Bien que le riz soit cultivé depuis longtemps au Sahel (Oryza glaberrima, dont le riz flottant du delta central du Niger au Mali), le développement de la riziculture irriguée en maîtrise totale de leau est relativement récent (introduction de Oryza sativa). Cest essentiellement au cours des années 1960, 1970 et 1980, en réponse aux graves famines, que des financements considérables ont été consacrés au développement de lirrigation et plus particulièrement de la riziculture irriguée. Différents objectifs étaient visés: assurer la sécurité alimentaire, diminuer les importations de céréales pour limiter le déficit de la balance commerciale (principalement au Sénégal), participer au développement des zones rurales et ainsi en limiter lexode. Quelques chiffres sont donnés dans le tableau 1 ci-dessous.
Malgré des conditions agro-climatiques favorables à la riziculture irriguée et des investissements importants, les surfaces irriguées ne représentent que 3,3 pour cent des surfaces cultivées en Afrique Sub-saharienne contre une moyenne mondiale de 18 pour cent (Sonou, 2000). Le potentiel de développement de lirrigation y est donc encore largement inexploité vis-à-vis des ressources en terre irrigable et en eau.
Sur le plan économique, lAfrique de lOuest ne produit que 1,3 pour cent du paddy mondial et compte pour 8,4 pour cent des importations (R. Hirsch, 2000). R. Hirsch (2000) indique que le taux dautosuffisance[1] en riz sy est dégradé au cours des dernières années, sauf en Mauritanie, malgré une politique volontariste de plus de trente ans dinvestissement dans les aménagements hydro-agricoles - et plus spécialement dans la riziculture irriguée - et malgré une hausse spectaculaire des rendements de deux tonnes par hectare au début des années 1980 à presque cinq tonnes par hectare en moyenne aujourdhui (Groupe de travail irrigation, 1997).
TABLEAU 1
Données principales sur
lirrigation dans les cinq pays couverts par le projet «bonnes
pratiques», adapté de Irrigation in Africa in figures, Water
reports 7, FAO, 1995
|
Burkina Faso |
Mali |
Mauritanie |
Niger |
Sénégal |
Densité de population, 1994 (hab/km²) |
37 |
8 |
2 |
7 |
41 |
Population rurale (%) |
86 |
80 |
53 |
81 |
54 |
Pluviométrie moyenne (mm/an) |
300 - 1 300 |
# 0 - 1 400 |
# 0 - 500 |
# 0 - 800 |
300 - 1 800 |
Potentiel dirrigation (ha) |
164 460 |
560 000 |
221 000 |
270 000 |
400 000 |
1- Irrigation maîtrise totale/partielle (ha) |
15 430 |
78 620 |
49 200 |
66 480 |
71 400 |
2 - Irrigation par épandage de crue (ha) |
- |
ND |
- |
- |
- |
3 - Marais et bas fonds équipés (ha) |
8 900 |
ND |
- |
- |
ND |
Total superficies irriguées (ha) (1 + 2 + 3) |
24 330 |
78 620 |
49 200 |
66 480 |
71 400 |
4 - Autres marais et bas fonds cultivés (ha) |
21 400 |
3 826 |
ND |
ND |
37 000 |
5 - Superficies en cultures de décrue (ha) |
- |
109 023 |
64 000 |
12 000 |
33 000 |
Superficie totale en contrôle de leau (ha) |
45 730 |
191 469 |
113 200 |
78 480 |
141 400 |
Superficie totale en contrôle de leau |
1,2 |
7,4 |
56,9 |
2,1 |
6 |
(pourcentage de la superficie cultivée) |
1992 |
1989-94 |
1994 |
1989 |
1994 |
P. Mendez del Villar (1998, source OSIRIZ) différencie trois modèles de consommation du riz au niveau mondial: le modèle asiatique avec une consommation annuelle de plus de 100 kg/hab/an, le modèle PD[2] subsaharien avec une consommation variant de 35 à 65 kg/hab/an et le modèle occidental avec une consommation inférieure à 10 kg/hab/an. Les cinq pays couverts par le projet «bonnes pratiques» rentrent dans la seconde catégorie, avec cependant des différences notables: au Niger la consommation annuelle nest que de 17 kg/hab alors quelle atteint 75 kg/hab/an au Sénégal (Dancette, 2000). Par ailleurs, la croissance de la production de riz étant moins rapide que la demande, la région semble à lavenir de moins en moins capable de couvrir ses besoins (Sonou, 2000).
Des financements considérables, allant parfois jusquà des coûts dinvestissement de plus de 8 millions de FCFA à lhectare (sans compter les grands barrages et les ouvrages dits structurants comme les grands canaux ou émissaires), ont été consacrés à ce qui a dabord été un développement étatique de lagriculture irriguée. La riziculture irriguée a souvent été la monoculture privilégiée pour garantir la sécurité et lautosuffisance alimentaire. Des structures dexploitations répondant davantage à des préoccupations politiques et sociales quà un critère strict de rentabilité économique ont été mises en place. A partir de la fin des années 1980, les filières irriguées rentrent dans lère du libéralisme économique et doivent dorénavant prouver leur rentabilité et leur compétitivité. Les Etats se désengagent parfois brutalement et la gestion est transférée aux usagers. Il en résulte, en général, un partage peu clair des responsabilités et un flou institutionnel particulièrement contraignant. Les usagers, regroupés en organisations paysannes, doivent faire le dur apprentissage de lautogestion des aménagements et de lorganisation des filières dans un contexte de libéralisation et de dévaluation, non clarifié sur le plan institutionnel.
Après une trentaine dannées dorientation rizicole, les bailleurs de fonds semblent aujourdhui se désintéresser de la riziculture irriguée, remettent en question sa rentabilité économique et appellent à une diversification des systèmes de cultures. Des études (D. Wilcock et al., 1997) montrent quaucun système rizicole irrigué nest économiquement compétitif au Sénégal face aux brisures de riz importées de Thaïlande, à lexception des systèmes traditionnels de Casamance. Les conclusions sont analogues pour la Mauritanie, alors que des études concluent à la compétitivité du riz malien.
Malgré cette situation difficile, les enjeux actuels sont importants. La riziculture irriguée est la culture de prédilection sur les sols argileux et lourds des cuvettes alluviales des principaux axes hydrauliques de lAfrique Sub-saharienne. Sur ces sols la diversification est difficile et aléatoire. Certains agriculteurs, avec plus de trente ans dexpérience en irrigation et plus particulièrement en riziculture irriguée, témoignent de compétences techniques et organisationnelles certaines. Bien que variables, et fluctuant entre 2 et 8 t/ha, les rendements progressent, les filières irriguées se professionnalisent et leurs performances économiques saméliorent. Dautres études estiment que si les rendements continuent à progresser et se maintiennent entre 5,5 et 8 t/ha, si les filières sorganisent, le riz local deviendra compétitif face au riz importé (D. Raveau, 1998). Lenjeu actuel est donc de valoriser économiquement le capital infrastructure existant tout en soutenant le développement du capital social et humain.
Au-delà des résultats très contrastés de la riziculture irriguée en Afrique de lOuest, les agriculteurs irrigants doivent aujourdhui faire face à un certain nombre de problèmes similaires dans la région: apprentissage de la gestion daménagements qui leur sont transférés, approvisionnement en intrants agricoles ou commercialisation de la production, maîtrise des itinéraires techniques. Ils ont donc adopté des pratiques parfois très différentes pour répondre à des problèmes semblables dans des contextes différents. De ces pratiques adaptées à certains contextes on peut dégager des principes agronomiques, hydrauliques, organisationnels et financiers qui contribuent à lamélioration des performances et mériteraient dêtre diffusés plus largement.
Le projet «Identification et diffusion de bonnes pratiques dirrigation sur les périmètres irrigués en Afrique de lOuest» de lIPTRID vise, à partir de lanalyse comparée de douze aménagements hydro-agricoles, à identifier, caractériser et évaluer certaines de ces pratiques (individuelles et collectives) pour en dégager des principes damélioration des performances. Le projet cherche ainsi à approfondir et illustrer la notion de «bonne pratique». Le projet a également comme objectif didentifier des moyens de diffusion de ces connaissances et de dresser un bilan des filières rizicoles.
Ce projet, financé par le ministère français des affaires étrangères (MAE), est mis en uvre par le programme international pour la recherche et la technologie en irrigation et drainage (IPTRID) dont le siège est à lOrganisation des Nations Unies pour lalimentation et lagriculture (FAO). Dune durée de deux ans, il couvre cinq pays: le Burkina Faso (pays de résidence du projet), le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal.
Le projet est hébergé par lécole inter Etats des ingénieurs de léquipement rural (EIER) qui a collaboré scientifiquement à lensemble du projet. Les activités de terrain (enquêtes, diagnostics, analyses, caractérisation des «bonnes pratiques») du projet ont été conduites par différents partenaires:
lautorité de mise en valeur du Sourou (AMVS) et le programme spécial pour la sécurité alimentaire (PSSA) de la FAO au Burkina Faso;
lONG action pour la formation et lauto promotion rurales, techniques, conseil pour lautogestion du terroir (AFARTCT) au Mali;
la société détudes en environnement, agriculture et hydraulique (SENAGRHY SA) au Niger, et
le pôle régional de recherche sur les systèmes irrigués (PSI-CORAF[3]) en Mauritanie et au Sénégal, qui, outre la conduite des activités de terrain, a grandement contribué à lélaboration de la méthodologie et à la définition des grandes orientations du projet.
Un comité de pilotage regroupant EIER, FAO, IPTRID, MAE et PSI-CORAF a suivi lensemble du projet.
[1] Taux dautosuffisance
= production/(production + importation). [2] Pays en développement. [3] Le PSI-CORAF est sous légide du conseil ouest et centre africain pour la recherche et le développement agricole. |