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1 La biodiversité en Afrique de l’Ouest: Leçons apprises et perspectives - Innocent BUTARE (Centre de Recherche et de Développement International - CRDI)


I. INTRODUCTION

Le terme agro-biodiversité est entendu ici comme ensemble hiérarchisé en niveaux emboîtés de la diversité des gènes au sein d’une espèce donnée (diversité génétique) du nombre et de la richesse des espèces rencontrées dans une zone déterminée d’une région (diversité spécifique) et de la diversité de peuplements, d’habitats et de paysages observée (diversité écosystémique) dans les espaces utilisés par l’homme pour satisfaire ses besoins vitaux particulièrement les besoins alimentaires (agrosystèmes).

Depuis le néolithique, les agriculteurs ont domestiqué, amélioré et conservé des variétés de plantes capables de s’adapter à des terrains ou à des climats variés et répondant à différents besoins. A chaque récolte ils se sont chargés de veiller à la bonne conservation des semences pour la prochaine saison. Aujourd’hui encore, les populations des pays pauvres dépendent largement des produits de l’agro-biodiversité pour leur alimentation, leur santé et comme source de revenus (Groupe Crucible II, 2001). Cependant au fur et à mesure de l’évolution de l’agriculture, du développement du commerce, de l’accroissement démographique, de l’accélération des migrations, l’agro-biodiversité a été mise à mal à tel point que la base trophique de l’humanité ne repose plus que sur un nombre limité d’espèces cultivées (150 environ). L’alimentation des trois quarts de la population mondiale repose sur 12 d’entre elles tandis que les approvisionnements alimentaires de la moitié de la planète proviennent d’un petit nombre de variétés de quelques espèces végétales seulement. Ce sont les «méga-cultures»: riz, blé, maïs, sorgho, mil, pomme de terre et patate douce (Vernooy, 2003).

En Afrique de l’Ouest, des expériences de conservation de la biodiversité menées depuis la période coloniale ont produit des résultats mitigés voire décevants. C’est pourquoi les botanistes des pays du Sahel, au cours de leur atelier sur «la flore, végétation et biodiversité», tenu au Sénégal en 1998, ont recommandé que soient envisagées des stratégies adéquates visant à permettre une préservation in situ ou ex situ des espèces végétales pour lesquelles la pression est trop forte (Ba et al., 1998). Dans ce sens, des plans et des projets ont été élaborés dans plusieurs pays. De nombreuses études ont été menées sur les utilisations traditionnelles des ressources végétales par les populations, les rôles des différents acteurs impliqués et les pratiques socioculturelles, transmises de génération en génération visant à concilier les besoins d’utilisation des ressources génétiques par l’homme et la nécessité de leur conservation.

Il nous a semblé important de revisiter ce travail effectué en Afrique de l’Ouest pour tenter de tirer les leçons de ces expériences variées et de dégager quelques perspectives pour l’avenir.[1]

II. LA CONTRIBUTION DE L’AFRIQUE DE L’OUEST DANS LA BIODIVERSITE MONDIALE

L’Afrique de l’Ouest abrite les centres d’origine de nombreuses espèces cultivées comme le mil (Pennisetum glaucum), le sorgho (Sorghum bicolor), le riz africain (Oryza glaberrima), le niébé (Vigna unguiculata), le voandzou (Vigna subterranea), les ignames (Dioscorea cayenensis-rotundata, Dioscorea dumetorum, Dioscorea bulbifera), le fonio (Digitaria exilis) et bien d’autres (Abelmoschus esculentus, Citrullus lanatus, Solenostemon rotundifolius).

D’autres espèces végétales introduites de l’Amérique comme le maïs (Zea mays), l’arachide (Arachis hypogea), le cacao (Theobroma cacao), la patate douce (Ipomea batatas) ou de l’Asie comme le bananier (Musa spp), la mangue (Mangifera indica), le taro (Colocasia esculenta) et le riz (Oryza sativa) ont développé des caractères nouveaux.

De nombreuses essences forestières, des plantes médicinales et autres espèces sauvages apparentées aux formes cultivées y sont également endémiques. A titre d’exemple, on pourrait citer: Andansonia digitata, Butyrospermum paradoxum, Balanites aegyptiaca, Dacryodes edulis, Faidherbia albida, Irvinga gabonensis, Parkia biglobosa, Tamarindus indica, Cola sp, Blighia sapida, etc.

D’autres espèces herbacées sauvages sont endémiques dans la sous-région: Brachiaria deflexa, Panicum laetum, Dactyloctenium aegyptium, Paspalum scrobiculatum, Oryza barthii, Cenchrus biflorus, Digitaria iburua, Echinochla stagnina tandis que d’autres sont utilisées comme légumes feuilles traditionnelles: Hibiscus, Solanum, Amaranthus, Celosia, Corchorus etc.

III. MENACES SUR L’AGRO-BIODIVERSITE

Il n’existe pas de travaux approfondis permettant de statuer sur la disparition d’espèces végétales pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, mais l’on sait que certaines variétés locales de riz (Oryza glaberrima), de niébé (Vigna unguiculata), de voandzou (Voandzeia subterranea), de fonio (Digitaria exilis), de mil (Pennisetum glaucum) auraient disparu.

Les menaces qui pèsent sur la biodiversité agricole en Afrique de l’Ouest sont semblables à celles observées ailleurs dans le monde. L’action combinée des facteurs naturels et humains serait à la base de l’appauvrissement de la diversité des ressources végétales des agrosystèmes.

En milieu rural mossi (Centre du Burkina Faso) la pression démographique et les grandes sécheresses des années 1970 auraient poussé les agriculteurs à s’adonner aussi à l’élevage et les éleveurs à pratiquer de plus en plus l’agriculture. Cette uniformisation des pratiques agricoles et pastorales constitue une menace pour la protection et la conservation des ressources naturelles. Le recours généralisé aux mêmes stratégies s’est désormais substitué à la complémentarité qui régissait jadis les activités agricoles et pastorales, et dont l’objectif est demeuré cependant le même: assurer la survie dans un milieu naturel rendu pauvre (Ouédrago, 2001).

La recherche de la rentabilité et les critères des marchés ont eu pour corollaires, une homogénéisation et une spécialisation de la flore cultivée ainsi que l’imposition à de nombreuses régions du globe, de modèles agro-techniques et agro-économiques standardisés conçus dans les conditions environnementales et sociales des pays développés (Barrau, 1989). La plupart des variétés locales, présentant un niveau élevé de diversité génétique, ont tendance à disparaître au profit de variétés sélectionnées à base génétique réduite diffusées par les services de recherche et de vulgarisation. Ainsi en Côte d’Ivoire, l’igname connue sous le nom de Florida (Discorea alata) a été rapidement adopté par les paysans dans les années 80 et a fini par remplacer les cultivars locaux. Ces pratiques agricoles visant essentiellement l’augmentation des rendements expliqueraient l’accroissement des cas d’épidémie et de pullulation de ravageurs. La rapide extension de la cochenille et de la bactériose du manioc dans les années 80 et de la cercosporiose du bananier serait probablement liée à l’érosion de diversité génétique. De même les problèmes phytosanitaires observés actuellement sur Moringa oleifera et Ziziphus mauritiana s’expliqueraient par l’étroitesse de la base génétique.

Des comportements de plus en plus individualistes compromettent la sauvegarde de la biodiversité au niveau du village ou des terroirs villageois. Ainsi au Burkina Faso, la nécessité de pourvoir aux besoins alimentaires incite les femmes à protéger de nombreuses espèces, quasiment domestiquées, produites désormais en pépinière pour certaines espèces (Karité, Néré, Tamarin) dans les champs ou bien protégées et gérées par les femmes en brousse lors des coupes de bois. Cependant ces comportements positifs peuvent être remis en cause par un coupeur de bois ou d’autres femmes; d’où la nécessité d’une sensibilisation auprès des groupements féminins qui peuvent alors mettre en place une organisation à l’échelle de leur terroir (Helmfrid, 1998). Alors que les tradithérapeutes du Mali, du Togo ou de la Guinée font attention pour conserver les plantes qu’ils utilisent, des herboristes non professionnels se livrent à des récoltes sauvages qui compromettent le renouvellement de la ressource.

Tableau 1: Liste de quelques espèces devenues sous consommées au Togo

Nom d’espèce

Famille

Noms vernaculaires connus(1)

Partie consommée

Annona senegalensis Pers.

Annonaceae

Nyigli (E), Tchoutchourè (K)

Pulpe de fruit

Artocarpus communis Forst.

Moraceae

Dziten (E)

Chair, graine

Canavalia ensiformis DC.

Papilionaceae

-

Graines

Cassia occidentalis L.

Caesalpiniaceae

-

Graines

Ceratotheca sesamoides Endl.

Pedaliaceae

Hounoum (K),

Feuilles

Corchorus tridens L.

Tiliaceae

Anulu (E), Kulin (K)

Feuilles

Digitaria exilis Stapf

Poaceae

Tendarè (K)

Graines

Diospyros mespiliformis Hochst. ex DC.

Ebenaceae

Tanlou (K)

Fruits

Ficus gnaphalocarpa A. Rich.

Moraceae

Pitchalihulumiè (K)

Jeunes feuilles

Gynandropsis gynandra (L.) Briq.

Capparidaceae

Sombui (E)

Feuilles

Ipomoea batatas (L.) Lam.

Convolvulaceae

Dzetin (E), Awiya-èyè (K)

Feuilles

Jacquemontia tamnifolia (L.) Griseb.

Convolvulaceae

-

Feuilles

Kerstingiella geocarpa Harms

Papilionaceae

-

Graines

Moringa oleifera Lam.

Moringaceae

Yovovitsi (E)

Feuilles

Parkia biglobosa (Jacq.) Benth.

Mimosaceae

Wotsi (E), Soulou (K)

Pulpe des graines

Pentadesma butyracea Sabine

Guttiferae

-

Huile des graines

Solenostemon rotundifolius (Poir.) J.K. Morton

Lamiaceae

-

Tubercules

Sphenostylis stenocarpa (Hochst. ex A. Rich.) Harms

Papilionaceae

-

Graines

Treculia africana Decne.

Moraceae

Azintsi (E)

Graines

(1) Les noms vernaculaires en Ewé (E) et en Kabiyè (K), principales langues au Togo.

(Source: Akpagana, 2002. Projet «Habitudes alimentaires et conservation de la biodiversité des plantes alimentaires mineures», Université de Lomé, Faculté des Sciences, Togo)

Plusieurs plantes, jadis très consommées et très appréciées, sont progressivement abandonnées pour diverses autres raisons. Le tableau 1 donne une liste non limitative de quelques espèces de plantes alimentaires dont la consommation tend à disparaître à travers le Togo.

Les populations, de plus en plus jeunes et de plus en plus urbanisées, perdent les savoirs traditionnels d’utilisation et de protection de certaines plantes alimentaires locales. Ces couches de la population utilisent des produits de substitution souvent importés tels que le riz, la pomme de terre, les pois et haricots en conserve, les pommes et poires. Jusqu’à présent l’école n’a pas encore réussi à suppléer cette carence.

Les guerres et les déplacements des populations comme ceux qu’ont connus, le Libéria et la Sierra Leone, affectent négativement la conservation des stocks de semences chez les paysans et détruisent les infrastructures de conservation et de production des semences dans les institutions de recherche comme s’est le cas en Côte d’Ivoire depuis septembre 2002. Ces désastres occasionnent également la perte des savoirs associés à l’utilisation des cultivars locaux.

Les différents acteurs (décideurs, chercheurs, populations, agents de l’administration, ONG) n’ont pas encore réussi à avoir une vision partagée sur les questions de gestion des ressources naturelles qui serait basée sur des informations scientifiques à jour. Enfin, les pays ne disposent pas de suffisamment de techniciens et scientifiques ayant les compétences requises pour une véritable gestion participative des ressources naturelles.

IV. EFFORTS DE PROTECTION DE LA BIODIVERSITE

Un peu partout en Afrique de l’Ouest, l’administration coloniale et les missions religieuses ont mené plusieurs expériences d’implantation de jardins botaniques. Par manque d’un système efficace d’entretien et de surveillance, ils ont presque tous disparu (Bognonou, 2000).

Depuis les années 60, de nombreuses missions de prospection et de collecte ont été organisées par la FAO, l’IBPGR, l’IITA, l’ICRISAT, l’ILRI, l’ORSTOM (actuel IRD) en collaboration avec les instituts nationaux de recherches agricoles des pays africains. D’autres l’ont été sous l’initiative propre de ces derniers. Les principaux centres de conservation des collections sont: IITA (Nigeria): pour le niébé, l’igname, le riz, le maïs, le bananier; ICRISAT (Niger, Inde): pour le mil, le sorgho, l’arachide; ADRAO (Côte d’ Ivoire): pour le riz; IRD (France): pour le fonio, le mil, le sorgho; CNRA (Côte d’Ivoire): pour le cacao, le café, le palmier à huile, le cocotier (voir tableau 2).

Malheureusement, la conservation des semences ex situ (en chambres froides) pose d’autres types de problèmes. Périodiquement, il faut les soumettre à la régénération pour disposer de semences viables. Comme elles ne sont pas placées dans leurs écosystèmes naturels, la co-évolution avec la microflore du sol ou avec les parasites et l’adaptation qui devrait s’en suivre sont absentes. D’autre part dans la plupart des instituts nationaux de recherche, les structures de conservation sont souvent défectueuses, l’entretien des collections n’est pas assuré correctement.

C’est pourquoi certains pays comme le Burkina et le Mali ont entrepris des recherches sur la conservation in situ, avec la collaboration de l’IPGRI. D’autres recherches sont menées par des instituts internationaux comme ICRAF et ICRISAT en collaboration avec les systèmes nationaux de recherche agricole en matière surtout de préservation des ligneux et des fruitiers dits sauvages. L’expérimentation est à ses débuts et il est encore tôt pour se prononcer sur la faisabilité de cette nouvelle approche.

Tableau 2: Situation des collections d’espèces cultivées et forestières au Sénégal

Espèces

Nombre de cultivars

Mil

2.269

Sorgho

981

Maïs

171

Riz

2.044

Niébé

577

Arachide

869

Coton

483

Fonio

10

Voandzou

2

Soja

10

Espèces forestières

100

Espèces maraîchères

4.500

Espèces fruitières

113

(Source: Rapport National Biodiversité, 1999)

La plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre ont ratifié la Convention sur la Diversité Biologique et la Convention sur la Lutte Contre la Désertification. Des comités techniques sur la diversité biologique chargés de coordonner les actions de mise en oeuvre de la convention ont été mis en place.

Des monographies nationales sur la biodiversité ont été rédigées et des plans ou programmes d’action nationale sont achevés ou en cours d’élaboration. Ceci démontre une prise de conscience de l’intérêt de protéger les ressources génétiques.

Par ailleurs, un début de collaboration sous-régionale et à l’échelle de l’Afrique se met en place au sein des regroupements tels que Union Africaine, FARA, CORAF, Réseau SAFORGEN, Réseau Néré.

V. LEÇONS APPRISES DES ACTIONS DESTINEES A PROTEGER L’AGRO-BIODIVERSITE

Suite à l’échec des initiatives pilotées par les pouvoirs publics, on préconise actuellement d’adopter une approche dans la régénération naturelle assistée qui soit plus proche des besoins des individus et des populations en s’appuyant notamment sur les actions menées par les communautés, les associations et les ONG et en impliquant ces acteurs dans la sélection des variétés, la production de semences, l’introduction de nouvelles cultures, l’installation de vergers de fruitiers. La mise en oeuvre de cette approche nécessite les actions suivantes:

revoir la législation et le cadre institutionnel;
reconnaître le rôle de la femme et les intérêts des catégories défavorisées;
renforcer l’éducation environnementale;
faire attention aux besoins du marché.

VI. IMPLIQUER LES POPULATIONS ET LES COMMUNAUTES LOCALES

Depuis un certain temps, dans tous les pays, le leitmotiv semble être l’implication des populations à la base. Cependant dans beaucoup de cas, certains observateurs pensent qu’il s’agit plutôt d’un slogan ou d’une mode imposée par les bailleurs de fonds extérieurs ou par la mondialisation des idées. Les approches restent très technocratiques et rappellent les actions mises en oeuvre du temps des administrations coloniales et des gouvernements autoritaires qui ont suivi les indépendances des pays africains. Pour impliquer réellement les populations dans l’utilisation durable de la biodiversité, il faudrait:

Comprendre leur logique et leur perception pour enraciner les activités dans la culture;
Partir des savoirs locaux;
Etablir la confiance;
Revoir la législation;
Promouvoir l’éducation et la formation.

VII. COMPRENDRE LA LOGIQUE ET LA PERCEPTION DES COMMUNAUTES POUR ENRACINER LES ACTIVITES DANS LA CULTURE LOCALE

Pour diverses raisons, dans les pays sahéliens par exemple, un nombre important d’espèces arborées est maintenu dans les champs et les jachères.

Tableau 3: Raisons du maintien, du suivi et de l’entretien des arbres dans les champs de Bogodjotou (Niger)

Enquêtés

Raisons invoquées pour maintenir les arbres dans les champs

1

Ombre pour le repos des hommes et des animaux. Ces derniers y laissant leurs déjections fertilisantes. Bois de chauffe, de construction de case et de grenier et de clôture des champs. Branchage piégeant le sable.

2

Brise-vent et lutte contre l’érosion. Fruits servant au tannage. Consommation et vente de fruits. Amendes par les forestiers. Ombre.

3

Lutte contre l’érosion, protection des cultures et protection contre les effets négatifs des averses.

4

Consommation et vente de fruits, tannage; piégeage de sable. Consommation de feuilles et des fruits par les animaux. Fixation et fertilisation du sol.

5

Feuilles alimentaires pour les animaux.

6

Ombre, vente et consommation des fruits; consommation des feuilles et des fruits par les animaux, pharmacopée traditionnelle.

7

Protection des cultures, ombre, fertilisation par débris et attraction des animaux; pharmacopée traditionnelle.

8

Propriétés fertilisantes, brise-vent et lutte contre l’érosion, facteur de pluie; ombre, vente et consommation de fruits.

9

Vente et consommation de fruits, fabrication de corde et pharmacopée.

10

Utilité des feuilles, ombre, source économique.

(Source: Idrissa Soumana, connaissance holistique de l’arbre chez les paysans de Bogodjotou au Niger, 2001)

Comme on le voit, dans un même terroir, la biodiversité est conservée pour plusieurs raisons. Cette démarche «multicritérielle» est différente de celle des chercheurs et des agents du développement qui généralement privilégient un seul critère tel que la productivité ou la croissance rapide. Passer outre cette réalité et espérer intéresser les paysans dans la conservation et l’utilisation durable de ces arbres serait se leurrer.

En plus de ces raisons dites objectives, des considérations magico-religieuses peuvent être à la base de la conservation de la biodiversité. Dans les concessions du village (Bogodjotou, Niger), les enquêtes ont montré que la plantation de certaines espèces est proscrite alors que celle des autres est encouragée (Tableau 4).

Les arbres plantés dans les concessions le sont pour leur présence jugée bénéfique pour les familles ou pour les usages médicaux (Z. mauritiana, A. digitata, P. africana, Commiphora sp.). Les arbres comme S. birrea sont absolument proscrits parce que leurs tiges qui ne sont jamais attaquées par les termites servent de traverses dans les tombes. D’autres comme T. indica, K. senegalensis, C. procera n’y sont jamais plantés, mais s’ils y poussent, on les laisse. La poudre de charbon ou de C. procera mélangée à de la bouillie et bue par des enfants, les protège contre les sorciers. Au Togo, Newbouldia laevis (kpotsima) et Momordica charantia (Anyanyra) sont conservées dans et autour des maisons pour leurs propriétés thérapeutiques et surtout médico-magiques.

Tableau 4: Arbres acceptés (+) et proscrits (-) dans les concessions du village (Bogodjotou, Niger)

Espèces plantées

Groupe Hommes

Groupe 1 Femme

Groupe 2 Femmes

Conces. +

Conces. -

Conces +

Conces -

Conces. +

Conces -

A. digitata

+


+


+


Z. mauritiac.

+


+


+


A. indica

+


+


+


P. africana

+


+


+


C.africana

+


+


+


Bantan

+


+


+


Tchédia

+


+


+


Makka bani

+


+


+


Wagna

+


+


+


S. birrea


-


-


-

P. reticulat.


-


-


-

T. indica


-


-


-

K. senegalen


-


-


-

C. procera


-


-


-

A. pallida


-


-


-

C. micrant.


-


-


-

(Source: Idrissa Soumana, connaissance holistique de l’arbre chez les paysans de Bogodjotou au Niger, 2001)

Chez les Beti (Cameroun), Agni-Baoulé (Côte d’Ivoire), etc, cultivateurs de céréales et de tubercules, la tradition réglemente la fréquentation de la forêt selon le sexe et selon la saison. Chez les Beti, la tradition indique aussi le procédé de capture, l’espèce et le nombre d’animaux accessibles aux chasseurs. Par ailleurs, à tel moment, le calendrier rituel prescrit la clôture de la forêt à la chasse, à la pêche; à tel autre moment, il en ordonne l’ouverture.

En vertu des liens de consanguinité ou d’alliance qui lient l’individu ou le lignage à un végétal ou un animal considéré comme héros civilisateur et gardien protecteur, la consommation et la chasse à l’animal totémique sont interdites de partout. Tel est le cas de la panthère, gba de Facobly, (gi) des peuples Bakwé de Sassandra, le phacochère chez les peuples de Niambézéria de Lakota. Tel est aussi le cas du poisson mannongoblé qui constitue l’interdit fondamental d’un grand nombre d’individus et notamment des Kéita, dans la vallée du Niger. Dans le même sens, dans le mythe fondateur, le cultivateur dogon donne beaucoup d’importance à la graine de fonio (Gadou, 2003). Chez les nawda de Doufelgou au Nord Togo, certains arbres tels que Adansonia digitata (to’de), Milicia excelsa (tom’be) et Borassus aethiopum (kpadbe) abriteraient les esprits des ancêtres et sont ainsi protégés. C’est ainsi que, par exemple pour tailler un pied de M. excelsa, il faut réunir toute la famille pour prendre la décision. Toute action individuelle est proscrite. En pays Ewe au Sud du Togo, Ceiba pentandra ou fromager (õutsi), Antiaris toxicaria subsp. welwitschii var. africana (logotsi), M. excelsa (logo-azagu), Dracaena arborea ou dragonnier (Anyatsi) ainsi que A. digitata ou baobab (adidotsi), etc. sont des totems. Ces espèces sont épargnées au moment des mises en culture, ce qui explique leur fréquence dans le paysage togolais.

En pays Coniagui, le rônier est l’objet d’une attention particulière. Kouyaté (1998) et Diallo (1999) précisent que ses feuilles sont utilisées pour la fabrication des colliers de fiançailles, des masques et les anciennes noix du fruit dans les danses traditionnelles.

D’après Ibo (1992), en Côte d’Ivoire, il est interdit, de pêcher du poisson dans la rivière sransi qui abrite les silures sacrés; il est également interdit d’aménager des champs aux environs de la rivière, ce qui permet de conserver un petit massif forestier protégeant le cours d’eau contre l’assèchement; il est établi un jour de la semaine (soupè) où il est défendu aux femmes de se rendre à la rivière, favorisant ainsi la remise à niveau de la petite marre. La rivière, de même que la petite forêt qui abrite la rivière sont aussi sacrées conférant ainsi un caractère intégré à l’approche traditionnelle de conservation de la biodiversité.

L’homme, à travers ses croyances et sa culture, participe dans une certaine mesure à la conservation de la biodiversité. Néanmoins, face aux exigences actuelles (urbanisation, demande en terres cultivables et en pâturages), ces croyances sont de plus en plus abandonnées par les générations actuelles. On observe une désacralisation de la nature qui va de pair avec l’expansion du christianisme et de l’islam ainsi qu’avec la recherche du profit immédiat prônée par l’économie marchande et le mercantilisme ravageur. De même, du fait des migrations, certaines populations allochtones ne se sentent pas obligées de respecter les pratiques culturelles du lieu d’accueil.

Il ne servirait à rien de chercher à retourner coûte que coûte aux usages coutumiers. Mais, il faut comprendre ces méthodes séculaires de conservation de la biodiversité et les actualiser en tenant compte du contexte environnemental, économique et social actuel afin de les rendre beaucoup plus performantes et de léguer aux générations futures des méthodes plus fiables de recherche et d’action.

Ainsi pour la conservation de la faune: «sur la base des animaux totémiques recensés, on effectuerait un découpage faunique du territoire national afin d’aboutir à la formation de zones totémiques. La zone totémique se définit comme une région dont les habitants autochtones ont en commun un animal totémique. A l’intérieur de chaque zone totémique on créerait des niches totémiques dans lesquelles seraient transférés les animaux totémiques menacés d’extinction au niveau d’autres zones totémiques. Le critère principal de création de la niche totémique serait la présence d’un animal totémique protégé sur la base des coutumes locales. Ce schéma prévoit l’intervention de l’administration forestière seulement pour le transfert des bêtes et la création d’une zone de protection autour de la niche totémique. Les populations locales réunies au sein de comités d’amis de la nature assureraient la protection des animaux totémiques. Ces comités fonctionneraient sur la base des principes édictés par les sacrificateurs locaux ayant à charge la surveillance des sites naturels sacrés» (Ibo, 1999).

Au Burkina Faso, certaines variétés rares et originales de sorgho teinturier sont utilisées dans le cadre de cérémonies coutumières. Il faudrait appuyer les populations à conserver ces variétés locales, peu productives mais qui pourraient servir comme source de gènes utiles dans les programmes de sélection ou les projets de développement artisanal (Olivier et al., 2003). Cela soulève bien évidemment des questions de partage des bénéfices qui devraient être prises en charge par une législation appropriée.

VIII. VALORISER LE SAVOIR LOCAL

Les paysans possèdent leurs propres critères de gestion qu’ils exploitent variablement d’une région à l’autre, d’un groupe ethnique à l’autre en fonction de l’environnement, de leurs culture et rites et des activités agricoles qu’ils mènent. Ces méthodes qui assurent de façon évolutive le maintien de la variabilité génétique des plantes cultivées sont aussi une garantie pour un flux d’échange génique entre les cultivars locaux et leurs proches parents sauvages (Balma et al., 2003). Il est communément admis que l’un des critères de prise de décision chez le paysan est la gestion du risque contre les perturbations liées aux facteurs abiotiques (climat, sols) ou biotiques (maladies et ravageurs). Quelques exemples permettent d’illustrer la richesse de ces savoirs dans des domaines variés.

a) La conservation des semences

Dans le domaine de la conservation des semences, les paysans mossi du Centre - Nord du Burkina Faso utilisent des méthodes et des techniques qui ont fourni la preuve de leur efficacité pratique. Il s’agit des méthodes et techniques de conservation des céréales les plus consommées (mil, sorgho, maïs) consistant à les étaler au fond d’un grenier sur un tapis de cinq à dix centimètres d’épaisseur de feuilles d’une des plantes suivantes: Bauhinia rufescens (Lamboèga en langue nationale mooré), Cassia nigricans (Zambré Kouka) et Hyptis spicigera (Youmenga youga). Les productions céréalières sont alors disposées sur une épaisseur variant entre cinquante centimètres à un mètre sur cette première couche de feuilles. Ensuite une nouvelle couche de feuilles de même épaisseur est étalée, puis une quantité équivalente de céréales et ainsi de suite jusqu’au remplissage du grenier. Une telle méthode et une telle technique assurent la protection de l’ensemble des productions agricoles céréalières et en particulière des semences, pour une période variant entre trois et cinq ans (Ouédrago, 2001). Des exemples semblables peuvent être cités pour d’autres communautés.

b) L’agroforesterie traditionnelle

L’agroforesterie est une technique culturale très ancienne chez la plupart des peuples ouest africains. Elle consiste en l’entretien d’arbres dans les champs et dans les jachères pour des raisons alimentaires, médicinales ou autres. Au Nord Togo, l’ONG Association pour la Promotion de l’Agro-foresterie (APAF) a étudié deux pratiques traditionnelles (APAF-CIFCD et PACIPE, 1999):

la culture en sous-étage communément appelée “champ multi-étagé” pratiquée dans les anciennes plantations cacaoyères et caféières depuis la colonisation. Elle consiste à pratiquer des cultures de rente ou vivrières sous l’ombrage de grands arbres à valeurs économiques tels que M. excelsa, Khaya grandifoliola, etc. Ils participent à la fertilisation des sols. Cette méthode ancestrale qui tend à disparaître est réactualisée par l’APAF;

la régénération naturelle assistée qui consiste à préserver dans les champs les jeunes plants d’arbres désirés naturellement. Ainsi dans les parcelles âgées, on rencontre des espèces telles que Albizia spp., Erythrophleum guineense et Parkia spp.

Les arbres ainsi épargnés produisent de la litière qui se dégrade et donne un engrais naturel pour les cultures. De plus, certaines espèces forestières appartenant au genre Albizia sont des pionnières et jouent un rôle fondamental dans la reconstitution des forêts.

c) La polyculture et les champs de case

Dans la partie septentrionale du Togo, on note souvent les polycultures suivantes: sorgho-arachide-niébé, maïs-niébé, manioc-riz, sorgho-arachide-niébé-voandzou ou fonio-mil. Elles sont souvent associées à une strate arborée de karité-néré-palmier doum. Dans la Région des Plateaux ouest les associations suivantes: maïs-manioc-riz-légumes verts, maïs-manioc-niébé, manioc-igname-niébé (Tsatsu, 1987). On garde dans le champ de grands arbres qui fournissent de l’ombrage, des fruits de cueillette et qui favorisent une fertilisation passive mais efficace des sols. Dans la partie côtière, sous une mosaïque de cocotiers, de manguiers, de neems, de palmiers à huile, on a pu noter les associations manioc-maïs-niébé, manioc-maïs-niébé-voandzou-oseille, manioc-maïs-niébé-oseille.

La polyculture permet ainsi une meilleure gestion des terroirs, limite l’érosion des ressources génétiques et diminue les risques en diversifiant la production. Dans le Nord du Togo, les champs ou jardins de cases sont directement localisés autour des maisons. Leur mise en place et leur entretien sont directement assurés par les femmes. Ces sols sont enrichis par la fumure et l’agro-biodiversité est assez importante. Ainsi à Dapaong dans l’extrême Nord, on a pu recenser 18 à 21 espèces cultivées sur environ 30 m². Il faut remarquer que sur ces parcelles, on note diverses variétés appartenant à la même espèce. Ainsi on a pu observer diverses variétés de piment (Capsicum annuum) et de niébé (Vigna unguiculata) (Wala et al., 2003).

Un peu partout en Afrique de l’Ouest, les enquêtes ethnobotaniques ont montré que près des cases les femmes utilisent une gamme d’espèces médicinales utiles pour la santé maternelle et infantile.

Ces savoirs locaux devraient être mis à profit dans des programmes de conservation de la biodiversité agricole. Il ne s’agit pas de les conserver en l’état mais de comprendre la logique qui les sous-tend et de chercher à les améliorer en tenant compte des exigences actuelles et futures, notamment l’augmentation des rendements et les exigences des marchés.

IX. ETABLIR LA CONFIANCE

Il serait illusoire de vouloir appliquer des méthodes participatives, de vouloir appuyer les individus et les communautés sans établir un climat de confiance entre les partenaires. Ceci est d’autant plus nécessaire que les politiques coloniales et post indépendance ont cherché à infantiliser ou à instrumentaliser les agriculteurs en les considérant comme juste utiles à recevoir des ordres à suivre et des recettes à appliquer. Le changement de mentalités s’opère un peu partout mais lentement.

Dans la gestion des peuplements destinés à la production de semences forestières au Burkina Faso, Nikiema et Poda (2003) signalent: «Les difficultés de l’utilisation de l’approche participative dans la production des semences sont multiples compte tenu de l’exercice de la responsabilité des activités qui passe de la seule structure de semences aux différents acteurs des programmes de reforestation. La définition des responsabilités pour chaque acteur demeure une opération délicate où l’accord de toutes les parties est indispensable car la défaillance d’un des acteurs compromet la réussite de l’ensemble. Il est souvent admis que la protection des peuplements relève de la responsabilité des populations locales. Celles-ci doivent être conscientes de cette responsabilité et avoir la volonté de l’assumer. L’engagement des acteurs dans la production des semences dépendra de l’intérêt qu’ils ont dans l’activité. Les populations locales manquent souvent de motivation à cause du climat de confiance très fragile qui existe entre elles et l’administration dans nombre de pays. Instaurer la confiance entre les acteurs devient alors un préalable nécessaire à la bonne exécution du programme».

Tout se passe comme si «chaque catégorie d’utilisateurs des ressources végétales évoluait au sein de sa propre biodiversité végétale; tout projet n’intégrant pas les intérêts particuliers de l’ensemble des acteurs agissant sur un territoire risque de voir ses efforts de protection et conservation de la biodiversité réduits à néant» (Olivier et al., 2003).

Pour garder la confiance des communautés, il faudrait encourager les mécanismes qui assurent la conservation des ressources génétiques comme les dons, les échanges de semences et se garder de privilégier les achats. Il faudrait également appuyer les communautés dans l’organisation de concours agricoles locaux et de foires des semences pour que les gens aient plus d’information sur les disponibilités locales en ressources génétiques. De même, il faudrait renforcer leurs propres capacités dans la sélection, la gestion des ressources notamment par la formation et surtout tenir compte de leur avis.

X. REVOIR LA LEGISLATION ET LE CADRE INSTITUTIONNEL

L’appropriation des plantes, leur contrôle et l’accès à leurs produits pour les divers usages des hommes ont toujours fait l’objet d’une réglementation plus ou moins rigoureuse suivant les sociétés. Cette réglementation peut être de nature coutumière, et donc orale: forêts et bosquets sacrés où sont préservées de rares espèces végétales, réglementation traditionnelle de la brousse et des jachères, réglementation traditionnelle de la chasse ou de la pêche (Ouédrago, 2001).

En Guinée, dans le parc Niokolo-Badiar, il existe à l’échelle des localités riveraines, des associations traditionnelles, appelées comités de gestion de la rôneraie qui veillent à la sauvegarde de l’espèce (Sow, 2003). Gakou et al. (1997) signalent que le pouvoir de la législation traditionnelle, en pays malinké, est renforcé par celui de la caste des griots, véritables maîtres de la parole. Lors des grandes soirées culturelles des villages, les thèmes de sensibilisation et d’éducation sont traités et évoqués par les griots. Ainsi, à travers un processus de distribution de la parole, qui est propre aux malinkés, l’information est distillée, interprétée et analysée du centre des décisions jusqu’à la cellule familiale.

La promotion de la gestion durable de la biodiversité implique que des efforts soient déployés pour préserver certains types de comportements culturels. En effet, chaque communauté prend des décisions sur la façon d’utiliser les ressources naturelles de son environnement dans le cadre de son propre éventail de valeurs. Les décideurs doivent prendre en compte ces valeurs et les pratiques qui en découlent, pour une gestion durable de la biodiversité à travers une approche communautaire (Sow, 2003).

En Afrique de l’Ouest, cette législation traditionnelle coexiste avec les droits agraires et fonciers de type moderne n’obéissant pas à la même logique et ne fonctionnant pas selon la même rationalité. Cette situation nuit à l’utilisation durable des ressources naturelles. Elle ne profite qu’aux mercantilistes qui recourent tantôt à l’une tantôt à l’autre selon leurs intérêts du moment. Des efforts doivent être faits pour intégrer les deux systèmes tout en les actualisant compte tenu des nouveaux enjeux sur le plan africain et mondial. Dans ce sens, il faut reconnaître les droits des petits fermiers comme dépositaires de l’agro-biodiversité, développer les législations sur le partage des bénéfices et harmoniser les législations en se basant sur le modèle de l’OUA, développer une législation sui generis pour la protection de nouvelles variétés de plantes.

Sur le plan institutionnel, il faudrait revoir les politiques de production de semences donnant une place aux paysans en évitant de les assujettir à des fournisseurs uniques vendant des mono-variétés. Ce nouveau cadre institutionnel devrait être décentralisé pour permettre aux acteurs locaux de produire et de commercialiser localement les variétés. Il est évident que cela ne pourrait se faire sans un certain renforcement des capacités des acteurs à la base.

XI. RECONNAITRE LE ROLE DE LA FEMME ET LES INTERETS DES CATEGORIES DEFAVORISEES

Dans la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest, les femmes ont la charge de la sécurité alimentaire dans les ménages ruraux. Très souvent c’est à la femme que reviennent les tâches de traitement et de conservation des semences. En matière alimentaire, l’homme ne fournit que les céréales pour la consommation de la famille. Il appartient à la femme de trouver les ingrédients pour transformer les céréales en repas. A l’image de la femme wolof du Sénégal (Bergeret et al., 1990), la femme rurale au Burkina Faso a une obligation morale, en périodes de soudure, de trouver graminées et fruits sauvages pour substituer aux céréales qui font défaut. L’exemple de graines de Boscia senegalensis, Acacia macrostachya est éloquent. Au Sahel, Pasco (1990), Lamien et al. (1996) et Nikiéma (1997) ont mis en évidence le rôle prépondérant des femmes dans l’exploitation et la vente des produits forestiers non ligneux du fait qu’elles manquent de terres pour la production agricole et d’opportunités d’activités génératrices de revenus. Disposant rarement de liquidité financière pour se les procurer sur la place du marché, elles sont souvent contraintes de les rechercher en brousse. Au regard de cette forte dépendance sociale et économique des femmes vis à vis des produits forestiers non ligneux, toute action visant à valoriser et utiliser durablement ces ressources naturelles ne peut se faire sans l’implication des femmes.

Tout comme les femmes, les jeunes et les hommes sans terres manquent généralement d’opportunités d’activités génératrices de revenus. Ils ont donc tendance à dépendre particulièrement de la cueillette et de la vente des produits naturels pour leur subsistance et le gain de revenu monétaire (FAO, 1995). N’ayant pas de sources alternatives d’aliments ou de revenus, ils auront tendance à surexploiter l’agro-biodiversité et à s’enfermer dans un cercle vicieux: pauvreté-dégradation de l’environnement-pauvreté. La compréhension des intérêts de ces catégories défavorisées et le souci de leur trouver des sources alternatives de revenus ou d’emploi doivent faire partie d’une politique de préservation de la biodiversité.

XII. RENFORCER L’EDUCATION ENVIRONNEMENTALE

Dans les sociétés traditionnelles africaines, l’enfant apprend en accomplissant les diverses stratégies de protection qui vont de la liturgie (prière, sacrifice avant semailles, pêche et chasse à un âge plus avancé) à une déontologie appropriée de la chasse, de la pêche, de l’agriculture, de l’élevage et de l’artisanat. Cette déontologie n’interdit pas seulement la prédation, elle interdit aussi aux chasseurs senufo et bambara de tuer l’animal qu’accompagne son petit, ou l’animal assoiffé qui va boire à l’étang ou à la rivière (Memel-Fotê, 1999). C’est dans la nature elle-même, à travers les forêts ou bois sacrés que l’enfant reçoit progressivement la connaissance intime des composantes de son environnement: tel est l’exemple des sociétés senufo, wê et dan, en Côte d’Ivoire, régies par une culture de masque et d’initiation. Dans ces sociétés, au cours de l’initiation (à caractère ésotérique) dans la forêt sacrée, les initiés sont entraînés, entre autres, à la collecte des plantes à vertus curatives et à la capture des animaux, à la connaissance du milieu forestier en général et des possibilités d’utilisation de ses ressources. Ces pratiques ont changé brutalement avec la culture de conquête qui a accompagné la christianisation ou l’islamisation.

Mais encore actuellement, en milieu rural, les connaissances sont transmises de père en fils ou d’anciens à jeunes[2]. Concernant les pratiques agricoles, les enfants y sont initiés dès le bas âge. Au Niger, dans bien des communautés, «très souvent dès l’âge 5-6 ans, l’enfant armé de sa hilaire et accompagné de son repas, suit son père au champ et l’imite. Cependant, iI se consacrera à cette initiation selon son bon vouloir et même ses fantaisies et ses humeurs comme il mangera son repas à sa guise. Aucune contrainte, il s’agit de voir ce que fait le père et de l’imiter selon son bon vouloir. Mais la vue répétée de l’action pousse à l’imitation à cet âge» (Soumana, 2003).

Avec le système de scolarisation actuel, de plus en plus d’enfants sont progressivement coupés de cette chaîne de transmission de connaissances. Ils devraient donc apprendre l’utilisation de la biodiversité à l’école. D’où l’intérêt d’avoir des curricula adaptés (Bognounou, 2000). Dans les pays sahéliens, le programme de formation, d’information et d’éducation environnementale initie l’enfant aux questions environnementales mais il mériterait d’être renforcé. Il faudrait également revoir les curricula des matières enseignées dans les écoles d’agriculture et de gestion des ressources et y intégrer les savoirs paysans, les méthodes participatives, l’amélioration participative des plantes.

Sur le plan de la recherche et de l’enseignement supérieur, «aucune discipline particulière des sciences sociales ne peut à elle seule, fournir l’épistémologie appropriée à l’étude de l’interface entre l’homme et la nature. En effet l’impact de l’activité humaine sur l’environnement (utilisation par l’homme des ressources naturelles - intrusion de l’homme dans les processus naturels) et l’influence de l’environnement sur le cours et la qualité de la vie humaine (adaptation et réaction de l’homme) ne peuvent être correctement appréhendés que dans un cadre pluridisciplinaire» (Ouedrago, 2003). Les spécialistes des sciences naturelles (phytogénéticiens), des sciences sociales (économistes, sociologues et anthropologues) et les avocats doivent étendre le champ de leurs connaissances et parfaire leurs compétences dans plus d’un domaine. Ils doivent oeuvrer à travailler ensemble et à mieux se compléter. Ils doivent être en mesure d’utiliser des méthodes participatives appropriées. Ils doivent pouvoir rassembler divers intervenants et favoriser la collaboration et des communications fluides et suivies. De brefs cours de formation ou stages peuvent conduire à l’acquisition de nouvelles connaissances et compétences, mais il faudra des changements plus fondamentaux dans les programmes de deuxième et de troisième cycle pour former les futurs directeurs de recherche et les gestionnaires politiques. Les nouveaux chercheurs doivent être capables de s’appuyer sur les pratiques culturelles favorisant la conservation de la biodiversité et d’intégrer les savoirs paysans dans le processus de recherche et de diffusion des variétés (Vernooy, 2003).

XIII. FAIRE ATTENTION AU MARCHE ET A LA COMMERCIALISATION

Certaines plantes jusqu’alors insérées dans des économies de cueillette ou de subsistance sont de plus en plus commercialisées sur les marchés locaux, régionaux ou nationaux.

Nikiema et al. (2003) rapporte que dans les pays sahéliens, les produits de Adansonia digitata, Parkia biglobosa, Acacia macrostachya, Bombax costatum, Tamarindus indica, Ziziphus mauritiana, Detarium microcarpum, Vitellaria paradoxa, Saba senegalensis, Sclercaria birrea sont fortement commercialisés.

Les travaux de Lamien et Vognan (1999) ont montré que les produits forestiers non ligneux contribuent pour 16 à 27 % à la formation de revenus des femmes dans la partie sud-ouest du Burkina. En terme de rentabilité financière des activités de transformation liées aux produits forestiers non ligneux ont enregistré des taux de rentabilité de 137 % pour la production du beurre de karité, 124 % pour la production des graines fermentées de Néré (soumbala). S’agissant de l’utilisation du revenu tiré de la vente des produits forestiers non ligneux, l’argent est prioritairement investi dans l’achat des condiments pour les repas dont la femme a généralement la charge (Lamien et al., 1996).

Ces produits peuvent être directement utilisés ou subir des traitements par des procédés artisanaux. Dans ce dernier cas, il faudrait pousser des recherches pour en améliorer la qualité et l’hygiène afin de conquérir de nouveaux espaces de consommation et mieux affronter le nouvel environnement politico-économique caractérisé par la libéralisation du commerce. Il faudrait également aider les femmes à identifier les marchés porteurs locaux ou internationaux pour les produits, à développer des compétences entrepreneuriales et à mettre en place des systèmes de crédit adaptés aux besoins de ces petits entrepreneurs du milieu rural. Pour que les exigences du marché ne réduisent pas la diversité, il faudrait parallèlement diversifier les plantes disponibles notamment par la domestication de nouvelles plantes alimentaires, médicinales, fourragères, exotiques (épices, fruits et légumes) et élargir la base génétique.

XIV. CONCLUSION

L’utilisation durable de l’agro-biodiversité est une entreprise vitale mais de longue haleine pour les populations d’Afrique de l’Ouest. Elle nécessite des actions à différents niveaux: communautés, décideurs politiques, institutions nationales et internationales de recherche, agences de coopération. Cette entreprise ne pourra réussir que si elle met les besoins et les intérêts des communautés rurales, particulièrement ceux des femmes et des catégories défavorisées, au centre de ses préoccupations. Elle devra également rester attentive à l’évolution des marchés locaux, nationaux ou même internationaux pour anticiper les évolutions, en tirer les avantages et minimiser les influences négatives.

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[1] Cette communication traitera uniquement de l’agro-biodiversité végétale.
[2] Dans beaucoup de communautés, il serait plus exact de parler de transmission de mère à enfants.

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