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Adapter les forêts et leur gestion aux changements climatiques: un aperçu

P. Bernier et D. Schoene

Pierre Bernier est chercheur scientifique au Centre de foresterie des Laurentides, Service canadien des forêts, Ressources naturelles Canada, Québec. Détaché auprès de la FAO, Rome, comme expert pour six mois en 2008, il a contribué à organiser la conférence d’Umeå (Suède), sur laquelle se fonde ce numéro d’Unasylva.
Dieter Schoene
, spécialiste des forêts et des changements climatiques, a pris sa retraite du Département des forêts de la FAO en 2007. Il était orateur principal à la conférence d’Umeå.

Une synthèse des observations issues de la Conférence internationale sur l’adaptation des forêts et de la gestion forestière aux changements climatiques, notamment en ce qui concerne la santé des forêts, tenue à Umeå (Suède) en août 2008.

L’adaptation des forêts aux conditions environnementales ou sociales futures résultant des changements climatiques pourrait modifier sensiblement la façon dont la foresterie est pratiquée dans de nombreuses parties du globe. À cause du climat et, partant, de l’environnement qui subissent des changements perceptibles pendant la durée de vie des arbres, réaliser la gestion durable des forêts sera de plus en plus comme viser une cible en mouvement.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, 2007) a conclu que le réchauffement du système climatique est un processus univoque, dû très probablement à l’augmentation observée des concentrations dans l’atmosphère de gaz à effet de serre d’origine humaine. Outre la hausse de la moyenne des températures mondiales, des changements évidents ont été observés dans les températures diurnes, nocturnes et saisonnières, dans la fréquence, la durée et l’intensité des vagues de chaleur, des sécheresses et des inondations, dans les modèles des vents et des orages, des gelées, de la neige et du manteau glaciel et dans les niveaux mondiaux des mers.

Le réchauffement d’origine humaine a déjà provoqué de nombreuses altérations dans les forêts. En tant que vastes écosystèmes à longue vie gérés de manière extensive, souvent sur des sites marginaux, les forêts sont sensibles aux changements climatiques, de même que les populations, les sociétés et les activités économiques qui en dépendent. Le GIEC a estimé que les forêts boréales, de montagne (voir l’article de Maroschek et al. dans ce numéro), méditerranéennes, de mangrove et tropicales humides étaient les écosystèmes forestiers les plus susceptibles de souffrir des changements climatiques.

Les forêts influencent à leur tour le climat, en tant que sources de gaz à effet de serre lorsqu’elles sont détruites et comme puits de carbone quand elles se développent ou s’étendent. Le Plan d’action de Bali adopté en 2007 par la treizième Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) propose de considérer les forêts des pays en développement comme le principal outil d’atténuation de l’évolution du climat. Les activités actuellement envisagées comprennent la réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement (REDD) ainsi que la conservation et l’augmentation des stocks de carbone grâce à la gestion durable des forêts.

Des millions d’habitants autochtones des forêts dépendent directement des forêts et de leurs produits. D’une manière plus générale, les forêts contribuent au bien-être humain grâce à une série bien connue de services. C’est pourquoi l’adaptation des forêts à l’évolution du climat revêt une importance cruciale. Au niveau local, la gestion des forêts et la sylviculture pourraient avoir une incidence sur le piégeage du carbone par les arbres, la réaction des forêts aux changements climatiques et les services forestiers fournis aux populations locales. Dans ce cas, il importe que l’atténuation et l’adaptation s’unissent.

Les observations et les projections actuelles donnent une première estimation des mesures d’adaptation qui devront être prises pour faire face aux impacts dans le secteur forestier et, éventuellement, dans d’autres secteurs. Bien que les perspectives soient altérées par l’incertitude, les mesures appliquées dans les forêts d’aujourd’hui relient les générations présentes à celles du futur, soulignant la nécessité d’incorporer l’adaptation aux changements climatiques dans les pratiques actuelles de gestion forestière.

En août 2008, la Conférence internationale sur l’adaptation des forêts et de la gestion forestière aux changements climatiques, notamment en ce qui concerne la santé des forêts, a réuni environ 330 chercheurs, gestionnaires et décideurs, provenant de 50 pays, pour débattre de ces questions (voir www.forestadaptation2008.net).

La conférence, qui s’est tenue à Umeå (Suède), était organisée par l’Université suédoise des sciences agricoles, l’Union internationale des instituts de recherches forestières (IUFRO) et la FAO. Le texte qui suit présente certaines des observations et des idées issues des présentations et des débats.

IMPACTS DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ACTUELS ET FUTURS

Les écosystèmes forestiers et leurs biens et services

Au niveau local, il est difficile d’attribuer un seul événement extrême aux changements climatiques. Le climat est intrinsèquement variable, et les événements extrêmes ne sont pas rares. Une infestation occasionnelle d’insectes, ou la mortalité causée par la sécheresse dans un endroit, pourrait dépendre de la variabilité naturelle du climat ou être intensifiée par cette dernière. Dans de nombreux cas, l’absence de données fiables et à long terme fait qu’il est difficile de déterminer si la fréquence d’événements extrêmes tend ou non à augmenter. Au niveau mondial, toutefois, le nombre et l’échelle actuels de ces événements fournissent des preuves indirectes convaincantes que des changements généralisés et inhabituels sont survenus dans les écosystèmes forestiers (voir l’article de Régnière).

Les forêts tempérées et boréales se caractérisent par un manteau neigeux réduit et la fonte précoce des neiges, des périodes plus courtes de gelées et des conditions climatiques extrêmes, ce qui accroît la probabilité, la fréquence et l’ampleur ou la gravité de la sécheresse, des vagues de chaleur, des inondations et des orages intenses. Dans de nombreuses parties du monde, les périodes d’incendies de forêt sont désormais plus longues et les feux plus intenses. Les températures plus chaudes, associées parfois à une gestion impropre des forêts, ont également prédisposé certains des grands écosystèmes forestiers homogènes à des infestations d’insectes ou autres ravageurs et à des épidémies de maladies. Un exemple frappant est l’infestation actuelle du dendroctone du pin (Dendroctonus ponderosae), qui a ravagé plus de 13 millions d’hectares de forêts dans l’ouest du Canada. Les écosystèmes forestiers tropicaux ont connu des températures en hausse et des événements plus fréquents et extrêmes liés au phénomène d'oscillation australe El Niño, qui ont accru l’incidence de cyclones dévastateurs, de sécheresses extrêmes, d’incendies, d’inondations et de glissements de terrains. Les débits plus faibles des cours d’eau et la force accrue des vagues lors des tempêtes augmentent la salinité de l’eau dans les mangroves et d’autres terres humides boisées côtières, provoquant la dégradation de ces écosystèmes essentiels.

Dans les terres arides et semi-arides, la sécheresse a accru la mortalité des arbres, entraînant la dégradation et la répartition réduite d’écosystèmes forestiers entiers, comme les forêts de cèdres de l’Atlas (Cedrus atlantica) en Algérie et au Maroc. Comme la sécheresse réduit la productivité des terres agricoles attenantes, de nombreuses communautés africaines qui ne peuvent compter que sur de rares activités rémunératrices de substitution n’auront d’autre choix que de se tourner vers la forêt pour leur production agricole, le pâturage de leur bétail et la récolte illégale de bois et d’autres produits forestiers, aggravant par là même la perte du couvert forestier local.

Les impacts futurs des changements climatiques sur la santé, la croissance, la répartition et la composition de forêts particulières ne peuvent pas être prédits avec certitude (voir les articles de van Zonneveld et al. et Silveira Wrege et al.). Les projections climatiques locales sont encore rares. En outre, les facteurs biotiques et abiotiques peuvent interagir de manière imprévisible. Des saisons plus chaudes, des périodes de végétation prolongées et l’effet fertilisant de concentrations plus fortes du CO2 atmosphérique peuvent stimuler la croissance, à condition que l’humidité et la disponibilité d’éléments nutritifs ne représentent pas des facteurs limitants. Cependant, on prévoit des perturbations plus fréquentes occasionnant le remplacement de certains peuplements accompagné de lourdes pertes soudaines et localisées (voir l’article d’Allen). Quelques modèles d’évolution du climat prédisent le dépérissement catastrophique des forêts dans quelques endroits d’Amazonie, ainsi que des forêts tropicales humides, ce qui aggraverait le réchauffement de la planète.

Les changements survenant dans les forêts dus à l’altération du climat risquent de s’intensifier sous l’effet d’autres variations de l’environnement naturel d’origine humaine. L’ozone troposphérique, un puissant agent phytotoxique très répandu dans les pays développés, réduit la croissance des arbres. En revanche, les dépôts de polluants azotés pourraient stimuler la croissance, mais déterminer aussi des déséquilibres nutritifs. L’introduction involontaire d’insectes nuisibles et d’agents pathogènes par le biais des échanges intercontinentaux, qui a déjà profondément altéré de nombreux écosystèmes forestiers dans le monde entier, augmente les dangers d’infestations à grande échelle, à mesure que les barrières climatiques s’opposant à l’établissement ou à la prolifération des insectes s’abaissent progressivement dans les forêts des hautes latitudes. Une meilleure gestion de ces facteurs favorisera l’adaptation des forêts à l’altération du climat.

Le modèle des impacts actuels et futurs des changements climatiques sur les forêts qui se dessine est un modèle d’impacts soudains et dévastateurs dus à une vaste panoplie de causes liées au climat, ainsi que d’autres impacts négatifs et positifs plus subtils qui se manifestent dans certaines régions ou des sites particuliers, n’intéressant souvent que certaines espèces d’arbres. Dans l’ensemble, les dangers qui menacent les forêts et la gestion forestière pendant les longues périodes de rotation typiques feront l’objet d’une brusque intensification dans la plupart des forêts de la planète, et les gains de productivité de certaines forêts seront probablement neutralisés par les perturbations. En ce qui concerne les activités forestières, la situation deviendra probablement beaucoup plus difficile pendant le siècle en cours.

Des températures plus élevées ont prédisposé la forêt de conifères de l’ouest du Canada à une grave infestation de dendroctones du pin (Dendroctonus ponderosae), qui intéresse plus de 13 millions d’hectares
Ministère des forêts de la Colombie. Britannique et Range/L. Maclaughlan

Les populations et leurs moyens d’existence

Les sociétés plus aisées des pays industrialisés possèdent les moyens de faire face aux effets plus immédiats des changements climatiques et sont moins vulnérables aux impacts à court terme. En revanche, les retombées de ces impacts sur l’économie et le bien-être humain peuvent s’avérer graves pour de nombreuses communautés pauvres des pays en développement et des pays les moins avancés qui sont tributaires de la forêt pour les aliments, le fourrage, le bois de feu, les médicaments et les services de l’écosystème. Les pénuries d’eau et les précipitations imprévisibles, associées à la croissance démographique continue et à la dégradation des terres, accentuent la pression sur les écosystèmes forestiers et leur capacité de satisfaire les besoins de subsistance immédiats de ces populations. Dans de nombreux pays en développement, la promotion de la foresterie communautaire pourrait multiplier les possibilités d’adaptation locale en confiant les prises de décisions à ceux qui seront les premiers à sentir les effets de l’évolution du climat, et en renforçant le rôle des connaissances traditionnelles en matière de gestion des forêts (voir l’article de Gyampoh et al.).

Même dans les pays développés, certaines communautés qui dépendent des industries forestières ou qui sont situées dans des paysages forestiers sont déjà touchées par les perturbations forestières liées au climat. Au Canada, par exemple, l’incidence accrue des incendies dans les forêts boréales menace la santé et la sécurité des populations, et la grave infestation du dendroctone du pin conduira inévitablement à une restructuration importante du secteur industriel basé sur la forêt, avec des répercussions sur le bien-être des populations locales (voir l’article de Konkin et Hopkins).

Les changements climatiques exercent aussi leurs effets sur les revenus locaux dégagés du tourisme et des services de récréation, lorsque de vastes étendues de forêts mourantes réduisent l’attrait des paysages, ou quand la minceur de la couche de neige raccourcit la saison de ski.

Dans les terres arides et semi-arides, la sécheresse a accru la mortalité des arbres, entraînant la dégradation et la répartition réduite d’écosystèmes forestiers entiers, comme les forêts de cèdres de l’Atlas (Cedrus atlantica), au Maroc
FAO/FO-6178/G. Allard

ADAPTER LES PRATIQUES DE GESTION DES FORÊTS

Trois approches sont à examiner pour adapter les forêts aux changements climatiques: l’absence d’intervention, l’adaptation réactive et l’adaptation planifiée. Malheureusement, la gestion actuelle préfère en général la première approche ou, dans la meilleure des hypothèses, la deuxième.

L’absence d’intervention signifie s’abstenir de toute interférence, les objectifs et les pratiques de gestion étant fondés sur l’hypothèse que la forêt s’adaptera tant bien que mal comme elle l’a fait dans le passé. L’adaptation réactive consiste en la prise de mesures après les faits, à savoir la coupe de récupération, les changements consécutifs à la perturbation dans les processus industriels utilisés pour convertir le bois récupéré, la mise à jour du plan d’exploitation, la révision des niveaux de récolte autorisés et la formulation de programmes de soutien socioéconomique pour les localités touchées.

En revanche, l’adaptation planifiée prévoit la redéfinition anticipée des objectifs et pratiques forestiers étant donné les risques et les incertitudes liés aux changements climatiques. Elle comporte des interventions délibérées et préventives à différents niveaux et à travers les secteurs. Au niveau communautaire, l’adaptation planifiée pourrait comprendre la diversification des sources de revenu liées ou non à la forêt, l’amélioration de la gouvernance locale des ressources forestières et le renforcement des capacités de monitorage et d’affrontement de calamités éventuelles d’une ampleur sans précédent. Dans le secteur forestier industriel, ce type d’adaptation pourrait prévoir l’inclusion de la bioénergie comme produit ou la promotion des produits ligneux grâce à leur faible émission de carbone. Aux niveaux national et mondial, l’adaptation planifiée pourrait comprendre un système de surveillance et de communication établi en temps opportun et la mise au point d’outils d’évaluation de la vulnérabilité et de la planification de l’adaptation. Les gestionnaires forestiers pourraient aussi être plus souvent chargés d’évaluer les répercussions au niveau mondial des interventions locales, car les forêts font partie des cycles biogéophysiques et biogéochimiques mondiaux et font de plus en plus souvent l’objet d’accords internationaux ou de programmes de certification.

On pourrait soutenir qu’une bonne gestion des forêts comporte toujours l’adaptation planifiée. Cependant, la planification en prévision de changements climatiques comprend une incertitude bien plus prononcée, de nouveaux risques et la réduction systématique des risques en réponse à des événements prévus. L’adaptation planifiée prévoit aussi l’identification de nouvelles occasions présentées par l’évolution du climat, comme la plantation de provenances ou d’espèces dont la croissance sera plus rapide sous l’effet des conditions climatiques prévues, ou la jouissance des avantages procurés par de nouveaux produits et services comme le piégeage du carbone et les nouvelles formes de bioénergie. L’adaptation planifiée pourrait réduire la vulnérabilité et accroître la résistance, ou stimuler la diversification au détriment de la productivité.

Au niveau du peuplement, l’adaptation planifiée signifierait la plantation d’une plus grande diversité d’espèces ou de provenances, ou d’arbres améliorés pour mieux résister à des facteurs de stress attendus. La modification des plans d’éclaircie contribuerait à stabiliser les peuplements et à les protéger contre la sécheresse, les orages et les maladies et à exploiter la fertilisation offerte par le CO2 pour accélérer la croissance.

Au niveau des paysages, l’adaptation planifiée pourrait inclure des mesures visant la réduction des impacts potentiels des incendies, des insectes et des maladies, la multiplication des opérations de boisement et de reboisement, la création de couloirs pour la biodiversité (voir l’article de Mansourian, Belokurov et Stephenson) et la remise en état des forêts dégradées.

Au niveau de l’unité de gestion forestière, les moyens d’adaptation pourraient comprendre des évaluations de la vulnérabilité et une meilleure préparation aux catastrophes. Enfin, la planification de la gestion des forêts ne peut plus se fonder uniquement sur les trajectoires de la croissance et du rendement au fil du temps. Les plans de gestion devront incorporer l’incertitude et la probabilité accrue d’événements extrêmes, ainsi que la comparaison périodique entre les projections et la réalité changeante, afin de mettre à jour les objectifs et les méthodes.

La surveillance intensive des forêts est un élément fondamental de l’adaptation planifiée et exigera probablement un surcroît de ressources techniques et humaines. La surveillance peut donner rapidement l’alerte en cas de dépérissement des forêts et d’attaque de ravageurs ou de maladies, contribuer à réduire l’incertitude dans la planification et minimiser les pertes. Après un événement extrême, les évaluations rapides des dommages permettent de planifier la récupération et la conservation du bois et de prédire les impacts sur les disponibilités en bois, les marchés et les conditions socioéconomiques. La plupart des pays développés dotés d’un dense couvert forestier surveillent déjà la croissance des arbres et l’état de la forêt; ces mesures se sont parfois élargies pour inclure des aspects relatifs aux changements climatiques, comme le monitorage du carbone et la santé des forêts. Dans les pays en développement, le manque de ressources financières et de compétences en matière de suivi et d’évaluation pourrait entraver le dépistage précoce des impacts des changements climatiques et retarder la prise de mesures opportunes. Dans ces cas, l’adaptation planifiée doit commencer par la création de capacités pour conduire des évaluations périodiques des ressources forestières.

Intégrer la surveillance des forêts aux connaissances actuelles sur les impacts possibles des changements climatiques dans les évaluations de la vulnérabilité ou des risques est le premier pas fondamental de l’élaboration d’une stratégie d’adaptation. De telles évaluations peuvent servir à identifier les endroits où la gestion des risques est utile et où le répertoire des moyens d’action du secteur forestier est actuellement déficitaire. Concevoir, tester et améliorer les méthodes d’évaluation des risques peut aussi constituer un nouvel objectif pour la surveillance.

LA SCIENCE AU SERVICE DE L’ADAPTATION PLANIFIÉE

Les changements climatiques se sont infiltrés dans de nombreux domaines de la recherche sur l’environnement, y compris l’écologie et la gestion forestières. Les chercheurs devront interagir de façon croissante avec les décideurs et les gestionnaires pour assurer la pertinence et l’application effective des résultats de la recherche. À cet égard, le GIEC a joué un rôle fondamental en transmettant aux décideurs des informations techniques fondées sous une forme facilement accessible. Il a aussi mieux sensibilisé la communauté des chercheurs au type d’information dont les décideurs ont besoin et s’est également adressé avec succès au grand public. Le dialogue entre la science et les politiques s’est renforcé dans les administrations publiques, les pays du monde se trouvant forcés de prendre position sur les questions liées aux changements climatiques dans les politiques nationales et les négociations internationales.

La surveillance des forêts est vitale pour l’adaptation planifiée de la gestion des forêts. Le suivi à multiples échelles permet de détecter rapidement les changements de l’état et de la santé des forêts. La télédétection peut faciliter la détection précoce et la cartographie des calamités qui menacent la santé des forêts, et s’avérer particulièrement utile dans les zones dépourvues de levés systématiques du terrain ou comme outil de stratification pour des levés successifs; la fréquence améliorée de la couverture et de la résolution permet de capturer même des phénomènes éphémères et limités.

Les évaluations des dangers provoqués par des changements dans les forêts, et hors du secteur forestier mais qui peuvent avoir une incidence sur les forêts, sont un autre moyen d’adaptation efficace; elles devront être conçues de façon à incorporer la complexité des réactions des forêts au stress.

Bien que les changements forestiers les plus frappants attribués à l’évolution du climat se produisent en altitude, des variations plus modestes dans les climats tropicaux pourraient exercer des effets sensibles sur la végétation dus à l’interdépendance complexe des organismes forestiers et de leurs étroites niches climatiques. Les évaluations de la vulnérabilité et du risque pour les régions tropicales sont dès lors particulièrement stimulantes.

La mise au point de matériel de reproduction doté des caractéristiques génétiques voulues pourrait s’avérer une voie prometteuse pour contrecarrer les changements du climat local. Les gains acquis en matière de productivité et de résistance à la sécheresse laissent présager la possibilité d’améliorations ultérieures de nombreuses espèces d’une valeur commerciale élevée, bien que le besoin de matériel végétal capable de prospérer dans les conditions régnantes aussi bien que futures puisse soulever des problèmes.

Cependant, les perspectives de développement de la résistance aux nouveaux ravageurs et aux nouvelles maladies à l’aide des programmes d’amélioration traditionnels paraissent limitées. Après 50 ans environ d’amélioration des arbres, rares ont été les gains obtenus à cet égard, sauf en ce qui concerne d’importantes maladies chez quelques espèces d’une grande valeur commerciale, comme la rouille brune des peupliers (voir l’article de Yanchuk et Allard). Les risques pour la santé des forêts, qui se manifestent actuellement dans les plantations tropicales d’espèces exotiques, donnent à penser aussi qu’il est essentiel d’améliorer les techniques en matière de génétique forestière.

Les changements climatiques accentuent l’incertitude, mais la gestion de l’incertitude et du risque est un concept qui ne figure guère dans les sciences forestières traditionnelles. Les spécialistes du climat et le GIEC ont appris à communiquer quantitativement les incertitudes climatiques. Maintenant, les gestionnaires forestiers et les décideurs doivent apprendre à intégrer systématiquement ces possibilités dans la planification et les décisions au niveau du terrain. Les compétences en matière de gestion de l’incertitude et du risque pourraient également provenir de domaines où elles sont normalement présentes, comme la science de la gestion, la recherche opérationnelle, la gestion financière, les assurances et l’ingénierie.

Enfin, l’incitation à apporter des modifications au secteur forestier et à la société vient principalement des crises socioéconomiques et non écologiques. Ce n’est donc qu’en reliant les événements physiques à leurs impacts socioéconomiques que les scientifiques pourront fournir des renseignements exhaustifs aux responsables des politiques. Il faudra pour ce faire donner plus d’importance aux sciences sociales et du comportement dans la gestion des forêts.

ADAPTER LES POLITIQUES ET LES INSTITUTIONS

Des enseignements pourraient être tirés des crises forestières liées au climat qui sévissent aujourd’hui. L’infestation du dendroctone du pin au Canada, par exemple, a mis en évidence certains messages importants (voir l’article de Konkin et Hopkins). Les événements catastrophiques surviennent brusquement et transcendent le savoir conventionnel et les structures normales de la gestion forestière. Certes, les données sont importantes, mais elles ne suffisent pas toujours à changer les attitudes des gens. Les réponses appropriées doivent souvent se dissocier considérablement des vues et pratiques conventionnelles. Dès lors, le défi de l’adaptation planifiée consiste à rendre plus souples, avant la crise, la culture organisationnelle, les structures établies et les politiques de gestion des forêts.

L’adaptation aux changements climatiques et leur atténuation sont souvent traitées séparément, mais elles pourraient être reliées pour procurer plus d’avantages (voir l’article de Blate et al.). Dans tous les pays, les mesures d’atténuation, comme le boisement ou l’interdiction de déboiser, devront être planifiées correctement et reliées aux politiques d’adaptation locales dans les secteurs connexes, afin d’aider les populations locales à améliorer leurs moyens d’existence et à supporter les effets défavorables de l’altération du climat.

Il est impératif de faire en sorte que les avantages des synergies adaptation-atténuation aillent aux populations locales dans les pays en développement (voir l’article d’Osman-Elasha). L’agroforesterie est particulièrement utile à cet égard, car elle encourage la diversification, réduit les risques et contribue à stabiliser les moyens d’existence. Les pratiques agroforestières ne piègent que de faibles volumes de carbone par hectare, mais les arbres, les bambous et les palmiers peuvent être associés dans des modes pratiquement illimités et sur une grande superficie aux cultures agricoles, à l’horticulture, au pâturage ou aux étangs de pisciculture.

L’adaptation et l’atténuation peuvent aussi s’intégrer dans les principes de la REDD. Conçue comme solution d’atténuation visant à réduire les émissions mondiales de CO2 atmosphérique, la REDD remplit au mieux sa mission en encourageant la gestion durable des forêts dans les pays en développement. Les forêts gérées durablement s’adaptent mieux aux changements climatiques, et la gestion durable peut réduire, voire inverser, la perte et la dégradation des forêts et renforcer leur résistance à l’altération du climat. Pour les pays en développement, la REDD représente aussi une adaptation permettant d’exploiter les nouvelles opportunités offertes par les changements climatiques sous forme d’incitations pécuniaires, de ventes de carbone et d’investissements dans les forêts.

L’un des problèmes concernant les liens entre l’adaptation et l’atténuation réside dans le fait que l’adaptation ne concerne souvent que des impacts locaux qui n’intéressent donc que les populations locales, alors que l’atténuation répond à une préoccupation mondiale et se traite normalement à l’échelle du pays. Le défi des politiques d’atténuation comme la REDD, notamment dans les pays en développement, consiste donc à faire en sorte que les énormes avantages découlant des mesures d’atténuation aillent aux communautés ou aux propriétaires forestiers. Pour ce faire, il conviendra de garantir que ces mesures promeuvent l’adaptation locale aux changements climatiques et qu’elles s’inscrivent dans le cadre d’un effort général visant à réduire la vulnérabilité et la pauvreté des communautés locales.

L’adaptation est également essentielle aux industries, car les changements climatiques représentent une nouvelle variable dans l’environnement de leurs opérations. L’utilisation des produits tirés de forêts gérées durablement contribue aussi à l’atténuation, car le bois est l’une des rares matières premières réellement renouvelables qui soit disponible, et les objets à base de bois emmagasinent le carbone. Dans de nombreux pays, l’investissement dans la production de bois grâce à des pratiques sylvicoles améliorées ou dans les plantations forestières représente une mesure à la fois d’atténuation et d’adaptation. Les produits ligneux sont une bonne solution de substitution à l’acier et au béton, car ils ne produisent que de faibles émissions et peuvent être recyclés et utilisés pour la production de bioénergie à la fin de leur cycle de vie, rehaussant leur attrait comme produits respectueux de l’environnement. Quand une économie nette d’énergie peut être démontrée, le fait d’acheminer des matériels en bois massif qui auraient autrement été jetés au rebut vers des usines de production de bioénergie aurait le double avantage de réduire les émissions de méthane des décharges (dans celles qui ne sont pas équipées pour absorber ces émissions) et de remplacer les combustibles fossiles. Le développement du marché bioénergétique peut également servir de mesure d’adaptation dans les zones où les forêts ont fait l’objet d’une mortalité excessive. Des politiques énergétiques cohérentes intéressant la totalité de la chaîne de valeur des produits forestiers, associées à la sensibilisation et aux incitations visant à encourager les réactions appropriées des consommateurs, pourraient jouer un rôle d’une importance croissante dans l’atténuation des changements climatiques.

L’agroforesterie est à même de tirer parti des avantages des synergies adaptation-atténuation dans les pays en développement, car elle encourage la diversification, réduit les risques et contribue à stabiliser les moyens d’existence (brise-vent établi à l’aide d’Alnus acuminata, en Équateur)
FAO/CFU000907/R. Faidutti

CONCLUSIONS

La santé de nombreux écosystèmes forestiers est déjà influencée par les changements climatiques, et l’impact de ces derniers est susceptible de s’accélérer, avec des conséquences préjudiciables aux niveaux local et mondial, qui risquent de neutraliser les hausses de croissance dues à l’évolution du climat. L’adaptation est réalisable, mais il importe de planifier et d’agir rapidement, afin d’éviter les retombées les plus fâcheuses et de tirer parti des opportunités. La prise de conscience des impacts effectifs et potentiels des changements climatiques, l’évaluation des incertitudes et l’inclusion des risques devraient forger l’armature des politiques d’adaptation dans la planification de la gestion des forêts. Le principal défi pourrait consister à promouvoir une adaptation planifiée en l’absence d’une crise immédiate, notamment quand elle signifie réduire les gains potentiels à long terme qui se réaliseraient en dehors des changements climatiques. L’adaptation réactive pourrait s’avérer l’option la plus naturelle, mais à long terme elle nuira aux forêts et à la société.

La réduction de la déforestation dans les pays en développement (REDD) occupe désormais une place de premier plan dans le programme mondial de lutte contre les changements climatiques, mais on ne sait pas exactement comment les modalités négociées à l’échelle internationale et la mise en œuvre éventuelle à l’échelle nationale influenceront les populations dont les moyens d’existence dépendent totalement ou partiellement des forêts. Cette option potentiellement très efficace d’atténuation et d’adaptation ne pourra se solder par un succès que grâce à la gestion durable des forêts et à l’assurance que les mesures d’atténuation favorisent l’adaptation au niveau local des populations et des communautés.

Un message qui émane clairement de la conférence d’Umeå est le fossé profond qui sépare les pays développés et les pays en développement sous l’angle de la capacité scientifique, organisationnelle et opérationnelle de s’adapter. Bien que de nombreux pays développés investissent dans des efforts pluridisciplinaires d’une grande envergure, visant à affiner les évaluations des risques et à mettre en œuvre l’adaptation et l’atténuation, maints pays en développement font face à d’énormes lacunes en matière d’information, de leadership et de financement qui sont essentiels pour réaliser l’adaptation, et sont en même temps contraints de rechercher les moyens de répondre aux besoins plus immédiats. La pauvreté et l’instabilité entravent la planification de l’adaptation, et dans des environnements vulnérables de graves impacts défavorables sur les moyens d’existence dus à l’altération du climat pourraient s’avérer inévitables. Dans ces pays, toutes les politiques liées à l’atténuation et à l’adaptation de la gestion forestière à l’évolution du climat devront être associées aux politiques de développement rural et agricole qui favorisent les populations, réduisent la pauvreté et promeuvent la sécurité alimentaire et l’amélioration des moyens d’existence. L’adaptation planifiée vise le bien commun. Les questions d’équité et le renforcement des capacités techniques sont des éléments indispensables de l’adaptation du secteur forestier aux changements climatiques dans les pays en développement; elles attirent donc l’attention de la communauté mondiale.

L’évolution du climat souligne plus que jamais l’importance de s’attaquer aux questions mondiales d’une façon plurisectorielle et exige la collaboration entre les pays. Les institutions régionales et nationales chargées de l’intendance et de la gestion des forêts s’attachent à renforcer la collaboration à cet égard. Les institutions spécialisées et les mécanismes de gouvernance prennent forme lentement, à mesure qu’apparaissent clairement l’envergure du défi et les conséquences qui en découleraient si ce défi n’était pas affronté à l’échelon mondial.

Les mesures d’atténuation des changements climatiques doivent favoriser l’adaptation au niveau local des populations et des communautés (Inde)
FAO/CFU000907/R. Faidutti

Bibliographie

GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). 2007. Changements climatiques 2007: rapport de synthèse. Quatrième rapport d’évaluation du GIEC, Genève, Suisse.

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