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Les forêts, les arbres et l’eau dans les terres arides: un équilibre précaire

M. Malagnoux, E.H. Sène et N. Atzmon

Michel Malagnoux était Forestier (zones arides) au Service de la conservation des forêts du Département des forêts de la FAO, jusqu’à son départ à la retraite en septembre 2007.
Directeur de la Division des ressources forestières du Département des forêts de la FAO jusqu’à son départ à la retraite en 2004, El Hadji Sène réside actuellement à Dakar, Sénégal.
Nir Atzmon travaille au Département de l’agronomie et des ressources naturelles, Institute of Field and Garden Crops, Agriculture Research Organization, Volcani Centre, Bet-Dagan, Israël.

Le présent article est adapté de Malagnoux, 2007.

Dans les zones arides, où l’eau est une ressource très convoitée, on ne devrait planter d’arbres que dans la mesure où c’est nécessaire et possible.

Les zones arides sont parmi les écosystèmes les plus fragiles du monde du fait des sécheresses récurrentes et de la surexploitation croissante des maigres ressources. Les zones arides et semi arides occupent environ un tiers de la superficie des terres de la planète et comptent à peu près un milliard d’habitants, souvent parmi les plus pauvres du monde.

Les forêts, les arbres et les plantes herbacées sont des composantes essentielles des écosystèmes des zones arides et aident à maintenir des conditions qui permettent aux populations humaines de pratiquer l’agriculture, l’élevage extensif ou de s’assurer des moyens d’existence. En fournissant des produits (en particulier du bois de feu et des produits non ligneux) et des services environnementaux aux ruraux pauvres et en contribuant à la diversification des sources de revenu de ces ménages, les forêts et les arbres des zones arides contribuent aux stratégies de lutte contre la pauvreté et réduisent l’insécurité alimentaire.

Environ 6 pour cent du couvert forestier de la planète (soit à peu près 230 millions d’hectares) se trouve dans des zones arides (FAO, 2001). Les arbres hors forêts (épars dans le paysage, les champs, les pâturages, les savanes et les steppes, les terres improductives et les zones urbaines) ont un rôle vital dans les zones arides, mais il est difficile d’évaluer la superficie qu’ils occupent.

Les disponibilités d’eau – eau de surface, eau souterraine, et humidité de l’air – sont le principal facteur qui limite la distribution naturelle des arbres dans les zones arides, avec le climat (précipitations, températures, vent) et la qualité du sol. Chaque espèce d’arbre est adaptée à des conditions déterminées et située dans sa «niche». Quand les conditions optimales sont généralisées dans une zone, les formations forestières ou broussailleuses peuvent couvrir de vastes étendues, mais il est plus fréquent que, du fait du manque d’eau, la végétation soit concentrée dans les endroits où les eaux de ruissellement de peuvent s’accumuler et où l’eau souterraine est accessible. C’est ce qui explique que l’on trouve des arbres et des buissons inégalement répartis, par exemple dans la brousse tigrée (peuplements broussailleux fragmentés), les forêts ripariennes, le fond des vallées (thalwegs) et les oasis, ou isolés dans le paysage.

Cependant, la distribution naturelle de la végétation est depuis longtemps altérée par les activités humaines. La déforestation et la dégradation des formations arborées et arbustives (principalement pour convertir les terres à l’agriculture) et la surexploitation des forêts et des terres boisées (à cause de la récolte de bois de feu et du surpâturage) sont parmi les principales causes de la dégradation des sols dans les zones arides. En outre, le réchauffement de la planète devrait se traduire par une diminution des précipitations dans la plupart des zones arides, aggravant ainsi la pénurie d’eau et les risques de désertification.

De nombreuses méthodes visant à enrayer la déforestation, la dégradation et la désertification reposent sur des activités de boisement. Toutefois, avant de se mettre à planter des arbres, il convient d’examiner attentivement le bilan hydrique.

Les arbres sont répartis en fonction des disponibilités d’eau; certains individus survivent même dans le désert, loin de toute autre végétation (Mauritanie)
FAO/CFU000142/R. Faidutti

LE COUVERT FORESTIER TEND À RECULER

Déforestation

La conversion des forêts au profit des cultures agricoles et des pâturages est la principale cause de la déforestation galopante dans les zones arides. Dans de nombreux endroits, les systèmes dominants basés sur les cultures itinérantes et l’alternance culture-jachère ne peuvent plus être pratiqués et la mise en culture permanente de la même pièce de terre, souvent sans qu’il y ait de rotation des cultures, conduit à l’épuisement des sols et oblige à rechercher de nouvelles terres. Des terres boisées dégradées faute d’entretien sont maintenant carrément défrichées. La pression croissante sur les pâturages et la récolte anarchique de bois de feu et d’autres produits débouchent aussi sur la dégradation et la destruction des forêts.

Les forêts et les terres boisées restantes sont parfois menacées par des attaques de ravageurs et des foyers de maladies, mais ce sont des phénomènes rares dans les milieux extrêmement secs. Les feux de forêt sont une menace constante dans les zones arides, même si les incendies très étendus sont moins fréquents que dans d’autres régions. En raison de la faible accumulation de matières combustibles due au surpâturage, l’extension des zones brûlées est limitée. Les feux ravagent néanmoins les forêts, la brousse et les terres boisées, en particulier dans les écosystèmes arides, et constituent une menace pour des niches écologiques abritant des reliquats de forêts riches en diversité biologique.

Désertification

La Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED, 1992) a donné la définition suivante de la désertification: «dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches par suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines». La désertification ne désigne pas l’avancée des déserts existants, mais l’effet de forces qui conduisent à une dégradation localisée de la terre. Elle suit de près la déforestation et l’épuisement des sols. Exposés au soleil, au vent et à la pluie, les sols appauvris perdent leur matière organique et leur structure, ainsi que leurs éléments nutritifs. Les particules fines sont soulevées par le vent dans des tempêtes de poussière et les grains de sable deviennent mobiles et gagnent d’autres terres. La surexploitation des forêts, des arbres, de la brousse, des pâturages et des sols a accéléré la désertification.

La désertification est un problème planétaire qui touche directement 250 millions de personnes, en particulier sur le continent africain, constitué pour les deux tiers de terres arides et de déserts. Cependant, aux États-Unis, plus de 30 pour cent des terres sont aussi touchées par la désertification, tandis que dans la région Amérique latine et Caraïbes, les déserts et les terres arides représentent un quart du territoire. En Espagne, un cinquième des terres risque de revenir à l’état de déserts. En Chine, depuis les années 50, les mouvements de sable et la dégradation ont causé la destruction de près de 700 000 hectares de terres cultivées, 2,35 millions d’hectares de parcours, 6,4 millions d’hectares de forêts, de terres boisées et de formations arbustives. Dans le monde, environ 70 pour cent des 5,2 milliards d’hectares de terres arides utilisées pour l’agriculture sont dégradés et à risque de désertification (FAO, 2007a).

Effets du changement climatique sur les terres arides

Les forêts non perturbées peuvent jusqu’à un certain point s’adapter à des changements climatiques et édaphiques, mais pas sur le long terme: des études paléobotaniques indiquent que les changements climatiques passés ont détruit des types de végétation dominants et favorisé leur remplacement par des formations végétales nouvelles. D’après la plupart des modèles prédictifs, le réchauffement de la planète aura une incidence sur les terres arides en augmentant les températures et en réduisant les précipitations tout autour du globe (sauf dans le sud-ouest de l’Amérique latine, où des oscillations australes El Niño plus fréquentes devraient atténuer les risques de sécheresse) (UCAR, 2005). Les modèles prédisent des augmentations de la fréquence et/ou de l’intensité des sécheresses. On prévoit aussi une augmentation des risques d’incendie dans les forêts et les terres boisées restantes. Les hausses de température conduisent à une augmentation de l’évaporation et à une aggravation du manque d’eau. Toutes ces tendances entraînent une aggravation des risques de désertification. Dans de nombreux endroits, la végétation est déjà confrontée à des conditions rudes avec des températures proches du seuil létal. Toute augmentation de ces températures maximales entraînera des pertes de végétation irrémédiables.

Dans les zones arides, le changement climatique entraînera principalement une baisse de productivité de l’agriculture, des parcours et des forêts, ainsi qu’une perte de biodiversité, de matière organique du sol et de fertilité, qui aggraveront la pauvreté et l’insécurité alimentaire. Des populations seront contraintes d’émigrer. D’ici 2020, on prévoit que 135 millions de réfugiés pour cause environnementale (dont 60 millions de personnes qui seront déplacées en Afrique subsaharienne) quitteront leurs terres à cause de la désertification (FAO, 2007b). Déjà confrontés à la baisse de productivité des parcours naturels, les pasteurs nomades et transhumants pourraient être obligés de se sédentariser. La concentration des troupeaux autour de leurs nouvelles maisons a déjà causé la disparition de presque tout le couvert végétal autour de nombreux habitats humains et autour des puits et d’autres sources d’eau qui fournissent toute l’année de l’eau potable aux hommes et aux animaux. Les politiques d’appui à la sédentarisation des pasteurs nomades sont faibles dans beaucoup de pays.

Un autre problème vient du fait que les populations d’arbres vieillissent en raison du surpâturage des jeunes plants qui empêche la régénération naturelle des peuplements. Les vieux arbres perdent peu à peu leur résilience au stress climatique, si bien qu’il suffit d’un évènement climatique pour détruire toute une forêt. Ainsi, la plupart des forêts d’Acacia nilotica de la vallée du fleuve Sénégal ont péri au début des années 70, après une grave sécheresse.

La restauration du couvert de végétation des terres des zones arides peut contribuer à atténuer les effets du changement climatique en accroissant l’absorption et le stockage du carbone, même si la quantité de carbone fixée par unité de surface est modeste. La superficie de terres arides à restaurer est tellement immense qu’elle offre de bonnes possibilités comme puits à carbone. Les aspects économiques de ces types de programmes devraient cependant être étudiés et documentés avec soin.

Peuplements d’Acacia dans le Sahel et leurs interactions avec l’eau

L’eau est une ressource rare et convoitée dans la région du Sahel. Elle est très disputée et quand il y en a, elle est rapidement utilisée par les hommes, les animaux et les espèces végétales. Les Acacia spp. ont une interaction particulièrement sensible avec l’eau. Les années où il pleut beaucoup, ces arbres se régénèrent complètement à partir des semences que l’on a récoltées durant plusieurs années et qui sont prêtes à germer dès que les conditions deviennent favorables. Les Acacia spp. poussent aussi généralement en abondance là où la topographie, les caractéristiques du sol et l’économie locale de l’eau facilitent leur germination et leur croissance, ce qui donne un aspect très caractéristique au paysage.

Les peuplements d’Acacia nilotica préfèrent les sols alluviaux profonds accumulés année après année avec les crues des fleuves. Les jeunes plants survivent à ces crues à condition que leurs cimes ne soient pas immergées. Ils se régénèrent avec profusion et se développent rapidement pour devenir des plantules robustes capables de survivre à d’autres inondations. Ils peuvent ensuite former des bouquets équiennes robustes dans des peuplements réguliers. Acacia nilotica est apprécié pour son bois, ses feuilles et ses cosses et fait partie des systèmes d’élevage de bétail des vallées fluviales, des plaines inondables et des régions lacustres du Sahel. C’est l’une des espèces d’acacias les plus productives de la région.

Acacia seyal est une espèce à bois tendre qui pousse sur des sols lourds et forme des peuplements étendus. Utilisés pour nourrir les animaux d’élevage, ils assurent aussi la plupart des approvisionnements en bois de feu et en charbon de bois des villes soudano-sahéliennes, de sorte que leur superficie s’est considérablement réduite. La terre qu’ils occupaient auparavant au Soudan est maintenant utilisée pour des cultures extensives de sorgho industriel. Les peuplements d’Acacia seyal se développent généralement sur des sols noirs caractéristiques de vastes plaines temporairement inondables. Quoique de courte durée, ces inondations favorisent le développement de peuplements équiennes comme ceux que forme A. nilotica. À l’instar d’Acacia senegal et de Combretum spp., A. seyal produit de grandes quantités de gommes.

Acacia senegal est la principale espèce productrice de gomme arabique de la région Sahélienne. En particulier au Tchad, au Mali, en Mauritanie, au Sénégal et au Soudan, cette espèce produit la meilleure qualité de gomme arabique. La forme et la dispersion de ses peuplements, souvent par pièces étendues mais localisées, dépendent beaucoup des précipitations. Des saisons des pluies occasionnelles favorables déclenchent une régénération explosive d’A. senegal, ce qui explique la présence de grands peuplements équiennes sur des sols sableux apparemment incapables de retenir l’eau. L’espèce pousse aussi en peuplements denses sur des sols alluviaux dans des dépressions où se sont accumulées de fines particules alluviales.

Boisements naturels d’Acacia seyal et d’Acacia senegal, Soudan
FAO/T. Hofer

ENRAYER LA TENDANCE À LA DÉGRADATION

Éliminer les causes

La première chose à faire est de s’attaquer aux causes anthropiques de la désertification. Les gens pauvres sont obligés pour survivre d’exploiter toutes les ressources auxquelles ils ont accès. Il conviendrait d’éviter la surexploitation en les aidant à satisfaire leurs besoins essentiels, par des activités génératrices de revenu. On peut réduire la pauvreté en plantant des arbres (pour les produits et les services qu’ils procurent) dans d’importants programmes de boisement, regroupés dans des parcelles boisées, des plantations en ligne, des brise-vent, des haies, ou isolés dans des champs ou dans le paysage.

Favoriser la régénération naturelle en protégeant les terres

La façon la plus évidente de remettre en état un couvert de végétation est de le protéger des causes qui entraînent sa dégradation, à savoir le plus souvent l’exploitation (récolte et pâturage) et les incendies. La végétation peut se propager naturellement, même sur des terres nues, mais le processus est souvent lent. La protection pose parfois des problèmes car elle demande une grande attention et doit être maintenue sur une longue période. La plantation d’arbres, de buissons et de végétaux herbacés accélère le processus. Ensuite, les terres remises en état doivent être gérées dans une optique de durabilité.

Le cas de l’aire protégée d’Abéché au Tchad mérite d’être cité. En 1961, 305 hectares infertiles parsemés de quelques acacias (A. raddiana, A. senegal et A. mellifera) ont été entourés d’une clôture de fil de fer barbelé et surveillés avec attention en vue de protéger le bassin versant. En dix ans, sans que l’on ait rien planté, tout le sol était recouvert de végétation. Après 45 ans de protection pratiquement ininterrompue, on distingue clairement la zone protégée des terres environnantes, dans les images-satellite.

Boisements, fixation des dunes de sable et ceintures vertes

La plantation de forêts sur des terres auparavant non boisées peut être efficace pour remettre en état l’environnement. Durant la deuxième moitié du XXe siècle, de nombreuses plantations forestières ont été établies sur des terres arides partout dans le monde, le plus souvent à des fins de protection ou de production de bois de feu, et le rythme des programmes de boisement s’est accéléré (FAO, 2006a,b). Ces programmes ont utilisé diverses espèces (souvent exotiques) et techniques, avec des niveaux d’investissement faibles (boisements non irrigués) ou élevés (boisements non irrigués avec aménagement des terres, ou irrigués à partir de la nappe phréatique, d’aquifères profonds ou avec des eaux usées). Les succès et les échecs de ces plantations constituent à présent de précieuses sources d’information pour les activités futures.

De nombreux pays du monde (Chili, Chine, Danemark, France, République islamique d’Iran, Mauritanie, Niger, Sénégal et Viet Nam) ont mis au point des techniques de boisement pour fixer les dunes de sable qui tendent à se déplacer. Dans les zones arides, des programmes locaux, mais aussi des programmes nationaux ou internationaux de grande envergure appliquent ces techniques pour protéger des terres productives, des infrastructures et des habitats humains. Ces plantations produisent aussi souvent du bois et des produits non ligneux.

De nombreuses villes des contrées arides ont planté des ceintures vertes à la fois pour protéger leurs habitants et leurs infrastructures contre les tempêtes de poussière et les intrusions de sable et pour influencer le microclimat. Les terres arables, les périmètres d’irrigation, les voies ferrées, les routes, les canaux et les dunes côtières sont aussi protégés par des programmes spéciaux.

Les programmes de boisement à plus grande échelle ayant pour objectif la bonification des terres existent depuis longtemps. Ils ont été mis en œuvre en France et en Allemagne aux dix-huitième et dix-neuvième siècles, ainsi qu’aux États-Unis après la Dust Bowl (région transformée en désert de poussière, sous l’action du vent) de 1935. En Algérie, la FAO et le Programme alimentaire mondial (PAM) ont lancé le programme «Chantiers populaires de reboisement» en 1966. En 1971, l’Algérie a mis en place le programme du «Barrage vert», prévoyant l’établissement d’une ceinture boisée de 20 km de large en bordure du désert du Sahara qui s’étendrait sur 1 500 km entre la frontière ouest et la frontière est du pays et représenterait une superficie de 3 millions d’hectares. En 2003, seuls 100 000 hectares avaient été plantés, principalement en Pinus halepensis (Belaaz, 2003). Après cette initiative nationale, certains pays nord-africains (Maroc, Algérie, Tunisie et Jamahiriya arabe libyenne) ont lancé un programme régional similaire, la ceinture verte de l’Union du Maghreb arabe (UMA) pour le nord du Sahara mais, depuis les années 90, il ne semble pas avoir beaucoup avancé.

En 1978, la Chine a mis en place le projet dit de la «Grande muraille verte», selon lequel 9 millions d’hectares avaient été boisés au bout de dix ans. Dans le cadre de la phase actuelle du projet, rebaptisé «Nouvelle grande muraille», 5 millions d’hectares supplémentaires seront plantés d’ici à 2010 (Ratliff, 2003). Des tempêtes de poussière continuent de sévir à Beijing, mais la poussière atmosphérique est transportée sur de si grandes distances que les effets de ces efforts de reverdissement pourraient bien ne pas se voir avant plusieurs décennies.

L’Union africaine a lancé en décembre 2006 le projet «Une muraille verte pour le Sahara» à Abuja (Nigéria), pour tenter de stopper et d’enrayer la désertification aux frontières méridionale et septentrionale du Sahara. Le projet se fera en coopération avec tous les pays concernés et d’autres organisations et programmes tels que le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), le Programme d’opérations pour une gestion durable des sols (PO 15) du Fonds pour l’environnement mondial (FEM), la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification et l’Initiative TerrAfrica. Le projet ne consiste pas seulement à établir quelques rangées d’arbres, il assurera la gestion durable et intégrée des ressources et la remise en état de l’environnement (grâce à la plantation d’arbres, à la remise en état des parcours et à des activités d’agriculture, mises en œuvre uniquement dans la mesure où elles sont réalisables et durables), dans une ceinture aussi large que possible. Ce projet sera étalé sur plusieurs générations.

Les résultats obtenus avec les opérations «ceinture verte» ont considérablement varié en fonction de l’échelle des programmes de boisement, de la qualité des méthodes adoptées, de leur adaptation aux conditions locales et de la qualité de la gestion des plantations. Une étude approfondie du climat, des sols, de l’eau, des utilisations des terres et des conditions socioéconomiques est toujours nécessaire. Les disponibilités locales et la demande d’eau doivent toujours être prises en considération (voir plus loin). Les initiatives de création de ceintures vertes doivent aussi tenir compte des précédentes affectations des terres, des structures de la propriété et des causes de la déforestation et de la désertification, notamment des produits forestiers, des pâturages et des terres agricoles dont les populations ont besoin, et leur offrir d’autres solutions pour répondre à ces besoins. Les populations locales devraient être associées à toutes les phases du processus, de la conception à la gestion des nouvelles ressources. On évitera les grands peuplements monospécifiques d’arbres auxquels on préférera dans la mesure du possible une mosaïque de différents types de végétation (avec notamment des champs cultivés et des pâturages). Les essences locales seront privilégiées; plusieurs projets ont mis en évidence les problèmes posés par les espèces exotiques qui peuvent devenir envahissantes dans leur nouvel environnement.

Sur des terres précédemment nues à Abéché, Tchad, des mesures de protection mises en place dans les années 60 ont permis de remettre en état le couvert de végétation
Google Earth™ mapping service

AMÉLIORER LE BILAN HYDRIQUE

Les forêts naturelles et les plantations d’arbres améliorent le cycle de l’eau en réduisant les ruissellements de surface et en facilitant la réalimentation de la nappe phréatique. Il a souvent été proposé de planter des arbres pour accroître les précipitations. D’après les estimations, 60 pour cent des pluies tombées sur la forêt amazonienne sempervirente humide proviennent de l’évapotranspiration de la forêt elle-même (TheAmazon.org, 2007). Cependant, pour que les boisements augmentent de façon significative les précipitations dans les zones environnantes, il faut que d’immenses étendues soient converties en forêt (Avissar et Otte, 2007).

Toutefois, les arbres consomment aussi de l’eau. Plus le système aérien des arbres est développé, plus ils transpirent d’eau. Il n’est pas toujours souhaitable de planter des arbres dans les zones arides dans la mesure où ils peuvent consommer plus d’eau qu’ils n’en rejettent. Certains pays comme l’Afrique du Sud, ont imposé une taxe sur l’eau que consomment les forêts. Dans certaines circonstances où les arbres absorbent toute l’eau de pluie, il peut être plus avisé de récolter cette eau dans un bassin versant nu, de la stocker dans un réservoir et de l’utiliser pour irriguer des cultures agricoles de haute valeur marchande. Par exemple à Yatir, Israël, où la pluviométrie annuelle est limitée à 270 mm par an, plus de 3 000 hectares ont été plantés en Pinus halepensis non irriguésau début des années 60 dans le cadre d’un projet de boisement à grande échelle. Bien que la forêt permette de séquestrer le carbone et fournisse des moyens d’existence aux communautés environnantes (en particulier avec le bois de feu et des produits non ligneux tels que résines, fourrage et plantes médicinales et aromatiques), elle absorbe toute l’eau de pluie. De plus, la forêt a altéré la biodiversité de la région, car de nouveaux prédateurs menacent les espèces endémiques. Un rapport de Rueff et Schwartz (2007) indique que l’eau, que le bassin versant aurait fournie s’il n’avait pas été boisé, aurait davantage contribué à la lutte contre la pauvreté si elle avait été utilisée pour l’agriculture. D’après ces mêmes auteurs, des boisements à plus petite échelle, par exemple sur les parcelles des fermiers, pourraient produire des avantages similaires avec moins d’inconvénients, car les systèmes mixtes basés sur la plantation d’arbres et de cultures agricoles perturbent moins l’environnement, améliorent les rendements agricoles, conservent l’eau et les sols et fournissent du bois de feu aux agriculteurs.

Les populations locales ont mis en œuvre différents systèmes de récolte de l’eau pour arroser leurs cultures et leurs arbres. Une technique a été mise au point en s’inspirant du modèle de la brousse tigrée, qui existe dans la nature à la transition entre des peuplements continus de brousse et la steppe enherbée (Malagnoux, 2008). Lorsqu’il ne tombe pas suffisamment de pluie pour maintenir un couvert de végétation continu, on a un couvert de végétation fragmenté, séparé par des bandes de terre plus ou moins larges. Les ruissellements provenant des bandes de terre nues fournissent à la végétation l’eau dont elle a besoin; les bandes de terre se comportent donc comme de petits bassins versants. Des agronomes ont perfectionné ces techniques traditionnelles, et des forestiers les ont adaptées à la taille et aux besoins de leurs arbres. L’échelle de la remise en état des terres a été considérablement accrue grâce à des technologies mécanisées qui ont permis de travailler la terre plus rapidement et pour un moindre coût, et de creuser des bandes plus profondes pour mieux retenir l’eau.

Dans tout programme de boisement axé sur la lutte contre la désertification, le bilan hydrique actuel et futur du peuplement devrait être systématiquement estimé pour chaque phase de son évolution. Il faudrait promouvoir des pratiques sylvicoles appropriées – choix des essences, superficie à planter, densité de boisement, éclaircies, élagage, recépage, émondage en têtard et, le cas échéant, conversion à un couvert végétal plus durable, par exemple d’un peuplement dense en forêt parc ou en prairie – de façon à ce que la consommation annuelle d’eau reste inférieure à l’apport annuel. Tout programme de lutte contre la désertification ou activité de reverdissement devrait être envisagé à l’échelle du paysage. On ne doit planter d’arbres que si c’est réellement nécessaire et là où c’est possible.

Outre la pluie, il existe d’autres sources d’eau, telles que l’eau recyclée et les aquifères profonds, dont il faut tenir compte. Beaucoup de terres arides et de déserts ont des nappes souterraines profondes qui pourraient être exploitées. Pendant une courte période, certaines activités de remise en état pourraient reposer sur des aquifères fossiles, mais elles ne seront durables que si les quantités d’eau qui viennent réalimenter la nappe sont égales ou supérieures aux volumes d’eau prélevés. Avec l’urbanisation croissante des contrées arides, la foresterie urbaine et d’autres programmes d’aménagement d’espaces verts basés sur des types de végétation moins gourmands en eau que les arbres (broussailles et plantes herbacées, par exemple) gagnent en importance. On utilise plus d’eau recyclée dans ces programmes, y compris des eaux usées dans quelques pays, et cette pratique va peu à peu se développer à l’avenir.

De l’eau tirée d’un puits peu profond sert à irriguer des arbres plantés dans le cadre d’activités de stabilisation des dunes de sable, Niger; quand les racines descendront jusqu’à la nappe phréatique, les arbres n’auront plus besoin d’être arrosés
FAO/FO-0707/S. Braatz
FAO/FO-0716/S. Braatz

CONSERVATION ET GESTION RATIONNELLE

Lorsque l’on parle de gestion rationnelle et durable de la terre, du couvert de végétation, des ressources en eau et de la biodiversité, cela signifie que seule la partie renouvelable, c’est-à-dire leur production effective, est utilisée, ce qui garantit la conservation du capital et de sa capacité productive. La gestion durable des terres inclut:

Il est capital de s’assurer la participation des populations et des communautés locales, en faisant fond sur leurs connaissances et leurs pratiques traditionnelles. La gestion rationnelle des terres suppose que les droits de jouissance des terres soient bien définis. En donnant aux populations un plus grand pouvoir de décision sur les ressources et en leur garantissant un accès équitable à ces ressources, on s’assurera leur engagement à long terme vis-à-vis de leur conservation. Des programmes de lutte contre la désertification doivent être intégrés dans des plans et stratégies de développement nationaux, en particulier pour réduire la pauvreté, éliminer les contraintes institutionnelles, législatives ou infrastructurelles et faciliter la gestion conjointe des projets de développement.

CONCLUSIONS

Les forêts et les arbres des zones arides jouent un rôle important dans la stabilisation des sols, la lutte contre la désertification, la protection des bassins versants et d’autres fonctions. En outre, ils fournissent du bois (en particulier bois de feu) et d’autres produits non ligneux, notamment du fourrage pour les animaux domestiques. Ils fournissent aux populations locales de quoi assurer leur subsistance et sont intégrés dans le tissu des sociétés rurales. Pourtant les fonctions de production et de protection des forêts et des arbres des zones arides, ainsi que leur vitalité, sont souvent menacées par des stress provoqués par l’homme et par des risques naturels. Malgré leur importance pour les économies et les populations locales, les forêts et les produits forestiers des zones arides sont encore loin de recevoir l’attention qu’ils méritent dans les politiques de gestion des ressources naturelles et les processus de prise de décision.

Lorsque l’on envisage de planter des arbres, il convient d’évaluer le bilan hydrique et son évolution, pour chaque période de la vie du peuplement planté. Tout programme de lutte contre la désertification ou activité de reverdissement devrait être envisagé à l’échelle du paysage. Pour lutter contre la désertification, la devise ne devrait pas être «planter un arbre» mais plutôt «gérer la terre et les ressources de manière avisée, c’est-à-dire planter un arbre uniquement dans la mesure où c’est durable».

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