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1. INTRODUCTION


Directement et indirectement, cette étude de cas traite de la sécurité alimentaire, tant des populations de pêcheurs artisanaux et des petits pêcheurs du sud-est du Nigéria, que des nigérians qui consomment leur production. En particulier, la sécurité alimentaire des premiers dépend entièrement des prises réalisées, le poisson étant pour eux la principale source de protéines animales d’une part, et leur seule source de revenus d’autre part. En dehors de leurs aliments de subsistance à base de glucides qu’ils doivent acheter, leur ration alimentaire est assurée par leurs prises quotidiennes.

Puisqu’il leur faut toujours conserver une certaine quantité à vendre, il leur reste peu de chose pour se nourrir lorsque les captures sont médiocres, de telle sorte que la malnutrition dans les villages de pêcheurs isolés, et tout particulièrement chez les enfants est un phénomène manifeste. De plus, dans une large mesure pour la quasi-totalité des populations de pêcheurs de cette région, l’importance et la valeur des captures est fonction de la disponibilité et du coût des services de crédit. L’accès au crédit est en effet indispensable pour l’acquisition de carburant et de produits alimentaires, comme pour l’achat de matériel, ne serait-ce qu’un petit filet, un moteur hors-bord ou un nouveau bateau.

Or, le crédit traditionnel, le seul dont disposent habituellement les artisans pêcheurs, s’avère extrêmement coûteux en termes économico-financiers (voir para. 5.6 ci-dessous). Un accès au crédit institutionnel, nettement meilleur marché, faciliterait un accroissement des captures, et donc une sécurité alimentaire accrue pour l’ensemble de la population vivant de la pêche; cela tient au fait que, dans cette région particulière, un approvisionnement adéquat en carburant, ainsi que l’utilisation de bateaux et de matériel de meilleure qualité permettraient aux artisans pêcheurs d’opérer dans des zones de pêche plus éloignées et d’affronter plus efficacement la concurrence des flottes de chalutiers.

La présente étude porte sur les populations pauvres d’artisans pêcheurs, qui vivent dans des villages côtiers isolés et qui ont pu accéder à des crédits bancaires classiques dans des conditions acceptables. Les banques commerciales et les banques des secteurs parapublics, en règle générale, devraient accorder des crédits à ce type de clients. Le projet décrit dans le cadre de cette étude de cas est une tentative relativement efficace pour assurer la présence d’une banque auprès de cette communauté, grâce à l’identification de groupes de prévoyance traditionnels susceptibles de bénéficier d’un concours financier parce qu’ils faisaient office d’institutions sociales intégrées à la culture ouest-africaine, et constituaient des groupements potentiels de garantie mutuelle. Une grande banque parapublique ayant été associée à ces groupements, un effectif important de personnel de terrain et de nombreux agents de vulgarisation des pêches ont été formés et sensibilisés à la mission consistant à repérer ces groupes et à les aider à se réorganiser, puis à attribuer des crédits par leur intermédiaire, à des emprunteurs individuels.

L’injection de crédits pour l’acquisition de moteurs et de matériel de pêche s’est traduite par une augmentation des captures, laissant ainsi une marge plus importante pour la consommation de subsistance. L’ensemble de l’opération (y compris des éléments de développement communautaire pris en charge par les crédits ouverts à cette occasion), s’est appuyé sur les normes sociales en vigueur et a été mené à bien par les institutions villageoises avec le concours du personnel itinérant de la banque et des administrations provinciales et fédérales des pêches. Aucun expatrié n’y a été associé.

La production de poisson du Nigéria, dont la pêche artisanale assure quelque 90 pour cent, ne permet de répondre qu’à environ la moitié de ses besoins évalués de façon réaliste à environ un million de tonnes par an (FIDA, 1988). Les quantités débarquées destinées à la consommation de subsistance et à la commercialisation ont été davantage fonction des conditions socioéconomiques de production (voir 4.3.4 ci-dessous), notamment de l’accessibilité et du coût du crédit, que de la situation remarquablement stable des ressources halieutiques; pendant les périodes de manque de liquidités et d’aides directes insuffisantes, les débarquements des pêcheurs artisanaux diminuent en effet dans de fortes proportions. L’amélioration de leur mobilité financière se traduira par conséquent par un accroissement de l’offre de poisson, et une meilleure sécurité alimentaire pour eux-mêmes et pour le pays dans son ensemble.

Cette étude de cas s’intéresse aux communautés de pêcheurs du delta du Niger et du cours inférieur de la Cross River et de son estuaire (voir carte ci-jointe). Elle décrit la population et son activité de pêche, ainsi que l’ensemble des facteurs constitués par les caractéristiques écologiques, culturelles et socioéconomiques et le mode de production, qui détermine globalement le niveau des captures, des revenus et le bien-être de la communauté. L’étude passe également en revue un programme de crédit assez efficace qui a été associé à un projet de développement communautaire, dont la conception et l’exécution se sont appuyées sur l’intégration des institutions et des coutumes traditionnelles à un dispositif original.

Quel que soit le lieu considéré, la production de poisson s’inscrit dans le cadre d’un système dynamique constitué d’une part d’un écheveau dense de relations sociales, économiques, culturelles et politiques et d’autre part, de traditions certes vigoureuses, mais susceptibles d’évoluer. Certains des changements en question interviennent de façon spontanée, d’autres sous l’effet d’influences extérieures et d’innovations. Dans le contexte de la présente étude, les captures sont étroitement tributaires notamment des modalités et des possibilités d’accès au crédit, de l’éloignement des marchés, de la disponibilité de matériel, de l’état de la ressource et de la concurrence exercée par les pêcheurs venus de l’extérieur et opérant à plus grande échelle; elles sont également fonction des caractéristiques et des relations intracommunautaires.

PROJET DE DÉVELOPPEMENT DES PÊCHES ARTISANALES - CARTE DE LA ZONE DU PROJET

Source: BIRF 21454 mars 1989 intégré avec SN NMC - 008 - 1980 3ème édition, Carte routière

Pour bien saisir la nature de ce système, il est essentiel de réaliser que les «pêcheurs artisanaux», les «pêcheurs à petite échelle» ou «petits pêcheurs», «les communautés de pêcheurs» etc., ne constituent pas une multitude d’individus dont les sentiments, les conceptions et les réactions sont uniformes, et se caractérisant en outre par la similitude de leurs intérêts et de l’idée qu’ils se font de leurs besoins. En fait, et surtout dans cette région, les communautés en question, hormis les différences observées de l’une à l’autre du point de vue social, culturel, économique et écologique, forment généralement des sociétés très complexes et souvent stratifiées, dont les membres ont des intérêts conflictuels. Néanmoins, elles sont toutes plus ou moins tributaires des pouvoirs publics fédéraux et provinciaux, du système politique, des rapports inter-tribaux, des conflits intra et interprovinciaux affectant les conditions de production et enfin, du statut socioéconomique des pêcheurs. Les facteurs généralement déterminants comprennent également le niveau de pollution et d’érosion côtière et fluviale, la disponibilité de carburant, le type et la disponibilité des technologies, le piratage, etc.

La conception du projet décrit ci-dessous s’est appuyée d’une part sur ces données concrètes et d’autre part sur le contexte propre à chaque communauté de pêche. Faute de procéder ainsi, le projet aurait risqué de commettre les erreurs observées dans le cadre d’autres projets qui ont mis en place des institutions et des technologies inadaptées, ignorant la complexité des communautés de pêche en matière sociale et culturelle, comme sur le plan de la gestion des ressources et des conditions de production (voir para. 4.3.4 ci-dessous), et responsables de graves dommages sociaux, économiques et écologiques.

Les chapitres 2 à 9 contiennent des indications générales sur différents aspects société, culture, économie, technologies, ressources observés dans la zone étudiée par les initiateurs et concepteurs du projet. Ces indications décrivent la contribution du secteur de la pêche artisanale à la sécurité alimentaire de la population du Nigéria, en général, et des communautés de pêcheurs en particulier. Les autres chapitres traitent du projet proprement dit, de son principe, de sa conception, de sa réalisation et des enseignements tirés de cette expérience.


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