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Ière Partie. Le processus d'évaluation économique


L'objet de cette Ière partie est d'expliquer le processus d'évaluation économique. Les techniques particulières et les principes de l'analyse économique sont exposées dans la IIème partie, dans les chapitres qui correspondent aux principales activités d'analyse économique - identification des apports et des résultats, évaluation chiffrée des apports et résultats, comparaison des coûts et bénéfices, appréciation des facteurs d'incertitude.

La figure I.1 indique les trois grandes étapes du processus d'évaluation économique, selon que l'on travaille sur les phases d'identification, de planification, d'exécution ou d'achèvement d'un projet. Ces étapes sont exposées dans la Ière partie, qui montre comment présenter et utiliser les résultats de la manière la plus efficace possible.

a Cela revient dans la plupart des cas à choisir un ensemble de techniques et les informations qui seront utilisées.

Figure I.1 - Ière partie. Le processus d'évaluation économique.

1. Détermination des questions auxquelles il faut répondre

La première étape dans une évaluation d'impact est de déterminer quelles sont les questions auxquelles il faut répondre, c'est-à-dire quelles sont les questions clefs auxquelles ceux qui sont directement concernés par le projet et ceux qui ont à prendre des décisions au sujet du projet voudraient qu'il soit apporté une réponse. Généralement parlant, dans le cas des projets forestiers, il s'agit en l'occurrence de certains ou de la totalité des groupes suivants: organismes gouvernementaux, ONG, sociétés commerciales, habitants de zones rurales et agriculteurs, propriétaires forestiers, usagers divers. Tous ces groupes qui prennent des décisions au sujet d'un projet donné, ou sur lesquels le projet a une incidence, constituent ce que nous appellerons ici les parties intéressées.

Dans de nombreux cas, la définition des questions à poser, sous une forme opérationnelle, nécessite un processus interactif et itératif entre l'analyste et ceux qui prennent des décisions au sujet du projet. Ce type de processus interactif est utile pour deux raisons. Tout d'abord, les organes de décision peuvent ne pas avoir précisé assez clairement les questions qu'ils posent, créant ainsi une confusion pour l'analyste. En second lieu, certaines questions relatives à l'efficacité financière ou économique peuvent ne pas venir à l'esprit de ces responsables, bien qu'elles soient tout à fait à propos dans le contexte du projet considéré. En dégageant clairement toutes les questions à poser, l'analyste procède essentiellement à une définition et un affinage de l'objet général de l'évaluation. Si cela est fait, et bien fait, avant d'entreprendre l'évaluation économique, on économisera du temps et des efforts.

1.1 Eventail de questions à considérer

Cinq questions essentielles concernant l'efficacité financière et économique devraient retenir l'attention des parties intéressées à des projets forestiers de divers types. Ce sont les suivantes:

1.1.1 Questions financières (se rapportant à des dépenses et recettes réelles)

1. Le projet est-il financièrement acceptable pour les parties intéressées? Les parties intéressées (en particulier celles du secteur privé) ont-elles des incitations financières suffisantes pour participer? Quels seront les flux de coûts et bénéfices pour les investisseurs privés ou pour les agriculteurs et propriétaires fonciers participants? S'ils ne trouvent pas le projet suffisamment attrayant, il sera alors nécessaire d'envisager l'apport de subventions ou autres types d'incitations. C'est là l'une des raisons principales pour lesquelles cette question doit être posée.

2. Comment les profits et coûts du projet sont-ils répartis entre les différentes parties intéressées? Cela se ramène à la question suivante: qui paie, et qui gagne? Elle est en rapport avec la question précédente, et c'est également une question qui est au centre des évaluations d'impact social - où interviennent des coûts et bénéfices tant monétaires que non-monétaires. Les pays sont souvent préoccupés par les effets de redistribution des revenus des investissements publics, autrement dit par la question de l'équité sociale. Dans la plupart des projets, cette préoccupation est centrée sur les différentes classes de revenus (les membres les plus pauvres de la société retirent-ils plus d'avantages que les membres riches?), sur des groupes régionaux (la région X reçoit-elle plus d'avantages que la région Y?), ou des groupes culturels (le clan A profite-t-il plus du projet que le clan B?), ou encore sur les sexes (les hommes bénéficient-ils plus du projet que les femmes?). L'équité entre générations peut aussi entrer en considération (quelle sera l'incidence du projet sur les générations futures? La prochaine génération en récoltera-t-elle les bénéfices, ou en supportera-t-elle les coûts?).

3. Quelles sont les incidences budgétaires et financières du point de vue de la durée? Le projet reste-t-il en deçà des limitations budgétaires? Quels fonds seront nécessaires pour couvrir les frais de fonctionnement? Quand des fonds seront-ils nécessaires pour financer le projet (sorties), et quand peut-on en attendre des recettes (entrées)? Quels seront les coûts futurs de fonctionnement, par exemple pour l'entretien des routes ou les frais de gestion forestière? C'est toute la question du cash-flow, et de la capacité de le maintenir, qui entre en jeu ici. D'autres questions à considérer sont celles de la stabilité du revenu régional et de l'emploi. Par exemple, un projet de loisirs de caractère très saisonnier peut comporter un degré élevé d'instabilité en matière de flux de revenus, ou encore un projet d'exploitation forestière qui ne prend pas suffisamment en compte le maintien d'une production soutenue à long terme pourra avoir un effet initial positif sur les revenus et sur l'activité économique, mais aboutir finalement à une situation difficile et instable du fait que l'activité économique développée initialement ne pourra se maintenir faute de volumes suffisants de bois à exploiter (Cela se rapporte aussi à la question ci-dessus de la distribution des coûts et bénéfices).

4. Quelle est l'incidence du projet sur la balance des devises pour le pays ou la région? Cette question se rapporte d'une manière générale aux effets sur la balance des changes. Dans les pays qui ont des sorties nettes importantes, cette question est d'importance critique, et peut influer sur les décisions concernant les dépenses en devises étrangères dans les projets ainsi que les subventions et les droits de douane.

1.1.2 Questions relatives à l'efficacité économique (au delà des coûts et des revenus en argent)

5. Le projet amène-t-il une utilisation économiquement efficace des ressources? En d'autres termes, les bénéfices pour la nation, ou pour le secteur concerné de la nation, excèdent-ils les coûts du projet, les uns et les autres étant convenablement évalués et actualisés à un même moment dans le temps? S'il existe un moyen de mieux utiliser les ressources nationales, la réponse est: non. Nous devons aussi nous demander: pourrions-nous éliminer certains éléments dissociables du projet et obtenir des bénéfices nets plus élevés? Ou encore, pourrions-nous obtenir les mêmes bénéfices à moindre coût ou en utilisant moins de ressources? Lorsqu'un des principaux objectifs d'un projet est d'accroître les avantages économiques globaux (biens et services) tirés de l'exploitation de ressources limitées d'un pays, la question de l'efficacité économique vient au centre des préoccupations de ceux qui ont à prendre des décisions officielles.

1.1.3 Différences entre analyses financière et économique

Dans cet ouvrage, nous utilisons le terme d'évaluation économique pour englober tant les aspects financiers que les aspects économiques de l'efficacité des projets. Il y a deux différences fondamentales entre l'analyse financière, qui sert à répondre aux questions d'ordre financier ci-dessus, et l'analyse d'efficacité économique, qui répond aux questions concernant le rendement économique. Ces différences portent sur les points suivants: (1) les coûts et bénéfices (ou les impacts positifs et négatifs) qui sont inclus dans l'évaluation; (2) la manière dont ces coûts et bénéfices (ou impacts) sont évalués (voir tableau 1.1, qui résume les différences pour chaque étape du processus d'analyse).

Le terme d'analyse financière est utilisé pour désigner le type d'analyse qui ne s'intéresse qu'aux flux monétaires réels de sortie (coûts) et d'entrée (recettes) concernant des individus ou groupes d'individus déterminés à l'intérieur de la société - agriculteurs, firmes privées, organismes publics, et autres. Dans ce sens, l'analyse financière ne traite que des biens et services pour lesquels un paiement intervient. Elle traite des paiements réels en argent effectués, par exemple pour la main-d'oeuvre, le capital, la terre. Les analyses financières doivent toujours être faites du point de vue d'une partie intéressée déterminée - organisme étatique, firme privée, individu, coopérative, etc.

Tableau 1.1 Relations entre étapes d'une analyse financière et d'une analyse d'efficacité économique

Analyse financière

Analyse d'efficacité économique

1. Identification et évaluation chiffrée des apports et des résultats

Inclut les apports directs fournis par l'organisme financier, et les résultats pour lesquels il est payé.

Outre les apports et résultats directs, l'analyse inclut les effets indirects, c'est-à-dire les effets qui ne sont pas inclus dans l'analyse financière du fait qu'ils ne font pas l'objet de paiements dans le cadre du projet. Ce sont des effets sur d'autres secteurs de la société.

2. Evaluation des apports et des résultats

On utilise les prix de marché. Pour les apports et résultats qui se situent dans l'avenir, on estime les prix de marché futurs.

On utilise comme base de mesure de la valeur le prix que les consommateurs sont disposés à payer (volonté de payer). Dans les cas où les prix de marché reflètent assez fidèlement la volonté de payer, on utilise ces prix. Dans le cas contraire, on estime des “prix virtuels” pour avoir la meilleure mesure possible de la volonté de payer.

Les apports et résultats sont multipliés par les prix de marché pour arriver aux coûts et rentrées totaux qui sont alors entrés dans le tableau de cash-flow. Les paiements de transfert (taxes, subventions, opérations de prêt, etc.) sont ajoutés au tableau de cash-flow.

Les apports et les résultats sont multipliés par les valeurs économiques unitaires pour arriver aux coûts et bénéfices économiques totaux, qui sont alors entrés dans une table de flux de valeur totale. Les paiements de transfert ne sont pas traités séparément, mais inclus comme éléments de coûts ou de bénéfices, selon le cas.

3. Comparaison des coûts et des bénéfices

A partir du tableau de cash-flow, on calcule les mesures choisies de valeur du projet ou de rentabilité commerciale.

On calcule les mesures choisies d'efficacité économique ou de valeur économique, à partir des information fournies par le tableau de flux de valeur totale.

4. Prise en compte de l'incertitude: analyse de sensibilité

On teste les résultats vis-à-vis de l'incertitude en faisant varier la valeur de paramètres clefs dans une analyse de sensibilité.

On teste les résultats vis-à-vis de l'incertitude en faisant varier la valeur de rapports et paramètres clefs dans une analyse de sensibilité.

L'analyse d'efficacité économique, en revanche, s'intéresse aux coûts et bénéfices pour l'ensemble de la société, sans se préoccuper de savoir qui paie et qui gagne. Elle traite de bénéfices mesurés en fonction de ce que la société est réellement disposée à payer pour les biens et services, et de coûts mesurés par le coût d'opportunité, par exemple la valeur à laquelle on renonce en utilisant une ressource pour un certain objet plutôt que pour le meilleur emploi qui se serait présenté à défaut. Cette notion est valable qu'un paiement en argent intervienne ou non pour un bien ou service.

L'analyse d'efficacité économique, de même que l'analyse financière, s'intéresse à la rentabilité, mais il s'agit ici de rentabilité du point de vue de la société, qui se rapporte au revenu que la société dans son ensemble peut retirer d'un emploi donné de ses ressources limitées. Dans la plupart des cas, c'est la nation qui est prise comme unité de société. Mais ce pourrait aussi être un Etat ou une unité plus petite au sein d'une nation.

Dans l'analyse économique, les prix de marché sont souvent ajustés de manière à refléter plus fidèlement les valeurs sociales ou économiques. Ces prix sont désignés sous le nom de prix comptables ou prix virtuels. Par exemple, s'il y a un chômage structurel important, et qu'un projet emploie des travailleurs qui autrement seraient chômeurs, nous pourrons dans l'analyse d'efficacité économique appliquer une valeur de la main-d'oeuvre inférieure aux salaires en vigueur de façon à refléter un coût d'opportunité plus bas pour cette main-d'oeuvre qui autrement serait sans emploi.

Si l'on pose des questions tant d'ordre financier que relatives à l'efficacité économique, elles sont généralement menées de front, étant donné qu'elles présentent de nombreux points communs en ce qui concerne les informations requises et les méthodes. Les étapes d'une analyse financière sont plus simples à exécuter et plus claires dans leur conception. C'est pourquoi les évaluations commencent en général par répondre aux questions d'ordre financier relatives à la rentabilité financière, et ensuite les résultats de cette première étape sont utilisés comme point de départ pour l'étape parallèle de l'analyse d'efficacité économique.

1.2 Nécessité de questions précises

Il se peut que les organes de décision posent une question sans en préciser les détails suffisamment pour pouvoir y répondre. Dans ce cas, l'analyste devra dégager une question claire et précise. Par exemple, si l'agent de décision demande simplement: quelle est la valeur financière du projet? l'analyste devra demander: la valeur financière du point de vue de qui, et quelle est la mesure de valeur financière qui est demandée? De même, une analyse d'efficacité économique peut être effectuée d'un point de vue national, régional ou local. Le point de vue doit être précisé, étant donné que l'information nécessaire et les résultats produits seront différents pour différents points de vue.

Dans le cas des questions de distribution des revenus, il faut être tout à fait précis au sujet des groupes qui sont concernés. Par exemple, que devons-nous entendre lorsque la question est ainsi posée: quels sont les bénéfices pour les parties intéressées à faibles revenus? Comment définirons-nous un faible revenu dans notre évaluation? Un échange est nécessaire avec l'agent de décision afin de parvenir à un accord sur ce genre de questions. En bref, les questions doivent être précises.

Parfois les responsables ne pensent pas à toutes les questions d'ordre financier et économique auxquelles il convient de répondre pour avancer de manière constructive dans un projet donné. Par exemple, une question qui pourra leur échapper est la nécessité d'effectuer une analyse d'impact financier du point de vue des participants privés potentiels. Cette information est nécessaire pour prendre des décisions concernant les subventions et les charges ou redevances, et pour mieux appréhender les facteurs qui risquent le plus d'influer sur la participation au projet du secteur privé. Si le responsable omet de telles questions, il incombe à l'analyste de s'assurer qu'elles soient prises en considération.

Dans certains cas l'analyste pourra prendre l'initiative de discuter dès le départ de certaines questions avec les parties intéressées. Les résultats de l'évaluation auront plus de chances de satisfaire les parties intéressées si celles-ci ont contribué dès le début à définir l'objet de l'évaluation.

Lorsqu'ils proposent d'effectuer une évaluation d'impact économique, les organes de décision négligent parfois de considérer les points de vue et les questions de toutes les parties intéressées. Les parties intéressées ont la maîtrise des ressources, et elles doivent décider si elles engageront ces ressources dans un projet donné, et en quelle quantité. L'expert chargé de l'évaluation doit garder ce fait présent à l'esprit lorsqu'il définit l'ensemble de questions à traiter. Par exemple, un projet peut être extrêmement séduisant du point de vue de l'économie nationale, mais s'il n'est pas également financièrement attrayant pour tous les groupes privés ou individus qui devront y engager des ressources, il ne sera pas entrepris comme prévu. Un projet financièrement non attrayant peut être rendu attrayant si le gouvernement apporte une incitation sous forme de subventions. La justification de subventions dans un contexte socio-économique donné dépendra de leur importance nécessaire en comparaison du surplus économique associé au projet (bénéfices économiques moins coûts économiques, dûment ajustés pour prendre en compte le facteur temps). De même, une analyse qui montre qu'un projet est plus attrayant financièrement qu'économiquement pourra donner une idée de l'opportunité de taxer les parties intéressées.

Les questions doivent d'autre part être adaptées au stade considéré du déroulement du projet. Le tableau 1.2 indique certaines des différences à cet égard.

Tableau 1.2. Questions se rapportant aux différents stades d'un projeta

PHASE DU PROJET

QUESTIONS POSEES PAR
L'ORGANE DE DECISION

IDENTIFICATION
DU PROJET

PREPARATION
DU PROJET

EVALUATION
DU PROJET

EXECUTION
DU PROJET

EVALUATION
A POSTERIORI
DU PROJET

Questions d'efficacité financière (cash-flow d'ensemble)

· Estimation approximative des recettes en argent du projet en comparaison des dépenses ou coûts engagés,
· L'agent d'exécution du projet a-t-il la capacité de payer les dépenses de fonctionnement?

· Quelle est la relation détaillée entre les recettes et dépenses des divers acteurs ou parties intéressées dans le projet? Les recettes excéderont-elles vraisemblablement les dépenses pour toutes les entités privées qui doivent être associées au projet? Quel sera le cash-flow probable (calendrier des dépenses et des recettes)?
· Quels sont les revenus financiers de chaque modalité considérée?

· L'équipe d'évaluation est-elle d'accord avec les estimations présentées par l'auteur du projet? Sinon, pour quelles raisons? En quoi les estimations diffèrent-elles? Le cash-flow net répond-il aux critères d'acceptabilité financière?
· La formule retenue pour le projet est-elle la plus attrayante financièrement pour les parties intéressées?

· Quelle est l'évolution des coûts et recettes réels par rapport aux coûts et recettes prévus? S'ils diffèrent, pourquoi, et que peut-on faire à cet égard?

· Les coûts et recettes correspondent-ils aux prévisions initiales? (Etant donné que c'est rarement le cas, la question réelle qui se pose est: pourquoi les coûts et recettes du projet diffèrent-ils des prévisions?) Quel est le taux de rentabilité financière évalué a posteriori par rapport à celui prévu? Les profits financiers du projet se poursuivent-ils, et peuvent-ils être maintenus à long terme?

Questions relatives à la répartition des coûts et recettes associés au projet (qui paie et qui gagne? Quelle est l'incidence sur la balance des changes?)

· Quels groupes importants ont des chances d'être gagnants, et lesquels d'être perdants?

· Qui précisément paiera pour le projet, et qui en retirera des avantages? Quelle sera l'évolution dans le temps des coûts et bénéfices pour les différents groupes? Quelles sont les incidences budgétaires pour les différents groupes?

· Les incidences du projet en matière de répartition seront-elles vraisemblablement telles qu'envisagées par les auteurs du projet? Sont-elles acceptables en fonction des critères admis en ce qui concerne l'équité et la distribution des revenus?

· Qui gagne et qui paie en réalité? Les flux de coûts et bénéfices diffèrent-ils de ceux envisagés dans le plan? Si oui, pourquoi? Doit-on faire quelque chose à ce sujet, et comment?

· Qui voit sa situation améliorée par suite du projet? Le projet a-t-il réellement atteint les groupes visés? Les bénéfices du projet pourront-ils être maintenus après son achèvement?

Questions d'efficacité économique

· Quels sont les coûts et bénéfices marchands et non marchands en jeu?

· Quels sont précisément les coûts et bénéfices marchands et non marchands en jeu dans ce projet, et quelle sera vraisemblablement leur évolution dans le temps?
· Quels sont les profits économiques pour chaque modalité du projet considérée?

· L'équipe d'évaluation est-elle d'accord avec les estimations de coûts et bénéfices et l'analyse présentées par les auteurs du projet? Sinon, en quoi diffèrent-elles?
· La formule retenue pour le projet est-elle la plus attrayante économiquement?

· Quelle est l'évolution des coûts et bénéfices économiques réels par rapport à ceux prévus? Le suivi du projet et l'évaluation de ses effets externes sont inclus ici.

· Les coûts et bénéfices réels du projet correspondent-ils à ceux prévus? Sinon, pourquoi diffèrent-ils? Quel est le taux de rentabilité économique évalué a posteriori par rapport à celui prévu dans le projet? Les bénéfices économiques du projet peuvent-ils être maintenus à long terme?

a Elles doivent inclure les principales questions intéressant tous les groupes concernés par le projet.

2. Définition de la méthode d'évaluation

On peut s'y prendre de différentes façons pour répondre aux questions proposées dans le chapitre 1. Avant de décider de la méthode précise à utiliser, il importe de définir l'approche générale qui sera adoptée dans l'évaluation économique (qui comportera vraisemblablement des réponses à un certain nombre de questions). Il faudra pour cela considérer:

Le premier point peut aider à rendre l'évaluation d'ensemble plus efficace en évitant une dispersion des efforts dans le traitement des différentes questions. La seconde considération est importante si l'on veut appliquer judicieusement les moyens disponibles à chacune des questions auxquelles il faut répondre, et adapter le plan de travail en fonction des besoins et des contraintes.

Bien que les questions discutées dans la section qui précède diffèrent notablement en ce qui concerne les réponses à leur donner, et les méthodes empiriques pour y répondre, chacune d'elles doit être abordée ou analysée en appliquant un processus (ou succession d'étapes) commun d'analyse économique, en gardant présents à l'esprit certains principes fondamentaux applicables quelle que soit la question à laquelle on doit répondre.

2.1 Application du principe avec et sans

L'impact d'un projet peut être défini comme étant la différence entre la situation avec projet et sans projet. Ce concept “avec et sans” est le fondement de l'analyse des projets. Il importe de ne pas perdre de vue le fait que la situation telle qu'elle se présente aujourd'hui ne resterait sans doute pas la même en l'absence du projet. Par conséquent, lorsqu'on cherche à déterminer les effets du projet, il ne faut pas considérer la situation avant projet comme étant identique à la situation sans projet. Des changements se produiraient vraisemblablement sans le projet, et il faut les estimer (voir encadré 2.1).

Lorsqu'on ne prévoit pas de changement important sans projet sur la durée du projet, l'analyste peut à juste titre épargner du temps et de l'argent en supposant que la situation avant projet se serait maintenue identique durant la période considérée. Cependant, il y a de nombreux projets forestiers - portant généralement sur de longues durées - pour lesquels, en ignorant les changements potentiels qui se produiraient sans le projet, on risque de largement sous-estimer ou surestimer les coûts et bénéfices.

En appliquant le concept avec et sans aux coûts économiques (ou coûts d'opportunité), il faut être particulièrement attentif à bien identifier la meilleure possibilité réelle abandonnée, c'est-à-dire la meilleure utilisation possible d'une ressource qui aurait effectivement été faite sans le projet, en tenant compte des diverses contraintes institutionnelles (sociales et politiques) auxquelles on peut s'attendre (voir encadré 2.2). L'un des guides classiques d'évaluation économique, Directives pour l'évaluation des projets (ONUDI, 1972), exprime ainsi cette remarque:

“Les possibilités techniques ne pouvant se concrétiser du fait de contraintes sociales ne sont pas des possibilités réelles; l'identification des coûts avec les produits maximaux sacrifiés doit se fonder sur des possibilités effectives de réalisation [....] Le point de départ et le critère de toute planification doit être la question suivante: si nous ne choisissons pas ce projet, quelle différence cela fera-t-il? L'estimation de ces différences repose sur une identification claire des contraintes sociales et politiques limitant les possibilités économiques”.

Encadré 2.1 Application du principe avec et sans.

Dans un projet de conservation des sols destiné à restaurer la fertilité d'un terrain modérément érodé et de prévenir une nouvelle perte de fertilité, le bénéfice est parfois estimé comme étant la différence entre la production avec le niveau moyen actuel de fertilité et la production qui sera obtenue avec la fertilité améliorée résultant du projet. Cependant, supposons qu'en l'absence d'un projet de conservation la situation se détériorerait au point d'avoir une perte totale de production, en raison du caractère cumulatif du processus d'érosion. La mesure du bénéfice du projet dans ce cas serait la différence entre une production en chute progressive et le niveau de production accru obtenu avec le projet (la rapidité du processus de dégradation sans projet devrait être prise en considération pour estimer les chiffres de production à adopter), et non la différence entre le niveau moyen actuel de production et la production améliorée avec le projet. Si l'analyste ignorait le concept avec et sans, il sous-estimerait les bénéfices du projet. Une sous-estimation se produirait de même pour tout projet forestier ou de conservation où l'un des objectifs est d'éviter une perte.


Encadré 2.2 Exemple de coût d'opportunité en rapport avec la politique de mise en valeur des terres

Supposons qu'un terrain actuellement en friche puisse techniquement être utilisé à deux fins s'excluant mutuellement: agriculture, ou plantation forestière. L'option reboisement fournirait 150 $ de profits par an nets de tous frais à l'exception du coût du terrain. L'option agriculture produirait un revenu de 200 $ par an, également net de tous frais à l'exception du coût du terrain. Il y a toutefois une restriction provenant de la politique du gouvernement: celui-ci a décidé, au vu de diverses considérations, que seule la forêt serait autorisée dans cette zone.

On demande à l'analyste d'estimer la valeur économique de l'option reboisement. Pour cela, il lui faudra estimer, entre autres choses, la valeur de la terre qui sera utilisée par le projet. Cette valeur est équivalente au profit net auquel on renoncera en ne pouvant utiliser la terre de la meilleure autre façon possible. Etant donné que la principale autre utilisation techniquement possible est l'agriculture, qui procurerait une revenu net de 200 $ par an, certains affirmeraient que c'est là la valeur du terrain qui devrait être entrée comme coût d'opportunité dans l'analyse économique du projet de reboisement.

D'autres diraient que, étant donné qu'une décision de politique de mise en valeur a exclu l'option agriculture, la valeur de la terre à considérer dans le projet de reboisement doit être égale au profit net abandonné en ne choisissant pas la meilleure autre utilisation forestière. Si celle-ci fournit un profit net de 60 $ par an, là aussi à l'exclusion du coût de la terre, quelle valeur faut-il entrer dans l'analyse, 200 $ ou 60 $?

Selon la valeur choisie, on pourra aboutir à deux estimations radicalement différentes de l'intérêt du projet. Comme on l'a dit, le reboisement fournirait un profit net de 150 $, en excluant toute considération de prix du terrain. Si l'on prend pour valeur économique de celui-ci 200 $, la valeur économique du projet sera égale à 150 $ - 200 $ = -50 $, et l'analyste recommanderait de ne pas l'exécuter, pour le motif que les coûts excéderaient les bénéfices. En revanche, si l'on prend en compte la restriction concernant l'utilisation des terres, le profit net procuré par le projet de reboisement sera 150 $ - 60 $ = 90 $, et le projet aura des chances d'être approuvé du fait que sa valeur économique est positive. Laquelle des deux approches est-elle la bonne?

En faisant appel au principe traditionnel avec et sans, l'analyste ne considérera que la différence estimée réelle. La politique restrictive impose des obstacles réels aux possibilités réalisables, aussi réelles que celles imposées par les contraintes techniques. C'est pourquoi la valeur de la production agricole potentielle ne doit pas entrer dans l'analyse du projet de reboisement. Faute d'observer ce principe, on risque d'être amené à prendre de mauvaises décisions. Dans l'exemple considéré, si la restriction d'utilisation des terres est considérée comme inopportune, il n'y aura aucun argument économique en faveur du projet de reboisement. Il ne sera pas exécuté, mais l'option agricole ne le sera pas non plus, parce que la politique du gouvernement est en fait réelle. En conséquence, la société ne bénéficiera ni des avantages de l'option reboisement ni de ceux de l'option agricole.

On peut noter en passant que le coût pour la société du maintien de la restriction est 50 $ - c'est le profit auquel elle renonce.

2.2 Interdépendance et dissociabilité des composantes d'un projet

La plupart des projets se composent d'éléments liés entre eux. En ce qui concerne les coûts et bénéfices, ces composantes sont soit interdépendantes soit dissociables. Certains éléments d'un projet peuvent être définis séparément, en ce sens que la plupart de leurs coûts et bénéfices sont indépendants du reste du projet et qu'ils peuvent être ajoutés au projet - ou en être retranchés - sans que cela compromette sa faisabilité, bien que naturellement cela influe sur sa rentabilité globale.

Par exemple, considérons un projet d'aménagement de bassin versant comportant des éléments d'agroforesterie, conservation des sols, agriculture et organisation des agriculteurs. Si les apports et les résultats de l'un ou plusieurs de ces éléments peuvent raisonnablement être dissociés de ceux des autres éléments, ils devront être analysés séparément pour ce qui est de leurs impacts.

Pour tout projet et tout objectif la question qui se pose est celle-ci: est-il légitime de dissocier les éléments pour les besoins de l'analyse, autrement dit en ce qui concerne les questions à poser?

La réponse dépend pour une large part du point de vue de l'institution pour le compte de laquelle l'analyse est effectuée, et les questions posées. En règle générale, cependant, si l'on peut identifier des éléments importants du projet qui soient dissociables des autres, ainsi que leurs coûts et bénéfices, il faudra les analyser séparément, étant donné que chaque élément du projet devrait avoir des bénéfices au moins égaux aux coûts pour que l'on puisse considérer l'ensemble du projet comme utilisant les ressources de la manière économiquement la plus efficace.

La réponse dépend aussi dans une certaine mesure du stade auquel on se trouve dans la planification du projet. Au début du processus, lorsqu'on explore les combinaisons d'éléments et les tailles de projet possibles, il est logique de dissocier les éléments et de les analyser individuellement ou en combinaison. C'est en fait l'une des principales fonctions des stades d'identification et de préparation dans le processus de planification, et l'un des principaux emplois de l'analyse économique à ces stades. En revanche, une fois qu'une formule de projet a été adoptée et étudiée en détail, il n'est guère justifié de passer beaucoup de temps à l'analyse détaillée d'éléments qui ont déjà été analysés et acceptés aux stades précédents de la planification.

2.3 Contraintes de l'évaluation

L'évaluation doit être non seulement efficace, c'est-à-dire fournir des réponses appropriées aux questions posées, mais également réaliste dans son approche, en reconnaissant les contraintes pratiques rencontrées dans son exécution. L'examen de ces contraintes aidera l'analyste à planifier et organiser l'évaluation. La figure 2.1 montre quelles sont les considérations à prendre en compte.

1. Considérations techniques. Elles comprennent: les données requises et disponibles; le coût; le temps nécessaire; la fiabilité, la reproductibilité et l'acceptabilité par la communauté scientifique. Les différentes questions qui se posent dans l'évaluation requièrent différents types de données. Par exemple, une évaluation qui comprend une analyse de la répartition des coûts et bénéfices requerra des données et informations bien plus détaillées qu'une évaluation qui ne considère que les impacts globaux. Elle exigera sans doute bien plus de temps pour obtenir et traiter les données de base requises et pour mener concrètement l'analyse que dans le cas d'une analyse globale. Certaines méthodes d'analyse pourront être plus fiables que d'autres, et plus aisément reproductibles par d'autres analystes. Cela peut conduire ou non à une meilleure acceptation dans la communauté scientifique. Par exemple, une évaluation basée sur des valeurs de marché observées et enregistrées pourra être plus aisément reproduite par d'autres analystes qu'une évaluation mettant en jeu une estimation unique pour rendre compte de valeurs non marchandes, et par suite être plus volontiers acceptée par la communauté scientifique. Certains membres de celle-ci, cependant, pourront accorder davantage leur confiance à des tentatives pour rendre compte de valeurs non marchandes dont l'existence est connue, même si les méthodes employées à cet effet ne sont pas aussi largement acceptées.

Figure 2.1. Contraintes de l'évaluation

2. Considérations de l'agent de décision/utilisateur. Les buts et l'importance réels de l'évaluation dans la prise de décisions sont des considérations primordiales, qui doivent dicter la manière dont une évaluation est conçue et organisée pour avoir une utilité maximale (intervenant à propos pour l'usage et le but prévus).

Le temps et les compétences sont des contraintes importantes dans la plupart des pays en développement. Il faut du temps, et des compétences appropriées, pour planifier une évaluation, rassembler, traiter, analyser et synthétiser les données et l'information utilisées dans l'évaluation, rédiger le rapport de l'analyse, le discuter et le distribuer aux utilisateurs potentiels. Le temps disponible pour conduire l'évaluation doit être soigneusement pris en considération pour décider à quelles questions il sera possible de répondre, et choisir les méthodes à employer à cet effet. Si le temps nécessaire pour accomplir toutes les tâches d'évaluation excède les délais initialement fixés par l'agent de décision, il faudra faire certains ajustements. On pourra peut-être allonger les délais, ou obtenir du personnel supplémentaire, ou modifier certaines des questions, ou encore changer de méthode d'évaluation. Encore une fois, ce doit être un processus de décision interactif et itératif entre agent de décision et analyste.

Une contrainte importante dans la conduite de n'importe quelle évaluation est la disponibilité de fonds, de compétences et de temps. Lorsqu'il propose une évaluation, l'agent de décision pourra avoir à l'esprit un certain montant de budget préliminaire. Mais tant que l'on n'a pas clairement précisé de manière pratique les questions auxquelles l'évaluation devra répondre, les coûts de celle-ci ne pourront être estimés. Une fois les questions précisées, il appartient aux analystes de déterminer ce qu'il en coûtera d'y répondre. Si ce coût est dans les limites du budget proposé, l'agent de décision pourra décider d'aller de l'avant. Si au contraire le coût excède le budget proposé, il faudra décider si le budget doit être augmenté pour couvrir les coûts, ou si certaines des questions doivent être exclues ou modifiées. Ou encore, l'approche de l'évaluation pourra être modifiée pour employer une méthode moins coûteuse qui fournira des réponses moins précises et plus générales.

Ajuster l'évaluation au budget, et vice versa, est l'une des nécessités qui plaident en faveur d'un processus interactif entre agents de décision et analystes.

Il faut enfin considérer la question de la crédibilité de l'évaluation et de son auteur. Elle est déterminée par: la réputation de l'expert qui fait l'évaluation (c'est une chose qui se bâtit avec le temps); l'aisance avec laquelle le processus d'évaluation et ses résultats peuvent être compris; la manière dont l'incertitude est prise en compte (transparence de l'évaluation); la mesure dans laquelle l'expert fait appel aux résultats d'évaluations comparables, et indique les similitudes et les différences; l'acceptabilité des résultats par les conseillers et le personnel technique de l'organe de décision, dépendant dans une large mesure de tous les autres points mentionnés ci-dessus.

2.4 Les étapes de l'évaluation générale

Le processus décrit ci-dessous est un processus général qui peut être employé pour répondre aux questions d'ordre tant financier qu'économique, quelle que soit la phase de déroulement du projet considérée et le nombre d'itérations à chaque étape. Les différences dans la manière dont le processus est appliqué à différentes étapes du projet se rapportent au but de l'évaluation, à la question à laquelle l'évaluation doit répondre, au degré de finesse des techniques d'estimation employées, aux quantités de données requises et rassemblées, au niveau de détail considéré et au temps consacré à l'analyse.

Etape 1. Identification et évaluation quantitative des apports et des résultats

Pour toute question traitée, la première étape dans le processus d'analyse est d'identifier les apports et les résultats matériels: quels sont les biens et services qui entrent dans le projet, et quels sont les biens et services produits par le projet. Cette identification doit être faite pour chacun des composants dissociables considérés dans l'évaluation. L'établissement d'un tableau indiquant clairement les flux d'apports et de produits (voir tableau 2.1) facilite le processus d'évaluation. Dans la réponse aux questions d'ordre financier, on n'inclut que les apports ayant un prix de marché (ceux entraînant une dépense en argent par les parties intéressées) et les résultats ayant un prix de marché (ceux apportant un revenu en argent aux parties intéressées). Par exemple, les apports ayant un prix de marché pourront comprendre des journées de personnel du projet, des véhicules, des litres de carburant, des équipements, des plants forestiers; les résultats ayant un prix de marché pourront comprendre des perches, des récoltes agricoles, des balles de fourrage.

Tableau 2.1 Flux physiques d'apports et de résultats du projet


Unités

Année

0

1

2

3-10

10-15

Total

APPORTS

Elément A:

Apport 1
Apport 2
:
Apport n








Elément B:

Apport 1
Apport 2
:
Apport n








RESULTATS

Elément A:

Résultat 1
Résultat 2
:
Résultat n








Elément B:

Résultat 1
Résultat 2
:
Résultat n








Dans la réponse aux questions d'ordre économique, il faut considérer en outre les apports et résultats non marchands. Ceux-ci sont associés au projet (utilisés ou produits par le projet), mais le projet n'a pas à les acheter ou à les vendre. D'un point de vue financier, ils sont extérieurs au projet du fait qu'ils n'entraînent pas une entrée ou une sortie directe d'argent. Par exemple, les apports non marchands pourront être une main-d'oeuvre bénévole, de l'eau subventionnée, un terrain cédé gratuitement. Les résultats non marchands pourront comprendre du bois de feu gratuit, l'arrêt de l'érosion en dehors du site du projet, une pollution des eaux (résultat négatif), une fixation accrue du carbone.

Etape 2. Evaluation des apports et des résultats

L'étape suivante dans la réponse aux question d'ordre tant financier qu'économique consiste à établir des tableaux de valeur unitaire pour les apports et les résultats, en tenant dûment compte des tendances dans les prix et des prévisions ou projections de prix futurs. Lorsque des prix de marché ont été dégagés pour l'analyse financière, il y aura probablement un recouvrement important avec l'analyse économique, à savoir que la plupart des apports et résultats inclus dans l'analyse financière seront également représentés par des apports et résultats identiques dans les comptes économiques.

Toutefois, les prix de marché peuvent ne pas refléter assez fidèlement les coûts ou bénéfices associés au projet, ou les autres possibilités d'utilisation des ressources auxquelles on a renoncé du fait du projet. Il peut donc y avoir des différences dans les valeurs attachées à ces apports et ces résultats communs, et il faut les prendre en considération lorsqu'on établit les tableaux de valeurs économiques unitaires. Les valeurs unitaires utilisées dans l'analyse financière sont les prix de marché. Dans l'analyse économique, les apports et résultats sont évalués en fonction de la volonté de payer réelle des consommateurs. Il se peut que les prix de marché reflètent convenablement cette volonté de payer. Dans le cas contraire, il faut établir des prix virtuels.[1]

Le calcul des valeurs unitaires pour l'analyse d'efficacité économique se fait en deux étapes. Tout d'abord, pour les apports et produits qui font l'objet d'échanges commerciaux, on formule un jugement sur l'adéquation des prix de marché utilisés dans l'analyse financière comme mesures de la valeur économique. Si l'on juge qu'ils sont appropriés, on les entre dans le tableau des valeurs économiques unitaires. Dans le cas contraire, on les traite dans une seconde étape tout comme des effets indirects pour lesquels il n'existe pas de prix de marché.

Dans cette seconde étape, on juge si un prix virtuel acceptable peut être ou non établi pour tous les apports et les résultats (marchands et non marchands) considérés dans l'analyse d'efficacité économique. Si la conclusion est négative, il vaut mieux alors traiter l'effet d'une manière qualitative ou comme une quantité physique, en mentionnant explicitement cet effet dans le rapport d'analyse économique et en faisant référence à la valeur financière. L'analyste ne doit pas tenter d'établir une mesure de valeur fallacieuse, qui ne servirait qu'à embrouiller et induire en erreur l'agent de décision. Si la conclusion est que l'on peut établir un prix virtuel, l'analyste le fait, et les valeurs résultantes sont entrées dans le tableau de valeurs unitaires.

Etape 3. Conduite de l'analyse (réponse aux questions, à partir de l'information sur les valeurs obtenue dans l'étape précédente)

Cette troisième étape consiste à comparer les coûts et bénéfices de diverses manières pour répondre aux questions d'ordre financier et économique qui sont posées. Deux mesures communes pour étudier l'efficacité financière et économique sont la valeur nette actualisée (total des bénéfices actualisés moins total des coûts actualisés) et le taux de rentabilité interne (taux d'actualisation qui rend le total des bénéfices égal au total des coûts, ou la valeur nette actualisée égale à zéro). Ces mesures sont utilisées tant pour l'analyse économique que pour l'analyse financière. L'analyste peut aussi choisir d'effectuer une analyse différente selon les perspectives différentes des parties intéressées. Par exemple, le tableau de flux de valeurs peut comprendre des coûts et bénéfices revenant aux agriculteurs participants aussi bien qu'à l'ensemble du projet. L'analyste peut séparer les coûts et bénéfices spécifiques de chaque groupe, et effectuer une analyse pour déterminer quel est l'impact du projet sur les parties intéressées selon leur propre perspective. On peut faire de même pour les dépenses en devises étrangères et en monnaie locale.

Etape 4. Prise en compte de l'incertitude: analyse de sensibilité

L'incertitude est la compagne naturelle des projections et évaluations préalables. Identifier, évaluer et comparer avec précision les coûts et bénéfices est toujours un problème. Les coûts et bénéfices futurs ne peuvent être mesurés, mais seulement estimés. Un certain degré d'incertitude entoure donc toute valeur estimée. L'information est presque toujours limitée en quantité et qualité. Pour cette raison, une fonction importante de l'analyse économique est de tester la sensibilité d'un certain nombre de mesures de la valeur du projet à des changements dans les hypothèses concernant les apports et résultats et les valeurs qui leur sont attachées (analyse de sensibilité). Une telle information peut être très utile pour les organes de décision.

3. Réponses aux questions d'ordre financier et économique

Après avoir décidé de la question ou des questions auxquelles doit répondre l'évaluation, et défini l'approche à suivre pour l'évaluation, l'analyste peut commencer à répondre aux questions. La première étape est de déterminer concrètement la méthode à utiliser pour répondre à chaque question. L'objet de ce chapitre est d'aider l'analyste à choisir la méthode appropriée. La IIème partie traitera des techniques. Le cadre général pour la réponse aux questions est illustré par la figure 3.1.

Figure 3.1. Processus général de réponse aux questions d'ordre financier et économique.

3.1 Méthodes employées pour répondre aux questions d'ordre financier

Chacune des différentes questions d'ordre financier discutées au chapitre 1 peut être posée à différents stades dans le déroulement du projet. Les différences dans la façon dont on répondra à chaque question se rapporteront aux techniques d'estimation utilisées, à la qualité et à la quantité de données requises, au niveau de détail considéré, et au temps consacré à l'analyse. Lorsqu'on conduit une évaluation, l'information sur le projet est généralement présentée sous forme d'un ensemble de tableaux de travail interdépendants. Une certaine information de base sera nécessaire quelle que soit la question d'ordre financier à laquelle il s'agit de répondre, et sera nécessaire également pour l'analyse économique. Cette information comprend les flux physiques d'apports et de produits du projet, et les prix de marché qui s'y associent. Une information et des tableaux supplémentaires seront nécessaires en fonction de la question posée.

Nous utiliserons un exemple pour illustrer l'approche générale à adopter pour répondre aux questions d'ordre financier et d'efficacité économique[2]. Il s'agit d'un projet hypothétique dans lequel 200 agriculteurs privés plantent des arbres sur au total 2000 hectares de leurs propres terres agricoles marginales. Le gouvernement appuie le projet en fournissant assistance technique, subventions en argent pour la plantation, et plants forestiers. Du point de vue du gouvernement, l'ensemble du programme de plantation est traité comme un projet.

3.1.1 Le projet est-il financièrement acceptable pour les parties intéressées?

L'acceptabilité financière peut être une chose différente selon la partie intéressée considérée. Classiquement, on admet que l'attrait financier est établi lorsque le projet répond aux trois critères suivants:

1. La valeur de l'ensemble des bénéfices est supérieure à la valeur de l'ensemble des coûts, tous deux convenablement actualisés avec le taux d'actualisation de substitution[3], c'est-à-dire que la valeur nette actualisée du projet est supérieure à zéro;[4]

2. La valeur actualisée des bénéfices est au moins égale à celle des coûts pour tous les éléments dissociables du projet;

3. Il n'y a pas de moyens moins coûteux de réaliser les objectifs du projet.

La même méthode d'analyse est utilisée pour répondre à la question sur l'acceptabilité financière, quel que soit le stade du projet auquel l'évaluation est faite. En règle générale, seuls le type et la qualité de l'information utilisée dans l'analyse, et le nombre et la nature des parties intéressées, peuvent différer d'une étape à l'autre du projet. Par exemple, si la question est posée lors du stade d'identification d'un projet proposé de foresterie agricole, l'analyste doit faire appel à des estimations de rendement et de prix des cultures et des arbres à partir de sources qui semblent assez représentatives de la zone de projet proposée, et faire des estimations approximatives du nombre d'agriculteurs participants et de la rapidité avec laquelle ils adopteront les techniques proposées. Si la question est posée lors de la phase d'évaluation, l'analyste devra alors utiliser les chiffres réels de rendement et de prix, et les données réelles du projet en ce qui concerne l'adoption des nouvelles techniques.

La 1ère étape est l'identification des parties intéressées, ou des entités qui ont ou auront des intérêts dans le projet. La nature des parties intéressées dépend dans une large mesure du type de projet; elles peuvent comprendre des agriculteurs, des organisations communautaires, des institutions financières, et des entreprises diverses. Suivant le processus d'analyse esquissé au chapitre 2, l'analyste, dans la 2ème étape, identifie les éléments du projet qui ont un impact sur les diverses parties intéressées, et les apports et produits physiques associés à ces éléments. La 3ème étape consiste à estimer ou noter les prix de marché des apports et produits. Dans la 4ème étape, on utilise les prix de marché pour estimer les cash-flows pour chaque partie intéressée, et on calcule divers paramètres (valeur nette actualisée, taux de rentabilité financière, etc.) indiquant l'incitation financière pour la participation des parties intéressées (voir chapitre 6 et annexes). Les taux de rentabilité de substitution (TRS) des parties intéressées seront comparés aux taux de rentabilité financière (TRF) pour le projet de substitution. Une hypothèse importante est que si les TRF ou TRS sont suffisamment élevés les investisseurs privés participeront, assurant la viabilité de l'élément du projet propre aux parties intéressées considérées. L'encadré 3.1 montre quelle usage les organismes officiels peuvent faire de l'information sur les parties intéressées privées.

Encadré 3.1. Utilisation par les organismes officiels de l'information sur les parties intéressées privées

Si les taux de rentabilité financière pour certains groupes sont inférieurs aux taux de rentabilité de substitution supposés pour les parties intéressées privées, cette information pourra fournir une base pour une augmentation des subventions ou des apports financiers publics au projet, ou pour des modifications des lois et réglementations. Si une hausse des subventions ne peut se justifier, un taux de rentabilité financière inférieur au niveau acceptable indiquera alors qu'il y a peu de chances que des capitaux à risque s'investissent dans le projet. Le projet devra soit être remodelé soit être rejeté en ce qui concerne cette dimension de viabilité. Si les taux de rentabilité financière calculés pour certains groupes sont nettement supérieurs aux niveaux maxima nécessaires, cela peut indiquer la possibilité d'abaisser le niveau des subventions ou d'augmenter les taxes, en fonction des autres objectifs (se rapportant par exemple à la redistribution des revenus) qui peuvent s'appliquer au(x) groupe(s) considéré(s). Voir chapitre 6 pour la manière dont doivent être calculés les taux de rentabilité financière et les valeurs nettes actualisées.

Dans l'exemple utilisé dans ce chapitre, la question de l'attrait financier peut être résolue en identifiant tout d'abord les apports et résultats physiques pour les parties intéressées - globalement pour les propriétaires privés et pour le service forestier (tableaux 3.1 et 3.2). Les éléments de ces deux tableaux sont additionnés pour fournir un tableau unique montrant l'ensemble des apports et résultats du projet (tableau 3.3). Un tableau des prix de marché et des dépenses du service forestier permet de calculer les tableaux de cash-flow pour l'ensemble du projet, ou pour chacun des groupes intéressés. Le tableau 3.6, établi à partir des tableaux 3.2 et 3.4, montre les cash-flows pour les agriculteurs participants. Ce tableau, en même temps qu'une estimation des taux de rentabilité de substitution pour les participants privés, fournit l'information nécessaire pour répondre à la question de l'attrait financier pour l'ensemble des agriculteurs. L'expert peut également examiner la variabilité à l'intérieur du groupe.

Tableau 3.1 Service forestier - apports et résultats


Unitésa

Années

0

1

2

3-14b

15

Apports


Supervision

h-j/an

40

30

10

10

10

Vulgarisation

h-j/an

400

100

100

40

200

Plantsc

1000 plants/an

2 000

-

-

-

-

Véhicules

Journées de
véhicules/an

440

130

110

50

210

Résultats

Aucun pour le secteur public

a h-j - homme-jour.
b Cette colonne donne les chiffres par année pour la période indiquée.
c Les plants sont donnes aux agriculteurs par le service forestier.

Tableau 3.2. Propriétaires privés - apports et résultats

Article

Unitésa

Années

0

1

2

3-14b

15

Apports


Main-d'oeuvre

1 000 h-j/an

10

4

4

2

2

Tracteurs

Journées de
machines/an

2 000

30

30

10

10

Terrain

Hectares

2 000

2 000

2 000

2 000

2 000

Résultats


Bois à pâte

1 000 m3/an





320

Bois de feu

1 000 m3/an




10


a h-j - homme-jour.
b Cette colonne donne les chiffres par année pour la période Indiquée.

Tableau 3.3. Apports et résultats physiques du projet

Article

Unitésa

Années

0

1

2

3-14b

15

Apports


Main-d'oeuvre non qualifiée

1 000 h-j/an

4

2

2

1

1

Main-d'oeuvre semi-qualifiée

1 000 h-j/an

4

1

1

1

1

Main-d'oeuvre qualifiée

1 000 h-j/an

2

1

1

-

-

Supervision

h-j/an

40

30

10

10

10

Vulgarisation

h-j/an

400

100

100

40

200

Tracteurs

Journées de
machines/an

2 000

30

30

10

10

Camions

Journées de
véhicules/an

440

130

110

50

210

Terrainc

Hectares

2 000

2000

2 000

2 000

2 000

Plants

1 000 plants/an

2 000





Résultats


Bois à pâte

1 000 m3/an





320

Bois de feu

1 000 m3/an




10


a h-j - homme-jour.
b Cette colonne donne les chiffres par année pour la période Indiquée.
c On admet que le mime terrain est utilisé chaque année.

Tableau 3.4. Prix de marché estimésa

Article

Unités

Prix

Apports


Main-d'oeuvre non qualifiée

$/h-j

20

Main-d'oeuvre semi-qualifiée

$/h-j

30

Main-d'oeuvre qualifiée

$/h-j

40

Ingénieurs forestiers

$/h-j

60

Tracteurs

$/jour de machine

200b

Camions

$/jour de véhicule

40b

Terrain

$/ha/an

10c

Plants forestiers

$/1 000 plants

50

Produits


Bois à pâte

$/m3

20d


Bois de feu

$/m3

10

a En termes réels, c'est-à-dire en dollars constants (par exemple dollars 1990) si l'on considère différents moments dans le temps.

b Coût de fonctionnement compris. Les prix des équipements sont basés sur la valeur à l'Importation.

c Coût de location du terrain.

d Basé sur le prix FOB, ajusté pour tenir compte des coûts de transport et manutention depuis la forêt.

Tableau 3.5. Dépenses du service forestier (x 1 000 $/an)a

Article

Années

0

1

2

3-14b

15

Coûts


Supervision

2,4

1,8

0,6

0,6

0,6

Vulgarisation

24

6,0

6,0

2,4

12

Plants

100

-

-

-

-

Véhicules

17,6

5,2

4,4

2,0

8,4

Total

144

13

11

5

21

Source: Tableaux 3.1 et 3.4.

a Ce tableau pourrait Inclure également des recettes accrues de taxes pour l'Etat dues au projet. Dans ce cas, il détaillerait les dépenses et recettes totales pour le gouvernement, au lieu de seulement considérer le service forestier.

Tableau 3.6. Tableau de cash-flow pour les propriétaires privés (x 1 000 $/an)

Article

Années

0

1

2

3-14

15

Revenus (recettes)

1. Vente des produits




100

6400

2. Subventionsa






Total partiel




100

6400

Coûts (dépenses)

3. Main-d'oeuvre

280

110

110

50

50

4. Tracteurs

400

6

6

2

2

5. Terrain (loyer)

20

20

20

20

20

Total partiel

700

136

136

72

72

Revenu net (coût)

(700)

(136)

(136)

28

6328

Source: Tableaux 3.2 et 3.4.
a Espace pour entrer les subventions, si l'on veut en étudier les conséquences.

3.1.2 Quels sont les impacts sur la distribution des revenus?

Encore une fois, l'approche utilisée pour répondre à cette question sera très semblable quel que soit le stade du projet auquel l'analyste effectue son évaluation. Les caractéristiques de l'information et la nature des groupes concernés peuvent varier. La distribution des revenus est un sujet d'intérêt tant dans les évaluations économiques que dans les évaluations d'impact social, et par conséquent une coordination entre économistes et sociologues dans la formulation des paramètres de la réponse à cette question ne pourra être que bénéfique. Le plus souvent la question se rapporte à la manière dont les coûts et bénéfices associés à un choix de projet donné se répartissent entre les différentes catégories de revenus, autrement dit, les groupes démunis y gagnent-ils plus que les groupes riches? La distribution des coûts et bénéfices entre régions ou même entre générations peut être intéressante à considérer. Les types de tableaux utilisés pour répondre à la question précédente peuvent être également utilisés ici.

Il n'y a pas de mesure acceptable unique de l'effet d'un projet sur la redistribution des revenus. En d'autres termes, il n'est pas possible de proposer une mesure de l'impact sur la distribution des revenus qui puisse être utilisée pour juger si le projet est acceptable ou non de ce point de vue. Il faut plutôt présenter à l'organe de décision des estimations des impacts positifs et négatifs sur différentes catégories de revenus pendant toute la durée du projet.

Dans l'exemple étudié, le tableau 3.8, établi à partir des tableaux 3.4 et 3.7, fournit l'information nécessaire pour répondre à la question concernant les répercussions sur l'emploi par catégorie de revenus. Le projet a créé des emplois supplémentaires dans la région, et cet emploi concerne les différents groupes de revenus à des degrés divers. Dans certains cas, le tableau lui-même est suffisant. Dans d'autres cas, l'information pourra être présentée sous une forme comparative, dans un tableau ou un diagramme montrant les impacts relatifs de différentes formules de projet. La valeur nette actualisée de chaque prévision de revenu supplémentaire peut également être calculée pour chaque groupe.

Tableau 3.7. Emploi direct supplémentaire par groupe de revenus (hommes-jours/an)a

Groupes de revenus

Années

0

1

2

3-14

15

0 - 4 000 $

4000

2 000

2000

1 000

1 000

4 000 - 6 000 $

4 000

1 000

1 000

1 000

1 000

6 000 - 15 000 $

2 000

1 000

1 000

-

-

> 15 000 $

440

130

110

50

210

a On pourrait établir des tableaux analogues pour montrer les effets indirects sur l'emploi.

Tableau 3.8. Revenu supplémentaire par groupes de revenus (x 1 000 $/an)

Groupes de revenus

Taux de
salaires
$/h-j

Années

0

1

2

3-14

15

0 - 4 000$

20

80

40

40

20

20

4 000 - 6 000$

30

120

30

30

30

30

6 000 - 15 000$

40

80

40

40

-

-

> 15 000$

60

26,4

7,8

6,6

3,0

12,6

Source: Tableaux 3.7 et 3.4.

Nota: On pourrait utiliser des tableaux supplémentaires pour montrer les changements de taux moyens de salaires dus au projet.

3.1.3 Quelles sont les répercussions sur les budgets et la continuité du financement?

Une simple comptabilité des flux de fonds publics et de recettes perçues par l'Etat fournit la meilleure information pouvant permettre de répondre à cette question. Un taux de rentabilité financière pour le secteur public (ou les organismes responsables) pourrait être calculé, mais dans la plupart des cas il ne sera que de peu d'utilité pour juger de l'intérêt de projets publics. Il n'y a pas de mesure unique pouvant être calculée pour répondre à cette question. Si l'organisme concerné a des directives budgétaires au niveau du projet, on pourra utiliser l'information fournie par un tableau montrant le calendrier des contributions financières requises pour cet organisme pour voir si le projet peut être réalisé dans les limites des budgets existants (voir tableau 3.5).

Les organes de décision doivent apprécier si le budget proposé pour le projet est acceptable ou non, et comment le projet se compare avec d'autres utilisations possibles des fonds de l'organisme concerné. Si le budget du projet proposé est trop important, le projet pourra être remodelé à des dimensions plus modestes, et si ce n'est pas possible, il pourra être rejeté comme n'étant pas réalisable avec les contraintes budgétaires existantes.

Lorsqu'ils considèrent l'allocation ou l'acceptation de fonds pour de nouveaux projets, les organes de décision doivent également considérer la question d'importance capitale des coûts de fonctionnement du projet, et de l'aptitude de l'agent d'exécution de supporter ces coûts une fois qu'auront cessé les financements extérieurs. Les bénéfices de nombreux projets se sont taris après l'achèvement du projet parce que la capacité locale d'assumer ces coûts n'avait pas été prise en considération lors de la phase de planification, ou développée durant la phase d'exécution du projet.

D'autres effets relatifs à la stabilité peuvent également être intéressants à considérer, par exemple les effets dans le temps sur la structure de l'emploi et sur le nombre d'emplois, ou les taux minimaux et la périodicité des revenus pour les différents groupes. C'est un sujet d'évaluation où les analyses économique et sociale se recouvrent, et c'est un domaine où il faut une coordination du processus d'évaluation du projet afin d'éviter le double emploi, mais aussi afin d'assurer que tous les impacts soient pris en compte.

3.1.4 Quelle sera l'influence du projet sur les entrées et sorties de devises?

Si l'analyste répond à cette question pour montrer si le projet utilise ou non davantage de devises qu'il n'en fait rentrer dans le pays ou qu'il n'en épargne pour le pays par une substitution d'importations, il doit identifier tous les apports et produits du projet qui sont importés, se substituent à des importations, ou sont exportés. La valeur de ces biens doit aussi être déterminée par leurs prix FOB ou CAF, et dans leurs monnaies respectives. Les taux de change au marché noir doivent également être pris en compte. Le principal problème, pour répondre à la question, est de savoir s'il faut ou non inclure les effets secondaires sur les changes, c'est-à-dire les effets sur les changes qui sont dus au projet, mais ne sont pas attribuables à des importations d'intrants du projet, à des exportations de produits du projet ou à une substitution à des importations. Par exemple, un projet donné peut avoir un effet positif direct sur les rentrées de devises étrangères, mais avoir pour conséquence une forte augmentation des importations dans d'autres secteurs.

Supposons un projet de reboisement destiné à produire du bois pour une expansion projetée de la production nationale de pâte et papier, et une petite quantité pour l'exportation. Il n'y a pas de facteurs de production importés, et les exportations de bois procurent quelques rentrées de devises étrangères. Considéré isolément, le projet de reboisement a un impact positif sur les rentrées de devises étrangères. Mais supposons que l'expansion de l'usine de pâte entraîne des importations considérables d'équipements étrangers et de compétences. Dans ce cas, les effets secondaires sur l'ensemble de l'activité économique (reboisement et usine) peuvent être négatifs. La question qui se pose est celle-ci: jusqu'où devons-nous aller dans l'estimation des effets globaux d'un projet? La réponse est que cela dépend de la situation du pays considéré, et de la mesure dans laquelle les impacts sur les changes sont une considération primordiale pour les organes de décision.

Dans l'exemple considéré, le tableau 3.10, établi à partir des tableaux 3.4 et 3.9, fournit l'information voulue pour répondre à la question. Il donne une indication de l'impact net sur les changes du choix de projet considéré dans le temps. Ce sont les circonstances particulières qui détermineront ce que l'on jugera comme acceptable.

On ne peut recommander aucune mesure unique de l'impact sur les changes. L'approche la plus simple consiste à dresser un tableau montrant les entrées ou (sorties) nettes directes de devises étrangères associées au projet en fonction du temps (voir tableau 3.10). Une étape suivante peut être d'actualiser les flux pour avoir la valeur nette actualisée de l'effet. Ces types de tableaux n'incluent que les effets primaires. On peut dresser des tableaux supplémentaires montrant les effets secondaires estimés, si l'on dispose des multiplicateurs[5] appropriés. Ces multiplicateurs peuvent être grossièrement estimés à partir d'expériences antérieures, ou être déduits des tableaux d'entrées-sorties, si l'on en dispose pour le pays ou la région considérés.

Tableau 3.9. Facteurs de production importés et produits exportés à différentes époques


Unités

Epoque (année)

Quantité

Facteurs de production importés


Camions

Camions/an

0

3

Tracteurs

Tracteurs/an

0

3

Exportations


Bois à pâte

1 000 m3/an

15

320

* Les substitutions d'importation seraient également incluses dans ce tableau.

Tableau 3.10. Bilan des effets des paiements (x 1 000 $/an)


Epoque
(année)

Devises étrangères

Sorties

Entrées

Tracteurs

0

120


Camions

0

45


Bois à pâte

15


3 200

Source: Tableaux 3.4 et 3.9.

Nota: Les valeurs des entrées et des sorties pourraient être actualisées à la date présente, en utilisant le taux d'actualisation social, ce qui fournirait une mesure de la valeur actuelle de l'effet net direct sur les changes.

3.2 Méthodes employées pour répondre aux questions d'efficacité économique

Comme on l'a dit plus haut, une analyse d'efficacité économique est nécessaire pour avoir les éléments qui permettent d'apprécier si un projet procure une utilisation efficace des ressources dont dispose la société dans son ensemble. Trois conditions distinctes reflètent l'efficacité économique, et elles peuvent être traitées dans l'évaluation comme des questions distinctes. En termes simples (comme dans le cas de l'attrait financier), les questions à poser seront les suivantes:

1. La valeur de l'ensemble des bénéfices est-elle supérieure à la valeur de l'ensemble des coûts?

2. La valeur des bénéfices est-elle au moins égale à celle des coûts pour chaque composante dissociable du projet?

3. Y a-t-il des moyens moins coûteux de réaliser les objectifs du projet?

Dans les trois cas, les coûts et bénéfices ont été dûment actualisés à un point commun dans le temps, en utilisant le taux d'actualisation de substitution.

La première étape pour répondre à l'une quelconque de ces questions sera d'identifier quels sont les composantes dissociables du projet à inclure dans l'évaluation, et de déterminer les entrées et sorties physiques relatives à ces composantes. Ces entrées et sorties pourront être les mêmes que celles utilisées dans l'analyse financière, ou bien l'analyste peut choisir d'en inclure de nouvelles qui ont une valeur économique mais pas de valeur financière, du fait qu'elles ne font pas l'objet d'échanges commerciaux. L'étape suivante consistera à établir un tableau de flux de valeurs. Celui-ci diffère du tableau de cash-flow ou flux monétaire (mouvements de trésorerie) utilisé pour répondre aux questions d'ordre financier en ce qu'il représente des coûts et bénéfices pour la société plutôt que de considérer à part les différentes parties intéressées. Pour passer d'un tableau de cash-flow à un tableau de flux de valeurs, il faut faire trois types d'ajustements:

1. Estimer la valeur des entrées et sorties qui ne sont pas incluses dans les analyses financières;

2. Réévaluer certains coûts et bénéfices qui sont inclus dans le tableau de cash-flow;

3. Supprimer dans le tableau de cash-flow les paiements de transfert tels que taxes, subventions et prêts, et faire les ajustements nécessaires pour tenir compte des différences dans le calendrier des coûts économiques et financiers, et des bénéfices économiques et recettes financières.

Deux mesures sont couramment calculées pour aider à répondre aux questions d'efficacité économique: la valeur nette actualisée (VNA) et le taux de rentabilité économique (TRE). Lorsqu'on compare deux possibilités s'excluant mutuellement, la mesure de comparaison à adopter est la valeur nette actualisée. Pour classer des projets dans le cas où un budget limité doit être alloué à différents projets possibles ne s'excluant pas mutuellement (budget d'investissement), le taux de rentabilité économique constitue une mesure de classement appropriée. Ces deux mesures sont décrites dans le chapitre 6, et comparées d'une manière plus technique. Etant donné que dans la plupart des cas les organes de décision se préoccupent à la fois de la meilleure conception pour un projet donné (différentes solutions, s'excluant mutuellement, pour réaliser un objectif donné) et du problème de l'allocation d'un budget limité à un certain nombre de projets, les deux mesures devront en général être calculées.

Si la valeur actualisée des bénéfices du projet excède la valeur actualisée des coûts, le projet aura une valeur nette actualisée positive. Si, dans ce cas, on utilise un taux d'actualisation social approprié pour calculer les valeurs actualisées, le projet aura aussi un taux de rentabilité économique qui excédera le taux d'actualisation social. Par conséquent, l'une ou l'autre mesure peut être utilisée pour répondre à la question de l'efficacité économique, tant pour l'ensemble du projet que pour ses éléments dissociables.

Dans l'exemple de projet forestier, le tableau 3.12, établi à partir des données des tableaux 3.4 et 3.11, fournit l'information nécessaire pour calculer la valeur nette actualisée et le taux de rentabilité économique. Les techniques de calcul sont simples.[6]

La dernière question relative à l'efficacité économique est de savoir s'il existe des moyens moins coûteux pour réaliser les objectifs du projet. La première étape dans la réponse à cette question sera d'identifier les entrées et sorties physiques (directes et indirectes) pour chaque formule possible de projet produisant les résultats désirés. On établira les flux de valeurs pour chaque formule possible, et on calculera la valeur nette actualisée de l'ensemble des coûts. Cette question peut être posée si les organes de décision ont déjà décidé d'exécuter un projet, ou si le calcul des bénéfices du projet n'a pas été possible, et que l'on demande seulement à l'analyste de déterminer le moyen le moins coûteux de réaliser les objectifs du projet.

Tableau 3.11. Prix économiquesa

Article

Unités

Prix économique

Apports


Main-d'oeuvre non qualifiée

$/h-j

15

Main-d'oeuvre semi-qualifiée

$/h-j

30

Main-d'oeuvre qualifiée

$/h-j

40

Ingénieurs

$/h-j

60

Tracteurs

$/jour de machine

200

Camions

$/jour de véhicule

40

Terrain

$/ha/an

10

Plants forestiers

$/1 000 plants

50

Résultats


Bois à pâte

$/m3

20

Bois de feu

$/m3

10

a Etant donné que seule la main-d'oeuvre non qualifiée a un prix virtuel différent du prix de marché dans notre exemple, et qu'aucun apport ni produit non marchand n'a été identifié, le tableau 3.12 aurait pu être supprimé. Nous Pavons néanmoins Inclus ici pour des raisons de clarté.

Tableau 3.12. Tableau des flux de valeur économique totale (x 1 000 $/an)a

Article

Années

0

1

2

3-14

15

Coûts


Main-d'oeuvre non qualifiée

60

30

30

15

15

Main-d'oeuvre semi-qualifiée

120

30

30

30

30

Main-d'oeuvre qualifiée

80

40

40

-

-

Supervision

2,4

1,8

0,6

0,6

0,6

Vulgarisation

24,0

6,0

6,0

2,4

12,0

Tracteurs

400

6,0

6,0

2,0

2,0

Camions

17,6

5,2

4,4

2,0

8,4

Terrain

20,0

20,0

20,0

20,0

20,0

Plants forestiers

100

-

-

-

-

Total

824

139

137

72

88

Bénéfices


Bois à pâte





6 400

Bois de feu




100


Total




100

6 400

Bénéfices nets (coûts nets)

(824)

(139)

(137)

28

6 312

Source: Tableaux 3.4 et 3.11.
a En termes réels, par exemple en dollars fixes 1880.


[1] En termes simples, les prix virtuels sont des estimations de la volonté de payer réelle des consommateurs pour des biens et services, qu'il soient marchands ou non marchands.
[2] Tiré de OECD, 1986.
[3] C'est le taux de rendement que les parties privées pourraient obtenir par la meilleure autre utilisation possible de leurs ressources.
[4] Comme mentionné dans le texte, les techniques et les termes sont discutés dans la II. partie.
[5] De l'activité secondaire engendrée par unité de l'activité primaire.
[6] Pour plus de détails, voir chapitre 6.

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