L'élément central du PPP est la constitution de groupes d'entraide de ruraux pauvres, première étape du processus de longue haleine conduisant à l'édification et au renforcement d'institutions. Les groupes sont formés en fonction d'activités conçues de manière à satisfaire les besoins prioritaires des participants prévus.
L'appartenance au groupe donne aux pauvres plusieurs avantages:
Les groupes sont la base de départ d'activités de développement. En mettant en commun leurs capitaux, leur main-d'œuvre et leurs autres ressources, les membres sont en mesure d'exécuter des activités rentables d'auto-assistance qui, si elles étaient entreprises individuellement, comporteraient de plus grands risques et demanderaient davantage d'efforts.
Les groupes sont des mécanismes efficaces de réception. Les groupes bien formés et bien motivés permettent aux pouvoirs publics et aux ONG de développement de réduire leurs coûts de prestations de services, d'apports d'intrants et d'infrastructure locale.
Les groupes sont des laboratoires d'apprentissage. Les membres apprennent auprès du promoteur de groupe, ainsi que les uns des autres, et acquièrent des compétences, par exemple dans des domaines tels la gestion d'entreprises collectives, l'expression, la discussion et la résolution des problèmes, ou encore la comptabilité.
Les groupes contribuent à responsabiliser les ruraux pauvres. Ils donnent aux pauvres un instrument efficace de participation aux décisions locales, en les aidant à coopérer plus pleinement en vue du développement et à exercer des pressions, le cas échéant, pour améliorer leur sort.
Constitution de petits groupes homogènes
Le projet doit tout d'abord faire l'inventaire des formes existantes d'organisations populaires par groupes dans la zone géographique visée. Ces groupes et ces organisations peuvent être de caractère traditionnel, ou moderne — associations d'agriculteurs, coopératives et syndicats.
La question est de savoir si ces organisations représentent authentiquement ou non les intérêts des ruraux pauvres. Les coopératives sont souvent des structures trop hiérarchisées pour véhiculer efficacement le développement participatif. De même les groupements traditionnels communautaires fonctionnent souvent sur un modèle hiérarchique descendant, ils peuvent n'offrir que des possibilités limitées d'apprentissage et de prise de décisions en participation.
Si l'inventaire indique qu'il manque de structures collectives de participation, le projet devrait promouvoir la constitution de tels groupes parmi les participants. L'expérience du PPP fait ressortir quatre principes essentiels qu'il convient de respecter:
Les groupes doivent être petits. L'effectif optimal est de huit à 15 membres. Les petits groupes favorisent le dialogue entre leurs membres, offrent une meilleure souplesse économique, et sont moins exposés à être dominés par une petite élite qui s'approprie leur gestion, ou à se scinder en factions.
Les groupes doivent être homogènes. Leurs membres doivent partager une même condition économique et entretenir des liens d'affinité sociale étroits. L'homogénéité réduit les conflits à l'échelon du groupe. Les membres ayant une même appartenance sociale ont plus de chances de se faire confiance les uns aux autres et d'accepter une responsabilité commune de leurs activités.
Les groupes doivent être constitués autour d'activités initiales génératrices de revenus, reconnues comme viables. Les activités génératrices de revenus sont cruciales pour le développement du groupe, car elles permettent de constituer un capital qui autorise une certaine autodépendance financière.
Les groupes doivent être volontaires et autogérés. Les participants doivent décider eux-mêmes qui se joindra au groupe, qui le dirigera, quelles règles seront observées et quelles activités seront entreprises. Les décisions doivent être prises par consensus, ou par vote majoritaire.
Avant d'entreprendre de constituer des groupes, le personnel de projet doit effectuer une enquête sur les ménages auprès de la population locale pour identifier les facteurs d'homogénéité, définir les niveaux de pauvreté, les besoins prioritaires et les critères d'adhésion à un groupe. Les objectifs du projet et sa focalisation sur les pauvres doivent être discutés ouvertement et les villageois doivent prendre part à la définition des critères de participation aux groupes.
Le projet doit ensuite organiser des réunions informelles avec les personnes qui pourraient constituer un groupe pour discuter des objectifs, des méthodes de fonctionnement et des avantages des groupes, ainsi que des activités qui pourraient être entreprises et des moyens de production. Les promoteurs de groupes doivent alors établir une liste de membres et d'animateurs éventuels, ainsi que des activités envisageables et des apports qu'elles nécessiteraient.
Une fois que les participants ont identifié des activités viables génératrices de revenus, ceux qui sont intéressés par une activité particulière devraient décider des critères d'adhésion au groupe: par exemple si les membres doivent appartenir à une catégorie spécifique ou bien si le groupe doit être réservé aux hommes, réservé aux femmes, ou mixte. Ils doivent aussi évaluer leurs ressources productives, et notamment les capitaux, les compétences et l'expérience disponibles.
Les membres du groupe doivent ensuite élire un président, un secrétaire et un trésorier. Le personnel de projet doit encourager la rotation des fonctions de responsabilités entre les membres du groupe pour permettre à tous d'acquérir l'expérience de la conduite des affaires communes. Enfin, le groupe doit formuler sa propre charte, ou règlement intérieur, ses procédures, et déterminer la fréquence de ses réunions et l'utilisation de l'épargne et des prêts.
La constitution de groupes à la fois viables et stables peut prendre de deux à six mois. Mais il conviendra d'éviter aussi bien une constitution trop rapide que des délais trop longs, qui risquent de lasser l'intérêt de membres potentiels.
Les obstacles à la constitution de groupes
Le processus de constitution de groupes rencontre parfois des obstacles redoutables. Une lourde charge de travail et une santé en général médiocre laissent bien souvent aux pauvres fort peu d'énergie pour la «participation». Peut-être que le plus insidieux des obstacles à surmonter est le manque de cohésion sociale des ruraux pauvres, et leur dépendance psychologique vis-à-vis des riches. Accoutumés à abandonner initiatives et décisions à leurs «chefs» traditionnels, ils peuvent redouter des manœuvres d'intimidation ou l'expulsion de leurs terres s'ils s'aventurent dans des organisations paysannes indépendantes. D'autres contraintes sont exercées par les détenteurs locaux du pouvoir qui peuvent voir dans les groupes une menace aux relations de patronage et de tutelle, parfois hautement profitables, qui règnent depuis des temps immémoriaux.
A l'échelon local, le personnel de projet peut contribuer à résoudre ces antagonismes en se gagnant l'appui des chefs traditionnels, et des divers responsables administratifs. Il peut être nécessaire de convoquer des réunions pour sensibiliser les chefs de file aux objectifs du projet participatif et, par dessus tout, pour illustrer les avantages qu'apporteraient ces activités à la région tout entière.
Ces avantages sont notamment une amélioration du niveau de vie de l'ensemble de la communauté, un flux renforcé de services gouvernementaux vers le village et, par conséquent, un plus grand prestige pour le village et ses chefs.
Fédérations intergroupes
Une fois établis des groupes, sur une base économique saine, le PPP encourage leur intégration en fédérations locales intergroupes. La raison en est que les petits groupes se renforcent et trouvent davantage d'efficacité, en règle générale, lorsqu'ils établissent des liaisons à la fois horizontales et verticales. Les fédérations favorisent la solidarité et permettent des économies d'échelle tant dans les activités de groupes que dans les prestations de services de développement, et autorisent les membres, individuellement, à fonder leur action sur une base plus large.
La fédération intergroupe est responsable devant tous les groupes qui en sont membres. Elle doit exercer un rôle de facilitation, de coordination et d'éducation, et devenir source d'assistance technique, d'économies d'échelle et de conseils. Une fédération peut offrir une formation à de nouveaux groupes, voire contribuer à financer leurs activités en utilisant l'épargne mise en commun. En outre, elle peut servir de point de référence pour la constitution de nouvelles fédérations intergroupes, et reprendre à son compte, le cas échéant, certaines au moins des fonctions des promoteurs de groupes.
Les fédérations devraient, initialement, représenter des groupes exerçant diverses activités économiques, plutôt qu'une activité unique. Les fédérations de groupes pluriactifs sont en général mieux à même de satisfaire les besoins communs des groupes, par exemple en matière de formation et d'échange d'informations, et d'exercer des pressions sur le système de prestations de services.
Les fédérations intergroupes pourront prendre la forme juridique de précoopératives pour être dûment reconnues, obtenir la personnalité juridique, et pour disposer de plus de services et de moyens. Elles peuvent aussi établir des liens avec les coopératives axées sur les ruraux pauvres. Il convient toutefois de souligner que les groupes ne remplacent pas les coopératives et autres institutions villageoises. Ils demeurent des groupements d'intérêts autonomes.
L'établissement de liens entre les fédérations et les organisations existantes favorise la mise en commun des plans de groupes pour constituer des plans plurigroupes ou fédératifs qui peuvent être appariés aux plans de développement locaux ou régionaux dans le cadre de comités locaux de coordination. Ainsi, un processus de planification fonctionnant dans les deux sens peut-il s'établir.
Par le biais des activités intergroupes et des fédérations de groupes, les pauvres peuvent gagner en assurance et peser davantage dans la balance de la communauté au sens large. Ils peuvent à terme acquérir le pouvoir que donne l'organisation et parvenir à être représentés dans les organes de gouvernement local.
Systèmes de réception
Les systèmes de fourniture de services, tant gouvernementaux que des ONG, ne trouvent souvent pas, en vis-à-vis, de systèmes de réception équivalents par lesquels acheminer l'aide au développement jusqu'aux pauvres. Il en résulte que les organes de développement trouvent plus facile de desservir une minorité d'agriculteurs plus prospères qu'un grand nombre de petits producteurs. L'approche de groupe aide les pauvres à créer leurs propres mécanismes de réception. Pour entreprendre des activités économiques, les groupes recherchent un soutien — formation, crédit, intrants et services sociaux — auprès des organes locaux de services.
Ces groupes permettent des économies d'échelle appréciables aux systèmes de prestations de services: outils et intrants peuvent être livrés en quantité (ci-dessous), la formation se fait en groupes et le crédit est distribué sous forme de prêts collectifs.
Les limites des «coopératives»
L'un des arguments employés à l'encontre de la constitution de groupes participatifs est qu'il peut déjà exister des coopératives pour servir les intérêts des petits agriculteurs. Une estimation récente fait apparaître qu'environ 375 000 coopératives agricoles, comptant au total 187 millions de membres, étaient enregistrées dans les pays en développement.
Par définition, ces coopératives devraient être volontaires, autonomes et démocratiques. Toutefois, nombreuses sont celles qui n'ont de coopérative que le nom, et sont des structures imposées par les autorités. Certains gouvernements considèrent les coopératives comme leurs propres instruments de développement: ils en nomment les directeurs, ont la haute main sur la composition du conseil d'administration et, dans certains cas, ils contrôlent la production des membres, sa transformation et sa commercialisation.
La plupart des coopératives n'ont pas réussi à faire participer la majorité des ruraux pauvres. Dans certains cas, elles servent les intérêts de la strate privilégiée de la société rurale, au point d'aggraver les inégalités.
Etablir une charte
Le personnel de projet PPP au Swaziland a tenu des ateliers avec 18 groupes pour discuter et formuler des chartes de groupes.
Les groupes ont pratiqué des jeux de rôle pour mettre en relief les problèmes de coopération au sein du groupe, par exemple, l'absence aux réunions. Ils ont conclu qu'une charte de groupe était nécessaire pour établir clairement les responsabilités de chacun vis-à-vis des autres, et orienter les activités du groupe.
Les ateliers ont défini un cadre pour ces chartes, portant sur les objectifs du groupe, les critères à satisfaire pour en devenir membres, les sanctions disciplinaires, et les règles d'utilisation des contributions des membres et de partage des profits. A l'issue de l'atelier, le personnel de projet a signalé une nette amélioration du fonctionnement des groupes PPP.
«Une divergence naturelle des intérêts»
Les groupes hétérogènes sont ceux où des conflits ont le plus de chances de naître, lorsque des membres plus nantis tentent d'influencer les décisions ou de s'approprier les avantages.
Des problèmes de cet ordre se sont posés à Sri Lanka, où des affairistes étaient parvenus à pénétrer certains groupes PPP (ci-dessus). «Pendant deux ou trois saisons, ils ont sapé la démarche de leur groupe en offrant du crédit et des intrants à des taux d'intérêts élevés,» raconte le coordinateur de projet. Les groupes ont progressivement éclaté à cause de cette divergence naturelle des intérêts.» La confiance dans le projet a été rétablie par la suite, après que les non-pauvres aient été exclus.
Dans certains cas, toutefois, l'homogénéité du groupe peut aller à contre-courant des structures et des traditions sociales locales. En Thaïlande, la constitution de groupes de pauvres a été considérée dans certaines zones comme une menace à l'harmonie sociale. Le projet a décidé de ne pas exclure des agriculteurs plus nantis, quoique les promoteurs de groupes se soient efforcés de constituer des groupes aussi homogènes que possible.
Les fédérations
Il n'existe pas de modèle universel pour les fédérations de groupements. Au Ghana, les participants d'une grappe de villages appartiennent tous à une fédération de groupements tandis que dans une autre, la fédération n'est constituée que de représentants des groupes (ci-dessus). Dans une zone voisine, la fédération se compose de deux groupes travaillant à la transformation du manioc.
A Sri Lanka, les fédérations sont composées de deux délégués des groupes de chaque grappe, tandis qu'au Lesotho elles se composent de délégués élus des groupes plus un représentant du chef traditionnel local..
Des bœufs collectifs
Un comité intergroupes en Zambie pratique avec succès un service de location de bœufs à ses groupes membres.
Les bœufs, qui sont utilisés pour labourer les rizières et les champs de maïs, font une rotation entre les groupes, chacun de ceux-ci apportant une contribution à un fonds qui finance les produits vétérinaires. Avant la saison des labours, le comité établit un plan de travail et attribue les bœufs à chacun des groupes pour deux semaines. Les membres du groupe qui souhaitent utiliser ces animaux paient une redevance de 30 cents par jour. Grâce à ce système collectif, les agriculteurs paient maintenant moins de 1 dollar pour un service qui, s'ils louaient des bœufs ailleurs, leur coûterait jusqu'à 10 dollars.