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Propositions de politiques pour l’intégration des forêts, de l’eau et des populations dans le bassin versant du Tigre et de l’Euphrate

H.M. Kangarani et T. Shamekhi

La gestion intégrée des forêts et des bassins versants, en particulier des bassins frontaliers, doit avoir pour objectif principal le bien des populations.

Hannaneh Mohammadi Kangarani est étudiant, candidat au doctorat en politiques forestières, Faculté des ressources naturelles, Université de Téhéran, Karaj, République islamique d’Iran.
Taghi Shamekhi
est professeur agrégé de politiques forestières, législation des ressources naturelles et institutions, Faculté des ressources naturelles, Université de Téhéran, Karaj, République islamique d’Iran.

Les eaux du bassin versant du Tigre et de l’Euphrate ont été pendant plus de 6 000 ans le siège de civilisations. S’étendant sur une superficie de 76,6 millions d’hectares, le bassin versant revêt une grande importance pour le bilan hydrique en Iraq, en République arabe syrienne et en Turquie, et pénètre aussi en République islamique d’Iran.

Plus de 90 pour cent du bassin versant entre dans la catégorie des terres arides. Les forêts couvrent 1,2 pour cent de la superficie totale des terres (918 800 hectares), les cultures agricoles 25,4 pour cent et les herbages 47,7 pour cent (FAO, 2005, 2007; CESAO, 2002) (voir la carte). Les forêts étaient jadis plus denses et plus étendues, mais des siècles d’exploitation – aggravée par les conditions environnementales et économiques et une série de conflits – les ont amenuisées et ont modifié leur composition. Cinquante espèces arborescentes endémiques sont menacées d’extinction.

Les ressources en eau du bassin versant sont souvent surexploitées, gaspillées et polluées. L’excès d’irrigation et l’inondation des champs ont haussé le niveau des nappes phréatiques et contaminé les sols avec l’eau salée qui peut causer l’échec des cultures et atteindre les cours d’eau. La forte dépendance vis-à-vis de l’agriculture, notamment des cultures irriguées, des engrais et des produits chimiques, associée aux sols largement sableux et gypsifères, a provoqué un lessivage massif de produits chimiques dans l’eau souterraine. Le pompage excessif des puits qui a suivi a aggravé le problème.

La déforestation exerce aussi son impact sur la qualité de l’eau qui s’écoule à travers le bassin versant ou est stockée dans la nappe.
La pression démographique est relativement forte, avec une moyenne de 57 habitants par kilomètre carré. La zone doit supporter, non seulement la croissance rapide de la population, mais aussi de hauts niveaux de pauvreté, une migration rurale-urbaine accrue, l’instabilité politique, le haut taux de chômage et la faible croissance économique, l’industrialisation accélérée sans une attention suffisante portée à l’environnement (entraînant la pollution de l’eau, de l’air et du sol) et la planification impropre de l’utilisation des terres.

La combinaison de la croissance démographique et des approvisionnements en eau fixes a diminué l’eau disponible par habitant. Les pays du bassin versant du Tigre et de l’Euphrate sont relativement riches en eau pour la région du Proche-Orient, où cette ressource est rare dans la plupart des endroits. Cependant, sa distribution inégale, la planification inadéquate de la construction des barrages et les taux élevés de prélèvement d’eau, pour l’agriculture en particulier, sont des sources de conflit et des entraves au développement économique. Avec une demande d’eau supérieure au volume hydrique total des deux fleuves, les disputes se sont multipliées dans les pays du bassin versant – par exemple, lorsqu’une intervention dans un pays était interprétée par l’autre comme une réduction de la disponibilité en eau. Un grand nombre des populations du bassin versant sont tributaires de fleuves qui traversent une frontière internationale avant d’arriver jusqu’à eux. Certaines n’ont pas accès aux fleuves et doivent recourir aux puits dont le niveau d’eau baisse ou à la coûteuse eau de mer dessalée. Vu les coûts qu’entraîneraient la relocalisation des ressources hydriques et la construction de nouveaux barrages, qui s’élèvent à des dizaines de millions de dollars, l’avenir même de certaines villes et de leurs industries pourrait être menacé.

Afin de proposer des politiques appropriées de conservation et de gestion des forêts et de l’eau, il est essentiel d’étudier comment les forêts, l’eau et les populations peuvent établir entre elles des liens harmonieux.

Utilisation des terres dans le bassin versant du Tigre et de l’Euphrate

La forte dépendance vis-à-vis des cultures irriguées et l’excès de pompage des puits aggravent le problème hydrique de la région (République arabe syrienne)
FAO/19100/R. Faidutti

La déforestation et le surpâturage exercent leur impact sur la qualité de l’eau s’écoulant à travers le bassin versant ou emmagasinée dans la nappe phréatique (Iraq)
FAO/21746/R. Messori

Recommandations

Les forêts et les populations. Du fait que les forêts influencent la quantité et surtout la qualité de l’eau, la gestion des forêts pour sa conservation est un objectif rationnel. Les décideurs forestiers devront promouvoir l’incorporation de la gestion forestière dans leurs stratégies, plans et programmes nationaux et régionaux relatifs à la gestion des fleuves, du bassin versant et de l’eau souterraine, et œuvrer de concert avec des organisations et institutions internationales et nationales afin d’améliorer la compréhension des services hydrologiques et environnementaux procurés par les forêts.

Il faudra donner la priorité à la lutte contre la dégradation forestière – en limitant aussi le pâturage dans les terres boisées – et promouvoir le boisement et le reboisement (y compris les arbres hors forêt) pour la protection de l’environnement et l’approvisionnement local en bois, notamment en bois de feu. En raison de l’état critique des forêts et de la dépendance de certaines populations vis-à-vis d’elles pour leurs moyens d’existence, il faudrait mettre en évidence les autres fonctions économiques des forêts outre la production de bois; les produits forestiers non ligneux (PFNL) et l’écotourisme devraient être encouragés par des politiques appropriées. L’assignation des responsabilités de la gestion forestière au niveau local peut donner aux communautés des droits et une incitation à gérer et utiliser les ressources forestières durablement.

Les pays devraient élaborer des plans de protection des sources sur la base du reboisement du bassin versant et appliquer des mesures de lutte contre les sources potentielles de contamination, comme les fosses septiques et les réservoirs à carburant, et identifier des sources d’eau potable de rechange en cas de contamination. Pour ce faire, on devra inventorier les zones de réalimentation des sources d’eau et identifier des essences à croissance rapide adaptées.

Bien que certaines des forêts naturelles restantes du bassin versant du Tigre et de l’Euphrate soient désormais des parcs nationaux, elles n’ont pas encore été mises en réserve à ce jour pour leurs valeurs de production d’eau. À l’heure actuelle, 0,4 pour cent seulement de la superficie totale du bassin versant est une aire protégée. Pour assurer un approvisionnement en eau suffisant à partir de ce bassin, il deviendra de plus en plus important de veiller à la conservation des forêts, car les populations résidentes et les touristes vont en augmentant, et certaines parties de la forêt devraient être déclarées aires protégées où l’exploitation est interdite. Il serait prudent au plan économique d’«acheter» ces forêts à l’industrie du sciage ou aux éleveurs avec l’argent dégagé de la vente d’eau aux utilisateurs nationaux et autres. Cette initiative encouragerait l’industrie à diriger son attention vers les jeunes forêts, le bois des plantations et les sciages à valeur ajoutée plus élevée.

Les informations concernant les effets des forêts sur les ressources en eau sont insuffisantes (voir l’encadré page suivante). De nouvelles études s’imposent pour établir la valeur économique de la gestion des forêts en vue de protéger la qualité et la quantité des sols et de l’eau, d’exploiter pleinement la capacité du bassin versant d’emmagasiner l’eau temporairement et d’éviter les dommages en aval des inondations, et de programmer l’offre et la demande d’eau futures.

L’eau et les populations. La pénurie d’eau menaçant de l’emporter sur le pétrole comme source principale de conflit dans la région, un accord est nécessaire pour garantir que les eaux du bassin du Tigre et de l’Euphrate seront utilisées de façon rationnelle, équitable et durable. Une meilleure collaboration dans la planification des eaux, qui transcende les intérêts purement nationaux, aiderait les pays du bassin versant à s’adapter à la croissance démographique accélérée et à son impact sur les disponibilités en eau.

L’achat de la zone de protection des sources, pour assurer la protection permanente de l’eau potable, est une solution viable mais coûteuse. L’établissement d’un fonds renouvelable pour l’eau potable, comme l’ont fait les États-Unis (US EPA, 2007), permettrait de réduire le coût. Le programme américain octroie des prêts à des conditions favorables aux réseaux publics d’adduction d’eau pour l’amélioration des infrastructures. Les fonds servant à la protection des sources pourraient être prêtés à de faibles taux d'intérêt pour aider les municipalités qui ont déjà élaboré un plan de protection des sources à acheter la terre ou les droits de mise en valeur.

Les pays partageant le bassin versant bénéficieraient de l’élaboration et de la mise en œuvre collectives d’un plan pour l’ensemble du bassin, visant à harmoniser des exigences apparemment conflictuelles. Ce plan pourrait prévoir des transferts d’eau entre les fleuves et les réservoirs, ainsi que des réseaux d’adduction d’eau et de distribution d’électricité interconnectés. Des instituts de recherches régionaux conjoints, des centres de formation et des fermes pilotes consentiraient aux pays des échanges d’experts, qui seraient non seulement des ingénieurs et des techniciens mais aussi des agriculteurs. L’expérience de la Turquie (soutenue par la Banque mondiale) en matière d’associations d’utilisateurs d’eau fournit un modèle intéressant pour améliorer l’efficacité de l’utilisation de l’eau, la perception des taxes d’eau et les économies d’eau (Beaumont, 1998; Dudley et Stolton, 2003).

Des techniques d’accroissement des approvisionnements (récupération de l’eau, utilisation conjointe des sources d’eau superficielle et souterraine, réutilisation de l’eau et, si nécessaire, ensemencement des nuages) et des techniques de gestion de la demande devront faire partie d’une solution globale pour le bassin versant du Tigre et de l’Euphrate. Parmi les stratégies potentielles, figurent l’amélioration de l’infrastructure de distribution de l’électricité visant à réduire les pertes et la construction d’installations d’énergie éolienne ou photovoltaïque. L’objectif général de l’accord sur l’eau dans ce bassin versant serait la promotion de l’utilisation durable des ressources en terres et en eau de la région pour le bien-être de sa population.

Conclusions

La planification de la gestion intégrée des bassins versants doit tenir compte des populations, des forêts et de l’eau, et les populations devraient en être le pivot. La gestion durable de la forêt et de l’eau doit aller de pair avec la poursuite vigoureuse de politiques démographiques, de conditions sociales améliorées, de stratégies de réduction de la pauvreté et de croissance économique à base large.

Toutes les politiques forestières devraient être proches de la nature et avoir de multiples objectifs. Pour changer les politiques forestières précédentes de ce bassin versant, il faut des infrastructures appropriées; mais, à cause du haut niveau de pauvreté et d’instabilité sociale, les changements devront être lents et se faire par étapes.

La nature ne suit les politiques d’aucun gouvernement, n’écoute jamais les hommes politiques, ne reconnaît jamais les frontières politiques et ne change jamais sa façon d’être à cause d’une croyance religieuse ou politique. Pour protéger la nature il nous faut nous adapter à elle.

Besoins d’information pour une meilleure gestion des forêts et de l’eau

À part le besoin de volonté politique, le manque d’informations fiables est l’un des principaux défis que doit relever la gestion efficace du bassin versant du Tigre et de l’Euphrate. La première étape consiste donc à collecter des informations utiles et pratiques sur les domaines suivants:

  • Forêts: situation actuelle; capacité de charge des terres boisées (sous l’angle de tous les avantages économiques et environnementaux); aptitude au reboisement à l’aide d’essences indigènes ou introduites; caractéristiques des espèces endémiques; terres adaptées au reboisement; principales menaces pesant sur les forêts.
  • Ressources en eau: changements entre les saisons et les années dans chaque pays; grandes inondations au cours des 100 dernières années et principaux facteurs responsables; rapport entre ces inondations et les changements d’affectation des terres; effets de la forêt sur la qualité de l’eau et sa quantité.
  • Populations dépendantes des forêts et pauvreté rurale: besoins fondamentaux; niveaux de pauvreté; possibilités d’emploi; ampleur de la dépendance vis-à-vis des forêts; rapports avec la forêt; participation actuelle à la gestion forestière.
  • Demande: de produits forestiers (y compris le bois, le bois de feu, les produits forestiers non ligneux et les services forestiers) et d’eau, par les populations urbaines, rurales et dépendantes de la forêt, par l’agriculture, etc.
  • Accords institutionnels: institutions et administrations nationales, régionales et locales; organisations gouvernementales, privées et non gouvernementales; plans de développement nationaux et régionaux; politiques et législation relatives aux forêts, aux populations et à l’eau; structures locales et traditionnelles liées à la gestion des ressources naturelles.
  • Opinion publique: sur les forêts et les avantages tirés des forêts, l’écotourisme, l’importance de la conservation des forêts, le remplacement des produits ligneux par d’autres matériels.

Bibliographie

Beaumont, P. 1998. Restructuring of water usage in the Tigris-Euphrates basin: the impact of modern water management policies. Dans J. Albert, M. Bernhardsson et R. Kenna, éd. Transformations of Middle Eastern natural environments: legacies and lessons. Bulletin Series N. 103, p. 168–186. New Haven, Connecticut, E.-U.A., Yale School of Forestry and Environmental Studies.

Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie occidentale (CESAO). 2002. Assessment of legal aspects of the management of shared water resources in the ESCWA region. E/ESCWA/ENR/2001/3. New York. Disponible sur internet: www.escwa.org.lb/information/publications/edit/upload/enr-01-3.pdf

Dudley, N. et Stolton, S., éd. 2003. Running pure: the importance of forest protected areas to drinking water. Gland, Suisse, Alliance WWF/Banque mondiale pour la conservation et l’utilisation durable des forêts.

FAO. 2005a. AQUASTAT, Système mondial d’information sur l’eau et l’agriculture. Rome. Disponible sur internet: www.fao.org/nr/water/aquastat/main/index.stm

FAO. 2007. People, forests and trees in West and Central Asia: outlook for 2020. Main report of  the Forestry Outlook Study for West and Central Asia. Étude FAO forêts N. 152. Rome.

United States Environmental Protection Agency (US EPA). 2007. Drinking Water State Revolving Fund (DWSRF). Document internet disponible à l’adresse suivante: www.epa.gov/safewater/dwsrf.html

Water Resources eAtlas project. 2003. Watersheds of the World. Washington, DC, E.-A.U., Institut des ressources mondiales (WRI). Disponible sur internet: www.wri.org/publication/watersheds-world-cd



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