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1 LA PARTICIPATION, POURQUOI?

Les efforts de développement rural n'ont pas tenu leurs promesses. D'après une évaluation récente, la moitié des projets de développement rural financés par la Banque mondiale en Afrique se sont soldés par un échec pur et simple. Un examen de l'assistance apportée aux coopératives agricoles fait apparaître des résultats analogues. L'étude réalisée par l'Organisation internationale du travail (OIT) sur les projets «orientés vers la pauvreté» dans le monde entier fait apparaître que les plus pauvres étaient exclus de leurs activités et de leurs retombées.

A quoi cet échec est-il imputable? Depuis quelques années, les critiques se font de plus en plus nombreuses en ce qui concerne les stratégies de développement rural qui continuent d'être mises en œuvre, avec seulement quelques ajustements mineurs, depuis une trentaine d'années. Ces stratégies classiques conçoivent en fait le développement essentiellement comme une série de transferts techniques visant à renforcer la production et à générer de la richesse. En pratique, les projets classiques sont normalement ciblés sur des producteurs «progressistes» pratiquant une agriculture d'échelle moyenne à grande, et les appuient par des apports de technologie, de crédit et de vulgarisation, dans l'espoir que les améliorations feront progressivement tache d'huile vers les strates plus «arriérées» de la société rurale. Dans bien des cas pourtant, le fait de diriger l'aide au développement vers les plus nantis a conduit à la concentration des terres et des capitaux, à la marginalisation des petits agriculteurs et à un accroissement alarmant du nombre des paysans sans terre.

Le défaut fondamental de l'approche classique est que les ruraux pauvres sont rarement consultés lors de la planification des projets de développement, et ne prennent en général aucune part active aux activités de développement. Cela tient à ce que la grande majorité des pauvres ne disposent d'aucune structure d'organisation pour représenter leurs intérêts. Isolés, sous-éduqués et souvent assujettis aux élites rurales, ils ne disposent d'aucun moyen pour améliorer leur accès aux ressources et aux marchés, ou pour s'opposer aux programmes ou aux technologies irréalistes et impraticables que l'on voudrait leur imposer. La leçon est claire: à moins que l'on ne donne aux ruraux pauvres les moyens de prendre pleinement part au développement, ils continueront d'être exclus de ses retombées. Cela étant entendu, il peut naître un nouvel intérêt pour une stratégie différente de développement rural, fondée cette fois-ci sur la participation populaire s'exerçant par le biais d'organisations contrôlées et financées par les pauvres.

Le développement rural vu par la CMRADR

La participation populaire au développement rural n'est nullement un concept nouveau. Il a été formulé vers le milieu des années 70 alors que l'on prenait conscience que les efforts de développement n'avaient guère d'effets sur la pauvreté. Lors de la Conférence mondiale sur la réforme agraire et le développement rural (CMRADR), tenue à Rome en 1979, la communauté internationale a diagnostiqué le motif de cet échec —l'absence de participation active des pauvres aux programmes conçus, en théorie, pour les aider.

La CMRADR a déclaré que la participation des ruraux aux institutions qui gouvernent leur vie est l'un des droits fondamentaux de la personne humaine. Pour que le développement rural produise tous les résultats dont il était capable, a affirmé la Conférence, les populations rurales défavorisées devaient être organisées et activement enrôlées dans la conception des politiques et des programmes et dans la maîtrise des institutions sociales et économiques. La CMRADR a perçu un lien étroit entre la participation et les organisations volontaires, autonomes et démocratiques représentant les pauvres. Elle a invité les organismes de développement à œuvrer en collaboration étroite avec les organisations de bénéficiaires escomptés, et a proposé que l'aide soit acheminée par le truchement de groupes de petits agriculteurs et paysans.

La participation dans la pratique

Depuis la CMRADR, les pays en développement ont essuyé nombre de revers économiques, imprévisibles en 1979. Leur survie économique étant en jeu, bien des pays ont été contraints de réduire leur effort de développement rural, et de donner la priorité à la croissance bien plus qu'à la participation et à l'équité prônée par la CMRADR.

Dans le même temps, toutefois, des progrès considérables ont été accomplis par la réflexion théorique sur les principes et la méthodologie de la participation. Sous l'impulsion de la CMRADR, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture a lancé en 1980 le Programme de participation populaire, dit PPP. Depuis lors, le PPP a mis en œuvre des projets pilotes dans tout le monde en développement, s'efforçant de mettre à l'épreuve et d'élaborer une méthode opérationnelle de participation populaire à intégrer dans des plans de développement rural plus ambitieux.

L'expérience du PPP a démontré qu'une participation authentique n'est possible que lorsque les ruraux pauvres sont capables de mettre en commun leurs efforts et leurs ressources pour poursuivre des objectifs qu'ils se sont fixés eux-mêmes. Le moyen le plus efficace d'atteindre cet objectif, a constaté la FAO, est de constituer de petits groupes, démocratiques et non structurés, composés de huit à 15 agriculteurs animés d'un état d'esprit commun. Du point de vue des pouvoirs publics et des organismes de développement, la participation populaire s'exerçant dans le cadre de petits groupes offre certains avantages remarquables:

La FAO est convaincue que l'approche participative décrite dans les pages qui suivent devra être l'un des fondements de toute stratégie visant à relever les défis des années 90.

Les projets classiques: ce qui ne va pas

En quoi certains projets classiques établissent-ils une discrimination à l'encontre des pauvres? L'un des exemples nous vient du Nigéria, où un projet de développement agricole a acheminé une assistance aux agriculteurs «progressistes», ayant choisi d'opérer dans le cadre de la structure socio-économique existante, dans l'hypothèse que cela lui gagnerait la coopération locale.

Résultat: le crédit subventionné a contribué à la création d'une petite classe «d'agriculteurs improvisés», pour beaucoup des citadins nantis. La plupart des intrants sont allés aux propriétaires les plus riches. Mais rien de tout cela n'a déterminé un accroissement de la production: les rendements des productions végétales de base ont été les mêmes chez les participants au projet et chez les non-participants.


Des projets «axés sur la pauvreté» qui excluent les pauvres

L'étude récemment effectuée par l'Organisation internationale du travail (OIT) sur 40 projets de développement rural «axés sur la pauvreté» a révélé que les plus pauvres parmi les pauvres sont souvent exclus des activités et des avantages des projets.

Au Mali, un projet s'appuyait sur les associations villageoises de développement pour acheminer des intrants aux petits agriculteurs. Mais il n'existait de telles associations que dans les villages les plus prospères. Résultat: le projet n'a pas touché les villages pauvres dépourvus de structures associatives. Un programme de développement laitier en Inde a offert des services de crédit principalement aux gros agriculteurs propriétaires d'assez de terres pour élever plusieurs bêtes; les ressources des pauvres ne leur permettaient pas d'élever plus d'un buffle.

L'étude de l'OIT conclut: «Aussilongtemps que des changements importants ne seront pas introduits dans la manière dont les projets axés sur la pauvreté sont conçus et mis en œuvre, il restera douteux qu'ils aient systématiquement pour effet d'atténuer la pauvreté, ou du moins d'améliorer l'équité.»

Combler le fossé

De nombreux gouvernements sont conscients de la nécessité d'établir une approche participative du développement pour vaincre la pauvreté persistante dans les zones rurales et parer à la menace d'instabilité sociale.

A l'occasion d'un atelier organisé en Thaïlande en 1987, des décideurs politiques de haut niveau ont déclaré que, à l'issue du plan de développement le plus récent du pays, 11 millions de Thaïlandais vivaient encore dans la pauvreté et n'avaient tiré aucun bénéfice du développement. Les chiffres fournis manifestaient le creusement de l'écart entre villes et campagnes. Le rapport entre le revenu urbain moyen et le revenu rural moyen dépassait 8:1. Ce déséquilibre avait conduit le gouvernement à décider de lancer un programme de participation des agriculteurs, d'envergure nationale, inspiré par l'expérience des projets participatifs financés par la FAO et les Pays-Bas.

Ce programme vise à promouvoir la participation populaire à la planification des projets de développement, et à faire bénéficier les pauvres de services de vulgarisation et autres par le biais de petits groupes d'agriculteurs.


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