural Appraisal (PRA): Challenges, Potentials, and Paradigm.” World Development 22 (11): 1437-1454.

Crane, Julia G. et Michael V. Angrosino. 1974. Field projects in anthropology: a student handbook. Morristown, New Jersey: General Learning Press.

EPA (Environmental Protection Agency). 1994. Measuring the progress of estuary programs: a manual. Washington, D.C.: United States Environmental Protection Agency.

Frake, Charles O. 1964. “Notes on queries in ethnography.” American Anthropologist 66: 3(2): 132-145.

Frantz, Charles. 1972. The student anthropologist’s handbook. Cambridge, Massachusetts: Schenkman Publishing.

IIRR (International Institute of Rural Reconstruction). 1998. Participatory methods in community-based coastal resources management. 3 volumes. Silang, Cavite, Philippines: International Institute of Rural Reconstruction.

Margoluis, Richard et Nick Salafsky. 1998. Measures of success: designing, managing, and monitoring conservation and development projects. Washington, D.C.: Island Press.

Pelto, Pertti J. et Gretel H. Pelto. 1978. Anthropological research: the structure of inquiry. New York: Cambridge University Press.

Phillips, Bernard S. 1976. Social research: strategy and tactics. New York: MacMillan Publishing.

Pollnac, Richard B. (dir. publ.) 1989. Monitoring and evaluating the impacts of small-scale fishery projects. Kingston, Rhode Island: International Center for Marine Resource Development, University of Rhode Island.

Pollnac, R. B. et R. S. Pomeroy. 1996. Evaluating factors contributing to the success of community-based coastal resource management projects: a baseline independent method. Kingston, Rhode Island: Department of Anthropology and Coastal Resources Center, University of Rhode Island. Anthropology Working Paper no. 54.

Schensul, Jean et M. D. LeCompte (dir. publ.) 1999. Ethnographer’s toolkit. 7 volumes. Walnut Creek, California: AltaMira Press.

Van Willigen, John. 1986. Applied anthropology: an introduction. South Hadley, Massachusetts: Bergin and Garvey Publishers.

Walters, J. S., J. Maragos, S. Siar, et A. T. White. 1998. Participatory coastal resource assessment: a handbook for community workers and coastal resource managers. Cebu City, Philippines: Coastal Resources Management Project et Silliman University.

Wax, Rosalie H. 1971. Doing fieldwork: warnings and advice. Chicago: University of Chicago Press.

Williams, Thomas R. 1967. Field methods in the study of culture. New York: Holt, Rinehart, and Winston.


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